Serpentinisation hydrothermale et altération latéritique des roches ultrabasiques en milieu tropical
Discussion
La transformation de l’enstatite en talc pendant le processus de serpentinisation a été décrite par plusieurs auteurs (Trescases, 1975 ; Besset, 1980 ; Pelletier, 1983 ; Colin, 1984 ; Delvigne, 1990 ; Hamidi, 1996). Tout comme la transformation de l’olivine en antigorite, elle se fait sous l’action d’eau météorique ou magmatique selon la réaction suivante : Enstatite + eau → Talc + Brucite 5(MgSiO3) + 4H2O + 1 e- → Mg3Si4O10(OH)3 + 2Mg(OH)2 + SiO2aqueux + H+ La co-existence de smectites dans les fissures trans-minérales, traduit un début d’altération météorique du faciès étudié (Nahon et al., 1982 ; Nahon et al., 1982 ; Colin et al., 1985 ; Colin et al., 1990). Les oxydes de manganèse de type asbolane mis en évidence dans les couloirs d’altération, confirment la circulation de fluides d’altération exogène (Llorca, 1986). La précipitation préférentielle d’oxydes de manganèse à la base des profils d’altération est discutée au chapitre VI. III.2.2.3 Altération supergène des pyroxènes L’altération supergène débutante des pyroxènes est observée à la base de la saprolite grossière. Elle affecte préférentiellement l’enstatite et se localise dans les fissures inter-minérales. Le produit d’altération à ce stade est une matrice brune en lumière nature. La caractérisation minéralogique par DRX, indique que la matrice, dans l’altération de l’enstatite aussi bien que dans celle du diopside, est essentiellement goethitique (4.154 Å ; 3.373 Å ; 2.445 Å ; 2.688Å ; 1.729 Å). Les analyses à la microsonde électronique révèlent que dans les deux cas (altération de l’enstatite et celle du diopside), la matrice se compose de 40 à 50% poids de Fe2O3, ses teneurs en silice sont de l’ordre de 20 à 30% poids de SiO2 et 5 à 7% poids de Al2O3. Accessoirement, on dose du magnésium qui titre autour de 2% poids de MgO (TableauIV- 11). Le chrome titre moins de 6000 ppm. Au sommet de la saprolite grossière, l’altération s’accentue suivant les plans de clivages pour l’enstatite et les fissures intra-minérales pour le diopside (Planche IV-5a et b). L’enstatite est alors réduite à des noyaux centraux, et les cristaux de diopside sont disloqués en reliques de taille variable. Des vides de dissolution apparaissent dans les franges altérées, et l’altéro-plasma passe du brun au rouge-brun. Les spectres de DRX révèlent essentiellement de la goethite. Les analyses géochimiques à la microsonde électronique indiquent des teneurs en Fe2O3 de l’ordre de 60 et 70% poids. La silice (SiO2) ne représente plus que 10% poids maximum de la roche, et l’aluminium (Al2O3) à peine 4%. Le magnésium passe en dessous de 1% poids de MgO, alors que Cr2O3 atteint ponctuellement le pourcent (Tableau IV-11). Dans la saprolite fine, les pyroxènes sont totalement ferruginisés, mais conservent la texture des minéraux parentaux. La paragenèse est toujours dominée par la goethite, même s’il apparaît des traces d’hématite (3.678 Å ; 2.699 Å ; 2.517 Å) sur les spectres de DRX. Les analyses géochimiques à la microsonde électronique montrent qu’à ce stade d’altération, le fer titre entre 70 et 80% poids de Fe2O3. La silice décroît par rapport à l’horizon sous-jacent et passe de 10% à environ 2% poids de SiO2. L’aluminium évolue peu par rapport à la saprolite grossière et titre autour de 4% poids de Al2O3. Dans ces horizons, les filiations minérales deviennent incertaines. Chapitre IV : Pétrographie et Pétrologie des Profils d’Altération 70 Planche IV- 5 : Altération débutante des pyroxènes dans la saprolite grossière a) photographie au microscope optique et en lumière polarisée d’un cristal d’enstatite, montrant la progression du front d’altération suivant les plans de clivage b) photographie au microscope optique et en lumière polarisée d’un grain de diopside. Observer la progression du front d’altération suivant la fracturation intraminérale et les plans de clivage 100 µm a 100 µm b Chapitre IV : Pétrographie et Pétrologie des Profils d’Altération 71
Bilan de l’altération des pyroxènes
Les variations géochimiques mises en évidence au cours de la ferritisation du pyroxène et illustrées à la Figure IV-10, ne peuvent être interprétées en terme de mobilité d’éléments que lorsqu’on prend en compte les variations de densités qui accompagnent l’altération. Figure IV- 10: Evolution géochimique des pyroxènes à différents stades d’altération : (Î) Enstatite et (S) Diopside parentaux, Produits d’altération à la base de la saprolite grossière : (Î) enstatite ; (S) diopside, Produits d’altération au sommet de la saprolite grossière (z). Produits d’altération dans la saprolite fine (|). La ferritisation des pyroxènes préserve la structure du minéral parental jusqu’au sommet de la saprolite fine. Cette conservation traduit une réduction limitée du volume initial du minéral. Cela nous permet de quantifier l’évolution géochimique des pyroxènes dans les saprolites dans un raisonnement iso-volume suivant le principe et l’équation énoncés dans le chapitre VI. Diopside Enstatite Base saprolite grossière Saprolite Fine Sommet saprolite grossière Chapitre IV : Pétrographie et Pétrologie des Profils d’Altération 72 Les résultats obtenus et consignés dans le tableau IV-12 montrent que le passage de l’enstatite au plasma goethitique à la base de la saprolite grossière se traduit par un enrichissement absolu en métaux : Al (+500%), Fe (+ 300%) et Ni (+2500%). Ces apports s’accompagnent d’un lessivage du magnésium de l’ordre de –90%. Le stock initial de silicium (Si) est également réduit d’environ 40%. De même, la ferritisation du diopside à la base de la saprolite grossière entraîne l’exportation d’au moins 50% du silicium initial et environ 80% du magnésium parental. La quasi-totalité du calcium est lessivée soit environ 98% du stock de départ. Les enrichissements absolus en métaux dans cette transformation sont de l’ordre de +400% pour Al, +1000% pour Fe et +900% pour Ni (Tableau IV-13). Au sommet de la saprolite grossière, les alcalino-terreux sont totalement éliminés des franges altérées et les pertes de silice sont de l’ordre de –80%. Ces valeurs sont valables aussi bien pour l’ortho- que le clinopyroxène. Le taux d’accumulation du fer passe de +300 à +550%, et de +1000 à +1500 % respectivement pour l’enstatite et le diopside. Dans les deux cas, les facteurs d’accumulation de Al et Ni baissent par rapport à la base de l’horizon. Dans la saprolite fine, les taux de transferts sont globalement identiques à ceux du sommet de la saprolite grossière.
Discussion
Il se dégage dans cette étude une altération préférentielle de l’enstatite en comparaison au diopside en milieu supergène. Ces observations corroborent bien les conclusions de Colin et al. (1984 ; 1990) obtenues à partir d’études menées à Niquelandia au Brésil. Ces auteurs, en considérant le fer et le chrome constants dans les premiers stades d’altération des pyroxènes, estiment à 2 fois plus la vitesse d’altération de l’enstatite par rapport au diopside en milieu exogène. Dans les deux cas, la latéritisation se traduit par une lixiviation simultanée de Ca, Mg et dans une moindre mesure de Si, ce qui traduit un bon drainage du milieu d’altération et donc une ouverture du système. Cette ouverture du système conduit à une ferritisation des pyroxènes, analogue à celle décrite par Trescases (1975) et Latham (1986). Dans la présente étude, elle se traduit par les associations suivantes : ¾ pyroxènes/goethite, ¾ pyroxènes/amorphes/goethite. L’altération supergène des pyroxènes ne génère donc aucun silicate secondaire dans les horizons d’altération, et la « smectisation » décelée dans la roche mère est très Chapitre IV : Pétrographie et Pétrologie des Profils d’Altération 74 restreinte, et disparaît rapidement avec l’intensification du drainage dans les horizons supérieurs. Nos méthodes d’étude n’ont pas permis de suivre l’évolution du talc et de la smectite dans les horizons supérieurs, mais ils seraient rapidement transformés en goethite (Besset, 1980 ; Colin, 1984).
Conclusion
Les études pétrographiques et pétrologiques du protore de la minéralisation platinifère, révèlent que l’unité dunito-gabbroïque de la Rivière des Pirogues a été affectée par une altération hypogène. Cette transformation pré-météorique a transformé l’olivine en antigorite et le pyroxène, particulièrement l’enstatite en talc. Le fer initialement contenu dans les silicates et non incorporé dans les phases néoformées, a été remobilisé sous forme d’oxydes de fer primaire : magnétite et/ou maghémite et d’alliages de métaux de base de type awaruite (Ni3Fe). Une telle paragenèse hypogène : antigorite + talc + magnétite + alliages de métaux, traduit une faiblesse de la fugacité de soufre (ƒ(S2)) au cours de la serpentinisation hydrothermale. Dans le manteau latéritique, le bon drainage du milieu d’altération induit une ferritisation des silicates primaires, telle que définie par Pedro et al. (1966) et rapportée par plusieurs auteurs (Trescases, 1975 ; Golightly, 1981 ; Colin, 1984 ; Latham, 1986). Dans cette étude, le processus conduit aux associations minéralogiques suivantes: ¾ olivine/amorphes siliceux, ¾ olivine/amorphes ferrifères/goethite, ¾ pyroxènes/amorphes/goethite, ¾ pyroxènes/goethite. Les phases hypogènes qui résistent mieux à la dégradation supergène, s’altèrent tardivement en smectite ferrifère de type nontronite, puis en goethite. L’altération latéritique des péridotites de Nouvelle-Calédonie dont le mode de transformation peut varier de la ferritisation, telle que décrite dans cette étude à la fersimatisation (Latham, 1986) est le moteur de l’édification des épais manteaux latéritiques du paysage néo-calédonien et de l’accumulation, parfois jusqu’à des seuils économiques, de certains métaux (nickel, cobalt).
La chromite primaire
L’abondance de la chromite platinifère de la Rivière des Pirogues varie du grain disséminé à la chromitite stratiforme de taille centimétrique et d’extension métrique. Morphologiquement, elle se présente en cristaux automorphes ou sub-automorphes, de taille variant de quelques centaines de microns au millimètre (Planche V-1 a et b). Le grain primaire présente un réseau de craquelures sans orientation préférentielle (Planche V-1 c et e). Les spinelles chromifères (Mg, Fe2+)(Cr,Al,Fe3+)2O4 couvrent en général une large gamme de composition chimique, reflétant le comportement différentiel de ses principaux constituants lors des processus de fusion partielle et de cristallisation. Ainsi, Cr et Mg se concentrent-ils préférentiellement dans le solide alors que Al se concentre dans le liquide résiduel. En outre, le partage de Mg et Fe2+ entre le spinelle et les minéraux silicatés montre une forte dépendance à la variation de température, alors que le rapport Fe2+/Fe3+ du spinelle est très sensible à la fugacité d’oxygène régnant lors de la cristallisation (Roeder et al., 1979 ; Hill et al., 1974). Ces caractéristiques font des spinelles chromifères, un excellent indicateur pétrogénétique et de cadre tectonique dans les complexes ophiolitiques et les intrusions litées (Irvine, 1977 ; Dick et al., 1984 ; Stowe, 1994). Dans ce paragraphe, nous utilisons les données de microsonde électronique, les rapports Cr# (Cr/(Cr + Al)), Mg# (Mg/(Mg + Fe2+)), Cr/Fe* (Fe* = Fe2+ + Fe3+) et les proportions cationiques de Ti, Mn, Ni et Zn pour discuter le cadre tectonique de formation de la chromite platinifère de la Rivière des Pirogues.
Analyses à la microsonde électronique
Les analyses géochimiques à la microsonde électronique (Tableau V-1) révèlent des teneurs en chrome variant entre 40 et 45% de poids d’oxydes. Les teneurs en aluminium oscillent entre 7 à 12% de Al2O3, les concentrations de fer total se situent entre 35 et 40% de poids d’oxydes, alors que le magnésium titre entre 3 à 6% de MgO. La composition chimique des chromites platinifères est relativement constante dans un diagramme ternaire Cr2O3-Al2O3-FeO, et se distingue nettement des chromites de la mine de Tiébaghi et des chromites disséminées du massif de péridotites du sud (Figure V-1). Les proportions cationiques, calculées sur la base de 64 charges négatives sont consignées dans le Tableau V-1. La formule structurale moyenne de la chromite platinifère de la Rivière des Pirogues est proche de (Mg0.25Fe2+ 0.75)(Cr1.25Fe3+ 0.35 Al0.40 )O4. Le Fe3+ a été déduit du fer total, en supposant que le rapport stoechiométrique R 3+/R2+ de la chromite est de 2/1 (R3+ = Cr3+, Al3+, Fe3+ , Ti4+ ; R2+ = Mg2+, Fe2+).
CHAPITRE I : Introduction et Méthodologie |