Rome ou Moscou, une église entre deux réformes

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Les premiers désaccords

Aussitôt au pouvoir, le gouvernement révolutionnaire se met à la tâche de traduire en justice tous les coupables de crimes, dont celui de s’être enrichis de manière illégale pendant la dictature. Sur ce point, rien d’étonnant, car dans tout processus révolutionnaire, même humaniste, la chose est courante. Ce qui, cependant, surprend chez les révolutionnaires cubains, ce sont les moyens qu’ils emploient. Ils font un show médiatique des procédures judiciaires. Les audiences sont diffusées en direct à la télévision. De nombreux accusés sont condamnés à être fusillés; les exécutions peuvent être vues à la télé et suivies grâce à la couverture des médias270. La revue Bohemia, dont nous avons déjà parlé, consacre plusieurs numéros aux exécutions abondamment illustrées par des photos. Face à cette situation questionnable sur le plan moral et éthique, trois évêques : Alfredo Müller271, auxiliaire à La Havane, Enrique Pérez Serantes de Santiago de Cuba et Alberto Villaverde Martín, de Matanzas, décident d’intervenir. Selon leurs déclarations, tous les trois sont d’accord pour reconnaître comme légitime le droit à recourir à la peine de mort, mais Monseigneur Pérez Serantes, pour sa part, intercède pour qu’on fasse quand même preuve de miséricorde.
[…] animés de sentiments chrétiens, nous nous permettons de conseiller au leader suprême du mouvement révolutionnaire qui, en plus de mériter le titre de grand champion de la liberté, mérite de figurer sur la liste des révolutionnaires les plus fameux, les plus courageux et les plus humanistes de l’Amérique, qu’il veuille bien, du haut de son immense gloire très justement conquise, nimber son front de l’auréole lumineuse de la clémence; qu’à cette fin, et dans la mesure du possible, il daigne réduire les peines en créant un climat qui puisse favoriser une telle disposition. Les mères, les épouses et les filles des malheureux accusés n’oublieront jamais votre grandeur d’âme et elles vous en seront reconnaissantes; le peuple cubain, toujours prêt à pardonner, un admirateur fidèle du géant de la Sierra Maestra272, applaudira et bénira ce grand geste […].
Cette lettre ne semble pas avoir été bien accueillie par le gouvernement; en tout cas, elle ne produit rien de positif, tout au contraire. Au cours de ce même mois de janvier le gouvernement lance une première attaque contre l’Église. Le 13 janvier 1959, le ministère de l’éducation, alors dirigé par Armando Hart Dávalos, approuve la loi 11274 en vertu de laquelle sont annulés les diplômes décernés par les Universités catholiques durant la guerre civile275. La réaction de la hiérarchie catholique ne se fait pas attendre. Le 14 janvier le corpus universitaire rétorque dans une lettre en évoquant l’importance sociale de l’université et le cadre légal dans lequel l’institution a été fondée276.
Dans le même texte ils rappellent l’appui que les universités catholiques ont apporté au processus révolutionnaire autant pendant la guerre civile contre Batista qu’après277. Le 13 février Monseigneur Enrique Pérez Serantes publie l’article « La Enseñanza privada » (l’Enseignement privé) qui constitue une défense tant à la fois de l’université catholique et de l’enseignement religieux. Selon ses arguments, l’éducation offerte par le catholicisme bénéficie largement à la société étant donné qu’elle contribue à la formation des citoyens responsables sans que cela entraîne une charge financière au trésor de l’État.
Au cours du même mois, le 18, est diffusée une lettre circulaire portant la signature de l’archevêque Mgr Pérez Serantes et celle de tous les évêques cubains, dont le Cardinal Manuel Arteaga278. La lettre en question commence par réaffirmer la confiance de l’Église en la révolution, pour ensuite rappeler que ce sont les parents seulement qui ont le droit de choisir l’éducation de leurs enfants. La lettre, curieusement, s’adresse en premier lieu aux catholiques, qui, selon les auteurs, représentent 95% de la population du pays; mais elle s’adresse aussi, très respectueusement et fraternellement, aux protestants du pays. Ceci pourrait être interprété comme une tentative de la part des évêques catholiques de se rapprocher des Protestants cubains, non pas tellement en raison d’objectifs communs, mais par le fait de se retrouver tous dans le même camp, également victimes des mêmes politiques antireligieuses. Dans les mois suivants, les relations entre l’Église catholique et le gouvernement révolutionnaire vont se déteriorer, alors même que l’Église continuera d’appuyer les lois et décrets de profond contenu social, comme, par exemple, la fameuse loi de la Réforme agraire279.
Parallèlement à ces événements, qui mettent pour la première fois l’Église au défi, quelque chose d’étrange se produit sur le plan politique. Fidel Castro a commencé à se rapprocher des pays socialistes européens, notamment de l’Union soviétique. Il s’agit d’un phénomène étrange car, même si le discours de la révolut ion demeure nationaliste et démocratique et rejette toute forme de dictature280, les faits dénoncent une orientation en sens inverse281. Au mois de février 1959, Fidel rend public sa volonté de rétablir les liens commerciaux avec le géant communiste. En novembre, le chef du bureau du Ministère des affaires étrangère est envoyé au Mexique, porteur d’une lettre d’invitation de la part de Fidel Castro au premier ministre de l’URSS Anastas Mikoyan282. En février 1960, Anastas Mikoyan est reçu à La Havane. À ce sujet Leandro Estupiñán écrit ceci :
[…] le 4 février Anastas Mikoyán, Premier ministre de l’URSS, arrive à La Havane. Il inaugure une exposition de science, technologie et culture, auparavant accueillie au Mexique et aux États-Unis. L’Exposition se réalise à Cuba grâce aux négociations menées par le Ché283 dans le cadre de la première approche officielle entre la puissance de l’est et la plus grande île des Antilles. Le gouvernement révolutionnaire est alors sur le point de signer d’importants accords concernant la vente de sucre, accords commerciaux que les américains répudient […] si bien que, deux mois plus tard, les relations diplomatiques entre Cuba et l’URSS sont rétablies définitivement, relations qui avaient été rompues par le dictateur Batista284.
La visite du premier ministre soviétique provoque le premier affrontement ouvert entre les représentants du nouveau gouvernement et les fidèles catholiques de la capitale. Le 22 janvier, A. Mikoyan rend hommage à l’apôtre national cubain, José propriété sociale-socialiste, en vertu de laquelle tous les moyens de production passent entre les mains de l’État, qui en théorie représente le peuple, pour gérer et administrer la distribution équitable des biens. Cette deuxième réforme de la terre à Cuba ouvre donc les portes à la collectivisation de la terre et au contrôle de l’État sur la production agricole, qu’elle se réalise de façon privée ou à l’intérieur d’entreprises coopératives.
280 Le 15 janvier 1959 Fidel Castro prononce un discours en exprimant sa sympathie à l’endroit des peuples opprimés par des dictatures ou autres régimes non-démocratiques comme l’a été le peuple cubain durant les dernières six années. Le discours vise d’abord le peuple dominicain sous la dictature militaire de Rafael Leonidas Trujillo, mais de manière plus générale il s’adresse à tous les peuples qui souffrent du manque de démocratie et de liberté. Voir Fidel Castro Ruz, Discurso pronunciado por el comandante Fidel Castro Ruz, en el club rotario de la habana, el 15 de enero de 1959, [http://www.cuba.cu/gobierno/discursos/1959/esp/f150159e.html] (consulté le 27 décembre 2016).
Martí, à la « Plaza cívica »285. Ce fait fut interprété par les étudiants catholiques de l’Université de Villanueva comme un outrage. Les étudiants, en enlevant la couronne déposée quelques instants auparavant par le ministre russe, déclenchent une vive réaction de la police. Dix-sept étudiants sont emprisonnés et le recteur de l’Université catholique, le père Eduardo Boza Masvidal, doit intervenir286.

La convocation au concile

La convocation au 21e concile œcuménique ne trouve pas à Cuba la même résonance qu’ailleurs dans le monde. Bien que l’Église cubaine tente de s’insérer dans la dynamique du concile, son attention et ses forces sont happées par la tempête politique et idéologique dans laquelle elle se trouve coincée. Au cours du mois de janvier, la revue Bohemia287, l’une des plus lues au pays et le Diario de la Marina288, le journal le plus influent de la république, ne manquent pas de faire écho à la bonne nouvelle du Concile, mais ils se limitent à l’annonce de l’évènement et aux premiers travaux de la phase préliminaire. Il y a deux raisons à cela : (1) Les principaux espaces des publications d’alors sont occupés par les nouvelles concernant la révolution, et par les débats politico-sociaux de l’heure. (2) En vertu de la nouvelle politique éditoriale adoptée par la révolution, ces publications sont éliminées au cours des années 59 et 61289, juste au moment où la phase préconciliaire venait de commencer. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.
Pendant que se déroule le Concile, à Cuba, l’Église voit se dégrader sa relation avec le nouvel État qui adopte le marxisme, dans sa version soviétique, athée et matérialiste, comme base idéologique pour lancer la construction d’une nouvelle Cuba. Les premiers conflits, cependant, sont antérieurs. Avant que le marxisme ne devienne ouvertement l’idéologie officielle du gouvernement, la société cubaine était déjà travaillée par l’anticléricalisme et par les idées d’un marxisme empirique. Nonobstant, à mesure que la pénétration et l’influence d’éléments provenant du Parti socialiste populaire (PSP) augmentent dans le gouvernement, et que celui-ci se rapproche du camp socialiste, le conflit s’accentue. L’Église catholique, elle qui a connu de très près les souffrances des chrétiens en Chine et en Europe de l’Est, et qui, à travers le témoignage des chrétiens russes, est au courant de ce que ces derniers ont souffert sous les régimes communistes, craint le pire pour Cuba290. Dans une optique éminemment pastorale, elle fait face au risque de déchristianisation de la société en priorisant et renforçant l’éducation à l’intérieur d’un vaste projet de défense de la liberté religieuse. À remarquer que toutes les églises chrétiennes de Cuba faisaient face à la même situation; toutes étaient « assiégées » par le gouvernement. Ce qui ne signifie pas que le l’État menaçait la religion comme telle. En réalité, il s’en prenait uniquement aux religions institutionnalisées291 dont les structures, la dynamique de fonctionnement, la capacité intellectuelle et morale des leaders et des fidèles, le niveau d’organisation et d’influence sociale constituaient, entre autres caractéristiques, une menace pour le projet marxiste-totalitaire, progressivement adopté de manière officielle par le gouvernement.
Pendant l’année 1959, l’épiscopat cubain produira environ dix documents, qui rendent compte de la complexité de ce moment historique. Une lettre porte un message de félicitation et un vote de confiance à la révolution ; une autre contient l’invitation à célébrer une messe pour les soldats rebelles tombés dans la lutte révolutionnaire; trois portent sur les opinions de l’Église, toujours positives, concernant l’action la plus radicale de la révolution durant l’année 1959, soit la Réforme agraire. Ces lettres ne remettent pas en question l’aspect politique et économique du projet révolutionnaire; elles se prononcent seulement sur sa dimension morale. Deux lettres abordent la question de l’enseignement privé et font valoir les avantages de l’éducation religieuse, notamment chrétienne, pour la société. Les trois autres lettres introduisent un tout nouveau sujet: la tenue du premier, et unique, Congrès national catholique cubain.
Depuis février 1959, le virage à gauche devient évident et suscite de profonds désaccords. En février, une première crise politique verra le jour entre le chef suprême de l’armée, Fidel Castro, et le Conseil de ministres. Pressé par les circonstances, le Premier ministre de la République, José Miró Cardona, est forcé de démissionner, et est remplacé par Fidel Castro lui-même. Déjà à la tête de l’armée et désormais chef du gouvernement, le leader de la révolution, Fidel Castro, a maintenant les mains libres pour procéder à une grande purge. Les communistes, eux qui, auparavant, avaient refusé de s’allier à Fidel et s’étaient contentés de critiquer les stratégies de l’armée rebelle, deviennent soudain les collaborateurs les plus fidèles du gouvernement. La situation est complètement inversée : ceux qui ont fait la guerre dans les montagnes de l’est et du centre du pays, et qui ont gagné le grade de commandant292, ou ceux-là qui, chez le peuple, ont travaillé au ravitaillement des troupes et n’ont cessé de dénoncer les abus de la dictature, sont mis de côté. De toutes les purges, la plus scandaleuse est celle dont a été victime Hubert Matos, un des quatre grands commandants de la révolution et chef du département de Camagüey293. Les attaques dont l’Église catholique et autres dénominations chrétiennes ont été l’objet, peuvent être interprétées comme faisant partie de ces purges.
Dans ce climat de tension, un conflit majeur peut éclater d’un moment à l’autre. Ce qui n’empêche pas les évêques cubains de convoquer le premier (et dernier) Congrès national catholique dans le but de se mettre d’accord sur des questions fondamentales concernant l’évolution de l’institution. Le sujet principal des trois derniers documents épiscopaux de l’année 1959 porte justement sur l’organisation et la célébration de ce congrès qui se tiendra du 27 au 29 novembre. Dans ces documents, le concile Vatican II n’est même pas mentionné.
Le Congrès a donc lieu tel que prévu. Pour l’Église il est, plus que tout, l’occasion de réitérer publiquement et solennellement son engagement envers le peuple et la foi chrétienne. Le discours d’ouverture, par la suite devenu document officiel du congrès, a pour titre « Congreso en defensa de la Caridad » (Congrès en défense de la Charité). Ce discours deviendra le credo social catholique de l’Église cubaine. Il s’agit d’une sorte de manifeste d’inspiration profondément prophétique dans lequel un fervent appel est lancé au peuple chrétien pour qu’il ne s’écarte pas de la foi chrétienne sous peine d’entraîner la nation dans une crise sociale et spirituelle sans précédent.
Ce Congrès nommé « Congrès catholique en défense de la Charité », répond à une nécessité, car aujourd’hui plus que jamais on prétend arracher l’idée de Dieu du cœur de l’homme; sans Dieu disparait la seule raison qu’ont les humains de s’aimer vraiment.
Si on enlève Dieu de notre cœur, si on nous dit que l’humanité n’a pas de père commun, si on nous dit que nous n’avons pas de Père, alors nous ne sommes pas frères, alors nous sommes des inconnus les uns pour les autres, alors l’homme est en lutte avec l’homme pour vivre, alors l’égoïsme s’érige en principe, l’ambition devient un but, les passions nous divisent à l’infini, l’injustice triomphe, et la loi du plus fort devient la loi de l’existence. […]
Or, au cours de ce siècle, là où on a voulu éduquer les peuples sans Dieu, le résultat a été désastreux. Je le dirai brièvement, dans ce siècle il n’y a, en somme, que deux philosophies : le matérialisme et le Royaume de Dieu. Là où le matérialisme est prêché, la haine est semée ; là où le Royaume de Dieu est prêché, l’amour est semé. Là où le matérialisme est prêché, l’injustice et les atrocités sont semées, là où est prêché le Royaume de Dieu, sont semées la justice et la charité294.
Ces trois paragraphes sont extraits de l’introduction du discours prononcé à l’ouverture du Congrès. Il a été rédigé par l’évêque de Matanzas, Alberto Martín Villaverde et doit être interprété dans son contexte. Il reflète la pensée d’une Église qui, à un tournant de son histoire, est soudainement confrontée à des problèmes internes qui la menacent dans sa structure et son fonctionnement, l’entravent dans sa mission de servir son peuple, et l’empêchent de jouer un rôle actif dans le grand mouvement de renouveau qui souffle, à ce moment-là, à travers le monde. À Rome, cependant, bien qu’on soit occupé à la préparation du concile, on ne se désintéresse pas de ce qui se passe à Cuba. Bien au contraire, on suit les évènements de très près. Le soir du 19 novembre 1959, un radio-message295 du pape Jean XXIII est transmis en direct aux fidèles et évêques cubains réunis en congrès. Il s’agit d’une exhortation pastorale imprégnée de foi. En reconnaissant la complexité de la situation à Cuba, le pape lance un appel à la réconciliation et à l’union entre tous les secteurs de la société pour reconstruire la nation ensemble sur la base du bien commun :
Le vivre-ensemble entre humains de même que l’ordre dans la société doivent recevoir leur plus grande impulsion d’une action aux formes multiples que les membres de la communauté orientent par conviction vers le bien commun. Quand l’angoisse et la souffrance gardent encore toutes fraîches les traces des blessures, la charité réclame un geste concret d’amitié, d’estime, de respect entre tous, une attitude intérieure, un dialogue continu, un pardon sans condition et une réconciliation qui, jour après jour et heure après heure, doit se reconstruire sur les ruines de l’égoïsme et de l’incompréhension.
Si la haine a produit les fruits amers de la mort, il faudra allumer de nouveau le feu de l’amour chrétien qui seul peut adoucir tant d’aspérités, surmonter d’aussi énormes périls et calmer tant de souffrances. Cet amour, dont le fruit est la concorde et l’harmonisation des points de vue, consolidera la paix sociale. Elles auront beau être bien conçues, toutes les institutions qui s’efforcent de promouvoir une telle collaboration entre tous, doivent le plus gros de leur force au lien spirituel par lequel les hommes se sentent mutuellement membres d’une grande famille en raison du fait qu’ils ont un même Père, qui est Dieu, et une même Mère, qui est Marie296.
Le message papal s’inscrit dans la même ligne que les documents de l’épiscopat cubain. Il se concentre sur la problématique fondamentale qui menace le présent et l’avenir de l’Église, dont il est le pasteur. L’allocution de Jean XXIII ne mentionne ni le concile à venir, ni la phase de préparation dans laquelle l’Église mondiale est déjà plongée ; pour lui l’urgence pastorale de guider, d’encourager et de protéger les catholiques cubains devient l’axe de son message.
L’année 1960 est appelée « l’année de la Réforme agraire ». Pendant cette année, le gouvernement s’engage dans un ambitieux processus de nationalisations qui fait monter les tensions en flèche.
En 1960 et 1961, les expropriations et les nationalisations se multiplient. Bientôt l’État s’empare des banques, des institutions éducatives, des entreprises industrielles et commerciales qui appartiennent à ceux qui sont considérés comme contre-révolutionnaires ou à ceux qui se sont exilés, et il promulgue ses grandes lois sur la sécurité sociale, l’éducation et le logement. Les thèses des radicaux progressent. Suite aux accords commerciaux entre Cuba et la Russie, la tension monte du côté des États-Unis. Voyant Washington dénoncer ses nouvelles conventions commerciales, Fidel Castro durcit sa position et nationalise les propriétés de grandes sociétés américaines comme ITT, General Electric Co., Texaco, Standard Oil Co., Coca Cola, ainsi que les raffineries sucrières …. Comme conséquence logique de cette escalade – qui s’avèrera une lourde erreur à terme — le gouvernement des États-Unis, le 19 octobre 1960, décrète l’embargo total sur le commerce avec Cuba. Suivront bientôt la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays, l’épisode de la Baie des Cochons puis la crise des missiles297.
Entre-temps, Fidel Castro met sur pied une série d’institutions et d’organisations ayant vraisemblablement pour but de rendre le peuple capable de faire face, selon le discours officiel, à une imminente intervention militaire des États-Unis298. (Plus loin nous démontrerons dans notre exposé que ces évènements peuvent être lus d’une autre façon).
Au mois de janvier sont créées l’Association des jeunes rebelles (AJR) ainsi que les Brigades juvéniles du travail révolutionnaire. Après deux années, la AJR cessera d’être une organisation militaire; elle s’ouvrira à l’ensemble des jeunes révolutionnaires et se fondra en une seule institution regroupant la jeunesse engagée en politique : l’Union des jeunes communistes (UJC). Au cours de la même année, les organisations féminines sont abrogées et font place à une organisation unique réunissant les femmes du pays : la Fédération des femmes cubaines (Federación de mujeres cubanas, FMC). Dans ses débuts, cette institution est dirigée par Vilma Espín Guillois, qui est, à cette époque, l’épouse de Raúl Castro Ruz.
En avril 1961, les adolescents de sept à quatorze ans sont embrigadés dans les Unions de pionniers rebelles. Même encore à l’âge scolaire les enfants n’échappent pas au contrôle politique qui s’exerce fermement sur toute la population. Au mois de mai de la même année, les associations de paysans sont dissoutes tandis que tous les agriculteurs et les fermiers sont intégrés à l’Association nationale des petits agriculteurs (ANAP). Parmi toutes les créations réalisées pendant cette époque, l’institution la plus importante est celle des Comités de défense de la révolution (CDR) fondée en septembre 1960. Ces CDR sont une idée de Fidel Castro qui, dans son discours du 28 septembre, devant une assemblée populaire déclare :
Nous allons établir un système de surveillance collective, un système de surveillance révolutionnaire collective ! Et voyons comment les serviteurs de l’impérialisme vont travailler ici, parce que, au bout du compte nous (les révolutionnaires) habitons dans chaque ville, il n’y a aucun édifice de la ville, ni rue, ni quartier, qui ne soit largement représenté ici. Nous allons, face aux agressions de l’impérialisme, mettre en place un système de surveillance collective révolutionnaire, pour que tout le monde sache qui sont les gens qui habitent dans leur quartier, ce qu’ils font dans la vie, quels rapports ils ont avec la tyrannie, avec qui ils se réunissent, à quelles activités ils se dédient […] Parce que nous allons créer un Comité de défense de la révolution dans toutes les rues, pour que le peuple surveille, pour que le peuple observe, […].
Les paroles du commandant en chef de la révolution cubaine n’ont pas besoin de grandes explications. Ils font la lumière sur les vrais buts des Comités de défense de la révolution : exercer le contrôle sur tous les citoyens et sur leurs activités, à tous les niveaux, même si cela touche la vie privée. De là est apparue chez certains une culture de la délation vite devenue pour eux un instrument d’ascension sociale et une façon de prouver leur fidélité au régime. Ainsi, le contrôle citoyen s’étend à tous les domaines de la vie sociale. Le propos de tout contrôler pourrait être effectif à partir de la création de plusieurs institutions réunissant tous les secteurs composant la société300, mais même dans ce cas, certains secteurs sociaux restent en dehors du contrôle de l’État; c’est le cas des églises. Pour contrôler l’activité des églises, (j’utilise le pluriel à dessein pour souligner que toutes les églises chrétiennes sont la cible du gouvernement), d’autres voies sont empruntées. Toute activité religieuse est interdite en dehors des temples. De grands moyens sont déployés dans le but de décourager les laïcs les plus engagés et de réduire au maximum les effectifs du clergé. Enfin, on infiltre les communautés d’éléments subversifs qui, sous l’apparence de fidèles chrétiens, se chargent de saper de l’intérieur la stabilité de l’Église.
Le gouvernement communiste a d’abord cherché à infiltrer la tête des églises afin de la rendre docile à ses politiques, mais ces tentatives n’ont pas eu grand succès. Il s’est alors tourné vers des méthodes plus barbares et inhumaines. Mais force est de constater que, dans des cas plutôt rares, la manipulation de la direction des églises a fonctionné. Dans d’autres cas, des églises ont subi une division interne, elles ont éclaté. C’est ce qui est arrivé à l’Église Baptiste dont certains pasteurs, de tendance marxiste, ont séparé leur église de leur centre administratif et créé de nouvelles dénominations chrétiennes qui assumaient largement le discours marxiste. Ces églises sont devenues très utiles pour le gouvernement; il s’en est servi pour exporter une image de bonne entente et de coopération avec les églises au moment où la tension montait avec d’autres confessions chrétiennes qui échappaient à son contrôle.

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