Snapchat et les marques de luxe
Présentation du terrain – Méthodologie de travail
Pour confirmer ou infirmer ces trois sous-hypothèses, nous avons défini un terrain. Le terrain correspond à l’ensemble des entreprises contactées et des acteurs que nous avons rencontrés et/ou interrogés à distance. Dès à présent, nous allons exposer quelles sont les entreprises et acteurs que nous avons rencontrés dans le cadre de notre travail. Notre sujet portant sur Snapchat, nous avons jugé indispensable de rencontrer une personne responsable de la communication de Snapchat. Ainsi, nous avons pu rencontrer Aïssatou Diallo, responsable communication de Snapchat France pour nous parler des enjeux et objectifs de Snapchat. Elle nous a permis dans le cadre de notre premier chapitre de comprendre pourquoi les marques de luxe s’intéressent à Snapchat et comment Snapchat perçoit la présence de celles-ci sur leur application. Après avoir détaillé les formats publicitaires de Snapchat, elle nous a démontré que pour eux la place de Snapchat se trouve davantage dans la dimension publicitaire et médiatique c’est-à-dire entre les stories et dans les filtres sponsorisés et moins dans la création de comptes pour poster des stories. Nous avons également jugé pertinent de rencontrer un membre de chez Instagram France, en effet Instagram avec les Insta Stories constitue le principal concurrent de Snapchat, il était donc intéressant grâce à Amina Belghiti, chargée des partenariats chez Instagram France de comprendre comment elle perçoit le format Stories aujourd’hui par rapport à Snapchat. Pour compléter notre analyse, nous avons rencontré une représentante de la marque de luxe Dior : Pauline Lanchon, digital et communication manager qui s’occupe notamment de la gestion du compte Snapchat de Dior. Nous avons donc pu l’interroger sur son usage de Snapchat, comprendre pourquoi la marque est présente sur l’application et si elle permet oui ou non de raconter des histoires à sa cible. Même si l’Oréal Paris ne constitue pas une marque de luxe à proprement parler, elle est considérée comme une marque premium, nous avons eu la chance de rencontrer Mathilde Guitton qui gère la partie réseaux sociaux des marques beauté de l’Oréal Paris. Pour finir et après avoir eu une vision à la fois orientée sur les marques, sur l’application et sur un des concurrents, nous voulions avoir aussi une vision digitale : nous avons donc rencontré la directrice conseil de chez Mazarine Digital, anciennement directrice conseil chez We Are Social.
Présentation de Snapchat, le nouveau terrain d’expression des marques de luxe
Précédemment dans notre introduction, nous avons amorcé la définition des termes du sujet pour en dessiner les enjeux majeurs mais nous jugeons utile avant de débuter notre analyse de dresser des définitions plus précises de chacun des termes de notre problématique à savoir Snapchat, réseau social, application, éphémère, instantané, marque, luxe, narration, récit et storytelling. Ces définitions nous ont aidée à comprendre les enjeux de notre sujet. C’est pourquoi cette partie va nous permettre avant de rentrer dans le cœur de notre développement de présenter plus largement : A – nous découvrirons en détail l’application (son ergonomie, ses formats publicitaires, le type de contenus publiés et les objectifs de l’application)B- comprendre pourquoi soudainement les jeunes générations se tournent-elles davantage vers des réseaux sociaux éphémères et instantanés. Que traduit ce basculement ? C- au sujet des réseaux sociaux que nous aborderons dans le B-, nous poursuivrons ici pour comprendre ce que permettent les réseaux sociaux et nous insisterons sur la dimension relationnelle créée. D- nouvel eldorado narratif pour les marques, nous définirons en détail les notions de storytelling, de narrativité et de récit pour être à l’aise dans la suite de notre développement et notamment nos troisième et quatrième chapitres où nous nous intéresserons à la machine à histoires qu’est Snapchat autour de la mise en récit. E- nous définirons en détail les valeurs propres à Snapchat à savoir l’éphémère, l’instantané, le temps et la transparence. F- nous définirons ce qu’est une marque et ce qui est associé au luxe depuis des générations à aujourd’hui. L’ensemble de ces définitions qui peuvent paraître à premier abord très théoriques et descriptives sont essentielles pour la suite du développement car elles nourrissent notre propos.
Présentation de l’application jaune au fantôme blanc
Commençons par une description des formats de l’application. Il s’agit dans un premier temps de bien comprendre le mécanisme et l’ergonomie de l’application. L’application Snapchat présente quatre écrans : La partie « Chat » où sont référencées l’ensemble des personnes appelées snapchatteurs avec qui nous échangeons des messages textes et/ou photos, vidéos (1). La partie « Story » où nous avons accès aux stories de nos amis et où nous pouvons regarder notre story si nous avons pris des snaps (2). La partie « Photo » où il y a l’objectif qui nous permet de prendre les photos (3). La partie 4 s’intitule « Discover », Discover est une curation de contenus produits par une sélection de médias comme dit précédemment (4).Etablissons quels sont les objectifs d’utilisation de Snapchat par les marques : les marques l’utilisent pour animer la communauté. Sur son site officiel, Snapchat reconnaît avoir plusieurs objectifs dont un objectif de notoriété par la publicité présente sur l’application. Quelles formes prend la publicité ? Elle se présente sous trois formes : ‡ Snap Ads qui se présentent comme les deux premiers visuels ci-dessus. Le visuel Yves Saint Laurent correspond à une capture écran personnelle, il est précisé qu’il s’agit d’une publicité, le logo de la marque est l’unique élément du snap et il s’agit d’une marque de luxe. ‡ Geofilters sponsorisés (selon l’endroit où nous sommes située, nous sommes localisée et Snapchat nous propose un filtre avec le nom du lieu où nous sommes). ‡ Lenses sponsorisées, ce terme désigne les effets mis à disposition pour transformer sur le vif un selfie. Elle peut prendre la forme d’une oreille de chien, d’une couronne de fleurs, d’un casque… Elles sont sponsorisées quand il s’agit de marques par exemple dans le cas ci-dessus Coca-Cola. Plus concrètement, Snapchat permet aux marques de promouvoir leurs produits, d’annoncer un lancement d’un nouveau produit en montrant un produit dans un de ses snaps. Elle offre la possibilité de marquer les esprits en jouant sur la personnalisation et la proximité entre la marque et les utilisateurs. C’est le cas de Burberry qui a créé un filtre permettant aux snapchatteurs d’entrer dans la peau d’une de leurs égéries avec un parapluie à la main à l’instar de leur spot publicitaire. Snapchat permet aussi de créer une interaction avec la cible, propose des jeux, intègre l’utilisateur dans l’univers de la marque comme dans la capture écran présentée ci-dessous : le « tap here » incite l’utilisateur à intervenir et à taper/cliquer sur cet endroit pour voir la suite apparaître. Le snapchatteur est lui-même acteur avec la marque (2). Pour finir, elle permet de promouvoir un évènement, diffuser une collection, des lieux, des défilés. En effet, la particularité de Snap est de montrer de l’exclusivité, montrer les backstages, rentrer dans l’intimité des marques (3). Pour les marques, l’application est donc un moyen de faire du teasing, de créer de l’exclusivité ou encore de faire l’actualité de la marque en live. Nous pouvons réellement parler d’exclusivité dans le cas de Snapchat car l’ergonomie de l’application en est la preuve, en effet : sur Snapchat, il n’est pas possible d’élargir sa communication au-delà de ses propres amis. Nous ne pouvons pas voir avec qui nos amis sont amis, nous ne savons pas quelles sont les stories que regardent nos amis. Pour reprendre la typologie de Dominique Cardon, « Le design de la visibilité : un essai de typologie du web 2.0 » nous sommes avec Snapchat dans un format de visibilité en clair-obscur : les participants rendent visible leur intimité, leur quotidien et leur vie sociale, mais ils s’adressent principalement à un réseau social de proches et sont difficilement accessibles par les autres. Néanmoins, il s’agit avec Snapchat d’un clairobscur plus obscur que clair. En effet, à propos de ces réseaux, Dominique Cardon précise qu’ils refusent de se fermer dans un entre-soi. Ces plateformes restent ouvertes à la nébuleuse des amis d’amis et des réseaux proches, or ce n’est pas le cas avec Snapchat. C’est à ce titre qu’Estelle Aubouin affirme qu’il « n’existe aucun moyen de générer de la viralité sur Snapchat ». Cette non-viralité est le signe d’une forme d’exclusivité vis-à-vis des utilisateurs.La particularité de Snapchat réside également dans son ergonomie d’une part puisque l’application est faite de telle manière que dès que l’utilisateur arrive sur l’application, il se retrouve sur la caméra et est donc incité à créer et proposer du contenu en faisant un snap. Nous venons de voir en détail comment est configurée l’application. A présent, nous allons tenter de comprendre d’où vient cet intérêt pour l’instantanéité, valeur fondamentale de Snapchat (le mot snap signifie « instantané » en anglais) ?
B- Pourquoi un tel intérêt pour l’instantanéité et l’éphémère ?
« Las du pouvoir exacerbé, las des traces laissées ici ou là, las de la surveillance potentielle de leurs parents, ils semblent préférer désormais les applications de messagerie instantanée comme Snapchat », du moins c’est ce qu’affirment les 5 000 adolescents américains interrogés à l’Institut Piper Jaffray à ce sujet. En effet, Snapchat qui cible majoritairement les 18-24 ans (39% pour les 18-24 ans, 33% pour les 14-17 ans et 18% pour les 25-34 ans), est un réseau social jeune qui peut effrayer ses frères Facebook et Instagram. Effrayer les autres réseaux sociaux supposerait que l’ensemble des réseaux sociaux aient les mêmes stratégies et enjeux, or, nous relevons seulement ici que l’intérêt porté par la jeune génération sur Facebook s’est peu à peu réduit et déplacé vers d’autres réseaux sociaux du type éphémère comme Snapchat. Il y aurait donc une baisse d’intérêt pour les réseaux sociaux dits « classiques » et une préférence pour les réseaux sociaux éphémères. Comment pouvonsnous expliquer ce succès ? Référons-nous à Rachel Metz (2012) de Technology Review qui a analysé le phénomène des applications éphémères. Elle constate en effet une consommation croissante par les adolescents de messageries et d’applications éphémères à l’instar de Snapchat, Kik, WhatsApp ou Line. Selon elle, nous pourrions expliquer le succès de Snapchat puisqu’il permet aux utilisateurs d’« avoir un contrôle très simple sur leurs données » puisque les contenus transmis et partagés sont éliminés par les systèmes qui les proposent après envoi. Les messages instantanés seraient-ils perçus comme l’avenir d’une information que les réseaux ont rendu centralisée et surveillée ? Comme l’affirmait Lee Rainie, directeur du Pew Internet Research & American Life Project, « l’une des raisons pour lesquelles ces applications ont du succès est qu’elles nous ramènent à un temps où le contexte était tout ce qui importait ». La clé du succès de Snapchat serait sa valeur principale : l’instantanéité.
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