SACHA GUITRY ET LES ACTEURS

SACHA GUITRY ET LES ACTEURS

Cette présence des actrices-épouses fut-elle totalement positive ? C’est une question à laquelle nous tenterons de répondre en tenant compte aussi de ce que Guitry apporta lui-même à ses compagnes : un nouveau début dans une carrière incertaine pour Yvonne Printemps, Jacqueline Delubac et Geneviève de Séréville, voire totalement inexistante pour Lana Marconi. Charlotte Lysès était certes l’amie de Monet et fréquentait Debussy et Ravel quand elle le rencontra mais il permit à 21 Ibid., p. 67. 24 ses quatre autres épouses une entrée dans un Tout Paris littéraire et mondain auquel elles n’auraient jamais eu accès autrement. Ne leur offrit-il pas à la fois un luxe inespéré, une carrière imprévisible, mais aussi mille tyrannies et contraintes ? Nous tenterons d’établir pour chacune de ces épouses ce que Guitry et elles s’apportèrent mutuellement.

Pourquoi y a-t-il tant d’actrices dans l’œuvre et la vie de Guitry ?

Notons que, comme ses contemporains Pirandello et Anouilh, Guitry s’intéressait beaucoup au fonctionnement du théâtre et, partant, des actrices qui en sont l’élément essentiel. C’est une passion qu’il partage avec Pauline Carton à laquelle il dit dans sa Préface à Les Théâtres de Carton : « Quant aux scènes où vous n’êtes pas, vous demandez la faveur de les souffler, à celles qui les jouent- pour en être ». Brigitte Brunet l’a bien compris qui dit, en parlant de lui, que « son écriture témoigne d’une réflexion sur le jeu des comédiens, sur le mensonge de la scène, sur les rapports complexes qui peuvent exister entre l’illusion et la réalité22 » L’importance qu’il attache aux actrices ne surprend donc pas chez cet auteur qui s’intéresse tellement au théâtre. L’œuvre de Guitry, sous des dehors frivoles, a souvent étudié la personnalité des femmes et donc des actrices. On retrouve dans on oeuvre toutes leurs obsessions (et les siennes) sur le côté éphémère des sentiments, les problèmes de la différence d’âge à l’intérieur d’un couple, leur vieillissement inéluctable, les rôles qu’elles interprètent, leur rapport aux beaux-arts et à la littérature. Il a surtout parlé, à propos d’elles, du glissement qu’elles effectuent sans cesse entre le réel et la fiction par leurs mensonges (selon lui) et par la mise en scène narcissique (selon lui toujours) de leurs corps magnifiques, ce qui fait d’elle des actrices dans la vie comme à la scène. On ne connaît pas toujours très bien ses essais concernant les femmes et donc les actrices : Elles et toi23 (1947) ou Les femmes et l’amour24 (1932-1959). Nous tenterons de combler ce vide. Nous pourrons également disposer des précieuses mémoires de trois d’entre elles, Jacqueline Delubac (1907-1997), Geneviève de Séréville (1914-1963) et Lana Marconi (1917-1990) et des pièces de Charlotte Lysés et d’interviews révélateurs d’Yvonne Printemps. Nous utiliserons également leur passionnante correspondance de la Bibliothèque Nationale. Toutes les actrices ont-elles été traumatisées par leurs rapports avec Guitry ? Sans doute pas, mais il faudra le vérifier. En effet, ses amies intimes, Jeanne Fusier-Gir ou Pauline Carton, dont la vie sentimentale se déroulait en d’autres lieux, éprouvèrent, semble-t-il un plaisir extrême à osciller sans cesse avec lui de la conversation du jour au texte de ses pièces, et du réel à la fiction. « Pendant les répétitions », dit Jeanne FusierGir, « on se serait cru dans un salon, dans une réunion mondaine. Il avait l’air d’un monsieur qui recevait chez lui ». Elle ne constate aucune différence entre le personnage qu’il joue et son auteur. Elle constate aussi que Guitry vit relativement seul et essentiellement pour son théâtre. « Quand il rentrait du théâtre, il soupait un peu puis toute la maison s’endormait et lui il commençait à écrire. Il travaillait la nuit ». Malgré sa profonde amitié pour lui elle dit quand même : « Est-ce qu’il s’attendrissait sur la nature humaine ? En avait-il le temps ? S’est-il vraiment penché sur le cœur humain25 ?» Nous nous demanderons aussi dans quelle mesure Guitry a parlé des actrices et donc du théâtre dans ses pièces et ses films. Les titres parlent d’eux-mêmes Le Comédien (1921), On passe dans huit jours (1922), On ne joue pas pour s’amuser(1924), Vive le théâtre (1930), Quand jouons nous la comédie? (1935), L’Ecole du mensonge (1940) et surtout dans Je sais que tu es dans la salle (1943), où Suzy Prim qui joue le rôle d’une actrice s’adresse directement à son amant qui est aussi son unique spectateur. Même si le titre ne l’indique pas, on trouve aussi des actrices dans Jean III (1912), dans Mariette (1928), Chagrin d’amour (1932), Geneviève (1936 mais surtout dans Toâ (1949) où l’osmose entre vie et théâtre est le plus visible puisque le film décrit les atermoiements d’une femme dont le mari veut faire une actrice et qui finit par accepter quand elle comprend qu’elle joue déjà dans la vie, sans le savoir. Rappelons que Guitry en fit trois versions différentes Florence en 1939, Toa en 1949 et Ecoutez bien, Messieurs! en 1953, ce qui prouve l’intérêt qu’il portait à ce sujet. Au cinéma, on trouve des rôles de comédiennes dans Ceux de chez nous (1915), Le blanc et le noir (1931), Désiré (1937), Quadrille (1938), La Malibran (1944), Deburau (1951), mais ces œuvres sont mieux connues. Nous utiliserons ces pièces et ces films pour nous faire une idée plus précise du rôle que Guitry accorde aux actrices dans son œuvre

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