Romanzo Criminale n’est pas un récit transmédial

Romanzo Criminale n’est pas un récit transmédial

 Nous avons défini le phénomène transmédial comme un processus tout d’abord intertextuel, réalisé dans un contexte de convergence culturelle et technologique et à partir d’un monde fictionnel à considérer comme un écosystème narratif, capable de donner lieu à un univers cohérent. Dans ce que Jenkins définit comme un nouveau paradigme pour la narration, les consommateurs sont encouragés à chercher des informations en allant au-delà du parcours traditionnel du récit. Pour faire cela, ils sont amenés à s’orienter dans un territoire complexe, en se servant des intertextes comme point de départ pour des parcours originaux, qui ne seront pas toujours linéaires, mais qui, au lieu de suivre le modèle littéraire, s’inspirent souvent de la structure des jeux vidéo. The Matrix (1999), par exemple, est un monde à explorer via des supports différenciés, chacun proposant une dilatation indépendante du récit véhiculé par les autres médias. La bande dessinée, le film d’animation, le jeu vidéo – pour ne citer que les supports les plus célèbres composant le phénomène – constituent autant de points de vue différents, avec des personnages secondaires, des histoires parallèles qui dilatent l’espace du récit et qui offrent au spectateur la possibilité de devenir protagoniste d’une quête. Jenkins remarque que : signalons des expériences comme Manituana (Wu Ming, 2007), qui se constitue comme un monde en ligne que les lecteurs peuvent enrichir en inventant de nouvelles histoires. Ou, encore, le docu-fiction « cross-média» Giallo a Milano (2009) qui propose de visionner, sur le site du quotidien Il Corriere della Sera, des vidéos inédites qui offrent de nouvelles perspectives à l’histoire racontée par le film.

Les consommateurs sont de plus en plus impliqués dans un travail qui est surtout transmédiales, avec leur temporalité convergente, de plus en plus autonomes du support physique, sont le résultat d’une stratégie des producteurs et des agences publicitaires à la recherche de la fidélité, de la persévérance des publics dans le rapport aux contenus médiatiques (Jenkins, op.cit. : ibidem). Selon Jenkins, l’ensemble des médias constitue pour les spectateurs une expérience convergente en raison de mécanismes qui dépendent de son pouvoir de fonctionner en tant qu’univers. Quant à notre objet, Romanzo Criminale, bien qu’il propose des produits offrant aux consommateurs des expériences différentes qui, tout de même, convergent, il n’a pas été pensé dès son origine comme produit transmédial. Les supports « officiels » (le livre, le film, la série télévisée qui, nous le rappelons, ont rejoint le public respectivement en 2002, 2005 et 2008-2010, donc sur un temps stratifié et non simultané) proposent autant de perspectives sur le monde et les événements racontés, mais ils ne dépassent pas le stade de variantes. Elles se limitent à déplacer différemment le centre de gravité du récit, mais, en retour, produisent une circulation de contenus culturels que nous avons considéré d’un intérêt capital. Comment analyser ces briques narratives qui s’ajoutent à un récit matriciel (le livre) tout en réécrivant sous un angle fictionnel des événements du passé historique ? Le livre est une opération de dramatisation de l’Histoire : approfondissant dans les détails les renvois au monde politique de l’époque, la description des psychologies des personnages, il se constitue comme récit matriciel. Le film, qui s’en inspire directement, mais qui met en œuvre une opération de condensation, raconte l’histoire de trois criminels en les représentant comme des héros romantiques et maudits, laissant à l’histoire italienne une place réduite. La série, à son tour, cherche dans la boue du passé historique de Rome et arrive à sceller un portrait efficace de la petite criminalité des années 1970 et 1980, sans se référer directement aux événements historiques, mais développant des récits secondaires, introduisant des personnages inédits et proposant, dans la deuxième saison, des parcours narratifs qui divergent de la matrice littéraire. Ces produits officiels ne se présentent pas comme une orchestration voulue dès son origine, mais ils prennent forme les uns après les autres sur un arc temporel d’environ cinq ans, bien que pour la deuxième saison de la série, on assiste à des tentatives de plus en plus stratégiques de construction d’une image de marque (cf. D’Aloia in Grasso et Scaglioni, 2010 : 199-209). Les produits décrits comme des paratextes, suivant la définition de J. Gray (qui, à son tour, emploie la terminologie de Genette, mais soulignant un assouplissement des hiérarchies entre textes et paratextes), demandent au consommateur de s’engager de manières alternatives, de plus en plus interactives. Notamment, RC The Game permettait au joueur (pendant la courte période où le jeu était accessible en ligne) de faire l’expérience du commerce de produits illicites dans le cadre d’une interface ayant la même charte graphique que la série, pour prolonger le plaisir de l’identification à des modèles d’inconduite et éprouver sur sa propre peau le frisson de la transgression, à la manière des protagonistes. Raconter la même histoire via des médias différents doit correspondre, dans le cas du récit transmédial, à la recherche, de la part des producteurs, d’un public différent pour chaque support : un média est choisi parce que considéré le meilleur à disposition pour valoriser le point de vue que l’on a voulu mettre en avant. Le problème est celui de la différence entre transmédialité et adaptation : « Raconter à nouveau une histoire sous un média différent correspond à l’adaptation, alors qu’employer plusieurs médias pour réaliser une seule histoire correspond à la transmédiation »

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