Séville le quartier du Casco Norte
Le quartier du Casco Norte, qui se situe au nord du casco historico de Séville au centre ville symbolise la mémoire ouvrière de la métropole andalouse. L’identité méditerranéenne qu’il incarne provient de sa localisation proche du fleuve qui le transforme en dépositaire de la mémoire des populations ouvrières venues pour travailler. L’état d’abandon de son bâti et du système de ses espaces publics a longtemps provoqué sa stigmatisation par les habitants des autres quartiers de la ville. Pourtant, sa position de centralité entre le Casco Sur, le sud déjà rénové du casco historico et la Isla de la Cartuja, le technopôle de la capitale andalouse, ainsi que l’amélioration de son image aux yeux de nouveaux habitants qui s’installent, provoquent son intégration au processus de reconquête de la nouvelle centralité de Séville Séville au milieu du XIXème Siècle reste dominée par sa vocation de centre de négoce ouvert sur les campagnes environnantes. Les limites de la ville butent rapidement sur un vaste système de cultures les huertas et les jardines. Il forme une large ceinture verte qui s’allonge du nord vers l’est puis le sud, évitant les zones inondables par le rio Guadalquivir à l’ouest. Ainsi, un territoire organisé dépend de la capitale andalouse, dont les traces subsistent dans la toponymie de la ville depuis la Puerta de la Macarena : Huerta del Carmen, Huerta del Palmilla, Huerta de San Hiacinto et sous une forme reconstituée, au sein du parc de Miraflores 84 : la Huerta Las Morenas, 85 au nord est de la ville. En 1862, l’urbanisation de la Huerta del Retiro, 86 débute. Elle indique l’extension du territoire de Séville. (Carte 8) Audelà, s’étend l’immense emprise agraire du système latifundiaire, dont l’impact sur l’espace régional, depuis le alto Guadalquivir, jusqu’au bajo Guadalquivir se révèle fondamental : il s’agit des cortijos à vocation céréalière et des haciendas à spécialisation oléicole. Ce système traditionnel s’accompagne d’un rapide décollage industriel qui repose sur la transformation des textiles et des produits métallurgiques. La morphologie urbaine va intégrer ce nouveau système industriel, d’abord par une extension des emprises manufacturières, surtout aux marges du nucléus originel, en direction du sud, du port fluvial et du chemin de fer.Nous décelons encore ces emprises aujourd’hui au sein du Casco Norte, bien qu’elles se relâchent pour laisser la place à des logements de standing : Calle Antonio Sussillo, l’ancienne fabrique de bois et Calle Heliotropo, l’ancienne fabrica de fieltros y sombreros87. A partir de 1890, la conjonction entre l’entrée en crise du système latifundiaire et la montée en puissance d’un premier développement industriel, va susciter une puissance dynamique migratoire de type exode rural. Les soubresauts qui résultent de ces rapides mutations vont s’inscrire durablement dans l’histoire sociale de Séville, aux parfums de luttes et de confrontations violentes, une culture « rouge ». « 70 % de la population est occupée par ce qui fait la base de la richesse régionale, l’agriculture qui, avec un système de production en retard, ne peut résister à la pression des salaires, par les propriétaires qui s’efforcent de maintenir la situation inchangée. Les masses paysannes se réfugient de nouveau dans la clandestinité avec des irruptions violentes, surprenantes et spectaculaires, comme les révoltes jerezanas de la Mano Negra en 1881(…) » 88 La population de Séville passe de 118 298 habitants en 1857 à 228 279 habitants en 1931. Les grands chantiers de préparation de l’Exposición Iberoamerica de 1929 vont favoriser une installation définitive de nombreux migrants d’origine rurale. La ville voit sa physionomie profondément modifiée, avec l’ouverture d’un secteur résidentiel au sud, le long de l’axe El Polvenir, la Palmera, qui inaugure un développement urbain qui tourne délibérément le dos à la trame médiévale. Cette croissance ne peut manquer de se répercuter sur les conditions de logement, particulièrement des populations les plus fragiles. Cette tension démographique va renforcer la dichotomie spatiale et fonctionnelle au sein même du Casco Antiguo. Le Casco Sur, le barrio de Santa Cruz concentre la population aisée qui bénéficie de logements, d’équipements urbains de bon niveau et de fonctions de prestige qui incarnent le modernisme de la cité. Le Casco Norte , les barrios de San Julian, San Marcos, San Gil, Feria, San Lorenzo, la Macarena, regroupent une population laborieuse au sein d’un territoire urbain sous doté. En outre, les services urbains proposés ne s’améliorent pas, notamment l’adduction d’eau et l’enlèvement des ordures. En 189089, le Dr Laborde, de la Compañia Sevillana de Saneamiento y Urbanización, publie le : Memorio de la inspección Sanitaria de la Compañia Acercara de Estado Higienico de la Ciudad de Sevilla desde 1890 a 1902, qui pointe les écueils du manque d’hygiène collective, la carence du système de distribution de l’eau, le manque de lumière et d’aération des logements, l’insalubrité, la piètre qualité des matériaux employés, la sur densification des habitations, le déficit de propreté des espaces publics.
Le patrimoine
La notion de patrimoine nécessite de préciser les acceptions qu’elle peut revêtir. Le Petit Robert, édition de 1979, la définit ainsi : « héritage du père, biens de famille dont l’on a hérités de ses ascendants. » Cette approche semble indiquer un aspect strictement individuel, voire privé. Le patrimoine c’est ce dont on hérite et que l’on transmet. Plus loin cependant apparaît, patrimoine archéologique, architectural, historique. Le patrimoine peut alors s’entendre comme un ensemble d’objets visibles ou invisibles, matériels ou immatériels, non doté d’intentionnalité, structuré par un groupe social, dont les processus d’appropriation sont permanents et auquel il confère un surcroît d’identité. L’objet patrimonial inséré dans un réseau patrimonial devient ainsi l’unité de base de constitution de la ressource patrimoniale qui ne peut donc se limiter strictement, car elle enserre tant les aspects matériels qu’idéels d’une société. On ne naît pas objet patrimonial on le devient au cours d’un long processus de construction identitaire et d’appropriation territoriale d’un groupe social. Il existe donc un lien insécable entre l’objet patrimonial et les modes de représentations des groupes sociaux concernés par leurs territoires. « Le caractère patrimonial accordé à un objet est directement lié à la nature des relations qu’entretiennent à son égard les générations qui en sont successivement détentrices. Pour celle qui transmet, la donation répond à une recherche de pérennité au-delà des limites de l’existence humaine visant à communiquer une âme, un savoir- faire, une croyance, un capital culturel ou immobilier. Pour celle qui reçoit, l’acceptation du don répond à une marque de filiation consentie, conduisant à honorer la mémoire du donateur et impliquant de poursuivre son œuvre dont le but ultime est de transmettre à nouveau. » 108 La ressource patrimoniale ne peut pas se définir seulement par la loi, bien que celle-ci vienne la sanctuariser par des procédures de classement. Les penchants affectifs et esthétiques des groupes sociaux et des individus concourent tous ensemble à l’élaboration d’une ressource patrimoniale autour de laquelle, lentement, un consensus politique émerge. Cette ressource patrimoniale se définit comme un système ouvert au sein duquel des objets patrimoniaux remarquables, d’un centre ancien donné, peuvent se voir mobilisés pour concourir à un processus de renouvellement urbain . « Quatre grands types de valeurs sont associées au patrimoine culturel : un héritage historique à préserver, un vecteur de l’identité locale, un élément du cadre de vie, une ressource à valoriser. » 109 La ressource patrimoniale participe donc aux récents mouvements de recomposition territoriale et de constructions identitaires dans une succession de définitions adaptées aux exigences et aux représentations des décideurs et des citoyens. En fonction du statut de chaque acteur, de son parcours, de ses attentes, de ses besoins, la ressource patrimoniale ne revêt que rarement des significations ou des enjeux convergents. De ce fait, pour les résidents conscients de la dimension patrimoniale de leur habitation, « habiter le patrimoine revêt une double dimension : la première renvoie à un mode de vie qui se nourrit d’une relation privilégiée avec le passé. Dans ce cas, la vie courante des individus intègre des éléments matériels et immatériels, des savoir-faire et une culture, hérités des générations précédentes. La seconde dimension est davantage liée à la possibilité de profiter durablement ou non, d’un cadre qui par ses caractéristiques historiques, architecturales, paysagères et de milieu naturel, attire des individus sans lien préalables avec le bien considéré. » 110 Ainsi, la ressource patrimoniale se voit convoquée, en qualité de marqueur territorial, dans des processus de construction identitaire, qui la transcendent largement. Car la ville, bien que concentration de fonctions de plus en plus diversifiées, s’attache aussi à redéfinir son identité afin de promouvoir sa singularité, tant auprès de ses habitants que de décideurs économiques dans un contexte de mise en concurrence des territoires. Ces processus de recherche du consensus politique débouchent sur des mesures de restauration puis d’investissement par des valeurs contemporaines soucieuses de légitimité historique. « La transformation des centres-villes en patrimoine suppose une articulation entre la production de lieux, la mise en valeur d’un passé dans la ville, en même temps que la production d’une identité urbaine liée à la centralité. » 111 L’objet patrimonial donc, appréhendé par son signe le plus immédiat à l’œil, sa forme, s’installe dans une relation signifiante, ou celle-ci devient miroir d’un temps révolu et par là même source d’intérêt. La création de services publics en charge du recensement, du classement et de la restauration des monuments et chefs d’oeuvre artistiques, affirme la volonté publique de rendre la nation comptable de ces biens et d’en diffuser largement les fruits aux citoyens, selon l’idéologie des Lumières. L’Etat est garant de son patrimoine aux yeux de la collectivité, il en dresse l’inventaire.