« La liberté d’expression est un fondement essentiel de la société démocratique et constitue une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun ».
Par ces mots, c’est véritablement au rang de socle de la société démocratique que la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après dénommée « la Cour ») érige la liberté d’expression dans son célèbre arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976. La liberté d’expression, consacrée à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (ciaprès dénommée « la Convention »), emporte la protection des « ‘informations’ ou ‘idées’ accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives, mais aussi (…) celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population ».
Nonobstant son importance indiscutable auprès de la Cour, le droit à la liberté d’expression demeure un droit relatif et peut, par conséquent, faire l’objet de restrictions étatiques tel que stipulé dans le paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention. Ce constat étant fait, nous annonçons d’ores et déjà au lecteur que notre exposé portera sur une application concrète de cette relativité, qui n’est autre que le discours de haine.
La notion de discours de haine ne faisant pas l’objet d’une définition unanimement admise, il est normal qu’elle apparaisse floue aux yeux de tout un chacun s’y intéressant. Nous tenterons, tout au long de ce travail, d’en définir les contours mais, à ce stade, nous pouvons déjà éclairer les esprits en citant la définition de la Recommandation du Comité des ministres sur le discours de haine. En effet, celle-ci dispose que la notion de discours de haine englobe « toutes formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme ou d’autres formes de haine fondées sur l’intolérance, y compris l’intolérance qui s’exprime sous forme de nationalisme agressif et d’ethnocentrisme, de discrimination et d’hostilité à l’encontre des minorités, des immigrés et des personnes issues de l’immigration ». Nous aurons l’occasion de constater que le discours de haine fait très souvent partie d’un ensemble plus vaste incluant notamment l’incitation à la violence ou l’hostilité, l’incitation étant caractérisée par « l’intention de celui qui s’exprime de faire de quelqu’un d’autre l’instrument de sa volonté illégale ».
La société moderne dans laquelle nous vivons a été l’objet d’une virtualisation accrue depuis l’invention d’Internet. Force est de constater que cela n’a fait que s’amplifier en cette période particulière d’épidémie du Covid-19. Le confinement a eu pour véritable effet de mettre à mal les liens sociaux si chers à l’être humain, le poussant à se retrancher derrière un outil virtuel pour tenter de les préserver. Internet est, dès lors, et ce déjà bien avant la période que nous connaissons actuellement, devenu « l’un des principaux moyens d’exercice par les individus de leur droit à la liberté d’expression et d’information : on y trouve des outils essentiels de participation aux activités et débats relatifs à des questions politiques ou d’intérêt public ».
Nous souhaitons, dans cet avant-propos, mettre en avant le fait que nous sommes tout à fait conscientes que les discours haineux et incitant à la violence que nous allons étudier dans cet exposé peuvent tous, sans exception, être diffusés sur Internet. Toutefois, nous avertissons le lecteur, qui pourrait se questionner de manière tout à fait légitime à ce sujet, que nous n’aurons pas égard à des développements spécifiques relatifs au discours de haine sur Internet, du fait que cela risquerait de nous entrainer, pour être tout à fait complètes, dans des considérations d’ordre technique qui ne relèvent pas du champ de notre travail. L’objectif de ce travail s’attache, en effet, davantage, à tenter de dégager les contours des discours haineux pouvant faire l’objet de restrictions, que d’analyser les difficultés que peut rencontrer la répression de ces propos sur la toile.
L’article 17, consacrant l’interdiction de l’abus de droit, est né dans un contexte tout particulier : l’après-guerre. Son but premier était de lutter contre la résurgence des régimes totalitaires ayant fait les déboires de la population lors de la seconde guerre mondiale . Qu’en est-il aujourd’hui ? Bien que le contexte géopolitique ait changé, l’Europe fait face à une montée de plus en plus importante de certaines formes de haine et d’extrémisme pouvant tout aussi bien justifier son application. C’est, en tout état de cause, dans cette atmosphère particulière que l’interprétation et l’application de la clause ont précisément évolué au fil du temps et particulièrement ces dernières années. Permettant une réponse plus ou moins appropriée aux anciennes et nouvelles menaces que rencontre la démocratie, l’article 17 est apparu comme le mécanisme le plus adéquat dans la lutte contre les discours de haine et l’incitation à la violence.
Originellement, c’est donc sur une hypothèse ‘verticale’ que repose l’article 17. Celleci oppose, d’une part, certains groupements de citoyens et, d’autre part, les institutions démocratiques, le but étant de refuser de fournir aux premiers les outils nécessaires pour accéder aux secondes, dont ils entendent abuser. Notons que c’est le négationnisme, en tant qu’il est indissociable de l’idéologie nazie, qui a formé « le pont entre la lecture ‘politique’ première de l’article 17, et son extension ultérieure aux discours de haine » . Par la suite, le lien entre discours négationniste et projet politique liberticide s’est quelque peu distendu, ce qui a permis aux organes conventionnels d’invoquer l’article 17 à l’encontre de tout discours de haine considéré comme ‘contraire aux valeurs qui sous-tendent la Convention’, ce qui a permis d’inscrire les activités susceptibles de déchéance conventionnelle dans une horizontalité parfaite .
Concrètement, l’article 17 de la Convention est libellé comme suit : « Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention ». En effet, cela relèverait d’un abus de droit, d’où l’intitulé de l’article 17 : « l’interdiction de l’abus de droit ».
1 INTRODUCTION |