Séroprévalence et facteurs de risque de la fièvre Q chez les travailleurs à risque professionnel élevé dans des zones périurbaines
RAPPELS SUR LA FIEVRE Q
HISTORIQUE
La fièvre Q fut décrite pour la première fois par le Dr Edward Derrick en 1937 après la survenue en Août 1935 de maladies fébriles chez des travailleurs d’abattoirs dans le Queensland en Australie [6]. Il nomma d’ailleurs cette maladie « Q fever » en référence à la première lettre du mot anglais « query » signifiant « question ». Le Dr Derrick inocula des cobayes avec de l’urine ou du sang de patients atteints de fièvre Q et les cobayes développèrent de la fièvre. Cependant, il fut incapable d’isoler l’agent responsable de cette fièvre et envoya un broyat de foie d’un cobaye infecté au Dr Frank Macfarlane Burnet à Melbourne. Accompagné du Dr Mavis Freeman, ils furent capables d’isoler l’organisme qui « semblait être une rickettsie » et l’appelèrent Rickettsia [7]. Aux États-Unis, durant la même période, les Drs Herald Cox et Gordon Davis découvrirent la même bactérie en étudiant les tiques, vecteurs potentiels de la fièvre des montagnes rocheuses et de la tularémie dans le Montana. Le docteur Davis fit développer une maladie fébrile qui ne ressemblait pas à la fièvre des montagnes rocheuses à des cobayes en les infestant avec des tiques sauvages. En référence au lieu de provenance des tiques, cette maladie fut nommée fièvre de « Nine Mile » et la souche bactérienne de référence est également nommée « Nine Mile ». En mai 1938, le Dr Rolla Dyer, directeur de l’Institut National de Santé, rendit visite au Dr Cox dans le Montana pour voir les « Rickettsiae », nommées Rickettsia diasporica, qu’il avait cultivées en œufs embryonnés [8]. Dix jours plus tard, il devint malade avec des douleurs rétro-orbitaires, de la fièvre, des frissons et des sueurs. L’injection de son sang à des cobayes les rendit fébriles. Il s’agissait de la première infection accidentelle de personnel de laboratoire par la fièvre Q [9]. Ainsi, aux États-Unis, un micro-organisme infectieux avait été découvert mais la 7 maladie qu’il causait était inconnue. Alors qu’en Australie, une nouvelle maladie était identifiée mais avec une étiologie inconnue. Il fut rapidement déterminé que l’agent causal était le même en Australie et aux États- Unis. En hommage aux découvreurs, cet agent infectieux fut nommé Coxiella burnetii [9]. En 1955, Kaplan et Bertagna ont rapporté l’existence de la fièvre Q dans 51 pays des 5 continents, principalement chez les bovins, moutons, chèvres, et les humains [10]. Actuellement, C. burnetii a une distribution mondiale, excepté la Nouvelle-Zélande
EPIDEMIOLOGIE
Dans le monde
La fièvre Q est distribuée de manière ubiquitaire (à l’exception de la Nouvelle-Zélande où aucun cas n’a été documenté) [11 – 13]. L’épidémiologie de la fièvre Q humaine reflète la situation du réservoir animal de la bactérie. En fonction des zones géographiques, on constate des zones d’endémie avec des pics d’épidémies saisonnières, et des zones où la maladie sévit sous forme de cas sporadiques. La séroprévalence de la fièvre Q varie d’un pays à l’autre. Dans les zones d’endémie, on retrouve des taux de séroprévalence élevés. En Europe, des cas humains de fièvre Q furent rapportés pour la première fois chez des soldats dans la région des Balkans en 1940, ainsi qu’en Allemagne juste après la seconde Guerre mondiale, et aux Pays-Bas en 1956 [14]. L’incidence annuelle en France estimée par le centre national de référence est à 2,5/100 000 habitants pour la fièvre Q aiguë [15]. Ainsi en Turquie, nous retrouvons une séroprévalence de 42,9% [16]. Entre 2007 et 2010, la Hollande faisait face à une épidémie de fièvre Q, plus de 4000 cas ont été répertoriés à travers le pays [17]. Cette épidémie était survenue chez des populations qui jusque là avaient des taux de 8 séroprévalence faibles (2,4%) [18]. En Guyane française, une zone d’endémie de la fièvre Q, C. burnetii était la cause de 24% des pneumopathies aiguës communautaires [19]. Dans ce pays le premier cas fut observé en 1955 [20]. Des cas sporadiques furent reportés durant les décénnies suivantes. On assistait à une augmentaion drastique de la prévalence passant de 2% en 1992 à 24% en 1996 chez une cohorte de patients fébriles [21]. L’incidence a continué à augmenter dans ce pays avec plus de 150 cas / 100.000 habitants en 2005 [21]. 2.2. En Afrique Les études de séroprévalence ont été conduites principalement dans les régions d’Afrique du Nord, d’Afrique Occidentale et de l’Afrique Centrale. Elles ont le plus souvent révélé un taux généralement inférieur à 8%. Dans les études de populations humaines, la fièvre Q était responsable de 2 a` 9 % des hospitalisations pour maladie fébrile et de 1 à 3% des cas d’endocardites [3]. En 1955, Kaplan et Bertagna rapportaient les premiers cas de fièvre Q dans neuf pays Africains, du Maroc à l’Afrique du Sud témoignant de l’étendue de la maladie dans cette région du monde [10]. Les études de séroprévalence retrouvaient un taux de séropositivité élevé au Mali, Burkina Faso, Nigeria et en République Centre Africaine. Ces pays concentrent un nombre élevé d’animaux domestiques [22]. La séroprévalence humaine de la fièvre Q varie de 1% au Tchad [23], à 16% en Egypte [24]. Au Kenyan, les prélèvements sanguins chez 2049 agro-pastoralistes avaient révélé un taux de séroprévalence à 2,5% [25]. Chez les patients fébriles agro-pastoralistes de la région du nord, un taux de séroprévalence de 19,10% fut retouvé [26]. Dans une autre étude kenyane, on note un taux de séroprévalence à 30,9% [27]. Récemment une étude de séroprévalence chez les donneurs de sang au 9 Namibie retrouvait un taux de 26% [28]. En Algérie, dans une région agropastorale, un taux de séroprévalence de 15% a été retrouvé avec des pics allant jusqu’à 30% [29]. Dans une récente étude, C. burnetii a été retrouvé comme agent étiologique de 5% parmi 109 cas de pneumopathies aiguës sévères en Tanzanie [30]. Dans le même pays, une étude de cohorte chez des patients fébriles avait retrouvé 26,2% de zoonoses, parmi lesquelles 30% étaient liées à une fièvre Q [31]. En Tunisie et en Algérie, C. burnetii était responsable de 3% d’endocardites infectieuses [3]. Au Burkina Faso, elle était responsable de 5% de maladies fébriles [3], au Cameroun, 9% des pneumopathies aigues communautaires chez les sujets âgés de plus de 15 ans [3]. Au Sénégal, une étude réalisée en 2014 en milieu rural retrouvait un taux de séroprévalence de 24,5% [32]. Chez les villageois de Dielmo (au Sénégal), la séroprévalence était de 24,8% [5]. Dans le cadre de la surveillance des fièvres non palustres, une étude réalisée de juin 2010 à septembre 2012 avait retrouvé une prévalence globale de C. burnetii au Sénégal de 0,4% (10/ 2311). Ainsi des prévalences disparates ont été retrouvées dans les différents sites d’études : Ndiop 1% ; Dielmo 0% ; Kédougou 0,3% ; Niakhar 0% ; Keur Momar Sarr 2% ; Casamance 0%
ETHIOPATHOGENIE
Agent pathogène
Classification des coxiella
burnetii appartient à la classe des Alphaproteobacteria, à la famile des Rickettsiaceae. Elle est classée dans la subdivision gamma des protéobactéries et au genre Coxiella [33]. Pendant des années, le genre Coxiella ne contenait qu’une seule espèce : Coxiella burnetii, mais depuis les années 2000, une autre espèce fut découverte Coxiella cheraxi [34]. Elle 10 se différencie des Rickettsies par ses caractéristiques génétiques fondées particulièrement sur l’étude de l’acide ribonucléique (ARN) 16S et du gène rpoB (codant pour la sous-unité b de l’ARN polymérase)
Morphologie
burnetii est un petit coccobacille mesurant 0,2 à 0,4 μm de large et 0,4 à 1 μm de long non colorée par la technique de Gram. Elle possède une paroi similaire à celle des bactéries Gram négatif. La méthode de Gimenez est utilisée pour mettre en évidence la bactérie après isolement par culture. Le temps de dédoublement de la bactérie est de 20 à 45 heures dans les cultures cellulaires in vitro [36]. La bactérie peut être observée sous deux formes correspondant à deux phases du cycle de développement de la bactérie : la forme LCV (large-cell variant) est la forme métaboliquement active et la forme SCV (small-cell variant) est une forme de résistance de la bactérie [37]. Les formes SCV sont rondes, de petites tailles (0,2 à 0,5 μm de long) caractérisées par une chromatine condensée, une paroi épaisse et une membrane interne inhabituelle. Les formes LCV sont de tailles plus importantes (>0,5 μm), avec une chromatine dispersée et une paroi similaire à celle des bactéries Gram négatif. Elles sont observées après une mise en culture prolongée (21 jours) dans les milieux de culture utilisant les cellules Vero et le milieu axenique acidified cysteine citrate medium 2 (ACCM2)
Caractéristiques physico-chimiques
Coxiella burnetii est une bactérie intracellulaire, elle se multiplie dans les monocytes macrophages. Elle possède des propriétés spécifiques, comme la capacité à se multiplier à l’intérieur du phago-lysosome (à pH 4,7 à 5,2), et 11 la capacité de pseudosporulation, qui lui confère une très grande résistance aux agents chimiques (formol, alcool, phénol) et à la chaleur [37]. Les formes SCV sont stables dans l’environnement et sont hautement résistantes à la pression osmotique, chimique, à la chaleur et à la dessication. Elles peuvent survivrent 7 à 10 mois dans de la laine à température ambiante, plus de de 1 mois dans de la chaire fraiche, et plus de 40 mois dans du lait [36]. Bien que les SCV soient détruites par du formaldéhyde 2%, elles ont été isolées dans des tissus stockés dans du formaldéhyde pendant 4 à 5 mois [36]. Une seule bactérie est susceptible de provoquer la maladie. C’est pour cela que cette bactérie fait partie du groupe B des bactéries du bioterrorisme, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Caractères génomiques et génotypiques
La taille du génome varie d’une souche à l’autre (de 1,5 à 2,4 Mb). Le matériel génétique de C. burnetii est abrité par un chromosome circulaire et un plasmide facultatif. Quatre plasmides sont actuellement décrits [39]. Actuellement, 22 génomes et plus de 30 multispacer sequence typing (MST) de Coxiella burnetii sont répertoriés. Certains MST sont spécifiquement associés à une zone géographique, et à une pathogénicité particulière ; On parle alors de géotype. Par exemple, le MST 17 est retrouvé quasi exclusivement en Guyane française. Il est associé à une pneumopathie aiguë communautaire, à une réponse sérologique explosive, mais très peu d’endocardite : c’est le géotype guyanais
Cycle de développement et variation de phase
Dans son cycle de développement, C. burnetii présente deux phases : une forme extracellulaire nommée SCV (small cell variant), et une forme intracellulaire infectieuse nommée LCV (large cell variant) [37]. Comme les entérobactéries, Coxiella burnetii, peut faire varier la structure de son lipopolysaccharide (LPS), la phase I, virulente, présente un LPS lisse et la phase II, moins virulente, présente un LPS rugueux. Contrairement aux entérobactéries, cette variation de phase n’est pas réversible. La réponse immunitaire produit des anticorps antiphase I et antiphase II. Cette variation antigénique est importante en sérologie et vient en support au diagnostic pour la différenciation entre fièvre Q aiguë et chronique chez l’humain. Les antigènes de phase II sont obtenus après plusieurs passages en culture cellulaire et les anticorps antiphase II sont prédominants durant la phase aiguë. Les antigènes de phase I sont retrouvés et les anticorps antiphase I sont exprimés dans les infections persistantes
Cycle intracellulaire et facteurs de virulence
Lors de l’infection, C. burnetii se lie aux macrophages par les intégrines, ce qui déclenche la phagocytose de la bactérie par un mécanisme actinedépendant. La bactérie va ensuite détourner la phagocytose à son profit. La vacuole contenant des Coxiella (VCC) naissante acquiert la GTPase RAB5 dès 5 min après internalisation. Cette GTPase stimule la fusion de la VCC avec les endosomes précoces, résultant en une acidification jusqu’à un pH =5,4 et l’acquisition de la protéine marqueur endosomal précoce, EEA1. La maturation de la VCC lui fait perdre RAB5 et EEA1 et acquérir la GTPase RAB7 ainsi que la glycoprotéine membranaire associée au lysosome, LAMP1, 40 à 60 min après l’internalisation [41]. Il en résulte une 13 acidification jusqu’à un pH de 5. Deux heures après internalisation, les enzymes lysosomales, incluant la cathepsine D, commencent à s’accumuler dans la VCC et le pH baisse encore jusqu’à environ 4,5. De 8 heures à 2 jours après l’internalisation, la VCC s’élargit pour occuper un espace de plus en plus important dans le cytoplasme de la cellule hôte [41]. Le séquenç ge du génome de C. burnetii a révélé la présence de gènes encodant les composants du système de sécrétion de type IV (T4SS) relié au système Dot/Icm (« defect in organelle trafficking/intracellular multiplication ») de Legionella pneumophila. Récemment, il fut démontré que le système DotI/Icm est indispensable pour la survie de Coxiella dans les cellules hôtes et particulièrement en la protégeant de l’apoptose [42]. En effet, un des candidats effecteurs, a une action anti- apoptotique probablement en se liant à la protéine mitochondriale pro-apoptotique p32 de l’hôte [43 ; 44]. Récemment, 2 autres protéines anti-apoptotiques ont été identifiées. Il s’agit des protéines effectrices T4SS CaeA et CaeB (C. burnetii « anti-apoptotic effector ») qui inhibent l’apoptose de la cellule hôte et donc la survie de C. burnetii. CaeB bloque l’apoptose très efficacement, alors que l’activité antiapoptotique de CaeA est plus faible [45 ; 46]. La figure 1 montre une représentation schématique du cycle intracellulaire et des facteurs de virulence de Coxiella burnetii .
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