SERPENTINISATION D’UNE PÉRIDOTITE SOUS FORME DE FRAGMENTS
Jusqu’à présent, les processus d’altération ont été contraints sur des roches finement broyées dans le but de maximiser les surfaces de réactions, et ainsi d’accélérer la vitesse de serpentinisation. Évidemment, les roches de la croûte océanique ne se présentent pas sous forme de poudre et les processus physico-chimiques mesurés sur nos échantillons expérimentaux, notamment la cinétique réactionnelle et les vitesses de percolation des fluides, doivent nécessairement être réévalués pour s’appliquer aux conditions naturelles. Si de nombreuses études ont permis de caractériser les serpentinites océaniques (Aumento et Loubat, 1971 ; Wicks et Whittaker, 1977 ; Prichard, 1979 ; Dilek et al., 1997 ; Stamoudi, 2002 ; Andréani et al., 2007, 2008), aucune étude expérimentale n’a pour l’instant déterminé à la fois 1) la cinétique de cristallisation sur une roche non broyée, 2) le mode de cristallisation de la serpentine lors des premiers stades d’altération, et 3) l’évolution spatiale de la spéciation du fer dans les veines nouvellement formées. Pour cela, nous avons expérimentalement altéré des fragments centimétriques et cubiques de lherzolite dans un autoclave à gros volume. Ces cubes ont été récupérés après différents temps d’altération : de 15 à 84 jours. L’étude de ces fragments altérés fait l’objet de deux parties, dont la première est présentée sous la forme d’un article.
Estimation de la taille d’un réseau hydrothermal à partir de la cinétique de réaction
La première partie constitue une étude cinétique de la serpentinisation dans une roche non broyée. Les cubes expérimentaux présentent des bordures altérées et de couleur brune, alors que leurs cœurs sont constitués de péridotite saine, de couleur verte. Malgré un important changement de couleur (Figure 45), la zone altérée n’est que partiellement serpentinisée. Celle-ci est en réalité constituée d’un réseau plus ou moins développé de veines de serpentine localisées aux joints de grains, entre les olivines et les pyroxènes, observable sur une coupe médiane de chaque cube. Ainsi, deux paramètres ont été précisément mesurés sur chaque échantillon. partiellement altérée. Cette surface est calculée dans une zone bien définie, entre le bord de l’échantillon et la limite du front d’altération (rectangle gris sur Figure 46). Pour réaliser ce calcul, nous avons défini la surface couverte par les veines. Pour cela, les images acquises en microscopie sur des lames minces ont été digitalisées, puis numériquement traitées pour définir le pourcentage de surface correspondant à de la serpentine nouvellement formée. Par extrapolation tridimensionnel (le long d’un plan de faille par exemple), cette surface peut être traduite en volume serpentinisé pour chaque échantillon. Nous obtenons ainsi l’évolution du degré d’altération au cours du temps. Il résulte que le volume serpentinisé augmente de 33 wt% par an sur une épaisseur de 3,8 cm.
À l’aide de ces deux paramètres expérimentaux, nous avons construit deux modèles numériques qui permettent de contraindre, au premier ordre, les processus de croissance d’un système hydrothermal : soit par densification du réseau au cours du temps (Fig. 47), soit par extension du réseau avec une égale densité de fracture. calculer un volume serpentinisé en fonction 1) du temps et 2) de la maille utilisée. Le modèle permet alors de définir, en fonction du temps, l’évolution la densité de fracturation (ou la taille de maille) dans un cube de péridotite de volume fixe. Les volumes serpentinisés au cours du temps sur Rainbow ont été comparés à ce modèle. Ces derniers ont été estimés en couplant les données de notre première expérience avec les flux d’hydrogène mesurés sur Rainbow (Charlou et al., 2002). Il en résulte que la maille calculée est trop importante (80 m) par rapport à celles que l’on devrait attendre pour assurer la pérennité de la circulation hydrothermale (1-10m, Lister, 1980). À l’aide de nos paramètres cinétiques, nous avons donc calculé le nombre de m3 de roches partiellement altérés qui sont nécessaires à la production d’hydrogène mesurée, à chaque instant t, sur les fumeurs. En considérant à la fois les contraintes de températures vis-à-vis de la cinétique de serpentinisation, mais aussi le gradient thermique estimé dans le contexte de dorsale lente, nous avons estimé que le réseau hydrothermal se situait autour de 2 km de profondeur et avait une épaisseur moyenne de 1 km. Nous avons donc considéré que le réseau hydrothermal s’étendait au cours du temps en prenant la forme d’un cylindre haut de 1 km. Après 10 000ans de fonctionnement, le réseau hydrothermal du site Rainbow représente ainsi un cylindre de 2 km de diamètre très essentiellement composé de péridotite entièrement altérée. La partie partiellement altérée contribuant à la production d’hydrogène constitue une fine enveloppe cylindrique de moins d’un mètre d’épaisseur. On en conclu que la production d’hydrogène sur ce site devrait être effective à une distance minimale de 1 km par rapport au champ de fumeurs.