Sage-femme et interruption volontaire de grossesse médicamenteuse

Matériel et méthode 

Afin de répondre à l’objectif principal de recherche, le choix de la méthodologie s’est orienté vers une étude descriptive prospective. Celle-ci s’est déroulée dans la région Provence Alpes Côte d’Azur (PACA) de Juin à Octobre 2015.
Les données ont été recueillies au moyen de questionnaires semi directifs (Annexe I) sur le site internet Google Forms. Ont été inclues dans l’étude, les sages-femmes de la région PACA, exerçant à l’hôpital (privé ou public), en centre de gynécologie sociale, en centre de Protection Maternelle et Infantile (PMI), en cabinet libéral. Les sages-femmes cadres enseignantes n’ont pas été inclues dans l’étude, ainsi que les sages-femmes retraitées. Les sages-femmes n’exerçant pas en région PACA ont été exclues de l’étude.
Dans un premier temps, les questionnaires ont été testés par les sages-femmes du Centre Hospitalier Louis Raffalli à Manosque en Juin 2015. Une modification a été apportée au questionnaire, l’ajout de la ville d’exercice aux questions. Dans un second temps, les questionnaires ont été transmis par e-mail aux cadres sages-femmes des maternités de Marseille (13), Aix-en-Provence (13), Aubagne (13), Arles (13), La Ciotat (13), Vitrolles (13), Salon-de-Provence (13), Briançon (05), Gap (05), Cagnes-sur-Mer (06), Cannes (06), Grasse (06), Nice (06), Antibes (06), Carpentras (84), Cavaillon (84), Orange (84), Avignon (84), Pertuis (84), Apt (84), Draguignan (83), Hyères (83), Brignoles (83), Toulon (83), Fréjus (83), Manosque (04), Digne-les-Bains (04).
Les questionnaires ont été transmis aux sages-femmes libérales de la région PACA par e-mail grâce à l’annuaire du Conseil de l’Ordre des sages-femmes.
L’Association des sages-femmes orthogénistes a transmis les questionnaires à son listing de sages-femmes exerçant en région PACA, ainsi qu’à l’Organisation Nationale Syndicale des Sages-Femmes (ONSSF) des Bouches du Rhône.
Les Conseils de l’Ordre des sages-femmes départementaux des Bouches du Rhône, des Alpes Maritimes, du Vaucluse, du Var et des Alpes de Haute Provence ont transmis les questionnaires par e-mail à leur listing de sagesfemmes. Pour déterminer le nombre de réponses nécessaire à l’étude, un calculateur d’échantillon sur le site internet Checkmarket a été utilisé. Pour une population de 1668 sages-femmes en exercice en région PACA, avec une marge d’erreur de 5% et un niveau de confiance de 95%, la taille d’échantillon requise a été calculée à 313 réponses.
Dans les questionnaires, différentes variables qualitatives ont été recueillies : le sexe, le pays d’obtention du diplôme d’état de sage-femme, le type d’exercice actuel, l’exercice dans un centre d’orthogénie, le rôle dans le cadre de l’exercice en centre d’orthogénie, la prise en charge d’une patiente dans le cadre d’une IVG médicamenteuse, le type de prise en charge de l’IVG médicamenteuse, les raisons de l’absence de prise en charge d’IVG médicamenteuses, la connaissance de l’ajout de compétence, l’appréhension de l’ajout de compétence, la réalisation d’IVG médicamenteuses si l’ajout de compétence devenait effectif, l’utilisation de la clause de conscience, l’avis sur la possibilité d’application de la clause de conscience en milieu hospitalier, le(s) département(s) du/des lieu(x) d’exercice, la/les ville(s) d’exercice. Des variables quantitatives ont été recueillies : l’âge et la date d’obtention du diplôme d’état de sage-femme.
Les données recueillies à partir des questionnaires ont été rassemblées dans un tableau avec le logiciel Microsoft Excel Professional 2007, et traitées à l’aide du logiciel Sofastat version 1.4.6. Les réponses aux questions ouvertes « pourquoi ? » ont été rassemblées par ordre d’idée sous forme de rubriques et sous rubriques dans des tableaux Excel séparés.

Résultats 

Durant cette étude, 324 questionnaires ont été récupérés. 13 questionnaires ont été exclus de l’étude (9 questionnaires correspondaient à des sagesfemmes exerçant hors région PACA, 4 questionnaires correspondaient à des doublons). Ainsi, 311 questionnaires ont été retenus pour l’étude, soit un taux de participation des sages-femmes de la région PACA de 18,6% (1668 sagesfemmes en activité en région PACA). Ces 311 questionnaires ont concerné 299 femmes (96,14%) et 12 hommes(3,86%). La moyenne d’âge des sages-femmes a été calculée à 37 ans, avec un écart type égal à 9,98, la médiane à 35 ans, avec un âge minimum à 22 ans et maximum à 62 ans. Les différentes tranches d’âge des sages-femmes ont été regroupées dans un tableau (Figure 1).

Analyse et discussion

Limites et biais de l’étude

La taille d’échantillon requise pour l’étude n’a pas été atteinte, du fait des doublons et des réponses de sages-femmes exerçant hors région PACA. Les résultats de l’étude ne peuvent pas être généralisés à la population nationale.
L’IVG médicamenteuse demeure un sujet sensible, entrainant un refus de répondre au questionnaire ou de transmettre le questionnaire chez les sagesfemmes et/ou les cadres sages-femmes, constituant une difficulté pour contacter les personnes.
Le questionnaire informatisé a paru être l’outil le plus adapté pour cette étude.
Cependant, ce type de questionnaires a pu constituer un frein aux réponses pour les sages-femmes n’ayant pas d’affinité avec l’informatique et les nouvelles technologies, constituant un biais de sélection.
Les questions « Etait-ce sous la prescription d’un médecin ? », « Si non, pour quelle(s) raison(s) : », « Si oui à la question précédente, réaliseriez vous l’IVG en complète autonomie ? » et « Si non, utiliseriez-vous la clause de conscience ? » n’ont pas toujours été comprises par les sages-femmes, du fait du format du questionnaire, ne permettant pas de rediriger la personne participant à l’étude vers la question concernant son choix de réponse, ceci constituant un biais de mesure. Ces questions n’ont donc pas été traitées.

Analyses et discussion

Prise en charge actuelle de l’IVG médicamenteuse

L’étude a révélé que seulement 26 sages-femmes (8,36%) ayant répondu au questionnaire ont déjà exercé en service d’orthogénie, cependant, 163 (52,41%) ont déjà pris en charge une IVG médicamenteuse. Dans son rapport de 2007 sur les chiffres des établissements pratiquant les IVG, la Direction dela recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) révèle que près d’un tiers du personnel intervenant dans la prise en charge des IVG sont des sages femmes (8). En matière d’IVG, les sages-femmes peuvent assurer seules les entretiens psychosociaux proposés avant et après l’IVG, conformément à l’article R2311-9 du Code de la santé publique (7).
Dans notre étude, seulement 2 sages-femmes ont déclaré avoir réalisé l’entretien pré-IVG, alors que 112 déclarent avoir administré le traitement, 113 ont effectué la surveillance et 101 ont informé la patiente. C’est ce que souligne la DREES dans son étude, en effet trois quarts des sages femmes participant à la prise en charge des IVG agissent sous la délégation des médecins (8), ce qui leur permet d’intervenir de façon plus importante dans l’IVG, notamment en informant les patientes, en administrant le traitement, ou en réalisant la surveillance des patientes.

Rôle de la sage-femme

En interrogeant les sages-femmes sur la possibilité de l’ajout de la prise en charge de l’IVG médicamenteuse dans les compétences de la sage-femme, il est ressorti que 54,21% des sages-femmes ayant répondu à l’étude considère que cet ajout est en adéquation avec ses autres compétences. Parmi ces réponses, plusieurs thèmes et expressions ont été repris par les sagesfemmes, notamment le fait que la sage-femme se doit de suivre toutes les grossesses (25 réponses sur 214), accompagner la femme dans toutes les étapes de sa vie (47 réponses sur 214), et réaliser une prise en charge globale de la santé des femmes (38 réponses sur 214). Ceci confirme ce qui a déjà été mis en avant par Mme Concheri dans son enquête auprès des professionnel et étudiants du département du Nord (9).
Dans l’étude, 44 sages-femmes (14,15%) ont répondu que cet ajout de compétence était inadapté au rôle de la sage-femme, plus précisément que l’IVG est hors cadre de la physiologie (7 réponses sur 44), et hors compétences de base de la sage-femme (8 réponses sur 44), mais aussi que le rôle de la sage-femme est indissociable du respect de la vie, comme le souligne par exemple une des sages-femmes ayant répondu au questionnaire : « rôle des sf qui est d’aider à donner la vie et non d’arrêter des grossesses non désirées ».

Compétences de la sage-femme

Le Code de la santé publique précise, quant aux compétences des sagesfemmes en matière de suivi gynécologique, que « la sage-femme est autorisée à pratiquer l’ensemble des actes cliniques et techniques nécessaires au suivi et à la surveillance des situations non pathologiques et au dépistage de pathologie, concernant : les femmes à l’occasion du suivi gynécologique de prévention et de la réalisation de consultations de contraception » (5). Le suivi gynécologique de prévention est aussi décrit dans le référentiel métier et compétences des sages-femmes (10). Or c’est ce suivi gynécologique de prévention que les sages-femmes citent en justification à la réponse « cet ajout de compétences est en adéquation avec ses autres compétences », en effet 54 sages-femmes (sur 214 réponses) déclarent que l’IVG médicamenteuse serait dans la continuité du suivi gynécologique de prévention. Dans l’enquête de Mme Concheri auprès des professionnels et étudiants du département du Nord, cet ajout de compétences s’inscrivant dans l’évolution des compétences de la sage-femme est la raison la plus citée (42%) par les sages-femmes qui encouragerait celles-ci à pratiquer les IVG (9).

Accès à l’IVG

L’amélioration de l’accès à l’IVG a été utilisée comme justification par les sages-femmes ayant répondu « Oui » à la question « Si cet ajout de compétences était effectif, réaliseriez vous des IVG médicamenteuses ? » et ayant répondu « En adéquation avec ses autres compétences » à la question « Cet ajout de compétence est pour vous : ».
En région PACA en 2013, 23931 IVG ont été réalisées au total, avec un nombre d’IVG à 22,3 pour 1000 femmes de 15 à 49 ans (1), plaçant la région PACA parmi les régions ayant les taux d’IVG les plus élevés. Plus de 30 % des femmes qui ont eu une IVG en 2007 dans la région PACA ne savaient pas où aller au moment où elles ont décidé d’interrompre leur grossesse (11).
Ces dernières années, au niveau national, on a observé une concentration de l’activité d’IVG, avec une diminution du nombre des établissements qui la pratiquent : ceux-ci n’étaient plus que 639 en 2006 contre 729 en 2000 (12). De plus la faible attractivité de l’activité d’orthogénie pour les futurs médecins pose problème pour le remplacement des générations dites « militantes » qui assuraient l’activité et atteignent l’âge du départ à la retraite. Cette diminution du nombre d’établissements pratiquant les IVG et la diminution du nombre des praticiens réalisant les IVG ont un impact sur le choix de la méthode IVG et le choix de la méthode d’anesthésie, sur les délais d’attente peuvent être quelques fois importants, et sur les distances à parcourir pour pouvoir accéder à l’IVG. Il y a donc une réelle nécessité d’améliorer l’accès à l’IVG, la réalisation de l’IVG médicamenteuse par les sages-femmes pourrait pallier à ce manque de professionnels, ce qui a été mentionné par 10 sages-femmes dans l’étude.

Reconnaissance professionnelle et financière

Le manque de reconnaissance professionnelle et financière a été décrit par 4 sages-femmes en justification à la réponse « Non » à la question « Si cet ajout de compétences était effectif, réaliseriez vous des IVG médicamenteuses ? » et par 9 sages-femmes ayant répondu « Inadapté au rôle de la sage-femme» à la question « Cet ajout de compétence est pour vous : ».

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