Rôle des microtubules et de l’acto-myosine dans la
migration des interneurones corticaux
Historique de la migration tangentielle
D’après le concept de protomap, la migration radiale permettait d’établir une relation point-àpoint entre la zone ventriculaire et le cortex, entre l’endroit où un neurone post-mitotique sort du cycle de prolifération et l’endroit où il va se différencier. Mais en 1988, des études de lignage neuronal réalisées par Walsh et Cepko, chez la souris, démontrèrent que certains clones corticaux sont dispersés dans le cortex (Walsh et Cepko 1988). Ces résultats sont donc en contradiction avec l’idée que le cortex n’est formé que de colonnes corticales, de neurones qui migrent radialement à partir de leur zone de prolifération. Ces observations furent par la suite confirmées par des études avec des souris chimères et transgéniques (Tan et Breen 1993 ; Tan et al. 1995) qui permirent de montrer une large dispersion tangentielle de certains clones de cellules corticales identifiés ensuite comme des clones d’interneurones. Des études de datation au BrdU (qui s’incorpore à l’ADN et permet de suivre la progénie de cellules en division) ont aussi montré qu’il existe dans la zone intermédiaire une population distincte composée de neurones GABAergiques, et que ces neurones sont distribués tangentiellement (De Diego et al. 1994). De nombreux travaux furent nécessaires pour asseoir le concept de migration tangentielle et déterminer l’origine de ces neurones à migration tangentielle. En 1992, le groupe de McConnell étudia la migration neuronale dans des tranches de cortex embryonnaire de furet, injectées avec des cristaux de carbocyanine fluorescents (diI). Dans le cortex étaient présentes des cellules en migration orientées tangentiellement à la surface corticale (O’Rourke et al. 1992; Fig.15). Fig.15 Cellules TUJ1-positives dans la SVZ de furet (E29) avec une morphologie bipolaire de neurone en migration. Les cellules sont orientées parallèlement à la surface ventriculaire (bas de l’image) et sont localisées dans la ZV basale. Echelle : 10µm. (O’Rourke et al. 1995) 28 Des expériences de marquage in vitro avec des traceurs fluorescents montrèrent que la plupart des cellules en migration tangentielle de la zone intermédiaire ont pour origine le télencéphale basal (De Carlos et al. 1996 ; Tamamaki et al. 1997). Mais les travaux qui établirent l’origine extra-corticale des interneurones corticaux furent réalisés par une approche génétique avec des souris mutantes pour Dlx1 et Dlx2. La mutation de ces facteurs de transcription qui contrôlent le développement de l’EGM et de l’EGL, entraîne un déficit d’interneurones corticaux (Anderson et al. 1997). Chez l’embryon normal, les futurs interneurones Dlx1/2 (+) produits dans les éminences ganglionnaires migrent jusqu’au cortex. Dans les tranches de cerveau embryonnaire de souris invalidées pour Dlx1/2, l’injection de cristaux de diI dans l’EGL ne donne aucun marquage dans le cortex (Fig.16). Cette expérience montra aussi que des neurones Dlx1/2 (+) migrent vers le bulbe olfactif en raison de la perte des interneurones du bulbe olfactif chez le mutant Dlx1/2. Fig.16 Les interneurones manquent dans le néocortex des souris mutantes Dlx1/2(-/-). A-B) Coupes coronales de néocortex à E14,5 de souris de sauvage (A) et Dlx1/2(-/-) (B) marquées pour la calbindine. C-D) à PO, des neurones pyramidaux(orange) et des interneurones marqués à la calbindine (en noir) sont présents dans le néocortex sauvage (C). Les interneurones sont moins nombreux chez le mutant (D). (Anderson et al. 1997) En 1999, la zone précise d’origine des neurones à migration tangentielle a été précisée par les goupes de Parnavelas (Lavdas et al. 1999) et d’Alvarez-Buylla (Wichterle et al. 1999). Ces 2 groupes ont démontré, par des approches génétiques et in vitro, que les interneurones du cortex proviennent de l’EGM, et non de l’EGL. Les injections de traceurs fluorescents dans l’EGL marquent en réalité des neurones ‘en route’ vers le cortex. Le groupe de Parnavelas a montré que les interneurones corticaux en migration tangentielle expriment Lhx6 (Grigoriou et al. 1998 ; Kimura et al. 1999 ; Lavdas et al. 1999), facteur de transcription spécifique de l’EGM. Wichterle et col. ont réalisé une étude comparative des potentiels de migration des neurones dérivés de l’EGL et de l’EGM et ont observé que l’EGM produit beaucoup plus de neurones à potentiel migratoire (Fig.17). Ces neurones de l’EGM sont capables de migrer tangentiellement dans le cortex et de s’y disperser. En revanche, les neurones de l’EGL migrent préférentiellement vers le bulbe olfactif (Wichterle et al. 1999). 29 Fig.17 Cellules du cortex, de l’EGL et de l’EGM en migration dans du matrige.A la suite de ces travaux, l’origine sub-palliale des interneurones corticaux a été confirmée in vivo, en particulier grâce au mutant Nkx2.1, incapable de former l’EGM, chez qui il existe d’importants défauts dans la quantité d’interneurones corticaux (Nery et al. 2003). Ainsi, l’origine extra-corticale des interneurones corticaux dans l’EGM et la migration tangentielle de ces cellules sont des découvertes récentes. 3.3 Comportements migratoires des neurones dans le cortex en développement
Les différents modes de migration radiale
Les neurones qui migrent radialement peuvent présenter trois types de migration : la translocation somatique, la locomotion et la migration multipolaire.
La locomotion
Les neurones qui migrent dans le cortex par locomotion sont libres et migrent avec un processus avant relativement court (100 à 200µm) et peu branché (Rakic 1972 ; Nadarajah et al. 2001 ; Noctor et al. 2004) le long de la glie radiaire (Rakic 1978 ; Hatten 1979 ; Hatten et Mason 1990 ; voir Fig.18). Dans le cervelet, le processus avant des neurones en migration sur 30 la glie radiaire alterne des phases d’allongement et de rétraction, ces dernières étant moins fréquentes et donnant une avancée nette du processus avant (Edmonson et Hatten 1987). La nucléokinèse des neurones en locomotion est discontinue, et le noyau alterne des phases de mouvement rapide vers l’avant et des phases de mouvement plus discret (Nadarajah et al. 2001).
La translocation somatique
Les neurones corticaux qui migrent par translocation possèdent un long processus dirigé vers la surface piale, attaché à celle-ci ou dans la zone marginale (voir Fig.19 ; Morest et al. 1956 ; Schmechel et Rakic 1979 ; Voigt 1989 ; Nadarajah et al. 2001). Ces cellules, pour se positionner dans le cortex, transloquent leur noyau dans leur processus avant qui reste fixe. Fig.19 Migration par translocation somatique d’un neurone cortical. (Nadarajah et Parnavelas 2002) Nadarajah et al. ont disséqué ce comportement par vidéomicroscopie en temps réel sur des neurones en migration dans des tranches d’embryons aux stades E13 et E14. Les mouvements nucléaires sont relativement continus, sans temps de pause. Ces mouvements se déroulent au fur et à mesure que le processus avant, assez branché, se raccourcit (Nadarajah et al. 2001). Notons qu’une déformation du soma de ces cellules fut observée en fin de translocation. Nadarajah et coll. proposèrent que le processus avant pourrait tirer sur le corps cellulaire pour le faire avancer lors de la migration par translocation nucléaire. Cette étude a été la première à mettre en évidence un mode de migration neuronale dans le cortex différent de la migration par locomotion le long de la glie radiaire. La translocation pourrait représenter le mode principal de migration pendant les phases initiales du développement cortical (Nadarajah et Parnavelas 2002 ; Nadarajah et al. 2003). Aux stades précoces, les neurones de la préplaque ou des couches profondes pourraient débuter leur migration depuis la zone ventriculaire avec un processus attaché à la surface piale. Ce processus serait aussi long que l’épaisseur du manteau cortical. Ce mécanisme pourrait organiser la protomap corticale (Rakic 1978 ; 1988). La mutation de la protéine Reelin ou des protéines de sa voie de signalisation induisent des défauts de formation de la plaque corticale sans affecter la mise en place de la préplaque (Tissir et Goffinet 2003). L’existence d’une migration précoce par translocation suivie d’une migration plus tardive par locomotion pourrait alors expliquer pourquoi la préplaque se met en place normalement mais pas la plaque corticale, générée plus tard lorsque la locomotion des neurones intervient (Nadarajah 2003). Plus récemment, un troisième mode de migration neuronale a été identifié dans le cortex : la migration multipolaire. 31 c- La migration multipolaire Fig.20 Migration multipolaire d’un neurone crotical. (Tabata et Nakajima 2003) En 2003, l’équipe de Nakajima au Japon identifia un troisième mode de migration dans le cortex : la migration multipolaire. Les neurones en migration multipolaire inversent souvent leur polarité, et étendent et rétractent sans cesse de nombreux processus depuis leur corps cellulaire (Fig.20). Leur corps cellulaire migre lentement (2,2µm.h-1), contrairement au corps cellulaire des neurones en locomotion (9-12µm.h-1). La majorité des cellules en migration multipolaire sont observées dans la zone intermédiaire ou la zone sous-ventriculaire. A la différence des neurones en locomotion, elles ne sont pas associées (ou très peu), à la glie radiaire. Ce sont probablement de futurs neurones pyramidaux, car ils n’expriment ni le GABA ni la calbindine, mais expriment en revanche Tbr1, marqueur de la sous-plaque et des neurones précoces du cortex dorsal (Tabata et Nakajima 2003).
Les différentes phases de la migration radiale aux stades tardifs du développement cortical
Des études récentes de vidéomicroscopie en temps réel sur tranches organotypiques ont démontré que les neurones générés dans la zone germinative corticale à des stades tardifs passent par des phases de migration successives, qui se caractérisent par des changements de morphologie, de direction et de vitesse des cellules en migration (Tabata et Nakajima 2003). Ces observations ont conduit à une vue schématique dans laquelle la migration radiale s’effectue en 4 phases (Fig. 21 ; Noctor et al. 2004) : Fig.21 Représentation schématique des 4 phases hypothétiques de la migration radiale. (Kriegstein et Noctor 2004) 32 1) les neurones générés dans la zone ventriculaire migrent radialement depuis la surface ventriculaire jusqu’à la zone sous-ventriculaire ; 2) Les neurones marquent un temps de pause dans leur migration (jusqu’à 24h), et deviennent multipolaires (Bayer et Altman 1991; Tabata et Nakajima 2003 ; Noctor et al. 2004) ; 3) Beaucoup de neurones migrent vers le ventricule, puis inversent leur polarité pour passer à la phase 4 ; 4) Les neurones étendent un processus vers la surface piale, récupèrent une morphologie bipolaire et migrent radialement vers la plaque corticale (cette étape peut se dérouler sans la phase 3). A ce moment-là, la migration serait plutôt de type gliophilique, et les neurones migreraient par locomotion.
Le mode de migration tangentiel
C’est le mode de migration des interneurones corticaux nés dans le sub-pallium. Il n’est pas restreint à cette population neuronale. Parmi les autres types de cellules qui migrent tangentiellement, on trouve les neurones qui migrent dans le flux de migration rostral (Rostral Migratory Stream RMS) chez l’embryon et chez l’adulte, les oligodendrocytes, les neurones striataux GABAergiques et cholinergiques, les neurones pré-cérébelleux et chez l’homme les interneurones du sub-pallium qui migrent vers le thalamus dorsal (Letinic et Rakic 2001). Les neurones qui migrent tangentiellement présentent une morphologie et une dynamique de migration très caractéristique.
Des neurones avec une morphologie bipolaire branchée
Les caractéristiques morphologiques des neurones en migration tangentielle furent établies pour la première fois par O’Rourke et McConnell (1992 ; Fig.22). Ils présentent une morphologie bipolaire de neurones en migration et sont préférentiellement orientés parallèlement à la surface corticale. Fig.22 Images de microscopie électronique de cellules en migration dans la zone intermédiaire de furet (P1). Deux cellules non-radiales migrent à travers des axones orientés tangentiellement. Le corps cellulaire et le processus avant contactent les axones. Echelle : 10µm. (O’Rourke et al. 1995) Les interneurones présentent en outre la particularité d’avoir une morphologie branchée (Edmunds et Parnavelas 1982 ; Derer et Derer 1990 ; Lavdas et Parnavelas 1999). Leur processus avant est long, assez fin, et bifurqué : l’arbre neuritique avant est très complexe. Ces cellules possèdent de gros cônes de croissance avec des filopodes et des lamellipodes, ainsi que parfois un fin processus de queue (trailing process) (Wichterle et al. 1999 ; Wichterle et al. 2001 ; Polleux et al. 2002 ; Bellion et al. 2005). Polleux fut le premier à étudier en temps réel le comportement migratoire de cellules de l’EGM. Pour cela il apposa des explants de cortex sauvage et des explants de telencéphale basal prélevés sur des embryons qui expriment la GFP (Green Fluorescent Protein) sous le contrôle d’un promoteur 33 ubiquitaire (Polleux et al. 2002). Il observa en temps réel les remaniements en temps réel de l’arbre neuritique avant (Fig.23). Ces remaniements morphologiques complexes ont été observés par la suite par de nombreuses équipes, dont l’équipe de C.Métin (Nadarajah et al. 2003 ; Bellion et al. 2005). Polleux suggéra en outre que les transformations de l’arbre neuritique corrèlent avec le comportement du corps cellulaire des interneurones en migration. Fig.23 Aspects morphologiques d’interneurones en migration (marquage GFP). Ces cellules possèdent un processus avant mesurant 10-15 fois la longueur du corps cellulaire. Ce processus se termine généralement par un cône de croissance large (têtes de flèches) et porte souvent de multiples filopodes (flèche fine). (Polleux 2002) b- Nucléokinèse saltatoire dans les interneurones corticaux en migration En dépit des transformations complexes de leur arbre neuritique à l’avant, les interneurones en migration présentent un cycle de migration à 2 phases, responsable de mouvements saltatoires du corps cellulaire (Polleux et al. 2002 ; Bellion et al. 2005). Le noyau alterne des phases de pause et des phases de translocation rapide vers l’avant, qui sont corrèlées avec l’élongation des neurites et éventuellement la division des cônes de croissance (Fig.24 ; Moya et Valdeolmillos 2004 ; Bellion et al. 2005). Ces deux phases sont clairement dissociées dans le temps et plus faciles à observer que dans les neurones en migration radiale (Edmonson et Hatten 1987 ; Rivas et Hatten 1995 ; Solecki et al. 2004). Une autre caractéristique des interneurones en migration est qu’ils migrent plus rapidement (50µm.h-1 en moyenne) que les neurones excitateurs (10µm.h-1 en moyenne) (O’Rourke 1992, 1997 ; Chenn et al. 1995 ; Takahashi 1996 ; Wichterle et al. 1999 ; Polleux at al. 2002 ; Ang et al. 2003 ; Tabata et al. 2003 ; Noctor et al. 2004 ; Bellion et al. 2005).
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