SCIENCE , TECHNIQUE ET CULTURE REFLEXION AUTOUR DE LA NOTION DE TECHNIQUE APPROPRIEE
Définition des concepts et analyse des rapports entre science , technique et culture
S’interroger sur les rapports entre science , technique et culture suppose tout d’abord leur meilleure connaissance , à travers une définition précise de ces différents concepts pour percevoir la réalité qu’ils recouvrent . Il s’agit ensuite d’identifier les inter – relations qui existent entre ces différents concepts en faisant référence notamment au rôle de la technique dans les rapports entre science et culture Il faut enfin se prononcer sur la notion de technique « appropriée » qui devrait permettre , à partir de quelques exemples , de s’accorder sur les conditions de validité d’une technique au regard de la science et de la culture .
Définition des concepts de culture , science et technique
La science , la technique et la culture constituent des domaines souvent bien distincts en raison de leur différence d’objet et de perspective La Culture: L’anthropologie moderne montre que la « pensée sauvage1 « comporte une complexité et une richesse indéniable et inestimable qui ne peut être sous – estimée parce qu’elle ne cadre pas avec nos pensées scientifiques . Car c’est encore de la pensée Cette pensée est productrice d’un savoir et d’un savoir – faire traditionnels constitués de croyances , de mythes et autres représentations qui font partie des cultures ; lesquelles doivent être préservées pour sauvegarder la patrimoine de la diversité humaine ( diversité culturelle ) La Science : Sa définition a beaucoup évolué depuis Aristote , en passant par les naturalistes et les humanistes . Elle est « un ensemble de connaissances établi de façon systématique ,à référence universelle et susceptible d’être vérifié ». (lexique des sciences sociales DALLOZ) , tandis que pour l’Encyclopedia universalis. : « la science est un mode de connaissance critique. ». La science a donc une vocation théorique : la connaissance objective , l’exploration d’un objet distinct de la conscience qui l’étudie La Technique : C’est un savoir – faire . Elle n’a pas vocation pour interpréter le monde mais pour le transformer . Sa vocation est pratique et non théorique Pour Lalande , les techniques sont des procédés bien définis et transmissibles destinés à produire certains résultats jugés utiles .
Les rapports entre science et technique
La relation science – technique est une relation logique et rationnelle . Il y’a progrès technique parce que la science peut se transmettre , s’enseigner clairement par concept . L’avantage de la technique scientifique est sa possibilité de perfectionnement continu, d’où une grande obsolescence des objets techniques L’antériorité de la technique sur la science a été évoquée depuis l’antiquité et traduite comme un don naturel . Ainsi Platon ( Protagoras ) la traduit comme un don du titan Prométhée à l’humanité pour la protéger de son impuissance originelle face à un environnement hostile . Aristote quant à lui voit au contraire la technique comme une traduction de la puissance originelle de l’homme car étant déjà inscrite dans son corps à travers la main qui lui permet de s’adapter à toutes les situations . Aussi dira –t – il : « la main – outils correspond à l’intelligence supérieure de l’homme . Pour lui , l’homme est capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques « Plus récemment l’anthropologie moderne a démontré que l’apparition de l’homme a coïncidé avec celle du langage et le maniement des outils . Bergson3 affirme dans ce sens que l’homo faber a précédé l’homo sapiens pour traduire le fait que l’intelligence de l’homme s’est d’abord manifestée à travers la technique qui est ainsi antérieure à la science Leroi – Gourhan4 pour qui « la main libère la parole « insiste sur les liens existants entre la main et le cerveau . . Il apparaît ainsi à travers ces différentes prises de position que l’homme a toujours fabriqué ses outils bien avant l’apparition de la science moderne . Pour d’autres penseurs , la science est redevable de la technique du fait que dans l’histoire des sciences , la pratique a fait le plus souvent avancer la théorie et non l’inverse . Donc , l’habitude de placer la technique après la science en disant qu’elle en est une application et concluant à l’indépendance de la science vis à vis de la technique est discutable C’est souvent l’inverse car selon les tenants de cette théorie , c’est dans la pratique ( la technique ) que sont issues les théories ( la science ) C’est le cas de : La découverte de certains vaccins en médecine La machine à vapeur Les essais sur les médicaments qui sont une technique précédant en effet les applications scientifiques , car c’est aux résultats que l’on étudie les effets et que l’on définit une indication et une posologie et non l’inverse . La technique requiert certes des savoirs , mais elle n’a donc pas nécessairement besoin des savoirs scientifiques pour être conçue . Les savoirs empiriques traditionnels , non scientifiques , sont en effet également capables de produire des techniques . Les techniques nées des connaissances scientifiques sont désignées sous le terme de technologie par différentiation avec les autres . Les rapports entre technique et culture : A l’origine , l’art et la technique étaient assimilés . Le mot grec « technê « désignait en effet tout savoir – faire traditionnel traduisant une activité transformatrice . La technique regroupait à la fois les pratiques utilitaires ( les métiers ) et les beaux – arts . Les latins désigneront par « Ars « aussi bien le travail des artistes que des artisans . Aristote dans « Ethique à Nicomaque5 « soutient que « Tout art a pour caractère de faire naître une œuvre « , donc une création . Tandis que pour Kant6 , l’art et les techniques sont des produits de l’homme qu’on ne trouve pas à l’état naturel , donc qui sont le résultat d’une conception fut – elle non scientifique . Aristote7 ajoute que « ce n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des animaux , mais c’est parce qu’il est le plus intelligent qu’il a des mains « L’anthropologie8 a renforcé cette thèse en montrant que l’homme est porteur originel de l’outil et surtout du langage qui est la base de toute construction intellectuelle . Il apparaît ainsi que la technique est un savoir – faire qui résulte d’un savoir . Les savoirs empiriques traditionnels qui sont des composantes de base de la culture ont été ainsi à l’origine des techniques traditionnelles . Ils marquent de ce fait l’antériorité de la culture par rapport à la technique . Les rapports entre science et culture : Les relations entre la culture et la science ont été longtemps abusivement assimilées aux rapports entre le mythe et la science . Ainsi , pour certains penseurs de l’Antiquité , la représentation mythique est une construction imaginaire impliquant des héros et des dieux , laquelle est aux antipodes de la représentation objective du monde par la science fondée sur la raison « Il apparaît donc que la représentation mythique qui fonde les cultures primitives ou traditionnelles dites cultures pré – scientifiques soit erronée et qu’elle doive laisser la place à une vision plus rationnelle , celle de la science . A l’inverse , Claude Lévy Strauss9 considère que le mythe a été un certain mode de construction intellectuelle même s’il a été remplacé par la pensée scientifique à partir du 17 éme siècle avec les rationalistes comme Bacon et Descartes . Il n’y a donc pas d’opposition entre les représentations mythique et scientifique car selon lui , la même logique est à l’œuvre dans la pensée mythique et la pensée scientifique et que l’homme a toujours pensé aussi bien . La pensée humaine se retrouve ainsi dans le fait culturel autant que dans le fait scientifique . Mieux , la pensée scientifique ne suffit pas à saisir seule la totalité du réel et à expliquer le monde. Elle n’abolit pas la pensée mythique , donc culturelle , qui cohabite avec la science en tant qu’une autre forme de réponse aux interrogations de l’esprit humain. Au total : • si la science et la technique sont souvent mises en corrélation pour traduire leur complémentarité : la technique étant alors considérée comme la manifestation la plus achevée de la science • les relations entre la culture et la science sont quant à elles généralement présentées de manière conflictuelles , à travers des rapports dialectiques . La science apparaissant alors comme une négation de la culture perçue comme étant l’ensemble des valeurs qui fondent une société • Quant aux rapports entre technique et culture , ils apparaissent ambiguës et varient suivant que l’on se situe dans une perspective scientifique ou culturelle : – dans la perspective scientifique où la culture est perçue dans des rapports dialectiques avec la science , la technique apparaît comme le facteur qui permet au fait scientifique d’agir sur le fait culturel pour le transformer – dans la perspective culturelle où la culture est considérée comme le fondement de toute action et en même temps sa finalité ( « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » , « l’homme est au début et à a fin du développement « ) , la technique est perçue comme la résultante d’une médiation entre le fait culturel qui lui a donné naissance et le fait scientifique qui constitue une réponse à travers la technique Hypothèse : Dès lors , l’on peut poser comme hypothèse que la technique semble donc avoir un soubassement à la fois culturel et scientifique Il reste cependant à s’interroger sur le rôle actif qu’elle joue dans les rapports entre la science et la culture : – la technique ne serait – elle en fait que le résultat du dialogue entre la culture qui détermine le besoin ( fait culturel ) et la science qui le traduit en réponse ( fait scientifique ) ? – la technique traduirait – elle ainsi d’une part la demande ( traduction du fait culturel en fait scientifique ) et d’autre part l’offre (traduction du fait scientifique en fait culturel) ? Dès lors , comment prendre en charge les notions de technique traditionnelle et de technique moderne et leurs rapports avec la science et la culture d’ une part et comment les rapporter d’autre part à la notion de « technique appropriée « qui est notre objet ? Les rapports entre la technique traditionnelle et la technique moderne : La technique traditionnelle : Elle correspond au savoir – faire traditionnel et à la technique artistique tels qu’ils se manifestent de manière permanente dans les sociétés et les cultures dont elle est une des formes d’expression et d’authenticité : l’on parlera ainsi de la technique traditionnelle de tissage du pagne « ndiago » et de celle de traitement de la maladie mentale chez les « lébous » par exemple qui sont propres à ces ethnies . Le savoir –faire traditionnel existe parallèlement à la technique , dans sa permanence propre à côté de la science et de la technique moderne . La technique moderne : Plus généralement appelée la « technique « (du fait de sa prééminence actuelle , même si elle cohabite avec les techniques traditionnelles) , elle correspond à la connaissance scientifique dont elle est la traduction . Quels sont alors les rapports entre technique traditionnelle et technique moderne ? D’une façon générale , la technique dite traditionnelle est donc mise en rapport avec des connaissances et des pratiques culturelles locales , spécifiques à un ou des groupes bien identifiés et situés dans l’espace et le temps Ces techniques font l’objet d’une sorte de rituel et sont souvent transmises de génération en génération et de père en fils . Alors que la technique moderne se situe dans une perspective plus futuriste , fait appel à des connaissances et des pratiques nouvelles et souvent plus universelles et donc moins spécifiques à un groupe culturel donné et à un lieu donné , même s’il faut parfois l’adapter à son contexte La technique moderne ou scientifique se caractérise aussi par un rythme d’évolution très élevé qui traduit son obsolescence rapide . Ce qui correspond à la logique de tout progrès scientifique qui est marqué par le changement . La technique traditionnelle quant à elle a un caractère plus statique qui caractérise l’œuvre d’art qui est par essence immuable et originale marquée qu’elle est par sa symbolique à côté de son aspect utilitaire . On distingue ainsi la technique empirique qui est un savoir – faire qui découle de l’expérience, de la technique scientifique qui est une application du savoir scientifique basé sur la connaissance de règles d’action codifiées . La co – existence entre ces deux techniques tient au fait qu’elles n’ont pas le même objet : – la technique traditionnelle serait alors un moyen de prendre en charge la demande culturelle et de lui apporter une réponse par le seul truchement du savoir et du savoir – faire traditionnel ( connaissances ethno – scientifiques ) . – la technique moderne quant à elle traduirait les rapports de la science à la culture , soit une réponse scientifique à la même demande culturelle L’omniprésence et l’omnipotence de la technique moderne qui tend même dans certains cas à nier l’existence de la technique traditionnelle contribue à perpétuer les rapports conflictuels entre science et culture . Mais plus encore , elle pose le problème de la toute puissance de la technique moderne qui semble de plus en plus affirmer son autonomie par rapport à la science Au point que la question de sa maîtrise et de son contrôle semble se poser avec acuité au regard des problèmes d’éthique que son application suscite de plus en plus . D’où , l’idée de promouvoir une technique nouvelle , plus « appropriée « dont l’ambition serait de donner un caractère plus ouvert ( scientifique ) à la culture et plus humain ( culturel ) à la science . Dans le monde actuel où la science et la technique ont plus que jamais besoin d’être mieux contrôlés , bridés avec les problèmes d’éthique et d’inconfort moral , qui mieux que la culture et la société peuvent jouer ce rôle ? Ce ne sera pas seulement à travers des oppositions conceptuelles , sémantiques , mais surtout par une démarche nouvelle permettant à la culture de canaliser la science à travers la technique dite « appropriée « A partir de quand peut – on alors dire qu’une technique est appropriée ? La notion de technique « appropriée « Une technique appropriée est – elle une technique traditionnelle ? ou une technique moderne ? ou les deux à la fois ? Postulat : Si l’on admet le postulat que : a) la culture traduit l’ensemble des valeurs de reconnaissance d’une société , parmi lesquelles ses besoins et aspirations qui se traduisent par une demande , laquelle est satisfaite à travers des procédés nouveaux b) la science constitue un moyen d’investigation dont la finalité est la recherche de la satisfaction de la demande culturelle ( et sociale ) c) la technique constitue le procédé qui traduit l’offre scientifique pour satisfaire la demande culturelle alors , la notion de technique « appropriée « traduit la conformité de l’offre scientifique par rapport à la demande culturelle Dès lors , la question majeure reste la détermination des critères de validité de la notion de technique « appropriée « Une telle interrogation conduit à se pencher de manière plus précise sur les conditions à remplir pour qu’une technique soit jugée « appropriée « au triple regard tant des normes techniques elles – mêmes ( qu’est ce qui fait qu’on parle de technique ? ) que par rapport aux exigences et principes de la science et au respect des valeurs culturelles Quelles sont alors les critères d’appréciation d’une technique « appropriée » ? Les critères d’appréciation d’une « technique appropriée »: La technique sera donc considérée comme « appropriée « lorsqu’elle aura satisfait les critères ci – après : • la pertinence de la traduction du fait culturel en fait scientifique et technique • l’efficience du choix de la technique considérée pour établir la jonction entre les deux faits scientifique et culturel qui lui ont donné naissance 14 • l’efficacité de la technique utilisée par rapport au besoin culturel exprimé mais aussi ses performances en rapport avec les potentialités dont elle dispose • finalement , l’adéquation de la technique en rapport avec son objet est double : elle est à la fois la demande ( culture ) et l’offre ( la science ). En définitive , la notion « d’approprié » renvoie donc à celle d’adéquation : a) adéquation entre la demande ( culturelle et sociale ) et sa perception ( scientifique ) qui sollicite chacune des deux parties prises isolément b) adéquation entre la perception scientifique de la demande et sa traduction technique , laquelle intéresse surtout le scientifique c) adéquation entre la traduction technique et l’offre matérielle qui reste encore la préoccupation du chercheur d) adéquation entre l’offre matérielle et l’attente culturelle de la société qui fait surtout appel au bénéficiaire . Ainsi , dans le cheminement actuel , la demande qu’elle soit effective ou supposée ( avant – gardiste avec la recherche et le marketing ) est analysée par la science sous son propre prisme et traduite en technique destinée à la consommation de la culture ciblée . Cette offre technique qui se traduit par des perceptions et des comportements nouveaux devant être assimilés par la culture effectivement ou supposée bénéficiaire . Cette dernière perçoit et reçoit à son tour la nouvelle technique sous son propre prisme culturel et l’analyse en rapport avec ses besoins et sa demande ; La technique « appropriée « sera ainsi celle qui pourra concilier la demande culturelle avec les exigences de la science .
Introduction |