SIGNALÉTIQUE DES TOPONYMES FRANCISÉS

SIGNALÉTIQUE DES TOPONYMES FRANCISÉS

Après avoir analysé les appellatifs toponymiques thaïlandais dans leurs divers aspects (phono-orthographique, morphosyntaxique, sémantique et traductologique), ce chapitre présentera la dimension pragmatique de ces appellatifs en s’appuyant sur une conception « signalétique » de la nomination. c’est-à-dire un lien étroit entre les symboles dénominatifs et la nature de leur référent référent. Nous aborderons d’abord la notion de la signalétique et ensuite nous présenterons les schémas issus de l’effet de contraintes pragmatiques dans les différentes sous-catégories de toponymie : des noms d’unités géographiques, des noms de lieux habités, des noms de monuments et d’édifices et des noms de voies de communication. Nous résumerons ainsi tous les patrons dénominatifs possibles des appellatifs toponymiques. Nous tenterons enfin de dégager le mécanisme discursif qui contrôle la fabrication des formes appellatives toponymiques thaïlandaises construites et réutilisées par les auteurs dans les guides touristiques à travers un ensemble d’indices ou de marques linguistiques qui sont convergents et capables d’évoquer de façon plus ou moins directe un domaine spécifique de référent. 

Notion de signalétique

 Pour traiter des toponymes thaïlandais du point de vue de la signalétique, il faut d’abord introduire le panorama de cette notion et également son application dans les travaux antérieurs qui ont été effectués sur les dénominations dans différents domaines en français. 

Concept et propriétés

 Les natifs de chaque langue pourraient plus ou moins spontanément classer les dénominations qu’ils perçoivent dans différents domaines tels que les noms de personnes, les noms de lieux, les noms de commerces, les titres de tableaux, etc. Par exemple quand les francophones entendent des mots comme Pierre ou Hélène, ils peuvent identifier immédiatement que ce sont des anthroponymes français mais cette opération est assez difficile pour ceux qui ne connaissent pas les règles de la dénomination anthroponymique française, surtout ceux qui connaissent mal la tradition chrétienne. Les francophones peuvent également préciser que le premier nom est masculin et le second féminin. Dans la pratique onomastique, chaque nom propre est fabriqué d’une certaine façon sous l’effet de contraintes pragmatiques spécifiques, des usages propres à chaque société-langue avec pour conséquence des patrons spécifiques selon les domaines de nomination, non seulement les lieux, les monuments, les voies, etc. qui constituent les objets des guides mais aussi de façon plus général les artefacts uniques produits de l’activité humaine et dotés d’un nom91 (Bosredon 2012b : 334). Afin de dégager le patron dénominatif propre à chaque domaine de référence, Bernard BOSREDON a développé une notion de « signalétique », un ensemble de marques linguistiques qui entrent dans la fabrication de dénominations relatives à un domaine référentiel spécifique (Bosredon et Guérin 2005 : 20)92. Une étude signalétique cherche donc à découvrir un principe d’organisation de la dénomination à travers des marqueurs linguistiques comme la forme de la dénomination, leur construction ou le choix des vocables. La signalétique n’est pas seulement pré-établie mais doit aussi être stable, reconnue des usagers et présenter des régularités discursives. Pour lui, ce terme désigne à la fois la nomination monoréférentielle et ses produits (Bosredon 2012b). Elle possède deux propriétés remarquables (Bosredon 2012a : 25). Premièrement, les dénominations monoréférentielles dénomment une entité unique en croisant le rappel des propriétés que cette entité partage avec d’autres et l’indication d’un trait qui n’appartient qu’à elle (par exemple, rue de Paris / rue de Lille / rue Censier). Deuxièmement, elles présentent un relief sémantico-référentiel en faveur de l’élément distinctif (rue de Paris / rue de Lille / rue Censier). Les formants de catégorie peuvent d’ailleurs parfois s’effacer (le Cinéma Champollion / le Champollion). Ce sont donc des dénominations hybrides. Elles se composent de deux opérations : la première dénote le domaine d’appartenance au moyen du formant nom de catégorie, la deuxième connote ce même domaine par un index distinctif. La notion de signalétique n’est pas appliquée seulement pour le nom propre comme les odonymes, par exemple rue Descartes, avenue de Versailles (Bosredon et Tamba 1999) et les noms de commerce comme Café de la Paix, Le Cluny (Bosredon et Guérin 2005) mais aussi pour les titres d’œuvres tels que les titres de peinture comme L’enfant aux rochers (Henri Rousseau), Nu descendant de l’escalier (Marcel Duchamp) — cités dans Bernard BOSREDON (1997) — et dont la fonction d’identifiant unique est comparable à celle du nom propre. Le nom propre désigne uniquement son référent tandis que le titre doit valoir pour une seule œuvre. Nous reprenons donc ce terme « dénomination monoréférentielle » qui est employé dans les travaux de Bernard BOSREDON . Ces dénominations signalétiques sont structurées par une structuration récurrente morphosyntaxique et la réutilisation également de vocables spécifiques, fondées sur des régularités non de système de langue mais d’usages. Comme le constate Bernard BOSREDON : « leur constitution n’est pas le fruit d’une action volontaire et consciente de la part des locuteurs mais […] [les dénominations monoréférentielles] naissent dans l’inconscient d’une pratique générale et structurante. » (2012b : 335-336). Dans les travaux de Bernard BOSREDON, le terme dénomination monoréférentielle (DM) est préféré au terme nom propre communément réduit soit à une sous-catégorisation grammaticale dans l’opposition traditionnelle nom commun / nom propre, soit à un objet logico-philosophique en philosophie du langage. Le terme de dénomination monoréférentielle vaut donc également pour nom propre au sens grammatical, pour identifiant rigide au sens logico-philosophique et, au plan empirique, pour toute dénomination d’objet unique. Ainsi, un titre de peinture, un titre d’œuvre écrite, etc. sont-ils aussi des dénominations monoréférentielles. C’est donc au motif plus large qu’« on donne toute sa pertinence au terrain spécifiquement linguistique sans rien abandonner de la rigueur philosophico-logique des travaux sur la référence singulière telle qu’on la voit notamment mise en œuvre de façon originale dans la problématique des désignateurs rigides après Kripke. » (Bosredon 2011 : 158). Dans notre travail, nous gardons cependant le terme nom propre étant donné que notre objet d’étude (le toponyme) est défini comme un nom propre désignant un lieu. 

Formulaires possibles des signalétiques 

Dans les travaux cités précédemment, la dénomination signalétique se compose normalement de deux formants signalétiques94 (FS) : le catégorisateur et le différenciateur. Pourtant, certaines dénominations peuvent également avoir une forme abrégée qui est plus courante dans la conversation quotidienne des locuteurs. Nous pouvons dégager trois formulaires principaux : FS1 + FS2, LE FS2 et FS2. 9.1.2.1 FS1 + FS2 Le premier formant signalétique (FS1) présente la catégorie de l’entité unique95 tandis que le second formant signalétique (FS2) est l’élément différenciateur qui le distingue des autres dans la même nomenclature. Ce formulaire binaire est le plus productif (Bosredon 2012a : 22) et il pourrait être considéré comme une structure prototypique. Nous l’avons vu plus haut dans les odonymes urbains (avenue de l’Opéra, rue Censier, etc.) mais également dans les autres domaines tels que les noms de pays96 (République populaire de Chine, République française), les noms d’écoles et d’université (Lycée Henri IV, Université de Paris), etc. En outre, certains titres de peinture comme Christ en Croix, Nu sur Canapé suivent également ce schéma. Pourtant, il est à noter que la catégorie de la titrologie dans le FS1 se présente sous la forme d’unités lexicales descriptives (couleur, forme ou termes techniques) alors que le FS2 se présente sous la structure prépositionnelle ou de déterminations constituant des microparadigmes caractéristiques (Bosredon 2012b : 335). La juxtaposition entre les deux formants signalétiques peut être simple et directe (rue Censier, République française, Lycée Henri IV) ou avec un coordonnant, très souvent la préposition de (avenue de l’Opéra, République populaire de Chine, Université de Paris) mais dans les titrologies les éléments de liaison semblent plus variés comme en, sur, etc. (Christ en Croix, Nu sur Canapé) selon la présentation visuelle97 . Le choix en français entre la structure Nc + de + Npr et la structure Nc + Npr dans le domaine de l’odonymie manifeste l’effet des référents sur la formule dénominative. Bernard BOSREDON et Irène TAMBA rappellent (Bosredon et Tamba 1999 : 65-67) que les noms de lieu ont été introduits en France en plusieurs étapes qui, chacune, indique une motivation référentielle à la base de ces dénominations dont l’interprétation reste toujours compositionnelle : dans la rue de Bretagne s’accumulaient les provinciaux venus de Bretagne. Les odonymes avenue d’Iéna, le pont d’Arcole appartiennent à une autre époque où ils conservent en partie leur valeur référentielle mais commémorent des victoires. On note par conséquent pour les noms de lieu la prédominance d’une interprétation référentielle, même si elle est de nature métonymique. D’un autre côté, le système de classification moderne utilisant les noms propres de personnes (rue Bonaparte, rue Pasteur) n’exprime aucune motivation de type locatif. Le rôle de l’anthroponyme permet simplement de signifier une opposition entre « la rue qui s’appelle rue Bonaparte » et « la rue qui s’appelle rue Pasteur » alors que les autres noms de voies comportant la préposition de comme rue de Paris peuvent s’interpréter de deux manières : 1) « la rue qui s’appelle rue de Paris », 2) « la rue qui va à Paris ». On passe ainsi d’une signalétique sémantiquement motivée par des critères topographiques à « […] une combinatoire fondamentalement plus abstraite, dans laquelle les noms de personnes empruntés valent d’abord comme des éléments différenciateurs à l’intérieur de classes désignées par un stock relativement stable de termes catégoriels (rue, avenue, impasse…) »  . 

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