Rôle des macrophytes dans la restauration des milieux lagunaires : successions écologiques
Les lagunes côtières
Définition et fonctionnement
Les lagunes côtières sont définies comme des masses d’eau littorales, généralement peu profondes, séparées de la mer par un cordon littoral appelé « lido » (Figure 0-1). A l’échelle mondiale, les lagunes côtières occupent près de 13 % du linéaire côtiers et sont présentes sur tous les continents, excepté en Antarctique. En Europe, elles occupent environ 5 % des côtes et sont particulièrement importantes le long des côtes méditerranéennes (Cromwell, 1971; Barnes, 1980). Sur la façade méditerranéenne française on dénombre une trentaine de lagunes ; la superficie de ces complexes lagunaires (lagunes et zones humides périphériques inclues) a été estimée à environ 1300 km2 (1 ) (Barral et al., 2007). Figure 0-1 Représentation d’une lagune côtière. Les lagunes côtières constituent une interface privilégiée entre les bassins versants qui les alimentent en eau douce, les zones humides périphériques et le milieu marin avec lequel elles communiquent via une ou plusieurs ouvertures (Kjerfve, 1994) appelées communément « graus » ou « embouchures » en français. Les échanges entre la lagune et la mer peuvent être permanents ou temporaires selon les lagunes. Ainsi, l’efficacité des échanges avec la mer est variable et principalement liée aux marées, en 1 Lagunes et zones humides périphériques, superficie évaluée à partir de la classification Corine Land Cover. Introduction 4 particulier pour les zones soumises aux régimes microtidal (amplitude entre 0.5 m et 2 m), mésotidal (amplitude entre 2 et 4 m) et macrotidal (> 4 m). En Méditerranée, la dynamique des masses d’eau lagunaire est en revanche restreinte et principalement liée aux vents et aux pressions atmosphériques, particulièrement dans les lagunes nanotidales (amplitude des marées inférieure à 0.5 m) (Tagliapietra & Ghirardini, 2006). Dans ces conditions, l’efficacité des échanges entre la lagune et la mer est donc souvent limitée et fait de ces milieux des masses d’eau relativement confinées (Guelorget & Perthuisot, 1992). Les apports en eau douce provenant du bassin versant et le caractère temporaire ou permanent des échanges avec le milieu marin, confèrent aux eaux lagunaires une salinité variable allant des eaux oligohalines (salinité comprise entre 0.5 et 5) à des eaux hyperhalines (salinité > 40) (Venice System, 1958). Enfin, au sein de chaque lagune s’ajoute une hétérogénéité spatiale des conditions environnementales liées à l’efficacité du mélange avec la mer. Deux zones homogènes peuvent ainsi être définies dans de nombreux cas, une zone mélangée sous influence marine située près du grau et une zone confinée ; la surface de chacune de ces zones varie selon les processus physiques ou biologiques considérés (Fiandrino et al., 2017). A cette variabilité spatiale intra et inter-lagunes s’ajoute une variabilité temporelle intra et interannuelle (fluctuations de salinité, de température, de lumière, de nutriments disponibles, …) ayant des conséquences directes et indirectes sur la structure et le fonctionnement des communautés biologiques. Ces contraintes physiques et chimiques naturelles représentent une source potentielle de stress pour les communautés biologiques associées (Guelorget & Perthuisot, 1984) qui semble souvent difficile à différencier des perturbations anthropiques.
Valeurs écologiques et économiques des lagunes
Les lagunes remplissent de nombreuses fonctions et rendent des services qui contribuent directement ou indirectement au développement économique et social des populations. Réceptacle final des eaux douces du bassin versant, caractérisées par un faible renouvellement des eaux et une faible profondeur, les lagunes côtières sont des milieux naturellement riches en éléments nutritifs et sont classées parmi les écosystèmes les plus productifs dans le monde (Kjerfve, 1994; Cloern, 2001; Kennish & Paerl, 2010). Pour un grand nombre d’espèces migratrices d’oiseaux et de poissons, les lagunes sont des zones d’étapes à certains stades de leurs cycles de vie (ex : anguille, Introduction 5 daurade). Ainsi, ces milieux peuvent également jouer un rôle dans le maintien des stocks halieutiques marins en fournissant des zones de nurseries et de refuges essentielles pour de nombreuses espèces migratrices (Pihl et al., 2002; Franco et al., 2006; Tournois et al., 2013). Ces écosystèmes constituent donc des réservoirs de biodiversité et de productivité écologique (Boynton et al., 1996; Anthony et al., 2009). Grâce à ces caractéristiques, les lagunes fournissent aux populations de nombreux biens et services et sont donc au centre de nombreux intérêts socio-économiques. Elles constituent ainsi le support direct d’activités économiques locales importantes telles que la pêche artisanale et la conchyliculture (Pérez-Ruzafa et al., 2011; De Wit et al., 2017; Lagarde et al., 2017) et participent ainsi au bien-être des populations (Costanza et al., 1997; Barbier et al., 2011). De plus, les lagunes constituent des paysages remarquables sur le littoral et servent également de support à de nombreuses activités culturelles et récréatives (Barbier et al., 2011). Outres leurs rôles de réservoirs de biodiversité et de supports d’activités économiques, les lagunes jouent un rôle écologique d’épuration et de filtration des eaux douces en provenance des bassins versants, améliorant la qualité physico-chimique et bactériologique des eaux arrivant sur le littoral (Barral et al., 2007). Elles protègent également les villes littorales des inondations et contribuent à protéger les côtes de l’hydrodynamisme et de l’érosion sédimentaire.
Cycle des nutriments au sein des lagunes
Dans les milieux aquatiques, le comportement des éléments nutritifs est schématisé par leur cycle biogéochimique. Les échanges de ces éléments s’effectuent par deux voies principales : une voie hydrogéochimique caractérisée par des apports sous forme d’entrée d’eau douce ou marine et des exports caractérisés par des sorties d’eaux marines et des pertes sous formes gazeuses ; une voie biologique où les imports et exports des éléments se font via des processus d’assimilation, d’excrétion et de transfert vers des niveaux trophiques supérieurs. Enfin, une partie de ces éléments peut être exportée du système par l’intermédiaire des activités humaines telles que la pêche ou l’aquaculture.’identification des diverses sources en nutriment d’un écosystème est une étape indispensable dans la compréhension des déséquilibres et la dégradation des écosystèmes (cf. §4).
Poids des interfaces dans le cycle de l’azote et du phosphore
Les apports d’azote et de phosphore au sein des lagunes sont multiples (Figure 0- 2). Les différentes interfaces (bassin versant/lagune, atmosphère/lagune, mer/lagune, compartiment benthique/lagune) jouent un rôle essentiel dans le cycle des nutriments. Figure 0-2 Schéma d’une lagune et des différentes interfaces jouant un rôle dans les apports et échanges de nutriments. (1) Bassin versant, (2) atmosphère, (3) mer, (4) compartiment benthique. Crédit images et symbols: the Integration and Application Network, University of Maryland Center for Environmental Science (ian.umces.edu/symbols/). Apports issus des bassins versants et échanges avec l’atmosphère Sur les bassins versants on distingue les apports diffus des apports ponctuels. Les apports diffus d’azote et de phosphore qui proviennent de l’ensemble du bassin versant sont principalement liés aux évènements pluvieux. Ces sources d’apports diffus sont d’origine naturelle (érosion des sols, apports directs par les pluies), agricoles (fertilisants, déjections animales) mais peuvent également provenir du ruissellement urbain et des apports atmosphériques. Les nutriments sont ensuite collectés et déversés dans les milieux lagunaires via les réseaux hydrographiques superficiels et les eaux souterraines (Lieutaud & Burtin, 1995). Les sources d’apports ponctuels, situées en un point précis du bassin versant (généralement un cours d’eau), sont principalement 1 2 3 4 Introduction 7 représentées par les rejets de stations d’épuration et les rejets industriels. Ces apports sont relativement constants dans le temps et dépendent peu des conditions climatiques (Cépralmar, 2006). Cependant, les quantités déversées dépendent du régime des rejets (ex : variations saisonnières liées au tourisme), de l’efficacité des stations d’épuration et du type de raccordement (réseau séparatif ou unitaire). Sous le climat méditerranéen, la quantité de nutriments apportés aux lagunes peut également fluctuer en fonction de conditions hydrologiques particulières (épisode de crues). 80 % des apports à l’environnement marin ont pour origine les activités humaines sur le continent (GómezGutiérrez et al., 2006) Les apports atmosphériques en azote sont reconnus comme d’importants contributeurs de nutriments en zones côtières (Spokes & Jickells, 2005; Jickells, 2006). Les apports atmosphériques directs à la surface des lagunes sont liés aux particules atmosphériques (dépôts secs et humides) pour l’azote et le phosphore et aux apports gazeux pour l’azote (Albigès et al., 1991; CELRL, 2000; Spokes & Jickells, 2005). Les apports atmosphériques en azote peuvent compter pour une grande part des contributions à l’apport total annuel (Burian et al., 2001; Tournoud et al., 2006). L’azote peut également être exporté par diffusion de la surface de la lagune vers l’atmosphère sous forme d’azote gazeux N2. En revanche, peu de données existent sur le poids de cette interface dans les bilans de matière (Voss et al., 2013; Eyre et al., 2016). Les échanges avec la mer L’eau de mer est généralement moins concentrée en nutriments que les lagunes. Dans de nombreux cas, les échanges d’eau entre la lagune et la mer sont bidirectionnels et se font directement par l’intermédiaire des graus. L’export d’azote et de phosphore de la lagune vers la mer est rarement quantifié. Cependant, les premières estimations au sein des lagunes méditerranéennes mettent en évidence un export variable selon les formes d’azote et de phosphore et les conditions hydro-climatiques. L’utilisation du taux de renouvellement comme taux d’exportation appliqué à toutes les formes de l’azote et du phosphore fournirait une approximation sous-estimée mais acceptable des bilans annuels d’exportation d’azote et de phosphore (Ouisse et al., 2014a). Les graus peuvent également être source d’azote et de phosphore lorsque ceux-ci sont anthropisés (Ouisse et al., 2014a). Dans le cas de connexions indirectes entre la lagune et la mer par Introduction 8 des systèmes plus complexe de canaux (ex : canal du Rhône à Sète), peu de données existent sur la quantité de nutriments apportés aux lagunes.
Devenir de l’azote et du phosphore au sein des lagunes
Dans les milieux aquatiques, le carbone, l’azote et le phosphore constituent des éléments de base indispensables à la croissance des producteurs primaires tels que le phytoplancton, les macrophytes et le microphytobenthos (microalgues benthiques). Le carbone sous forme inorganique dissous (CID : HCO3 – + CO3 2- + CO2) dans l’eau est assimilé par les organismes autotrophes pour être converti en matière organique grâce à l’énergie lumineuse via le processus de photosynthèse. Le ratio atomique moyen C:N:P du phytoplancton marin est estimé à 106:16:1 (Redfield et al., 1963). A partir de ce ratio, l’équation de la production primaire via la photosynthèse et de l’oxydation (dégradation) de la matière organique est représentée sous la forme suivante (Stumm & Morgan, 1996) : 106 CO2 + 16 HNO3 + H3PO4 + 122 H2O !(CH2O)106(NH3)16(H3PO4) + 138 O2 (1) Synthèse de matière organique via la photosynthèse (2) Reminéralisation aérobique de la matière organique La production primaire est limitée par la disponibilité en lumière et en nutriments. Parmi les formes minérales de l’azote (l’ammonium-NH4 + , le nitrite-NO2 – , le nitrateNO3 – ), l’ammonium est préférentiellement utilisé par les microalgues et les macrophytes (Hurd et al., 2014). Le nitrite et le nitrate (formes oxydées de l’azote) devant être réduits avant leur assimilation demandent une dépense énergétique plus importante aux cellules végétales. Les formes organiques dissoutes de l’azote (urée, acides aminés, par exemple) peuvent également être assimilées (Tyler et al., 2005; Linares, 2006; Bronk et al., 2007; Vonk et al., 2008) par de nombreux producteurs primaires. Des espèces de cyanobactéries diazotrophes, sont quant à elles, capables d’assimiler l’azote d’origine atmosphérique (N2). Dans certains cas, le N2 peut être assimilé par des bactéries sulfatoréductrices (diazotrophes hétérotrophes) présentes à la surface des racines et des rhizomes des zostères (Welsh, 2000). Entre 25 % et 95 % de la fixation d’azote dans les herbiers sont attribués à cette relation mutualiste ou ‡ photosynthèse (1) fl oxydation (respiration) (2) Energie lumineuse fl oxyd Energie Introduction 9 symbiotique entre ces bactéries et les herbiers de zostères (Welsh et al., 1996; McGlathery et al., 1998). L’azote fixé est ensuite rapidement utilisé par la plante pour sa croissance (Nielsen et al., 2001). Les producteurs primaires assimilent le phosphore sous forme d’ions phosphate PO4 3-. En cas de déficit en phosphate, les cellules sont aussi capables d’hydrolyser le phosphore organique dissous grâce à des enzymes (Aminot & Kérouel, 2004). La matière organique synthétisée est stockée plus ou moins durablement selon la durée de vie des producteurs primaires : sur une courte durée pour le phytoplancton, sur une durée moyenne pour les macroalgues et sur une plus longue durée pour les macroalgues pérennes et les plantes aquatiques. Qu’elle soit sous forme vivante ou détritique, cette matière organique issue des organismes autotrophes est à la base des réseaux trophiques et est transférée vers des niveaux trophiques supérieurs via le broutage ou la filtration (Vizzini & Mazzola, 2006; Carlier et al., 2008). Enfin, lors de la sénescence des organismes, la matière organique alimente le pool de matière détritique qui va ensuite être régénéré sous forme minérale par des bactéries. Ce processus long est appelé la minéralisation. Dans le cas des lagunes, où la profondeur est relativement faible, la matière organique sédimente rapidement sur le fond; la minéralisation se ferait donc essentiellement au niveau du compartiment benthique. La minéralisation de l’azote organique produit de l’ammonium (forme réduite de l’azote inorganique) via des processus d’ammonification (Figure 0-3). Dans des conditions oxiques, lors du processus de nitrification, l’ammonium est oxydé en nitrite (nitritation) puis en nitrate (nitratation) respectivement par des bactéries du genre Nitrosomonas et Nitrobacter. En conditions anoxiques, les bactéries se développent en utilisant d’autres sources d’oxygène comme le nitrate lorsqu’il est présent. Lors de la dénitrification, le nitrate est alors réduit en oxyde nitreux (N2O) et en diazote (N2) gazeux exporté vers l’atmosphère. La transformation des nitrates en ammonium peut également avoir lieu via la réduction dissimilatrice des nitrates en ammonium (RDNA) (également appelée ammonification des nitrates). Cette réaction résulte de la respiration anaérobie des bactéries hétérotrophes qui oxydent la matière organique et utilisent le nitrate (à la place de l’oxygène) comme accepteur d’électron pour le réduire en nitrite puis en ammonium. Des bactéries peuvent également oxyder l’ammonium en diazote en utilisant le nitrite comme accepteur d’électron, c’est la réaction d’oxydation anaérobie de l’ammonium connue sous le nom d’anammox. En absence de nitrite et de nitrate, l’ammonium s’accumule dans les sédiments. Ces différentes réactions du cycle Introduction 10 de l’azote peuvent se succéder ou se dérouler plus ou moins simultanément en fonction des conditions environnementales.
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