Composition du microbiote intestinal humain
Depuis les premières estimations portant à 400 le nombre d’espèces bactériennes fécales humaines, un nombre compris entre 500 et 1000 espèces différentes composant le microbiote intestinal humain avait été proposé mais une étude publiée par Franck et al. (2007) sur une large cohorte a estimé que le microbiote intestinal humain comprendrait jusqu’à 35 000 espèces différentes [109, 123-125].
Plus récemment, et dans le but de comprendre la complexité du microbiote humain incluant celui de l’intestin, les projets MetaHIT et HMP ont collaboré, au moyen d’un séquençage à large échelle, pour tenter d’établir un niveau de base d’un microbiote chez un humain sain et comment celui-ci est altéré en situation pathologique [118, 126-128]. Le projet MetaHIT a notamment montré que 40 % des gènes étaient partagés par la majorité des individus, représentant de ce fait un noyau commun du métagénome bactérien, et que 99,1 % des gènes étaient d’origine bactérienne appartenant au règne des archées avec un nombre relativement faible de gènes eucaryotes ou viraux détectés [118]. De plus, ces projets ont permis d’avancer qu’il existerait plus de 10 millions de gènes non redondants dans le microbiome, correspondant à l’ensemble des gènes collectés d’un microbiote donné, démontrant ainsi la variabilité inter-individuelle très large des espèces bactériennes du microbiote humain [118, 126-128]. Les résultats des études destinées à décrire un microbiote intestinal humain sain et basées sur des méthodes de séquençage HTS ont également montré des résultats divergeant selon l’âge, le lieu d’habitation et le régime alimentaire. Ces résultats sont également sujets à discussion en raison de la variabilité des méthodes moléculaires et d’analyses employées [118, 129-134]. L’étude de Turnbaugh et al. (2010) soutient l’importance de la variation inter-individuelle en établissant que les microbiotes fécaux de jumeaux monozygotes partagent moins de 50 % d’espèces bactériennes et l’existence d’une importante stabilité temporelle générale du microbiote intestinale chez un individu donné, établi par plusieurs récents travaux, semble confirmer l’existence d’un noyau métagénomique individuel de la communauté bactérienne [135-138]. Néanmoins, un consensus actuel se basant sur les séquençages HTS de l’ARNr 16S semble se dégager sur le fait qu’un microbiote intestinal humain sain est constitué de façon dominante par deux phyla Bacteroidetes et Firmicutes et par d’autres phyla incluant Actinobacteria, Proteobacteria, Verrucomicrobia et Fusobacteria présents en proportions plus faibles [109, 139, 140]. Bien qu’il existe des variations plus importantes en dessous du niveau du phyla, l’étude de Qin et al. (2010) du projet MetaHIT a identifié certaines bactéries productrices de butyrate, incluant Faecalibacterium prausnitzii, Roseburia intestinalis et Bacteroides uniformis comme étant des espèces clés d’un microbiote intestinale adulte [118]. De l’œsophage au rectum, il existe une importante variation dans la diversité et le nombre des bactéries résidentes comprises entre 101 bactéries par gramme de contenu dans l’œsophage et l’estomac pour arriver à 1012 par gramme de contenu dans le côlon (Figure 2) [141]. Streptococcus, apparaît être le genre dominant dans l’œsophage distal, duodénum et jéjunum et Helicobacter pylori (H. pylori) le genre dominant dans l’estomac [142-145]. Il a en effet été montré que si H. pylori n’appartient pas au microbiote commensal de l’estomac en tant que genre dominant, il existe une diversité et un relais de dominance exercés par d’autres genres tels que Streptococcus, Prevotella, Veillonella et Rothia qui pourrait conférer à H. pylori son phénotype pathogénique [144, 145]. Enfin, le côlon, qui de loin est l’organe le plus colonisé du tractus gastro-intestinal contenant à lui seul 70 % de tous les microorganismes du corps humain, est principalement colonisé par deux phyla dominants Bacteroidetes et Firmicutes représentant au moins ¾ du microbiome humain [109, 146, 147]. Le ratio Firmicutes : Bacteroidetes et ses variations ont été impliqués dans l’obésité et de façon plus récente dans le SII
bien que ce marqueur fasse débat dans la mesure où une variabilité significative de ce ratio existe chez les sujets sains [113, 148-150]. Le côlon héberge des espèces bactériennes pathogènes avec une faible abondance, représentant moins de 0,1 % du microbiote intestinal, telles que Campylobacter jejuni, Salmonella enterica, Vibrio cholera, Escherichia coli (E. coli) et Bacteroides fragilis [127, 151]. Une faible abondance colique du phyla Proteobacteria associée à une abondance des genres Bacteroides, Prevotella et Ruminococcus pourrait caractériser un microbiote intestinal sain [152]. Le groupe de travail MetaHIT a par ailleurs proposé une autre méthode de classification du microbiote intestinal basée sur l’identification d’espèces bactériennes regroupées au sein de relations symbiotiques bactérie-hôte stables du point de vue fonctionnel indépendamment du genre et de la géographie, pouvant répondre différemment à l’alimentation et aux médicaments, et portant le nom d’entérotypes [126]. Ainsi, trois entérotypes ont pu être définis et dont les noms sont représentatifs du genre dominant qui sont Bacteroides (entérotype 1), Prevotella (entérotype 2) et Ruminococcus (entérotype 3) qui serait l’entérotype le plus fréquent comprenant également une cohabitation avec le genre Akkermansia [126]. L’entérotype 1 présente en particulier des propriétés saccharolytiques, par la mise en évidence de gènes codant pour des enzymes tels que des protéases, hexosaminidases et galactosidases. L’entérotype 2 se caractérise par des propriétés de dégradation des mucines (glycoprotéines) et l’entérotype 3 est associé également à la dégradation des mucines ainsi qu’au transport membranaire des glucides [127]. Cependant, cette classification serait remise en question dans la mesure où la distinction de l’entérotype 3 initialement émise reste discutable
Fonctions physiologiques du microbiote intestinal
Chez un sujet sain, le microbiote intestinal maintient une relation symbiotique avec la muqueuse intestinale afin d’assurer des fonctions essentielles du métabolisme nutritionnel et de détoxification, dans la protection de l’hôte face aux agents pathogènes et l’immunomodulation ainsi que dans le maintien de l’intégrité de la barrière intestinale [94, 113, 158]. De plus, de récents travaux ont mis en évidence un système de communication bidirectionnelle et neuro-hormonale entre le microbiote intestinale et le système nerveux central dénommé l’« axe cerveau-intestin » [159, 160].
Fonctions métaboliques
Métabolisme nutritionnel
Alors que le microbiote de l’intestin grêle, moins abondant et sujet à de plus grandes variations que le microbiote colique, est chargé de la fermentation des oses, celui du côlon, plus abondant, stable et diversifié assure la fermentation anaérobique des glucides complexes comprenant les polyosides (cellulose, hémicellulose, pectine), l’amidon résistant à l’α-amylase, des oligosides ou des sucresalcool non assimilés par l’intestin [161, 162]. Cette chaîne trophique de fermentation des glucides dans le côlon humain, considérée comme étant une activité clé du microbiote intestinal, est assurée par plusieurs groupes bactériens possédant des activités différentes et complémentaires (Figure 3) [161, 163]. Ainsi, les espèces dominantes du côlon, incluant les espèces productrices d’acides gras à courte chaîne (AGCC), jouent un rôle majeur dans l’initiation de la dégradation des polyosides et collaborent avec les espèces chargées de la fermentation des oligosides [164]. Les AGCC tels que l’acétate, le propionate et le butyrate, retrouvés dans des proportions molaires d’échantillons fécaux humains normaux d’environ 3 :1 :1, exercent différents effets chez l’hôte en tant que source majeure d’anions dans le côlon et d’énergie pour l’organisme hôte [158]. Le butyrate est principalement consommé par l’épithélium colique alors que propionate rejoint le foie et l’acétate la circulation systémique [158, 165]. Le butyrate et le propionate sont impliqués dans la régulation de l’immunité, le maintien de la barrière épithéliale ainsi que la motilité intestinale alors que l’acétate sert de substrat dans la lipogenèse et la néoglucogenèse [158, 165, 166]. Les gaz, et en particulier le H2, vont être utilisés par les espèces hydrogénotrophes méthanogènes, acétogènes ou sulfatoréductrices [109, 167]. Les principaux genres bactériens dominants du côlon qui produisent les AGCC à partir du pyruvate sont Bacteroides, Roseburia, Bifidobacterium, Faecalibacterium et Eubacterium [168, 169]. Mais le pyruvate peut également être le précurseur de métabolites intermédiaires dans la synthèse des AGCC comme le lactate produit par les bactéries lactiques (LAB) du côlon et destiné aux bactéries utilisatrices de lactate telles que les espèces dominantes du côlon Eubacterium hallii et Anaerostipes spp appartenant au phylum des Firmicutes [158, 170]. Cette voie permet en outre de prévenir une accumulation potentiellement toxique de D-lactate [158, 170]. Les métabolites issus de la fermentation des acides aminés (AA) alimentaires ou endogènes sont plus diversifiés que ceux issus de la fermentation des glucides et incluent des substances potentiellement toxiques ou carcinogènes telles que des nitrosamines, amines et crésol [158]. De plus, le microbiote intestinal exerce une influence positive sur le métabolisme lipidique, notamment en inhibant l’activité de la LPL dans le tissu adipeux ou en activant l’expression génique d’une colipase nécessaire au fonctionnement de la lipase pancréatique [171, 172].
Microbiote et homéostasie intestinale
Interactions du microbiote avec l’épithélium intestinal
L’épithélium intestinal est la plus large des surfaces mucosales de l’organisme couvrant une superficie d’environ 400 m2 avec une seule couche de cellules organisées en crypte et en villi (Figure 4) [189]. Les cellules épithéliales intestinales (IEC), qui appartiennent au système immunitaire entérique, jouent un rôle clé dans la coexistence des micro-organismes avec l’hôte en assurant une ségrégation physique et biochimique entre les communautés microbiennes luminales et les cellules immunitaires mucosales tout en étant capable de détecter et de répondre aux stimuli bactériens afin de participer d’une part à la coordination de réponses immunitaires appropriées et d’autre part de renforcer leur fonction barrière [189]. Les IEC sécrétrices incluant les cellules entéroendocrines, caliciformes et de Paneth sont spécialisées pour le maintien des fonctions digestives et de barrière de l’intestin [189]. Les cellules entéroendocrines assurent tout d’abord le lien entre les systèmes nerveux central (SNC) et entériques (SNE) par la sécrétion de diverses hormones régulatrices de la fonction digestive [189]. Les sécrétions luminales de mucines par les cellules caliciformes et de peptides anti-microbiens (AMP) par les cellules de Paneth principalement, constituent une barrière physique et biochimique au contact microbien avec la surface épithéliale et les cellules immunitaires sous-jacentes [190, 191]. La sécrétion luminale de mucines hautement glycosylées constitue la première ligne de défense contre l’invasion de microorganismes pathogènes et la plus abondante de ces mucines, MUC2, joue un rôle essentiel dans l’organisation des deux couches, interne et externe, de mucus de l’intestin à la surface épithéliale ducôlon [190, 192]. La couche interne, plus dense, ne contient aucun micro-organisme alors que la couche externe, dynamique, fournit les glycanes utilisés comme substrats énergétiques par le microbiote intestinal commensal en plus des glucides faiblement absorbés par l’intestin grêle [190, 192].
Microbiote et immunomodulation
La reconnaissance des MAMP par les PRR joue un rôle majeur dans les mécanismes de la réponse immunitaire innée et assure également l’initiation de la différenciation des lymphocytes T et B impliqués dans la réponse immunitaire adaptative à des antigènes spécifiques [203]. L’importance des facteurs immunologiques dans les pathologies GI est mise en évidence par le fait que la majorité des lymphocytes de l’organisme humain sont situés dans le tractus digestif où ils doivent faire face à une grande abondance de consortiums microbiens, atteignant 1014 micro-organismes et excédant nos propres cellules d’un facteur 10, de virus et de bactériophages [208-212].
Microbiote et système immunitaire inné
Les PRR partagent plusieurs voies de signalisation clés de l’immunité innée qui différencie lessignaux commensaux et pathogènes pour graduer une réponse inflammatoire appropriée (Figure 6) [203]. Le système immunitaire inné fournit tout d’abord une réponse primaire de l’hôte face à une invasion microbienne induisant un nid inflammatoire permettant la localisation de l’infection et la prévention de dissémination systémique des micro-organismes pathogènes [203]. En effet, la détection des PAMP par les PRR activent les voies de signalisation intracellulaires induisant la synthèse de diverses cytokines et chemokines qui orchestrent une résistance immédiate de l’hôte à l’infection [203]. Ainsi, après reconnaissance des PAMP, l’activation des TLR, principalement TLR4, induit la transcription de pro-IL-18 et pro-IL-1β et active les NLR aboutissant à la formation d’un complexe protéique oligomérique (inflammasome) induisant la libération d’IL-1β et d’IL-18 mature par activation de la caspase-1 (Figure 5) [189, 203]