Romanité en Afrique de la chute de Carthage au Bas-empire romain

Romanité en Afrique : de la chute de Carthage au Bas-empire romain

ORGANISATION SOCIALE ET CULTURE 

L’organisation sociale Les peuples qui se considèrent les mieux civilisés ont souvent nourri des préjugés très négatifs à l’égard des peuples étrangers. Ces préjugés vont jusqu’à voir en l’autre l’expression manifeste du non civilisé ; bref, de la sauvagerie. Or, en se référant à la définition donnée généralement à la civilisation, il apparaît clair qu’il n’est pas de peuple sans civilisation. Par ailleurs, l’étude des us et coutumes berbères apportent une preuve très convaincante de l’avancée de la civilisation nord africaine. Malgré leurs différents emplacements, les Berbères exerçaient une organisation sociale presque similaire d’une zone à une autre. La société berbère était faite de plusieurs couches bien hiérarchisées. La première unité, qui, d’ailleurs, était la plus réduite se nommait l’ikhs52 ; pour mieux la comprendre nous pouvons la rapprocher du « genos » grec ou de la « gens » romaine. Dans cette couche, il y a un regroupement de quelques familles ayant toutes le même ancêtre. A ces familles pouvaient se joindre des 52 – RACHET Marguerite. op.cit. p.64 33 cousins, des neveux ainsi que des esclaves. Mais ces familles, souvent polygames, vivaient chacune dans une tente séparée des autres. Le regroupement de deux ikhs formait la seconde couche qui est le tachdert. 53 Enfin une douzaine de tachdert formait le taqbilt ou khoms ou arch, équivalant de la tribu. 54 Cette unité était dirigée par un chef suprême ou bien par l’assemblée de tous les ikhs. Il y est bien avéré l’existence des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Grâce à la responsabilité accordée à chaque chef, le critère de respect des autres et de patriotisme était pour chacun un devoir sacré.

L’habitat

Au niveau de l’habitat, les Berbères rompaient de plus en plus avec les vieilles habitudes et tendaient vers la modernisation des maisons. Dans l’Antiquité, les nomades utilisaient certainement des huttes déplaçables. Ils pouvaient les confectionner au moyen de nattes de feuilles de palmiers ou de branchages. Leur origine remonte à la préhistoire. A côté des huttes existaient aussi des grottes. Les nomades y trouvaient la possibilité d’en faire des refuges contre les attaques, ou des magasins. La récurrence de cette forme d’habitat sur une large bande allant de la Tripolitaine aux îles Canaries fait penser qu’il ne s’agissait pas d’un habitat de circonstances mais plutôt d’un vrai choix identitaire ; les grottes étaient particulièrement résistantes et assuraient une parfaite isolation thermique. Avec la sédentarisation progressive, un nouveau modèle d’habitat s’imposait, plus particulièrement dans les villes.

Là, les maisons étaient en dur ; leurs formes et leurs tailles dépendaient du statut de leurs propriétaires. Les plus pauvres avaient un modèle identique : des maisons en terrasse bâties au moyen d’argile. Les plus riches, plus précisément les rois, se faisaient des maisons ou palais dont l’architecture était produite par des ingénieurs et des artisans locaux. Pour les constructions les plus 53 -Ibidem. 54 -Ibidem. 34 luxuriantes, de nouveaux matériaux étaient importés : marbres blancs, marbres colorés, granit égyptiens. Les sculpteurs locaux taillaient chapiteaux et colonnes dans le calcaire dur des carrières locales.55 La construction des maisons s’accompagnait de tout un rituel. Les maîtres maçons, qui étaient aussi mi-prêtres, sacrifiaient soit un chevreau noir soit un bélier, un mouton ou une chèvre à tête noire. Le sang de la bête répandu dans le fondement devait signifier le rappel du pacte passé entre un groupe, un clan, une famille avec les ancêtres, les génies gardiens. A l’endroit où se place le pilier central, une vieille femme plaçait aussi du sel. Ce rite attesté dans plusieurs régions orientales est une prière pour la fécondité du couple propriétaire de la maison ; symboliquement, le pilier représente l’époux et la poutre centrale qu’il soutient, l’épouse.

La religion

L’intégration des rites religieux dans chacun de leurs domaines traduit la forte religiosité des Berbères. Dans les campagnes, les populations vénéraient des animaux. Béliers, vaches, taureaux, veau, bœufs étaient les plus sacrés pour les tribus pastorales. Ils n’étaient sacrifiés que lors des grandes cérémonies religieuses et la consommation de leur viande était interdite. Le cheval, sacré pour les tribus équines, était sacrifié pour accompagner le deuil d’un roi ou d’un guerrier. La chèvre et le bélier étaient les animaux sacrés pour les tribus de la chèvre. Animaux de divination par excellence, ils étaient sacrifiés à la lune ou au soleil. A côté de ces animaux domestiques, les Berbères vouaient également des cultes aux animaux sauvages.57 Depuis la haute antiquité, il existait dans toutes les aires culturelles du nord le culte du serpent sacré. La mythologie remonte sa pratique à l’époque pré-pharaonique et fait de Cham le premier prêtre à exercer l’office. Le culte du serpent est toujours relié à un culte de déesse de la fécondité. Outre ce culte, celui du chacal semble aussi marquer  la religion berbère.

Le chacal gris-roux du désert libyen était très aimé et vénéré pour son intelligence, sa rapidité, sa finesse et sa fluidité.58 Ces animaux vénérés et associés à une divinité devenaient même les attributs de cette dernière. Ainsi le chacal était représenté avec la lune et le lion avec le soleil. D’abord seules, puis associées aux dieux, ces divinités animales finiront par être des totems. C’est ainsi qu’en Libye se trouvaient des clans ayant pour emblème un animal. Les Libou auxquels nous avons fait allusion plus haut avaient deux lions face à face. L’analyse des animaux vénérés peut même faire penser que l’Anubis égyptien tient du chacal des tribus du chacal et le phénix résulte en réalité du faucon des tribus faucon. La religion berbère était aussi orientée vers la vénération d’objets. Ici, il faut préciser qu’il ne s’agissait pas d’une religion désordonnée et où les hommes trouvaient que toute chose est une divinité. Les idoles berbères étaient des objets hautement symboliques. Le soleil et la lune, par exemple, étaient vus comme les manifestations concrètes des divinités protectrices. Evoquant les sacrifices en l’honneur de ces divinités, Hérodote écrit : « Les nomades n’immolent qu’au Soleil et à la Lune. Tous les Libyens font des sacrifices à ces deux divinités. »59 De plus, depuis longtemps, il est attesté dans les cultures nord-africaines la vénération du pilier, du pieu, du mât et du tronc. Ces éléments, auxquels se rajoutent les Menhirs dont l’origine reste jusque-là discutée, sont très fréquents dans les zones agricoles.60 Parti de leur forme et des analogies avec le pilier de Djed en Egypte, nous pouvons les rattacher aux différents symboles du phallus.

Par conséquent, nous pouvons supposer qu’il s’agissait d’autels pour des rites de fécondité. 58 – Ibidem. 59 – Hérodote. op.cit. IV, 188. 60 – CAMPS, G. « Animisme ». Encyclopédie berbère. Vol 5, Aix-en-Provence : Edisud, 1988. 36 Le pilier de Djed d’après https://mythologica.fr/egypte/djied.htm, consulté le 13/3/2017. Sur le rituel du sacrifice, Hérodote nous informe : « Chez les nomades de Libye, voici comment ils pratiquent un sacrifice : en prémices, ils tranchent l’oreille de la victime et la jettent par-dessus leur demeure ; après quoi, ils tordent le cou de l’animal.» 61 Il ajoute que les cérémonies religieuses étaient rythmées de hurlements et des pleurs en signe de supplication aux dieux. La religion avait donc une grande place chez les Berbères antiques et le sacré réglementait sans doute leur vie. Toute activité allant de la sécurité du peuple et de l’harmonie sociale était, comme en témoigne Hérodote, régie par les dieux. Cet auteur grec précise : « Pour consulter les dieux, ils se rendent à l’endroit où sont ensevelis leurs ancêtres, font une prière et dorment sur la tombe ; les songes qu’ils font leur dictent leur conduite» 62. Derrière cette note, il apparaît aussi un autre aspect de la religion berbère : le culte des morts. Comme dans beaucoup de religions traditionnelles, ici aussi les morts ont une grande place. Ils jouent le rôle d’intermédiaires entre les hommes et les dieux. Ils se manifestent en esprits protecteurs à l’image des anges protecteurs. 

Habillement et toilette

Au niveau vestimentaire, les Berbères semblent avoir connu d’importants progrès. Dès la fin du Néolithique, ils avaient confectionné un costume bien solide et beau. Les tuniques berbères étaient embellies de motifs qui évoquent, par ailleurs, leur maîtrise parfaite des couleurs et des plantes tinctoriales. La particularité de ce vêtement sera même attestée par les Grecs et les Romains qui s’en inspiraient pour leur mode. En effet, sur la renommée de l’habillement berbère, Hérodote rapporte que : Le costume de l’égide qu’on voit en Grèce aux statues d’Athéna est inspiré des vêtements des Libyennes, bien que le costume des Libyennes soit de peau, et la frange de leur égide faite de minces lanières de cuir au lieu de serpent ; le reste est pareil. D’ailleurs, le nom montre bien que le costume des statues de Pallas vient de Libye : les Libyennes portent sur leur robe une égée, peau de chèvre rasée, garnie de franges et teinte de rouge, dont les Grecs ont tiré le mot égide. 63 L’indigo, apparu aux alentours du IVe siècle av. J.-C., et fourni par les Perses, était certainement connu des Berbères. Les tissus les plus recherchés n’étaient certes pas produits en Afrique, mais les Berbères ne manquaient pas de bien se vêtir.

Malgré le ravitaillement de soie et de coton qui arrivait fréquemment en Libye, les populations avaient l’habitude d’utiliser la laine des moutons et la peau des chèvres. La laine était filée et tissée généralement par les femmes pour la confection des tuniques. La forme et la matière qui composent ces tuniques permettaient d’établir la distinction des classes sociales. Les populations agricoles et semi-nomades portaient d’amples tuniques de laine rayée grise et noire avec de fausses manches et des fentes à la hauteur des manches ; ce qui permet de dégager les mains rapidement. Le costume de l’homme était plus sobre. Sa tête était recouverte d’un turban dont le mode d’enroulement et le port variaient d’un groupe à un autre. Les paysans de l’Atlas marocain, quant à eux, portaient l’aknif, une cape de laine brune ornée au dos d’un grand motif ovale rouge-orangé. D’après Hérodote, l’homme libyen portait une sorte de pagne ou toge courte comme la plupart des Libyens. Une grosse ceinture de force en cuir nouait ce pagne autour des reins. Comme habit propre aux berbères, il y a aussi le burnous amazigh. Le burnous est une cape très ample descendant jusqu’aux pieds et munie d’un capuchon ; elle est fermée sur la poitrine par une couture longue d’environ une main. Des gravures 63 – Ibidem. 38 rupestres sur une stèle numide reproduisent des personnages portant une ample cape à capuchon dont les pans tombent jusqu’à mi-jambe. Cette cape s’ouvre sur le devant et dans un cas au moins recouvre une tunique plissée. Sur l’une des figures le bras droit semble relever un pan du manteau tandis que la main gauche retient l’étoffe suivant un geste encore familier aux porteurs de burnous.64 Ces desseins font croire que cette tunique existait depuis la très haute antiquité.

L’habillement est un domaine très prisé des femmes berbères. Dans l’exposition « femme berbère du Maroc, il est précisé que : Du Rif au Sahara, les groupes berbères, sédentaires ou nomades, manifestent un goût très affirmé pour l’apparat. Vêtements, parures et accessoires attestent de leur identité. Dans le cadre d’un système très codifié, tissages, couleurs, motifs propres à chaque groupe, les femmes berbères créent leur habit de fête. C’est ainsi que lors de grands rassemblements Ŕ mariages Ŕ ce n’est pas l’uniformité qui s’offre au regard, mais une chaleureuse et exubérante variété de silhouettes. 65 En général, le costume des femmes se composait d’une pièce de laine enroulée sous les bras et entourant le corps jusqu’à la mi-jambe, d’une courte cape de grosse laine fixée à cette robe par des attaches et d’un vêtement de reins allant de la ceinture aux chevilles. Cette courte cape de laine était autrefois une peau de chèvre noire. Poils tournés vers l’extérieur, elle protégeait la tête contre l’eau suintante des outres ramenées de la fontaine. Pour se farder, elles utilisaient la poudre de calcaire pilée et à laquelle étaient adjoints de l’huile de figuier, d’argan ou d’olive ; du charbon, du vermillon, de l’ocre rouge. Elles frottaient leurs joues et lèvres au vermillon et mettaient sur leurs paupières des couleurs très vives. Les cheveux longs, épais, lisses ou bouclés, souvent châtains, parfois bruns ou blonds étaient graissés d’huile d’olive, d’argan, de beurre fondu, d’urine de vache. Elles se parfumaient aux fleurs fraîches ou aux plantes aromatiques. Elles se tatouaient au henné depuis la fin du Néolithique. Sur le tatouage, notons qu’il pouvait  avoir une fonction esthétique mais aussi une fonction thérapeutique ; pour guérir certaines maladies les Berbères marquaient le malade au fer rouge. Concernant le goût des Berbères pour la toilette, Strabon fait remarquer que : Οὕηω δ´ εὐδαίκνλα ρώξαλ νἰθνῦληεο ηὴλ πι είζ ηελ νἱ Μαπξνύζ ηνη δηαηει νῦζ ηλ ὅκωο θαὶ κέρξη δεῦξν ηνῦ ρξόλνπ λνκαδηθῶο δῶληεο νἱ πνι ι νί. Και ι ωπίδνληαη δ´ ὅκωο θόκεο ἐκπι νθῇ θαὶ πώγωλη θαὶ ρξπζ νθνξ ίᾳ ζκ ήμεη ηε ὀδόληωλ θαὶ ὀλπρηζκῷ· ζπάληόλ ηε ἂλ ἴδνηο ἁπηνκέλνπο ἀιι ήι ωλ ἐλ ηνῖο πεξηπάηνηο ηνῦ παξακέλεηλ αὐηνῖο ἄζηθηνλ ηὸλ θόζ κνλ ηῶλ ηξηρῶλ. (Bien qu’habitant un pays généralement si fertile, les Libyens ont conservé jusqu’à présent les habitudes de la vie nomade.

Mais ces habitudes n’excluent pas chez eux un goût très vif pour la parure, comme l’attestent leurs longs cheveux tressés et leur barbe toujours bien frisée, et les bijoux d’or qu’ils portent et le soin qu’ils ont de leurs dents et de leurs ongles.) 66 Chez les nobles berbères, l’habillement était plus somptueux. Leurs robes étaient faites de laine fine immaculée associée au coton. Ils portaient des capes en peau de bête. La peau faisait de l’homme le chef. Dans leurs cheveux étaient fixées des plumes et des fleurs odorantes. Ils portaient des colliers tressés d’herbes aromatiques et de peaux d’origines diverses. Le roi portait en plus d’une cape de fourrure, une couronne faite d’un simple anneau d’argent ciselé, des bracelets, des bagues. Les capes étaient fermées par des fibules. Sous l’influence grecque, les cheveux des femmes pouvaient présenter des chignons compliqués et volumineux, des tresses savamment agencées et piquetées de broches et de pinces en argent. Leurs fronts étaient ceints de fines bandes de tissus ou de paille tressée à la mode des Athéniennes. Un voile léger, le plus transparent possible et de couleur vive recouvrait leur corps. Elles se maquillaient le visage : les sourcils recouverts d’un trait noir fait au charbon, les yeux ourlés de khôl ou de bleu, de vert, comme c’était la mode chez leurs richissimes voisines égyptiennes et dans bien des cours d’Orient et à Rome.