Rôles du contrôleur de gestion dans les multinationales
LA FONCTION CONTROLE DE GESTION DANS LE CONTEXTE DES PAYS DEVELOPPES
Pour mieux comprendre le rôle du contrôleur de gestion dans les filiales des groupes implantés dans un pays en développement, il nous est paru nécessaire de définir d‟abord le concept de rôle, voir ensuite les conditions de naissance de la fonction et les instruments de pilotage de la performance et enfin de relever les différentes activités des contrôleurs de gestion dans les entreprises avant de déterminer leurs rattachements hiérarchiques.
La notion de rôle
Le concept de rôle a fait l‟objet de nombreuses études dans les champs de la sociologie et de la psychologie. L‟approche socio-psychologique de Katz et Kahn (1966) place d‟ailleurs ce concept à la croisée de ces deux champs. Toutefois, il apparaît que les rôles ne sont pas observables directement (Lambert, 2005). Katz et Kahn (1966) définissent les rôles organisationnels comme « l‟ensemble des activités, des comportements et des attentes ou demandes communément associés à un poste de travail dans une organisation donnée ». A l‟instar de Rocheblave-Spenlé (1969), ils considèrent que le rôle ne s‟impose pas strictement à l‟individu, mais qu‟il se construit dans l‟interaction entre un ou plusieurs émetteurs de rôle et un récepteur de rôle. Rocheblave-Spenlé (1969) propose 17 une définition du rôle tenant compte de ces différentes approches, le considérant comme « un modèle organisé de conduites, relatif à une certaine position de l‟individu dans un ensemble interactionnel ». Reprenant le concept de rôle issu de la sociologie, les sciences de gestion l‟ont utilisé notamment pour étudier le contrôleur de gestion, en tant qu‟acteur, en premier lieu dans le secteur de l‟entreprise. Pour analyser le rôle du contrôleur de gestion, Lambert (2005, p.135) propose d‟appréhender son activité à travers ses tâches, ses relations et son image. Ces dimensions du rôle sont ainsi explorées dans le chapitre 4.
Les prémices de la fonction contrôle de gestion
Pour mieux appréhender le rôle du contrôleur de gestion dans les organisations, il nous semble important de faire un historique de la fonction. La littérature sur la fonction contrôle de gestion retrace son origine à partir de deux perspectives différentes : Une première sous l‟angle économique se référant largement à la théorie des coûts de transaction. La fonction contrôle de gestion serait apparu du besoin de manœuvrer efficacement des organisations devenant de plus en plus complexes dans un environnement qu‟il faut anticiper et sur lequel il faut influer pour la survie de l‟entreprise (Chandler (1977), Kaplan (1984) et Johnson et Kaplan (1987). La deuxième perspective est vue sous l‟angle sociologique. Abbott (1988), montre que la fonction contrôle de gestion ne peut être que la résultante de luttes entre les professions pour s‟arroger la compétence de la gestion des coûts. L‟émergence de la fonction contrôle de gestion serait due par un besoin pour les entreprises de la maitrise de leurs coûts de production. Pour ce faire, des entreprises ont mis sur place des politiques de réduction de coût, ce qui a nécessité une information mettant en évidence les gaspillages et leurs causes (Bollecker citant Launois, 1970). A l‟origine, la fonction de contrôleur de gestion est perçue comme une fonction de collecte, de traitement et de transmission de données de nature financière. 18 Les années 1920 semblent être la période d‟émergence de la nouvelle fonction (Bollecker, 2003). L‟un des premiers instruments à la disposition de la firme à cette époque fut la comptabilité analytique d‟exploitation utilisée par les comptables qui sont les spécialistes du chiffre, avec un bon niveau de connaissance des activités de l‟entreprise. Cependant la transmission de l‟information financière aux dirigeants de l‟entreprise pour des prises de décisions par les comptables est très lente. La comptabilité analytique est alors confiée à un nouveau personnage dans les entreprises : « le controller » (Bollecker, 2003). L‟organisation scientifique du travail de Taylor a joué un rôle important en faveur de l‟émergence de la fonction contrôle de gestion. L’Organisation Scientifique du Travail ou « taylorisme » telle que la conçoit Taylor repose sur la parcellisation des tâches, avec des travailleurs qui doivent se comporter en simples exécutants dans d’immenses usines mécanisées. Taylor a introduit dans le monde du travail une division des tâches et une séparation radicale entre ceux qui conçoivent et ceux qui produisent. Pour Taylor, l‟ouvrier n‟est pas là pour penser, mais pour exécuter des gestes savamment calculés pour lui (techniques de production, gestes, rythmes, cadences), il est stimulé par un système de primes au rendement. Tout travail intellectuel et de conception doit être enlevé de la production pour être concentré dans les bureaux de planification et d‟organisation de l‟entreprise. Quatre principes sont donc à la base de l‟organisation scientifique du travail de Taylor : – la division verticale du travail ; – la division horizontale des tâches ; – le salaire au rendement et le contrôle des temps ; – la coordination du travail au moyen de la hiérarchie fonctionnelle. 19 En ce qui concerne l‟organisation de l‟entreprise, Taylor marque une véritable rupture avec les pratiques antérieures. En effet, il préconise d‟abandonner l‟organisation hiérarchique traditionnelle et propose un management fonctionnel fondé sur deux principes : 1 – L‟éclatement des attributions du contremaître classique : Taylor suggère de créer 8 contremaîtres spécialisés : 4 se consacrant à l‟encadrement direct des ouvriers (executive basses) ; 4 assurant la liaison entre le département d‟organisation et les ouvriers (functional basses). 2 – La centralisation du travail de conception dans un département spécialisé : Le département d‟organisation regroupe l‟ensemble des fonctions administratives et gestionnaires de l‟entreprise, sauf la gestion financière et la fonction commerciale. Cette conception n‟a pas prévalu. En revanche, l‟apport de Taylor porte sur la séparation totale entre les fonctions de conception du travail, et celles relevant de la simple exécution. Toutefois, pour Taylor, l‟application de ces principes ne peut se faire sans deux préalables : – prendre le temps nécessaire à la mise en place du nouveau système (selon le cas, 3 à 5 ans sont nécessaires) ; – faire appel à un intervenant extérieur capable de concevoir le nouveau système et d‟en conduire la mise en place. Cet intervenant a besoin d‟autorité. Le contrôle de gestion est alors un modèle pour mesurer et contrôler la productivité industrielle et en particulier, la productivité du travail direct. Les perturbations extérieures et intérieures aux organisations obligent à une remise en cause assez profonde de ce modèle dans ses objectifs, ses outils, ses utilisations. Tout système d‟information d‟aide à la gestion d‟une performance doit tenir compte des contraintes et des opportunités de l‟environnement économique, des orientations stratégiques des entreprises, et des contraintes de structure des organisations. 20 Cependant, plusieurs auteurs (Bouquin 1994, Johnson et Kaplan 1987, Chandler 1977) attribuent l‟apparition du contrôle de gestion et la fonction contrôle de gestion avec le modèle Sloan-Brown. Ce modèle voit le jour au sein du groupe Dupont qui avait sous son contrôle la General Motors qui avait des difficultés de trésorerie. Le groupe va prendre un certain nombre de mesures pour généraliser une logique d‟encadrement des engagements des dirigeants des filiales parmi lesquelles : – Le consolidated cash control system, c‟est-à-dire la centralisation des trésoreries des divisions au travers d’un réseau de comptes bancaires gérés par la direction financière du siège ; – la politique drastique de réduction des stocks avec une meilleure politique de gestion des stocks ; – l’instauration d’un reporting prévisionnel concernant les approvisionnements, les stocks, la trésorerie, les investissements et le besoin en fonds de roulement, – le reporting historique mensuel qui est en vigueur dans tout le groupe, avec un standard accounting manual mis en place dès 1921 où tous les comptrollers des divisions devront impérativement s’y conformer. – un arbitrage entre les coûts complets et le direct costing : l’idée était de calculer des coûts complets intégrant les frais indirects (overheads), tout en demeurant insensibles à des variations de volume liées soit à la saisonnalité, soit à la conjoncture. Ces coûts standards étaient fixés à partir des frais directs de matières premières, de consommables et de main d’œuvre, ainsi que d’une quote-part de frais généraux imputée sur la base d’un standard volume correspondant à un niveau d’activité normal. Cette imputation rationnelle des charges fixes se double d’une systématisation (à partir 21 de 1925) du contrôle budgétaire, avec analyse régulière des écarts entre le standard et le réalisé (actual).
Les instruments de pilotage de la performance
Selon Bouquin (2012c), Sloan et Brown sont les créateurs de la fonction contrôle de gestion au sein de Général Motors (GM). Dans les années 1920, les deux auteurs développent des outils de gestion très novateurs à l‟époque, dont le but est de mesurer la performance individuelle des responsables de direction. Afin d‟établir des programmes de prix des mois suivants, ils ont mis en place un reporting prévisionnel d‟une vue d‟ensemble de gestion des approvisionnements, d‟un reporting de trésorerie, et d‟un reporting d‟investissement. Avec un reporting historique mensuel qui s’appuie sur les coûts et le prix des volumes, Sloan et Brown intègrent dans les coûts complets les charges indirectes, insensibles aux variations du volume lié à la saisonnalité ou à la conjoncture. De plus, Sloan et Brown cherchent à mettre en place une fonction financière puissante dans l’entreprise, coordonnant la structure (Lambert, 2005, p.37). Ainsi, selon Bouquin (2012c), Brown est l‟architecte des plans à long terme de GM, de son système budgétaire, de ses processus de vente et de statistiques, apparaissant ainsi comme le modèle du contrôleur de gestion moderne. Brown marque les outils et pratiques en contrôle de gestion dans leur histoire avec le « Return on Investment » : R.O.I. Zimnovitch (1999) met en exergue ce nouvel outil comme un indicateur phare, intégré : « Garant de la cohésion long terme/court terme. Elaboré dès 1912 […] pour évaluer les résultats d’une filiale de Dupont, il met en évidence la rentabilité des investissements en combinant rotation du capital et marge bénéficiaire. Jonction des concepts de performance dans la distribution et dans l’industrie. » (Lavigne, 2017, p 42). Le Return On Investment (ROI) est utilisé dans presque toutes les entreprises et devient un outil incontournable au contrôle de gestion. Le ROI, consistant à diviser le bénéfice par le 22 total des investissements.
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