L’apprentissage et l’erreur
Dans le cadre de notre mémoire, nous nous demandons quels apprentissages peut faire l’élève au travers de la tablette numérique et au travers du jeu « en vrai ». Ces apprentissages sont visibles grâce aux multiples ressources que l’élève va développer. Par exemple, la capacité de se repérer dans l’espace (ici : micro-espace), la capacité de tourner une pièce avec un doigt sur une tablette numérique, la capacité à essayer, échouer, retenter jusqu’à réussir. La capacité de se repérer dans l’espace va se développer parce que l’élève sera confronté à un espace nouveau, celui de la tablette. En effet, en classe, les élèves sont confrontés à des espaces comme ceux de la feuille A4, du tableau noir, de l’espace de jeu, de la cour de récréation, ou encore de l’ordinateur. Mais l’iPad est nouveau : plus petit qu’une page A4, s’utilisant avec le doigt, l’élève touche un écran et doit effectuer des gestes plus ou moins naturels pour obtenir le résultat escompté. C’est d’abord un nouvel apprentissage, mais surtout, l’appropriation d’un nouvel outil pour l’élève.
Autre point important, il s’agit d’un support assez plat, comme une feuille A4, mais qui peut représenter des choses qui peuvent s’animer. Contrairement à la feuille de papier, on ne change pas de support lorsque l’on change d’activité ou de dessin. Cela demande donc un temps d’adaptation plus ou moins long selon l’élève, son âge et sa familiarité avec la tablette et surtout l’habitude qu’il a d’utiliser une feuille de papier. On peut imaginer qu’un jeune enfant n’ayant jamais touché une tablette, mais regardant quotidiennement la télévision chez lui et ne dessinant que rarement, ne se rend pas forcément compte des limites d’une simple feuille de papier. La capacité de tourner une pièce avec le doigt fait partie du temps d’adaptation nécessaire à l’élève non pas pour maîtriser la tablette, mais pour maîtriser l’application Tangram HD. La capacité à essayer, échouer, retenter, mettra en évidence la persévérance de l’élève, mais montrera aussi que l’enfant apprend de ses erreurs.
L’erreur au sein de la pédagogie
L’un des aspects important qui a fini par émerger de notre recherche est l’apprentissage par l’erreur. Non seulement nous retrouvons ce concept dans les dimensions de Bastien et Scapin, d’une part dans la dimension « charge de travail », où l’application doit décharger au maximum l’utilisateur afin de limiter le risque d’erreur et de permettre à ce dernier de se focaliser sur la tâche à accomplir. D’autre part, dans la dimension « gestion des erreurs », notamment avec le critère « correction des erreurs », où la machine envoie un message à l’utilisateur dans le but de parer toute action indésirable. Mais nous retrouvons également cela dans le cadre de la théorie de l’étayage de Bruner au travers de la signalisation des caractéristiques déterminantes, mais aussi du contrôle de la frustration. Lors de notre analyse, nous ne retiendrons que les erreurs dues à un contenu complexe et celles dues à une surcharge cognitive. Il est vrai que, tant pour un enfant de 7 ans qu’un enfant de 10 ans, ou même un adulte, résoudre un tangram est complexe et demande de l’entraînement.
De plus, il nécessite de faire appel à plusieurs compétences en même temps. De plus, nous nous pencherons aussi sur le problème des essais-erreurs. Nous supposons que les essais-erreurs ne sont pas du même type pour le tangram « en vrai » et sur iPad. Lorsqu’il réalise « en vrai », l’élève n’a confirmation ou infirmation seulement à la fin ; lorsqu’il a posé toutes les pièces, ou dès qu’il n’a plus la place de poser les pièces restantes. Au moment où l’élève réalise son erreur, il doit réagir. Seulement, cette erreur n’a peut-être pas eu lieu sur la pièce qu’il a posée en dernier. L’élève doit alors modifier le jeu et ses stratégies pour réussir le tangram. Dans le cadre du tangram sur iPad, la confirmation se fait instantanément au travers du glissement de la pièce ou du bruit qu’elle fait lorsqu’elle se met en place. A ce moment-là, l’élève sait qu’il peut continuer à jouer. Ceci est valable, bien sûr, si l’élève se rend compte de ce bruit et de ce mouvement. Dans le cas contraire, il agira comme pour le tangram réel et appliquera l’adage du « qui vivra, verra ».
Il s’agit donc de deux manières de penser totalement différentes : l’une incite l’élève à avoir confiance en lui et à aller jusqu’au bout, puis on verra bien, alors que l’autre incite l’élève à voir si chaque pièce est juste avant de passer à la suivante. Ces deux manières de penser influent sur l’élève et l’obligent à mettre sur pied des stratégies différentes. Nous y reviendrons lorsque nous analyserons les faits des élèves. Dans tous les cas, les enfants ont besoin d’essayer et de se tromper pour avancer et nous, enseignants, avons besoin de connaître leurs erreurs pour leur montrer le chemin. Deux erreurs, même si elles semblent pareilles de prime abord, ne sont pas forcément identiques ; leurs origines sont parfois totalement différentes et l’enjeu d’une telle recherche est d’en trouver le sens.
Les compétences au sein de notre recherche
Dans notre recherche, l’acquisition de compétences permettant de jouer au tangram sera prise en considération sur le long terme, l’idée étant de mettre en avant l’évolution des élèves. Cette acquisition se reflétera au travers des dimensions de l’ergonomie citées ci-dessus. Plus précisément, pour jouer au tangram, il faut développer une vision d’ensemble, prévoir la disposition des pièces, mémoriser les différentes pièces, anticiper la place qui sera prise par la pièce et la place restante pour les autres pièces, s’imaginer la forme une fois que l’élève l’aura tournée… Beaucoup de compétences que nous qualifierons de cérébrales. En effet, ces compétences sont le résultat de processus internes à l’élève, qui se passent « dans sa tête » et qui n’est pas visible pour nous. Ces ressources sont mobilisées toutes en même temps, c’est là la difficulté du tangram, comme dit plus haut. Nous allons cependant distinguer d’autres ressources à mobiliser qui sont plus spécifiques à chacun des deux types de tangram. Ces dernières peuvent être considérées comme des compétences pratiques, il s’agit de manipulations que l’enfant doit faire pour pouvoir jouer au tangram.
Celles-ci sont visibles et observables par l’enseignant, il est donc beaucoup plus facile d’agir dessus. Avant d’analyser les vidéos et de faire passer les entretiens, nous imaginons que ces compétences sont les suivantes : « En vrai », l’élève doit manipuler les pièces mais ne peut pas les retourner. Il doit aussi être précis et faire attention à ne pas bouger toutes les pièces déjà placées lorsqu’il en place une nouvelle. Cela demande donc de la dextérité et une motricité fine déjà bien développée. Sur iPad, l’élève doit trouver comment bouger les pièces, comment les retourner, faire attention au bruit et au mouvement que fait la pièce lorsqu’elle est bien placée, réfléchir à l’orientation du parallélogramme qui peut se retourner (ce qui n’est pas le cas « en vrai »). Nous retrouvons donc la motricité fine, mais à cela s’ajoute l’attention que l’élève doit porter au bruit et au mouvement de la pièce. Suite aux entretiens, nous pourrons confirmer, ou non, nos suppositions. C’est là que nous verrons si les compétences acquises par nos élèves sont celles que nous visons (et qui sont donc en lien avec les objectifs du plan d’études romand (PER)), ou bien si elles sont toutes autres.
Conclusion
L’utilisation de la tablette à l’école permet-elle de favoriser les apprentissages à développer pour réaliser un tangram ou au contraire les freine-t-elle ? Comme nous l’avons dit précédemment, dans plusieurs cas, la tablette nous a clairement semblé freiner la réalisation des tangrams. En plus de devoir réaliser le puzzle correctement, l’élève devait aussi appréhender très rapidement son fonctionnement dans un temps limité (2- 3 minutes laissées pour réaliser des tangrams). Toutefois, sur un échantillon aussi restreint, il reste délicat de tirer des conclusions fiables. Malgré cela, notre recherche et les observations que nous avons pu mener tout au long de celle-ci nous permettent de faire certaines recommandations d’usage et de tirer les conclusions suivantes :
– La tablette tactile est un formidable catalyseur pour la motivation des élèves. Chaque élève ayant pu utiliser la tablette a fait preuve d’entrain. Nous avons pu le mesurer aux exclamations toujours positives entendues à chaque fois que la tablette était proposée aux élèves. Cet entrain a parfois caché la difficulté réelle qu’avait l’enfant à accomplir la tâche. Lorsque l’on posait la question : « Etait-ce plus facile sur iPad ou en vrai ? », la réponse était bien souvent sur iPad, car l’élève, plus particulièrement les plus jeunes, ne faisait pas la différence entre motivation et facilité. Il y a un point que notre recherche n’a pas abordé, mais qu’il serait néanmoins intéressant de traiter : est-ce que cette motivation demeure malgré le temps et un usage quotidien de la tablette, ou aurait-elle tendance à s’estomper ?
– Les plus jeunes ont réussi plus de tangrams sur iPad que les plus âgés. En fait, tous les tangrams réalisés totalement sur iPad (3 tangrams) l’ont été par des élèves appartenant au profil 1-4. De nouveau nous ne pouvons que déplorer la faiblesse de notre échantillon qui ne nous permet pas de déterminer exactement à quoi est dû cet écart. Deux éléments différencient ces deux populations : une forte différence d’âge et un niveau social très hétérogène. Ces deux biais révèlent à nouveau un élément à creuser : cette différence est –elle due à l’âge, à la maturité scolaire ? Il y a là matière à réfléchir : pourquoi les plus jeunes, des élèves qui ont logiquement été confrontés à moins de « situations-problèmes » s’en sortent-ils mieux que les plus âgés ?
INTRODUCTION |