L’ajout de la dimension temporelle à l’observation satellitaire de la Terre ouvre un grand nombre d’applications. Par exemple, pour l’analyse d’écosystèmes. En effet, l’activité humaine a profondément affecté les écosystèmes, et la détection et l’analyse des changements suscite un intérêt grandissant. Ainsi, les STIS sont selon [Pettorelli et al., 2005] une mine d’or en ce qu’elles sont des données à grande échelle temporelle et spatiale contrairement aux données terrain habituellement utilisées dans ce cadre. Les STIS peuvent aussi être utilisées pour évaluer l’influence d’une guerre, de changements politiques, d’une sécheresse, d’un feu, d’une innondation, ou encore d’un gel sur l’occupation du sol, les pratiques agricoles, etc [de Beurs and Henebry, 2004, 2008, Kawamura et al., 2004, Wang et al., 2003b, Tait and Zheng, 2003]. Au delà de l’analyse des changements, un suivi temporel d’une zone permet la prédiction de phénomènes qui peut être utile par exemple pour déclencher des alarmes ou identifier des zones à risque [Ceccato, 2004], ou encore dans un cadre écologique afin de prédire la biodiversité [John et al., 2008]. Le biome, le taux de CO2 atmosphérique et le climat sont très liés et s’influencent mutuellement. La surveillance des forêts au cours du temps présente donc un intérêt particulier [Piwowar et al., 2006, Bartalev et al., 2000, Ito et al., 2007]. La surveillance de l’évolution de cultures fournit une assistance importante aux agriculteurs de grands domaines. Par ailleurs, l’observation de démolitions, de constructions ainsi que de leur évolution est une information importante pour les urbanistes et les autorités régionales. En particulier pour les villes de forte croissance pour lesquelles les constructions précèdent parfois les statuts d’occupation du sol prévus par les autorités. De plus, une prédiction de ces évolutions serait utile pour des organismes publics ou des entreprises de mise en place d’infrastructures nécessaires aux agglomérations d’une certaine taille comme le réseau routier, ferré, téléphonique, internet, d’eau, etc. Enfin, ce type de séquence peut s’avérer d’un intérêt capital dans le cas de crises. En effet, l’observation régulière de la Terre permet un apprentissage des évolutions et changements normaux et permet donc par complémentarité de détecter les changements anormaux tels qu’un feu, une innondation, un tsunami, un tremblement de Terre, une migration de population, etc. Les satellites des générations récentes ont des propriétés optiques permettant d’acquérir des images à très haute résolution. De plus, leurs propriétés mécaniques leur permettant de suivre une scène lors de leur rotation autour de la Terre, ainsi que leur utilisation en constellation, permet une revisite fréquente d’un même site. Un nouveau type de données est donc maintenant accessible : les séquences temporelle d’images satellitaires à haute résolution (STIS-HR). Ces données sont riches en information, mais en contrepartie très complexes ce qui rend leur interprétation visuelle laborieuse. Des analyses automatiques de ce type de données sont donc requises.
L’analyse automatique s’appuie toujours sur un modèle de données. Nous avons dû dans un premier temps trouver un modèle pour les STIS. Nous avons, dans ce but étudié la littérature sur la modélisation de données 3D et 2D+t. Dans cet état de l’art, détaillé dans la partie I, aucun des modèles proposés ne paraît adapté aux STIS. En effet, les STIS-HR sont des séquences d’images bien particulières. La haute résolution spatiale qui les caractérise (20m pour les images de la STIS ADAM décrite en détail dans la partie II sur laquelle nos algorithmes seront testés, 5m pour les STIS-HR acquises par la constellation RapidEye, et 70cm pour les images qu’acquerra la constellation Pléïades) permet l’identification d’objets sémantiques. C’est ce point qui rend les STIS-HR particulières par rapport à des STIS à basses et moyennes résolutions. Une description de la scène dynamique par les objets qui la composent et leur évolution au cours du temps paraît alors naturelle.
A chaque instant, ces objets sont caractérisés, comme pour une scène statique, par une zone spatiale radiométriquement cohérente. Au cours du temps, leur forme reste généralement inchangée. Cependant, leurs radiométries évoluent indépendament les unes des autres provoquant des changements topologiques. Ainsi, au printemps, lors de la levée des cultures, on observe une division des zones agricoles en différentes parcelles, et symétriquement, à l’automne, une fusion des parcelles lors des récoltes. Ces évolutions radiométriques provoquant des changements topologiques sont caractéristiques des STIS-HR, et il nous faut donc les prendre en compte dans le modèle pour une description fidèle aux données. Par ailleurs, le parcellaire change au gré des exploitants, et un suivi automatique de ces changements présente un intérêt en soi. On appelle scène la zone observée. La scène est délimitée par une étendue spatiale, et une durée. La scène est à distinguer de la STIS qui fait référence à la séquence d’images. Nous proposons, au chapitre 4, d’abord un modèle de la scène permettant de prendre en compte ces changements particuliers, puis nous modélisons les STIS dont le modèle est différent en raison des conditions d’acquisitions qui rendent une partie de l’information inaccessible. On considère que la scène est constituée d’objet spatio– temporel (STO, Spatio Temporal Object) qui évoluent au cours du temps et interagissent. La modélisation de la scène nous permet de formaliser ce que l’on souhaiterait idéalement déduire des acquisitions. Cependant, les conditions de l’acquisition ne permettent pas d’accéder à toutes les informations nécessaires à la reconstruction d’un modèle aussi complet. En effet, les données sont généralement temporellement sous échantillonnées par rapport aux phénomènes observés. Par exemple, un labour est un phénomène continu sur une durée de moins d’une journée alors qu’on observe la scène au mieux tous les jours. De plus, les changements de conditions atmosphériques entre les différentes acquisitions provoquent des erreurs d’inter calibration. Ces deux contraintes nous empêchent de reconstruire les modèles continus sous-jacents. Enfin, des objets (nuages ou avion par exemple) peuvent occulter temporairement des parties d’objets de la scène. Nous restreindrons donc l’étude à l’arrière-plan de cette scène complexe qui comprend des objets immobiles mais dont les caractéristiques radiométriques évoluent dans le temps entraînant des changements topologiques. La structure proposée pour modéliser l’arrière-plan est un graphe d’adjacence temporelle d’objets spatiaux (SOTAG, Spatial Object Temporal Adjacency Graph) dont les nœuds représentent les objet spatiaux (SO, Spatial Object). Ces SO sont liés temporellement, et un parcourt des chemins de ce graphe permet de suivre les évolutions des objets au cours du temps. De plus, en considérant une version attribuée de ce graphe, on peut classer les évolutions des STO qui correspondent dans notre représentation aux chemins du graphe. Classer ces évolutions permet d’identifier différentes natures d’objets. Les STO sont en effet caractérisés par leur évolution radiométrique, ainsi, une culture de colza peut être caractérisée par la séquence de radiométries associées successivement à la terre nue, aux feuilles, aux fleurs, et aux reliquats de culture post-récolte. La figure 1 illustre les différentes étapes de la méthode proposée.
La scène ainsi modélisée, il nous faut ensuite extraire le graphe des données c’est-à-dire déterminer les SO dans chaque image, et mettre ces derniers en relation. Déterminer les SO correspond à une étape de segmentation des images. Il existe de nombreux algorithmes de segmentation, cependant, appliquer le même algorithme de façon indépendante à chacune des images ne permet pas de mettre en évidence les mêmes objets aux différents instants, et il en résulte un SOTAG très complexe. En effet, les conditions d’acquisition changent entredifférentes prise de vues, et les changements simultanés et inconnus de la scène compliquent l’(inter)-calibration des images. La dynamique des différentes images varie donc et de plus, les contrastes locaux entre régions voisines évoluent en raison des évolutions radiométriques propres des différents objets. Les méthodes classiques de segmentation spatio temporelle ou volumique ne sont pas non plus adaptées aux STIS en raison des variations radiométriques éventuellement importantes entre les différentes acquisitions d’un STO au cours du temps. Nous proposons donc un algorithme de segmentation adapté aux STIS permettant de mettre en évidence des objets spatiaux correspondant à des descriptions comparables des différentes images. Hormis des divisions et fusions occasionnelles, la forme des STO reste généralement inchangée. L’estimation du graphe nécessite donc une estimation conjointe des arcs et des nœuds du graphe car l’estimation des correspondances entre les SO suppose que ces derniers sont connus, et la validité des SO s’appuie sur une bonne correspondance. La description la plus adaptée à la scène est donc la description associée au graphe le plus simple tout en restant fidèle aux données. Ce compromis entre fidélité et simplicité du modèle est typique des problèmes de modélisation, et de nombreuses approches permettant de trouver le compromis optimal existent. En particulier, le principe de minimisation de la longueur de description (MDL, Minimum Description Length) permet de trouver un compromis optimal et sans paramètre. Le problème est alors vu comme un problème de transmission : afin de transmettre la scène, on transmet un message en deux parties dont la première est la description des données en utilisant son modèle, et la deuxième la description du modèle. Dans notre cas, le modèle à décrire est le graphe. Sa description consiste en la description de ses nœuds, c’est-à-dire de la forme des SO associés, ainsi que leur radiométrie. La forme des SO est décrite de façon conditionnelle en s’appuyant sur les correspondances entre les nœuds du graphe. La radiométrie, en revanche, est décrite de façon indépendante pour chaque SO de façon à considérer un a priori non informationel sur les évolutions radiométriques permettant des discontinuités radiométriques.
Introduction |