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■ Occupations Les activités sont jugées inutiles pour la réinsertion mais bénéfiques pour l’ensemble de l’échantillon. Parmi celles-ci, le sport est particulièrement mis en avant. Elles permettent de s’occuper, de se changer les idées, de sortir de cellule, d’avoir des contacts, de faire passer le temps plus vite. L’ennui est vu comme un frein à la réinsertion et peut entraîner des comportements de consommation. Une minorité met en avant le manque d’activité, qu’elle qualifie de thérapeutique qui se base plus sur un aspect humain. Il ressort des entretiens que les détenus ont besoin d’avoir des activités qui les mettent en contact et qui leur permettent de décharger la pression, ils proposent à plusieurs reprises des activités avec des animaux ou en extérieur afin de profiter de la nature. Les cours et les formations ne sont pas adaptés : trop généraux, trop faciles, la mise en place d’un projet personnel est un parcours du combattant et les moyens mis à disposition ne sont pas adéquats. Les formations sont de prime abord vues comme un meilleur moyen de réinsertion que le travail mais certains détenus de l’échantillon émettent des doutes quant à leur réelle utilité pour se réinsérer à l’extérieur et la valeur sur le marché du travail des diplômes et des certificats obtenus est remise en question. Les formations sont avant tout pour les détenus un moyen de rentabiliser le temps de détention et de faire des choses qu’ils n’auraient pas eu l’occasion de faire dehors, de se sentir valorisés, de s’occuper, d’augmenter leurs compétences, d’avoir quelque chose en main pour leur sortie.
La formation de gestion est particulièrement mise en avant. Suivre une formation serait pour certains un passe-droit pour travailler en prison et permettrait d’obtenir plus vite des modalités d’exécution de la peine. Pour plusieurs personnes de l’échantillon, le travail en prison ne permet pas de se réinsérer, il n’est notamment pas valorisable à l’extérieur et n’est pas assez diversifié, la prison ne propose que des métiers manuels. Le travail en prison est d’abord vu comme un moyen de gagner de l’argent même si ce salaire est dit minime. Cet argent permet aux détenus une indépendance financière et éveille ainsi un sentiment de fierté et de responsabilité. Le travail est mis en opposition avec les formations car ils ne sont pas facilement conciliables. Ainsi, les détenus ayant besoin d’argent font parfois un choix par dépit. Le fait de travailler donne au détenu le sentiment d’être plus intégré car il travaille comme à l’extérieur, cela lui permet de prendre des habitudes de travail mais aussi de s’occuper et d’acquérir une routine. Travailler est selon l’échantillon un moyen d’obtenir plus vite des modalités d’exécution de la peine ou, à l’inverse, est un moyen de pression qui peut devenir un obstacle dans l’octroi de modalités. Les détenus expriment le besoin d’avoir accès à des formations et des propositions d’emploi plus diversifiées et en lien avec leur projet personnel de réinsertion. D’autres proposent la mise en place d’ateliers afin de découvrir et d’apprendre des nouveaux métiers.
■ Modalités d’exécution de la peine L’analyse des entretiens révèle les points positifs et négatifs des modalités d’exécution quant à la réinsertion. Celles-ci sont vues comme une chance de sortir plus vite et comme un moyen de se réhabituer à l’extérieur. Les Permissions de Sortie et les Congés Pénitentiaires sont vus comme des façons de se projeter et de se responsabiliser, de prouver leur aptitude à passer à l’étape supérieure du parcours de réinsertion, les CP et les PS sont un peu vus comme des tests. Les PS et les CP sont pour les détenus de l’échantillon une occasion d’effectuer les démarches nécessaires pour leur réinsertion mais cela peut devenir une pression et les amener à un échec causé par la volonté de tout faire au plus vite. Mais selon les dires de l’échantillon, les PS et CP sont avant tout l’occasion de voir leurs proches et de changer d’air. Beaucoup de personnes au sein de l’échantillon disent être bloquées dans leurs démarches et dans l’avancement de leur dossier d’octroi de modalités, d’autant plus avec la Covid. Ce contexte de crise sanitaire les place dans une situation d’attente et dans un certain présentisme. Le non-octroi de PS et de CP est particulièrement mal vécu par les détenus de l’échantillon.
Plusieurs trouvent que le système est lent et qu’on ne laisse pas sa chance au détenu par excès de prudence suite à des affaires médiatisées de récidive. Les refus entraînent une haine envers le système, une démotivation et une perte de temps dans le parcours de réinsertion. Certains envisagent alors le fond de peine comme seule solution, or la majorité des détenus décrit le fait d’aller en fond de peine comme dangereux et amenant à une récidive certaine. Certains en viennent à élaborer une théorie où on laisse volontairement les détenus en prison car ceux-ci rapportent de l’argent. Extrait de l’entretien n° 7 : “[…] eux ils croient qu’ils peuvent laisser les gens pendant x temps mais ils parlent de réinsertion, vous savez que j’en ai vu des dizaines, ils font 6 ans de prison, pas de ps, pas de cp, rien. Donc pas de moyen de se préparer à sa sortie, pas moyen d’essayer d’avoir un point de chute et au bout de 6 ans ils le libèrent comme ça. C’est comme si vous lâchiez un animal dans la nature et vous lui dites, vous dites à un lion va mais ne mange pas de gazelle, mais vous êtes fou! ” Extrait de l’entretien n°4 : “La vérité, toutes ces mauvaises personnes qu’on a entendues, parce que la plupart des attentats qu’on a entendus Mr était déjà connu de la justice, il a fait fond de peine, on savait en plus, ils le disent bien à la télé ! Mais la vérité pour moi c’est la justice qui les crée en fait, tu condamnes quelqu’un pour la première fois et tu lui laisses pas une chance et le type il va accumuler la haine tellement il est en souffrance.”
■ Service d’Aide aux Détenus et Service Psycho Social Le SAD et le SPS peuvent être des soutiens à la réinsertion. Ces services aident les détenus dans leurs démarches de réinsertion et sont présents en cas de problème. Le SPS est considéré comme une ressource et comme le relais avec la direction, il oriente les détenus de l’échantillon dans leurs démarches pour l’octroi d’une modalité. Ces services, de par la présence de psychologues, sont vus comme des lieux d’expression et surtout le SAD où le secret professionnel est de rigueur. Les détenus de l’échantillon expriment le besoin de discuter avec un psychologue afin d’apprendre sur eux-mêmes, de ne pas tourner en rond, de discuter des faits, de leur peine et de leurs problèmes, mais aussi par simple besoin de parler à quelqu’un d’autre qu’un détenu. Plusieurs points négatifs sont soulevés par l’échantillon. Il souligne la surcharge de travail de ces services et le temps d’attente, le manque de suivi et d’approfondissement et la faible implication des intervenants que cela induit. Le SPS a une réputation particulièrement négative, il apparaît comme la cause de retards et de blocages dans les démarches d’octroi de modalités, ce qui à la longue provoque un sentiment de haine envers le système.
Le personnel est vu comme vicieux et les détenus n’osent pas se livrer, de peur que ce qu’ils disent soit interprété et que cela ait un impact négatif sur leur dossier. A l’inverse, un détenu de l’échantillon prône l’honnêteté au sein des entretiens avec le SPS et met en avant le côté humain et donc subjectif de l’intervenant selon les affinités. Extrait de l’entretien n°6 : “Après ici les gens ils disent que les dossiers ils avancent pas vite mais ça dépend pour qui. Ici ça dépend si tu tombes sur une AS qui aime pas ta tête t’es dans la merde, […] Après moi je pense que ce qui m’a aidé c’est que j’ai été complètement honnête, je lui ai dit la vérité, je lui ai dit que je fumais, c’est mon plus gros problème et si j’arrête pas ça va m’obliger à revoir des gens qui sont dans le milieu […] Je pense qu’elle a compris à peu près ce que j’avais dans la tête et voilà j’ai été honnête avec elle.” Les détenus de l’échantillon déplorent de devoir faire leurs démarches seuls et de toujours devoir prendre l’initiative d’aller vers les services du SAD et du SPS. Il ressort des entretiens qu’ils ressentent un grand manque de soutien, de suivi et d’encouragement de la part de la prison au sens large dans leurs démarches. Certains disent avoir besoin d’accompagnement tels des enfants, à l’inverse, certains voient cette aide comme une contrainte supplémentaire et non nécessaire car ils savent se débrouiller seuls en tant qu’adultes. Pour d’autres, l’envie de changement doit venir d’eux-mêmes avant tout et l’aide du SAD/ SPS est alors vue comme un plus et comme un moyen de les accompagner dans leurs changements et de les aider à continuer sur la bonne voie. Se réinsérer en prison est donc une question de motivation personnelle et de choix. Deux voies se présentent au détenu : soit devenir pire, soit meilleur. Il lui revient de faire ce qu’il pense être le mieux pour lui et de se donner les moyens de ne pas récidiver. La prison ne sera utile que si la personne comprend cela et fait le bon choix. Extrait de l’entretien n°7 : “On m’a toujours dit un truc petit ; personne ne peut vouloir ton bien plus que toi-même à part ta mère. Après les gens autour de toi ils peuvent être là pour t’aider, moi je serais franchement content si j’ai un pote à moi ici il était dehors mais je me vois plus dehors que lui vous voyez, mon bien je le veux plus que personne ne le veut pour moi. Vu que je me veux du bien ben ça me fait changer, si je me veux pas du bien : bagarre tout ce que voulez, dans 20 ans je suis encore là.”
Conclusion
Cette étude avait pour objectif de questionner la perception des jeunes détenus de 18 à 25 ans de la prison de Marche quant à la nécessité, au vu du stade particulier de développement dans lequel ils se trouvent, de mettre en place une prise en charge spécifique pour leur réinsertion et de voir dans quelle mesure la détention a un impact sur le développement des différents aspects de leur maturité, afin de répondre à la question : “Comment contribuer à l’amélioration du parcours de réinsertion des jeunes incarcérés ?” Nous avons tenté de répondre à celle-ci en menant des entretiens analysés ensuite au moyen d’une analyse thématique. Il ressort de nos résultats une certaine ambivalence. L’enfermement a un impact positif mais aussi négatif sur les différents indicateurs des domaines de la maturité : la prison leur permet de réfléchir, de changer, de se projeter dans un avenir prosocial, de développer plus de maturité, de responsabilité, d’empathie et de plus réfléchir avant d’agir mais elle leur renvoie une image négative d’eux-mêmes, leur donne le sentiment d’être des parias de la société, les empêche d’être pleinement autonomes et d’atteindre les marqueurs de la vie d’adulte, les oblige à se situer dans une logique de présentisme, les rend plus agressifs et les expose à des influences négatives. Au niveau de la réinsertion, l’échantillon relève des points positifs sur ce qui est mis en place à Marche mais ceux-ci sont toujours contrebalancés par des points négatifs.
Les occupations proposées en prison (activités, cours, formation, travail ) sont principalement décrites comme inadaptées pour être un moyen efficace de réinsertion, même s’il s’avère que cela leur permet d’avoir une meilleure image d’eux-mêmes et de se sentir plus responsable. Les modalités d’exécution de la peine sont vues comme un bon moyen de se réinsérer progressivement et de ne pas sortir en fond de peine. Mais les refus d’octroi sont problématiques et empêchent l’échantillon d’avancer dans son parcours de réinsertion et de se projeter. Les services du SPS et du SAD aident les détenus dans leurs démarches mais le suivi n’est pas suffisamment approfondi, ils ne se sentent pas assez soutenus et encouragés. Même s’il apparaît que la prison ne met rien de spécifique en place pour la réinsertion des 18-25 ans, les jeunes de l’échantillon considèrent la peine reçue comme adaptée pour punir leur tranche d’âge. Cependant, nous constatons qu’au fil des entretiens, ils trouvent leur peine exagérée vu leur jeune âge et que d’autres sanctions pourraient être envisagées selon la gravité des faits.
Cette ambivalence induit que nos résultats ne permettent pas de confirmer entièrement notre hypothèse qui tendait à penser que les jeunes de l’échantillon rejoindraient l’avis de la littérature, à savoir que l’incarcération n’est pas adaptée aux besoins spécifiques de leur tranche d’âge, a un impact négatif sur le développement de leur maturité et qu’une prise en charge spécifique est donc nécessaire pour leur réinsertion. Concernant notre question de recherche sur l’amélioration du parcours de réinsertion, même si les pistes d’un suivi plus régulier et soutenant ainsi qu’un octroi plus systématique de PS seraient intéressants à approfondir pour la pratique de terrain, nous constatons qu’il est difficile pour les jeunes de l’échantillon de définir leurs besoins et d’y apporter des pistes de solutions car leur réinsertion et leur réintégration dans la société restent lointaines dans leur réalité carcérale, ce qui les pousse plus à se projeter à court terme. Ce qui est aussi une caractéristique de la période de l’âge adulte émergent (Arnett, 2000).
Introduction |