Rome et l’Italie centrale

Période 1 : de la fin du Ier s. ap. J.-C. au début du règne d’Antonin le Pieux

Rome

Les maisons de l’Urbs à la fin du Ier s. et au début du IIe s. n’offrent qu’une vision morcelée de leur organisation et de leur décor. Deux groupes distincts émergent toutefois : des compositions polychromes complexes à vocabulaire architecturale et des compositions plus simples, à fond blanc, qui mêle vocabulaire architectural et vocabulaire ornemental.

Compositions polychromes complexes à vocabulaire architectural : le cas de la domus sous la Villa Negroni

Le premier groupe est seulement documenté dans la domus sous la Villa Negroni dont les peintures ont aujourd’hui disparu. La maison a été retrouvée en 1777, lors de fouilles espagnoles, entre Santa Maria Maggiore et Santa Maria degli Angeli, sur le terrain de la Villa Negroni. Sa construction est datée de la fin du règne d’Hadrien grâce au TPQ de 134 fourni par les timbres de brique mentionnant le troisième consulat de Servianus122. Elle présentait au moins un étage, attesté par la présence d’un escalier dans la pièce H mais l’on a seulement conservé le rez-de-chaussée, organisé autour d’un péristyle. Toutes les pièces ou presque ont livré des peintures, que l’on connaît essentiellement grâce aux reproductions dues à l’architecte Camillo Buti123 ; il n’est cependant pas toujours évident d’associer une planche à une paroi précise. H. Joyce, qui a repris l’ensemble de la documentation, restitue le décor comme suit.
Dès le vestibule (A sur le plan125), le visiteur devait être frappé par la monumentalité du décor, puisque le mur situé en face de l’entrée était percé d’une niche centrale à section semi-circulaire, flanquée de niches quadrangulaires (ROM 17.01). Les descriptions sont peu précises sur le reste du décor : C. Buti évoque un « vestibule peint, dans lequel on ne trouve pas de représentations figurées » ; des notes relevées par H. Joyce sur un des plans mentionnent des « architectures peintes ». Du vestibule A, on accédait sur la gauche à la pièce H, d’où partaient les escaliers pour l’étage et où aucun décor n’est attesté ; sur la droite, se succédaient deux petites pièces (B et C) qui débouchaient sur le péristyle. Elles présentaient un riche décor associant peinture et sculpture. La pièce B était, selon les termes de C. Buti, consacrée à Adonis (ROM 17.02). Deux tableaux le mettent en scène (planches IV et II de C. Buti) : sur une paroi il est représenté tenant une lance à côté d’un jeune garçon tenant un bouclier ; un chien court à ses pieds ; sur l’autre paroi, il est assis, le buste affaissé, et s’appuie contre Vénus, le chien toujours à ses pieds. Comme le suggère C. Buti, suivi par H. Joyce, il s’agit vraisemblablement du départ à la chasse et du retour, après avoir été blessé. Ces tableaux s’insèrent entre deux pilastres qui supportent un arc formé de deux volutes affrontées et surmonté de sphinx en guise d’acrotères ; à l’arrière de l’édicule ainsi constitué, se déploie la perspective d’une tholos à dôme coffré. De chaque côté de cette structure centrale, s’étendent des panneaux plats de couleur foncée jouxtés en bas et sur les côtés extérieurs de compartiments rectangulaires debout et couchés ornés de motifs végétaux (branches fleuries) et figurés (animaux courant, têtes de chevaux). La paroi donnant sur la rue présentait, à quelques différences près, le même type de structure mais les tableaux figurés sont remplacés par une niche probablement occupée par une statue126. La planche XI de C. Buti restitue une statue d’Adonis mais il s’agit d’une pure hypothèse, aucune statue de ce type n’ayant été retrouvée. La pièce C, dédiée à Vénus, répète la même structure avec des variations (ROM 17.03). Au lieu de pilastres, l’édicule central est supporté par des candélabres qui reposent sur des piédestaux et soutiennent une voûte en berceau. En guise d’acrotères, les sphinx sont remplacés par des tritons. Les panneaux plats latéraux sont quant à eux surmontés d’une balustrade derrière laquelle on devine la perspective d’un portique et des tholoi sur le fond blanc de la lunette. L’ensemble du décor est encadré de pilastres de marbre qui supportent la voûte. Sur une paroi, le tableau central représente Vénus debout dans un paysage d’extérieur, au bord de l’eau, s’accrochant à un arbre d’une main et tenant son manteau de l’autre ; elle est encadrée d’amours debout sur des blocs de pierre ; l’un d’entre eux est en train de plonger (planche I de C. Buti). Sur l’autre paroi, Vénus est assise sur un rocher au-dessus de l’eau ; au-dessous d’elle, une nymphe est agenouillée au bord de l’eau et aide un amour à nager ; un autre amour, debout sur le rocher, se prépare à plonger (planche III).

Compositions à panneaux articulés par des éléments ornementaux ou de fins éléments architecturaux sur fond blanc

A ces ensembles riches et complexes peuvent être opposés des décors plus sobres issus de différents édifices.
Le premier groupe de pièces appartient à la Maison près du Sanctuaire de Jupiter Dolichè sur l’Aventin. Il s’agit de cinq salles hypogées qui devaient appartenir à une des nombreuses demeures patriciennes érigées sur cette colline entre la fin de la République et les premiers siècles de l’Empire. L’une de ces pièces (B) a livré des peintures, conservées sur toute la hauteur de la paroi et sur la voûte (ROM 01.01). L’ensemble est d’une grande sobriété : sur un fond blanc, les parois, divisées en trois parties, sont occupées en zone médiane par de grands panneaux délimités par des filets rouges et ornés de petits motifs décoratifs (fleurs, satyres accompagnés de chèvres, oiseaux et autres animaux fantastiques).
La zone supérieure, blanche, est séparée de la lunette par une corniche de stuc ornée d’un motif d’eau courante. La lunette présente en son centre une tête d’Océan qui supporte un fin candélabre ; la barbe du dieu est prolongée de chaque côté par des volutes végétales qui occupent presque tout l’espace de la lunette. P. Chini, qui a repris l’étude de ces peintures, les date à la fin du Ier ou au début du IIes.
138, datation qu’I. Baldassare propose de resserrer autour de l’époque de Trajan139. On manque malheureusement de critères de datation extérieurs, dans la mesure où il n’existe aucune documentation de fouilles pour ces structures, explorées seulement partiellement en 1935140. A. M. Colini, dans un compte-rendu préliminaire dédié surtout aux vestiges du Temple de Jupiter Dolichè, leur consacre quelques lignes et date l’édifice de l’époque augustéenne141. Un TAQ est toutefois donné par la construction du Temple de Jupiter Dolichè, qui, en s’installant au-dessus des ces pièces, a dû mettre un terme à l’occupation de la domus. La construction du temple est datée par A. M. Colini, d’après les timbres de briques, du début du règne d’Antonin le Pieux142.

Décors associés à ces compositions

Ces ensembles sont tous rehaussés d’éléments stuqués ou de plinthes de marbre. La pièce B de la maison située près du sanctuaire de Jupiter Dolichè est décorée d’une corniche de stuc ornée d’un motif d’eau courante qui délimite les contours des lunettes et marque, sur les parois latérales, le départ de la voûte (ROM 01.01). Quant à la pièce 1 de la maison sous la Piazza del tempio di Diana (ROM 02.01) et aux pièces D de la villa antérieure au palais de Maxence (ROM 20.02-04), le bas des parois était protégé par des plinthes de marbre, qui ont été spoliées mais dont la présence est attestée par les accroches en bronze restées dans les niveaux de préparation. Ces plinthes ne dépassent pas 50 cm et sont associées, dans la maison sous la Piazza di tempio di Diana, à un pavement de tesselles de marbre blanc et, dans la villa antérieure au palais de Maxence, à des pavements marmoréens. Le marbre des sols a également été spolié mais les quelques empreintes encore visibles permettent de supposer qu’il s’agissait de dallages simples, sans motif particulier (la pièce D3 montre des empreintes de dalles carrées et rectangulaires d’assez grandes dimensions, tandis que la pièce D1 a livré les négatifs de dalles rectangulaires moyennes). Ainsi, dans ces différents ensembles, la sobriété des parois répondait au raffinement de détail des motifs décoratifs – que ce soit les éléments de scansion des parois comme les candélabres ou les colonnettes, ou bien les tableaux et vignettes qui ornaient le centre des panneaux et des compartiments des plafonds – et au luxe discret de plinthes et pavements de marbre ou de corniches stuquées.
Un autre décor, provenant de la deuxième phase du grand portique de la domus sous S. Maria Maggiore (ROM 11.01 état 2), vient confirmer cette analyse152. Une plinthe de marbre, dont ne restent que les empreintes, était surmontée de panneaux blancs, probablement encadrés d’une bande bleue bordée de filets rouges. Malgré leur caractère lacunaire, ces données s’insèrent parfaitement dans le panorama que nous venons de dessiner.

Analyse spatiale

Nous ne possédons que des plans très partiels de ces demeures. Des domus de l’Aventin et de celle du Cælius nous ne conservons que des groupes de pièces isolés ; quant aux structures de la villa de la Via Appia, elles ont été partiellement oblitérées par la construction du palais de Maxence. En dépit de ces manques, une analyse des espaces permet de préciser les contextes d’utilisation de ce groupe de peintures.

Plafonds

Parmi les pièces envisagées au cours de l’analyse qui précède, deux ont également conservé le décor du plafond. Dans la domus sous le sanctuaire de Jupiter Dolichè tout d’abord, l’enduit est conservé sur une partie de la voûte en berceau (ROM 01.01) : on peut restituer une délicate composition centrée à emboîtement. Sur un fond blanc, des cadres délimités par de simples lignes rouges et bleues devaient se concentrer autour d’un élément central non conservé ; ces cadres sont ornés de fines tiges fleuries, parfois soutenues par des thyrses obliques, de fleurons, de frises de bucranes. Le tout, bien que d’une grande sobriété, se distingue par la finesse de la réalisation. L’attention a donc été concentrée sur les parties hautes du décor, lunettes et voûte, qui témoignent d’une plus grande richesse ornementale.
La pièce D2 de la Villa sur la Via Appia a également conservé le décor de sa voûte (ROM 20.03). La peinture est effacée mais un dessin de Piranèse154 permet d’en éclairer la lecture. Le fond blanc est délimité d’une large bande brune qui encadre également les parois, créant une continuité entre les deux décors. Il s’agit pour le reste d’une composition centrée à diagonales affirmées : au centre de la voûte se trouve un cercle inclus dans carré, lui-même inclus dans une forme quadrilobée ; les axes diagonaux sont marqués par des candélabres. Si cette structure d’ensemble peut encore se deviner sur les photographies publiées, on doit en revanche s’en remettre pour les motifs au dessin de Piranèse, qui restitue différents compartiments ornés de frises et volutes ainsi que des petites scènes figurées.
Il est possible d’ajouter à cette courte liste un plafond retrouvé en situation d’écroulement, pour lequel une datation vers la fin du règne d’Hadrien a été proposée. Il s’agit du plafond de la pièce H de la domus sous les Thermes de Caracalla, étudié et restitué par I. Iacopi155 (ROM 19.07). La composition, à fond polychrome où domine le rouge, s’avère particulièrement riche, tant du point de vue de la structure (schéma à emboîtement de formes
circulaires et quadrangulaires avec diagonales affirmées et insertion de compartiments de différentes formes), que de celui des motifs (les compartiments sont occupés par des scènes figurées et des masques posés sur des piédestaux tandis que dans tous les espaces laissés libres se déploient frises, guirlandes et petits motifs figurés comme des quadriges tirés par différents animaux, des oiseaux ou des personnages isolés). On dispose d’un bon encadrement chronologique pour les peintures de cette maison, construite selon toute vraisemblance à l’époque hadrianique et partiellement détruite au tout début du IIIe s. par la construction des thermes de Caracalla (voir catalogue : ROM 19). I. Iacopi propose, à partir d’une analyse stylistique approfondie, d’attribuer la peinture à la première phase de la maison, autour des années 130-140156. Une telle datation nous semble pouvoir être confirmée par la comparaison avec le plafond de la pièce 6 de l’Insula delle Ierodule à Ostie, qui est daté sur des bases solides de cette période (OST 09.05) et dont la composition, les motifs et les choix chromatiques présentent de nombreux points communs avec le présent décor. Bien que l’on observe parmi ces plafonds différents degrés de complexité, tous se distinguent par une indéniable richesse ornementale, qui contraste, dans le cas de la domus sous le sanctuaire de Jupiter Dolichè, avec la sobriété des parois.

Synthèse

Il faut d’abord souligner que la documentation présentée est exclusivement issue de riches demeures. Si l’identification de la domus sous la Piazza del tempio di Diana avec la maison privée de Trajan n’est pas assurée, il reste que la colline de l’Aventin était à cette époque un lieu de résidence privilégié, remarque qui vaut également pour la proche maison du sanctuaire de Jupiter Dolichè. La villa antérieure au palais de Maxence était pour sa part une grande villa extra-urbaine qui donnait sur la Via Appia et qui devait, avant même que Maxence ne l’utilise pour construire son palais, appartenir à des propriétaires de haut rang. Quant à la domus sous la Villa Negroni, son plan axial très travaillé la qualifie d’emblée comme un édifice d’importance. Ce sont donc les choix décoratifs des couches supérieures de la société qui sont documentés ici.

Ostie

Les peintures appartenant à la période située entre la fin du Ier s. et le début du règne d’Antonin le Pieux sont peu nombreuses à Ostie, proportionnellement aux phases postérieures, car les programmes décoratifs des maisons ont souvent été partiellement ou intégralement refaits dans la seconde moitié du siècle. Les documents bien conservés se limitant à quelques insulae, nous avons choisi ici, comme pour la domus sous la Villa Negroni, d’étudier d’emblée les décors dans leur contexte, sans séparer analyse stylistique et analyse spatiale.
Les ensembles les plus complets pour cette période se trouvent dans la région III, et plus particulièrement dans le fameux Complexe des Case a Giardino. Il s’agit d’un vaste ensemble qui revêtait, du moins à l’origine157, des fonctions essentiellement résidentielles. Il prend la forme d’un quadrilatère, organisé autour d’un grand jardin doté de plusieurs fontaines monumentales, comprenant en son centre deux blocs d’habitation rectangulaires plus ou moins symétriques. Le complexe, dans lequel on entre depuis la Via delle Volte Dipinte, est fermé sur lui-même, dans la mesure où toutes les maisons ont leur accès depuis le jardin intérieur – exceptées celles qui se trouvent sur la façade principale. Comme l’a montré en particulier J. DeLaine158, il s’agit d’un projet cohérent qui a vu le jour à l’époque d’Hadrien. L’étude des timbres de briques fournit un TPQ de 123-125 ap. J.-C. et l’auteur suppose que la construction a pu être menée à terme en seulement trois ans.
L’examen du plan du rez-de-chaussée159 révèle l’adoption de différentes solutions planimétriques : les appartements des blocs centraux présentent quatre pièces principales organisées autour d’un medianum donnant sur le jardin ; les deux appartements que l’on identifie dans le bras occidental du quadrilatère (dont l’Insula delle Ierodule) ainsi que les appartements 12 et 21 (Casa delle Pareti Gialle et Casa del Graffito) du bras oriental présentent également un plan à medianum mais plus vaste et plus aéré que celui des blocs centraux160 ; enfin, la Casa delle Muse, un vaste appartement dont le plan, organisé autour d’un grand péristyle, rappelle celui d’une domus, occupe l’angle nord-est. Le complexe se voit ainsi doté d’habitations de différents niveaux qualitatifs, auxquels répondent, comme l’a déjà bien montré S. Falzone161 pour la Casa delle Muse et l’Insula delle Ierodule, différentes solutions décoratives.

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