En 2008, des manifestations contre la hausse des prix des denrées de première nécessité dites « émeutes de la faim », éclatent dans plusieurs pays en développement. Les premières révoltes se sont déroulées au Mexique en 2007. Les prix du blé et du maïs principaux composants du plat traditionnel mexicain avaient augmenté de 40 % par rapport à 2006. En septembre 2007, la hausse de 30 % du prix du pain est à l’origine de manifestations sporadiques au Maroc. Puis au début de 2008, les cours du riz ont connu un sursaut à cause de la limitation des exportations en provenance de la Thaïlande, de l’Inde et du Vietnam. Ce fut l’élément déclencheur entre Février et Avril 2008, de manifestations populaires spontanées et de grèves en Afrique (Burkina-Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée, Kenya, Mauritanie, Mozambique, Nigeria, Sénégal et Zimbabwe), en Asie (Bangladesh, Indonésie et Philippines), au Moyen Orient (Egypte et Yémen), en Amérique latine (Argentine, Bolivie et Pérou), à Haïti et en Ouzbékistan. Ces manifestations souvent accompagnées de scènes de pillage ont été pour la plupart réprimées avec violence avec des morts (Cameroun, Cote d’Ivoire, Haïti et Kenya) et des nombreuses arrestations . Grâce à l’effervescence médiatique qu’elles ont suscitée, la faim dans le monde refaisait l’actualité. En effet, dans les années 1980 et 1990, les images dramatiques de famines en Afrique (Ethiopie et Somalie principalement) avaient fortement marqué l’opinion internationale et entretenu la confusion entre la famine et la faim. Par la faim, nous entendons la situation dans laquelle la ration alimentaire, mesurée en kilocalories (kcal), ne suffit pas à couvrir les besoins énergétiques de base. Quand elle persiste sur une longue période, elle mène à la sous-alimentation. L’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que le seuil de la sous-alimentation est de 1800 calories par jour et par personne, représentant le minimum requis pour être en bonne santé et mener une vie active. La question de la sous-alimentation a souvent été réduite aux famines qui sont collectives, extrêmes, épisodiques, ponctuelles et géographiquement localisées. La famine se distingue aussi de la malnutrition qui découle d’une alimentation inadéquate et/ou de mauvaises conditions de santé ou d’hygiène. La malnutrition subsiste sous trois formes d’après Mazoyer et Roudart (2004): la sous-nutrition provoquée par une sous-alimentation prolongée ou par une assimilation inadéquate de la nourriture ingérée ; la surnutrition provenant d’une suralimentation ; et les carences en nutriments (protéines, minéraux, vitamines, etc…). Tandis que la notion de sous-alimentation s’intéresse à l’apport énergétique de la nourriture ingérée, la malnutrition renvoie plutôt à la composition qualitative de l’alimentation. En 2012, 868 millions de personnes sont sous-alimentées dans le monde dont 852 millions vivent dans des pays en développement (PED) . Ainsi la faim affecte 12,5 % de la population mondiale : 22,9% de la population est sous-alimentée en Afrique ; 13,9% en Asie ; 12,1% en Océanie et 8,3% en Amérique Latine. En 1992, la prévalence de la sous-alimentation mondiale était de 18,6%. Des progrès ont donc été effectués en matière de lutte contre la faim, même s’ils ont été ralentis par la forte hausse des prix alimentaires en 2007-2008 (FAO 2012a, p11). En outre, 70 % des populations sousalimentées vivent en zone rurale et seul 5 % des personnes souffrant de la faim sont en situation de conflits armés, de conditions climatiques exceptionnelles (principalement sécheresses et inondations) ou de transitions économiques violentes (FAO 2004, p.8).
La sous alimentation engendre de multiples conséquences indirectes telles que les décès prématurés, les invalidités, l’absentéisme, les retards de croissance et les déficiences cognitives chez les enfants (FAO, 2004a). Elle affecte donc les capacités physiques et mentales de l’individu, son bien être et réduit considérablement sa productivité. Pour l’économie mondiale, les pertes de productivité et les dépenses en santé liées à la malnutrition sont estimées à 3,5 milliards USD soit 5% du produit intérieur brut (PIB) mondial . Plus précisément le coût économique de la sous nutrition et des carences en micronutriments représenterait entre 2 et 3 pour cent du PIB mondial par an (FAO, 2013). Au-delà de l’aspect humanitaire, c’est donc un fléau qui a un impact indéniable sur les activités et les performances économiques d’une nation.
De fait, le problème de la faim avait été officiellement reconnu par la communauté internationale depuis les années 1930, selon Roudart (2008). Dès 1943, une conférence sur l’alimentation et l’agriculture réunit 44 pays à Hot Springs (États-Unis). Elle conclut que chaque personne devait disposer de provisions alimentaires sûres afin de vivre à l’abri du besoin. Elle reconnaissait aussi que la pauvreté était la principale cause de la faim et qu’elle ne pouvait être éradiquée que par une croissance économique mondiale et la création d’emplois (FAO, 2012b). Il en découla la création de la FAO en 1945, afin de libérer l’humanité de la faim. Durant les années 1950 et 1960, en pleine guerre froide, l’indépendance alimentaire était de rigueur, mêlant à la fois les enjeux de sécurité nationale et les questions identitaires. Sous l’influence de la théorie du développement autocentré , l’autosuffisance alimentaire était préconisée. Elle permettait alors de se prémunir de pressions étrangères par le biais du commerce alimentaire. De fait, l’autosuffisance alimentaire suppose pour une nation, la capacité à se suffire à elle-même en matière d’alimentation. Le pays est donc en mesure de répondre aux besoins alimentaires de sa population, grâce à sa seule production vivrière nationale, sans avoir recours au commerce international. Les stratégies alimentaires se concentraient sur l’accroissement de l’offre agricole et de la productivité, négligeant ainsi la relation entre la pauvreté et la faim.
Pendant la décennie 1970, une perspective internationale de la question alimentaire succéda à une vision nationale et protectionniste. En 1973, des mauvaises récoltes furent enregistrées dans plusieurs grandes régions du monde . « La crise alimentaire mondiale de 1972-74 avait marqué le passage d’une époque caractérisée par l’abondance d’aliments exportables à bas prix à une époque de grande instabilité des approvisionnements et des prix. Elle a aussi marqué la fin de l’époque de l’énergie bon marché, changement qui a eu des répercussions considérables sur l’agriculture» (FAO 1983, p.13). Une conférence fut alors organisée en 1974 sous l’égide de l’Assemble générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU), et un « Engagement international » fut signé. Il invitait les gouvernements à constituer des réserves alimentaires et des fonds nécessaires en prévision des urgences internationales. A travers une approche mondiale, la sécurité alimentaire pouvait être définie comme la « capacité de tout temps d’approvisionner le monde en produits de base, pour soutenir une croissance de la consommation alimentaire, tout en maîtrisant les fluctuations et les prix» (FAO 2012b, p.4). Ce fut la première ébauche du concept de sécurité alimentaire. Le Comité sur la sécurité alimentaire mondiale (CSA) devait œuvrer pour la croissance de l’offre céréalière mondiale et la stabilité des marchés internationaux de céréales. A l’instar des années 1950 et 1960, les stratégies alimentaires se focalisaient sur les politiques d’offre. En revanche, une ouverture des frontières étaient préconisée. La notion d’autosuffisance alimentaire perdit du terrain au profit de la sécurité alimentaire qui envisageait un approvisionnement international. La communauté internationale persistait à croire qu’une augmentation des disponibilités alimentaires allait suffire pour lutter contre la sousalimentation. Les déterminants de la demande alimentaire tels que les ressources économiques des ménages et les conditions sanitaires et sociales étaient totalement ignorés.
INTRODUCTION GENERALE |