Sciences et sociabilités à l’époque des Lumières
Définir les Lumières Qu’est-ce que les Lumières ? Les « Lumières » ont cette particularité d’être un objet de l’histoire des idées en même temps qu’une référence idéologique. Mouvement philosophique finalement assez peu représentatif du monde dans lequel il s’ancre, il a fini, à force d’être mis sur un piédestal, par être employé comme synonyme d’une époque tout entière, d’un siècle. Bien que l’expression soit passée dans le langage commun, il faut donc tout de même prendre quelques précautions d’usage. Les Lumières, c’est un grand mouvement de pensée, à l’échelle européenne. Le mouvement des Lumières est fondamentalement séculier : c’est la raison qui éclaire, et non l’Esprit-saint, et cette raison a beau être universelle, elle est considérée avant tout au point de vue de l’homme. Pour celui-ci, faire usage de sa raison, c’est simplement penser. La pensée devient un acte politique, un acte de liberté. Les Lumières, c’est un mouvement savant avec une portée politique, très souvent contestataire. Penser librement, c’est penser de manière critique. Les Lumières représentent une autonomie de pensée, un idéal vers lequel tendre, sans cesse menacé, renié pour céder à la soumission de l’esprit et à l’aliénation de la raison. Si l’on doit résumer les Lumières à trois idées principales, se serait l’esprit critique, l’importance des sens et l’idée de progrès. L’esprit critique, c’est la base de la philosophie libertarienne des Lumières. Penser librement, c’est être en mesure et en droit de critiquer. L’esprit critique se nourrit du doute (Descartes !) et vise d’abord à détruire : détruire les préjugés, les idées toutes faites et les dogmes. Lorsque le mot réapparaît au début du XVIIe siècle, il désigne le jugement sur la valeur des choses, un jugement philologique profond. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, des philosophes comme Spinoza ou Bayle franchissent la ligne entre critique philologique et critique philosophiques des textes. C’est là que se tient la rupture dans la manière de penser les sciences. Ce goût de la critique prend racine dans l’humanisme tardif, celui des guerres de religion et de la violence, celui du libertinisme italien (puis français). L’incroyance libertine, c’est une forme de déni, de critique, de doute, poussée à un paroxysme universel. Ce libertinisme transmet aux Lumières le goût de l’incroyance, et donc le terreau fertile au discours anti-religieux. L’entrée en la matière de l’esprit critique des Lumières est bien présente dans la publication, en 1697, d’une première version du Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle. La « leçon des sens » (Belhoste 2016, p. 173) signifie qu’il faut chercher la connaissance dans l’expérience et dans le contact avec le monde plus que dans l’interprétation de la volonté divine. Là aussi, les idées de Descartes, par l’intermédiaire de John Locke, sont extrêmement prégnantes. L’esprit des sens, c’est une forme de nouvelle vision de l’existence de l’être, dans laquelle on considère l’être humain à la naissance comme une feuille blanche, une sorte de poche vide que l’on peut remplir un peu comme on le souhaite. Toutes nos idées viennent donc directement ou indirectement de l’expérience sensible. La connaissance consiste à les comparer pour énoncer des jugements.
Les grandes lignes de l’histoire scientifique européenne (1650-1800)
Les sciences en Angleterre de Bacon à Newton Robert Hooke et le microscope Robert Hooke (1635-1703) est un savant anglais issu de l’atelier de Robert Boyle, qui l’engage comme assistant en 1655 alors qu’il n’est qu’élève à Oxford. La machine pneumatique de Boyle permet à Hooke d’effectuer des expériences sur le rôle de l’air : il constate alors qu’un combustilbe aussi actif que le soufre ne s’enflamme pas s’il est placé dans une enceinte vide ; de même, dans ces conditions, un animal ne peut vivre bien longtemps. Membre (1663) puis secrétaire (1678) de la Royal Society de Londres, il y présente de nombreuses communications sur les sujets les plus divers, tels que les tâches du Soleil et celles de la Lune, les propriétés des cristaux et la composition de la lumière. Il est régulièrement (et pendant longtemps) en conflit avec Newton sur la paternité de certaines idées, ainsi la gravitation universelle. Sa controverse avec Newton l’a entraîné à préciser ses idées sur la nature de la lumière et sur son hypothétique support, l’éther. Il invente un régulateur pour le balancier des montres (1658), un système de télégraphie optique (1684), plusieurs moyens de voler, le thermomètre à alcool, l’hélioscope. Il perfectionne le télescope et propose de choisir, pour le degré zéro du thermomètre, le point de fusion de la glace. Surtout, Robert Hooke est l’inventeur du microscope. Le concept du microscope, c’est-à-dire d’une lentille grossissante, existe déjà depuis très longtemps, probablement même depuis que le verre existe. Le verre comme outil d’étude minutieuse est certainement utilisé « scientifiquement » depuis le XVIe siècle : ainsi Giovanni Rucellai dit avoir dessiné des abeilles avec précision grâce à un miroir élargissant en 1523. Autour des années 1600, alors que la lunette astronomique est en train d’être mise au point aux Provinces-Unies et en Italie, on sait que certains ont fabriqué des tubes dans lesquels étaient insérées des lentilles, probablement par les mêmes qui inventaient le télescope d’ailleurs. Au fil du XVIIe siècle, le goût pour l’observation fait son chemin, et implique déjà de trouver de nouveaux outils, qui permettraient d’observer plus en détails. Grâce à une lentille, Giovanni Battista Odierna, un prêtre sicilien, parvient à disséquer l’œil d’une mouche et à spéculer sur les mécanismes de la perception oculaire : le croisement de l’histoire naturelle et de la technique est fait. Rapidement, la technique s’introduit dans différentes disciplines, depuis la botanique jusqu’à la minéralogie, en passant par l’anatomie de différents organismes vivants. C’est dans ce contexte que Robert Hooke arrive sur le devant de la scène. En 1663, il commence une série de démonstration à la Royal Society, en tant que « Conservateur des Instruments ». Son instrument a été façonné par un marchand londonien, Christopher Cock. C’est un microscope assez large, qui peut être utilisé avec deux voire trois lentilles et adapté avec différents outils pour observer des choses de taille et de nature différentes. Hooke résout également un problème majeur : la question de la lumière Sciences, techniques, pouvoirs et sociétés à l’époque moderne Synthèse chrono-thématique 85 dans le microscope. Par un principe d’illumination par réflexion, via un miroir en dessous du microscope, Robert Hooke peut voir des choses avec une précision inédite. Après, il devient un peu fou : il met tout et n’importe quoi dans son microscope, observe et décrit ce qu’il voit. Les ouvrages de Hooke sont des compilations de ces descriptions, où l’analyse n’est que peu présente. Le microscope, mais surtout les observations de Hooke, sont un succès scientifique considérable à l’époque. Son ouvrage Micrographia, publié en 1665, est un best-seller absolu. Il y laisse une place très importante à l’image. Les planches de l’ouvrage sont très détaillées, aussi parce qu’elles sont plus ou moins le seul moyen de partager avec le lecteur ce que le savant voit dans le microscope.Fils d’un riche marchand et fabricant de savon londonien, Edmond Halley bénéficie de la meilleure éducation possible, à Saint-Paul, puis au Queen’s College, à Oxford. Attiré par l’astronomie, il rencontre John Flamsteed, astronome royal, à l’âge de vingt ans. Son maître est à l’œuvre pour établir un catalogue des étoiles de l’hémisphère nord. Qu’à cela ne tienne, il décide d’en faire autant pour l’hémisphère sud. Il part donc pour Sainte-Hélène, où il reste deux ans. À son retour, il publie le Catalogus stellarum australium (1679). Homme sociable et à l’aise dans les milieux mondains, à 22 ans, il se permet de dédicacer son ouvrage au roi Charles II : c’est un moyen comme un autre de se faire remarquer. Continuant sur sa lancée, Halley étudie le mouvement des comètes, et parvient à déterminer (avec succès, mais personne ne le sait encore), le re-passage d’une comète qu’il observe dans le ciel anglais pour 1758 (c’est la comète de Halley). En 1685, à même pas trente ans, il rentre à la Royal Society comme assistant du secrétaire honoraire, poste rémunéré mais qui le contraint à abandonner l’idée d’être nommé fellow. En 1696, il fait partie des projets de la Monnaie. De 1698 à 1700, Halley commande le Paramour Pink, navire de guerre à bord duquel il effectue de nombreuses mesures du magnétisme terrestre et de météorologie. En 1701, il publie une carte de ses observations magnétiques qui sera utilisée longtemps après sa mort. En 1703, il est nommé professeur de géométrie à Oxford. En 1718, il succède à Flamsteed comme astronome royal, et profite de la place pour réaliser une étude sur les mouvements de la Lune.