SACHA GUITRY ET LES ACTEURS

SACHA GUITRY ET LES ACTEURS

Ce que les acteurs disent de Guitry 

Les témoignages concernant Guitry sont très nombreux car il est à la fois acteur, metteur en scène et scénariste de ses films. Il existe donc trois types de commentaires au moins le concernant. Cette triple identité est mise en scène par lui dans le générique de Je l’ai été trois fois où il sort par trois fois de la même voiture avec des vêtements différents qui symbolisent sa triple activité. Il nous a paru utile de présenter les précieux SACHA GUITRY ET LES ACTEURS 88 témoignages de ceux qui l’ont connu et qui ont travaillé avec lui. Ils sont extraits du livre de Lorcey souvent cité : Sacha Guitry et son monde235 

Témoignages

 Ces témoignages sont très variés et nous révèlent ses diverses préoccupations : son amour des comédiens (Pasquali, Simon), la discrétion de ses interventions (Teynac), le respect qu’il porte à ses acteurs (Marais, Teynac) et parfois l’amour véritable qu’il éprouve pour eux (M. Simon, R.Pellegrin), la spontanéité de ses répétitions (Noguero, Teynac, Morel), son sens pédagogique (Pascali, Simon), sa minutie (Favard), sa modestie( Marais) et surtout son amour immodéré du théâtre (Pascali) Ils constatent en général qu’il joue constamment la comédie (A Luguet) André Luguet (dans Quand jouons-nous la comédie ?) « Avec ses amis, il jouait tout le temps la comédie. Il n’était jamais complètement luimême236 ». Robert Favard (dans Désirée Clary : Lannes, La Malibran : le jeune ravisseur,Si Versailles : M. De Carlène, Napoléon : Comte Otto). « Dans Versailles, Napoléon, La Malibran, il s’occupait particulièrement de la présentation des femmes, de leur coiffure. Avec les hommes, c’était exactement le contraire. Il ne faisait aucun cas des figurants masculins qui auraient pu être fagotés n’importe comment237 ». Pasquali (1898-1991) (dans Donne-moi tes yeux : le peintre). « Il avait profondément l’amour du comédien, en dehors même de son amour presqu’immodéré du théâtre238 ». « Il y avait des comédiens difficiles à manier. Il avait un art extraordinaire de les mener et d’abord en s’amusant239»« Que ce soit le monsieur qui disait deux répliques ou celui qui en disait deux cents, c’était exactement pareil240 ». 

Maurice Teynac (1915-1992) (dans Désirée Clary :

Marmont, Donne-moi tes yeux : L’imitateur, Le Diable boiteux : Charles X, Si Versailles : Monsieur de Montespan.) « Quand un comédien jeune, qui aurait pu avoir l’âge de son fils se présentait à lui, on sentait dans le comportement de Sacha quelque chose de paternel241 ». « Il disait qu’il n’aurait pas pu assister aux messes car le prêtre n‘était pas bon acteur et devait tout le temps relire son rôle242 ».« Il donnait aux acteurs des conseils en aparté… Jamais, je ne l’ai vu faire une remontrance blessante devant les autres243 ».« Avec lui, les répétitions étaient un enchantement. Il commençait par raconter des anecdotes. Il parlait, il parlait et, insensiblement, il amorçait une des répliques de son rôle. Il y avait ainsi une sorte d’osmose continuelle qui, peu à peu, amenait les acteurs dans ce style très particulier de Sacha Guitry244 ». José Noguero (1905-1992) (dans, Le Comédien : le journaliste argentin, Le Diable boiteux : Le Duc de San Carlos.) « Il n’y avait pas de répétitions. C’était la conversation de son salon ou de sa loge qui continuait sur scène245». Michel Simon (1895-1975) (dans Faisons un rêve : lui-même, La Poison : Braconnier, La Vie d’un honnête Homme, Albert et Alain Ménard-Lacoste, Les Trois font la paire : Commissaire Bernard ) « C’est la seule fois que j’ai été traité comme quelqu’un qui mérite du cinéma246 » « J’ai été convoqué un après-midi aux studios. Il avait fait venir des acteurs qu’il aimait: André Lefaur et Victor Boucher247 ». « Je n’ai tourné mes scènes qu’une seule fois248 ». Il me disait: « Michel Simon, je vous situe parmi les plus grands: Frédéric Lemaitre, mon père, Zacconi, Chaliapine. Comme eux, vous êtes seul, isolé, volontaire. Vous n’êtes pas de ces acteurs qui donnent des leçons249 ». « Il savait tout. Il devinait les êtres, les analysait. Son regard était d’une lucidité atroce, parfois même gênante250 ». « Jamais je ne l’ai entendu dire du mal d’un acteur, même très mauvais251 ». Il m’écrivait « Entre le moment où vous cessez d’être vous-même et où vous jouez votre rôle, il est impossible de voir la soudure252 ».

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Des relations passionnées

Le respect des acteurs. Bien entendu, Guitry préfère les bons acteurs mais il est très poli, même avec les plus mauvais, ceux qu’il va peut-être congédier le lendemain. Il ne dit jamais de mal d’un acteur quelles que soient ses qualités. Il est très courtois, tous le disent, avec le plus petit acteur et traite de la même façon les grands ou les petits rôles. La personnalité profonde des acteurs est prise très au sérieux par lui. Les actrices, en revanche, sont plutôt vues par lui sous l’angle plus superficiel du costume et de l’apparence. Une comparaison nous semble intéressante, celle des titres. Elle n’est pas tout à fait valable car un titre comportant le nom d’un personnage n’est pas toujours le reflet exact de sa présence dans l’œuvre et, de plus, toute sélection est discutable. Mais, tout de même, au cinéma, les titres de douze de ses films sont des noms d’hommes ou de professions masculines : Pasteur, Le Tricheur, Mon père, L’accroche-cœur, Cambronne, Désiré, Le Comédien, Le Diable boiteux, Deburau, Adhémar, Un honnête homme et Napoléon et seulement quatre d’entre eux sont relatifs aux femmes (La Malibran, Désirée Clary, Aux Deux colombes, La Poison). Au théâtre, trente-trois titres concernent des hommes et quinze seulement des femmes. Ses préférences vont donc nettement aux rôles d’hommes acteurs. Autre élément intéressant, dans le livre de Lorcey consacré à ses interprètes, sur vingt-sept témoignages, sept seulement viennent d’actrices et il faut, bien entendu, ajouter ses épouses. Et ce sont surtout des comédiennes « non érotisées » qui témoignent : Jeanne Fusier-Gir, Pauline Carton qui le vénèrent, Marie Marquet qui en parle peu et Cécile Sorel qui est assez négative. Arletty, Géori Boué et Simone Paris qui jouent des personnages érotisés sont très admiratives aussi. Les actrices, en général, sont moins nombreuses que les acteurs à témoigner. 

Guitry est l’objet d’un véritable culte de la part de certains acteurs

 Denis Maurey, directeur du Théâtre des Variétés de Paris qui monta plusieurs pièces de Guitry de son vivant, déclare « qu’on éprouvait pour lui une espèce de passion comme on peut en éprouver pour une femme256 ». Michel Simon (La Poison) lui voue un véritable culte et il est « accablé » quand il doit le quitter pour un autre metteur en scène. « Mon bonheur est fini », dit-il car Sacha paraît «indifférent à l’amour et à l’amitié ». Michel François, le fils de Deburau est « profondément chagriné » parce que Sacha ne veut pas signer son livre d’or « J’étais vraiment très malheureux », dit-il. Robert Manuel est plus chanceux qui « tombe littéralement dans les bras de « Monsieur Guitry », lequel « l’embrasse affectueusement et remercie le comédien qui lui témoigne autant d’affection et de fidélité ». Pour Raymond Pellegrin, enfin, Sacha est « un des deux ou trois hommes qu’il a le plus aimés ». On ne sait pas si ces passions diverses furent payées de retour. Colette, citée par Michel Simon qui se plaint à elle, « donne un coup de poing sur la table » et s’écrie « Il se refuse à l’amitié! » et Simon commente « Les êtres humains l’amusaient, le divertissaient. C’était tout!257 ». Il l’excuse pourtant car il pense que Sacha « avait dû faire des expériences très graves dans sa vie ». Ces confessions révèlent sans aucun doute une grande sympathie pour ses acteurs mais c’est pourtant une actrice, Géori Boué, qui en parle le mieux. « Il savait très bien écouter ceux qu’il aimait », écrit-elle. « Quand il nous voyait dans l’ennui, il aurait pu nous écouter pendant des heures ».

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