Rôle des enrochements côtiers artificiels dans la connectivité des populations

Aujourd’hui, 55% de la population humaine mondiale se répartit sur le bord des océans et des mers. Hormis quelques exceptions comme Paris, Mexico city ou Moscou, toutes les grandes métropoles sont situées sur le bord de mer. Cet accroissement incessant de la population entraîne inexorablement une augmentation des pressions exercées par l’Homme sur le milieu marin : pêche, pollution, destruction d’habitats (Watson et Pauly, 2001). Ces pressions perturbent considérablement les cycles de vie des poissons, pour arriver à terme à la disparition de populations, voire d’espèces. Afin d’éviter ce scénario catastrophe, il est indispensable de mettre en place des plans de gestions des espèces marines et de leur milieu en intégrant bien évidemment tous les stades de leur cycle de vie, chacun étant indispensable au déroulement des suivants.

Le cycle de vie des poissons côtiers et l’habitat essentiel

La majorité des poissons possède un cycle de vie complexe avec une phase larvaire pélagique, à l’issue de laquelle les larves retournent vers la côte pour y continuer leur développement en juvénile puis en adulte (Victor, 1991 ; Jones et al., 1999 ; Armsworth, 2002 ; Mora et Sale, 2002). Chez la plupart des espèces, les larves alors dites « compétentes » colonisent la zone côtière. Durant les heures ou les jours qui suivent cette colonisation, les larves ayant survécu se métamorphosent en juvéniles adaptés à ce nouveau milieu (Balon, 1999 ; Planes et Lecaillon, 2001). Ces derniers sont alors exposés à un environnement complexe où le choix d’un habitat s’impose parmi de nombreux substrats potentiels et malgré divers prédateurs et compétiteurs inter ou intra-spécifiques : c’est la phase d’installation (Carr et Hixon, 1995 ; Risk, 1998 ; Caselle, 1999 ; Adams et al,. 2004). L’installation est donc la transition immédiate entre le stade larvaire pélagique et le stade juvénile benthique (Andrews et Anderson, 2004). La phase de recrutement lui succède quelques mois après, dont une définition est l’intégration de nouveaux individus dans la population d’adultes (individus sexuellement matures) (Shapiro, 1987). Ces quatre étapes (dispersion, colonisation, installation et recrutement) plus la reproduction conditionnent le maintien et le renouvellement des populations (Doherty et Williams, 1988 ; Doherty, 1991). Au cours du cycle de vie des poissons (fig. I.1), les différents stades de développement présentent des différences en termes d’exigences écologiques, physiologiques et biologiques. Cela implique en général la nécessité de biotopes différents pour chaque stade de développement. L’individu devra trouver toutes les conditions nécessaires à son développement pour que le cycle biologique puisse s’accomplir.

L’habitat essentiel des poissons se définit comme étant « le milieu aquatique et le substrat qui leur est nécessaire pour se nourrir, croître jusqu’à maturité et se reproduire » (Benaka, 1999). En couplant les définitions de notion de nourricerie (boîte 1) et d’habitat essentiel, nous pouvons dire que la nourricerie est le premier habitat essentiel fréquenté par le poisson lors de sa vie benthique. La notion d’habitat essentiel à l’installation conditionne ainsi pour une grande part la réussite du recrutement et sa qualité est une condition nécessaire à la pérennité des ressources (Schmitten, 1999 ; Bellwood et Hughes, 2001). La prise en compte des habitats essentiels et des stratégies d’installation s’avère donc primordiale dans la définition des objectifs de gestion.

Le changement d’habitat essentiel est donc une phase importante, mais aussi critique pour toutes les espèces. En effet, lors de migrations entre habitats successifs, les individus vont devoir traverser des milieux potentiellement hostiles. La mortalité lors de ces phases critiques peut être due à des interactions biologiques (prédation, compétition inter- et intraspécifique), des interactions habitat (distribution des habitats essentiels, choix de l’habitat) et des interactions anthropiques (pêche artisanale et de plaisance, pollution). Les deux premières interactions (biologiques et habitats) concernent essentiellement les juvéniles, alors que la pêche est la cause de la majorité de la mortalité en phase adulte, bien que quelques pêcheries ciblent principalement les stades juvéniles, l’exemple des civelles (Anguilla anguilla) étant le plus connu. Pour un poisson adulte, il existe trois types d’habitats : refuge, nutrition et reproduction (fig. I.2). C’est d’ailleurs lors de ces changements d’habitats que les poissons adultes sont en majorité capturés par la pêche.

Comprendre le fonctionnement des populations ichtyologiques et le déterminisme de leur structure s’avère donc nécessaire à l’élaboration d’outils d’aide à la gestion durable des ressources halieutiques, en particulier, au niveau des habitats essentiels à l’installation des jeunes poissons qui sont des zones à protéger prioritairement. En effet ils constituent le support d’une étape du cycle de vie décisive dans le maintien des populations d’adultes. Leur identification, la compréhension des mécanismes qui orientent leur sélection et le bénéfice qu’en retirent les communautés ichtyologiques sont évidemment un préalable incontournable à leur protection et à la mise en réserve de zones de nourricerie.

La connectivité en milieu marin

L’un des effets visibles de l’Homme sur les écosystèmes qui l’entourent est la destruction et la fragmentation d’une grande variété de ces derniers. Cette fragmentation des écosystèmes et donc des habitats est particulièrement visible en milieu terrestre. La construction d’une route ou d’une ligne ferroviaire au milieu d’une forêt ou d’un marais va entraîner une fragmentation de ces écosystèmes. Les échanges entre les deux parties ainsi créées vont être compliqués pour certaines espèces, rarissimes pour d’autres voire totalement absents. Ce morcellement se rencontre aussi lors de feux de forêt, de déforestations pour créer des zones exploitables pour l’agriculture, la construction de stations de sports d’hiver en milieu montagnard provoque aussi de la fragmentation d’habitats. Les constructions galopantes liées à une économie pour laquelle le développement d’axes de communications, de zones agricoles, industrielles, de lieux de loisirs est primordial ont bien entendu des effets sur l’environnement et l’intégrité des écosystèmes. D’ailleurs, Mader (1984) montrait déjà que les routes et les champs représentent des barrières réduisant les flux de gènes entres les habitats isolés ainsi créés pour une espèce de Coléoptères. Dans une revue bibliographique, Trombulak et Frissel (2000) relatent les effets écologiques que peuvent avoir les routes sur les communautés terrestres, sept effets majeurs en ressortent, tous négatifs. Ceux visibles aux premiers abords sont : la mortalité des animaux sessiles suite à la construction de la route, la mortalité suite à des collisions avec des véhicules ou la pollution induite. En revanche, ces routes et par conséquent le morcellement de l’habitat vont entraîner aussi des changements du comportement de l’animal, notamment dans ses déplacements, son succès reproductif, son état physiologique ou encore sa réponse de fuite. Bien entendu, selon les capacités de déplacement des espèces, les impacts seront différents, mais ils seront toujours négatifs. Sur des espèces très mobiles comme le grizzly (Ursus ferocus), ce ne sera pas la route en elle-même qui sera un obstacle pour l’animal mais le trafic sur cette dernière qui va affecter son comportement (Waller et Servheen, 2005). Pour des espèces moins mobiles du type Anoures ou salamandres, la route en elle même sera un obstacle quasiment infranchissable (Eigenbrod et al., 2008). Marsh et al. (2005) ont montré que la séparation en deux parties d’une forêt par la construction d’une route réduisait de moitié les échanges entre ces deux nouvelles zones. La fragmentation des écosystèmes par l’action de l’homme est un réel problème qui prend de plus en plus d’ampleur avec le développement économique et pourrait avoir des conséquences dramatiques sur le maintien de la biodiversité. Forman (2000) estime qu’un cinquième des Etats-Unis est directement affecté écologiquement par son réseau routier. Malheureusement le milieu marin n’est pas exempt de toutes ces altérations (Jones et al., 2007). La dégradation des herbiers de phanérogames, des mangroves et des récifs coralliens est bien réelle et a pour conséquence de fragmenter ces écosystèmes dans le meilleur des cas ou de les détruire dans les pires scenarii. Les causes en sont multiples mais toujours d’origine anthropique : les espèces invasives (Caulerpa taxifolia en mer Méditerranée), l’aquaculture (notamment de crevettes qui détruit les mangroves dans certains cas) et la construction d’ouvrages portuaires qui, en plus d’apporter des sources de pollution, vont modifier la courantologie locale et entraîner à certains endroits une sédimentation excessive dommageable aux organismes photosynthétiques. Cependant, même si nous ne pouvons pas nier la participation des ouvrages portuaires à la dégradation et à la fragmentation des écosystèmes tels que les herbiers ou les récifs coralliens, nous pouvons dire aussi que dans certains cas ces ouvrages vont créer de la fragmentation d’habitat, non pas en dégradant un habitat continu, mais plutôt en ajoutant des fragments d’habitats le long d’une côte. Ainsi contrairement au milieu terrestre où la fragmentation est créée majoritairement par la destruction d’habitat, en milieu marin cette fragmentation peut être créée par apport d’habitat. C’est ce que nous observons sur des côtes sableuses comme la côte adriatique italienne (Guidetti, 2004 ; Guidetti et al., 2005 ; Clynick, 2006) ou la côte languedocienne en France en ce qui concerne la mer Méditerranée, les mêmes systèmes sont aussi présent en Californie (Stephens et Pondella II, 2002). Ces côtes naturellement composées d’un long littoral sableux se sont vite avérées propices au développement des activités touristiques et par conséquent à la construction de stations balnéaires. Ces dernières ont engendré la construction de ports et de tous les enrochements artificiels qui vont avec. D’un littoral vierge de toute zone rocheuse, nous nous retrouvons avec un littoral sur lequel apparaît désormais une mosaïque de zones rocheuses côtières, bien plus productives en termes de biodiversité et de biomasse que des zones sableuses.

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Table des matières

Chapitre I : Introduction générale
I- Contexte scientifique
I-1 Le cycle de vie des poissons côtiers et l’habitat essentiel
I-2 La connectivité en milieu marin
I-3 Le contexte local
II- Objectifs généraux
III- La zone d’étude
III-1 Milieu lagunaire
III-2 Milieu côte sableuse
III-3 Milieu côte rocheuse
IV- Le modèle d’étude
Chapitre II : Le sar commun de la côte catalane, juvéniles et adultes des lagunes, côte rocheuse, côte sableuse et aménagements littoraux, de Leucate à Cerbère
I- Objectifs et hypothèses de travail
II- Matériel et méthodes
II-1 Les sars adultes dans les différents systèmes : côte rocheuse, aménagements littoraux/côte sableuse, lagune
II-1.1 Variabilité des densités
II-1.2 Variabilité des tailles moyennes
II-1.3 Analyses des données
II-2 Les sars juvéniles dans les différents systèmes : côte rocheuse, aménagements littoraux/côte sableuse, lagune
II-2.1 Acquisition des données
II-2.2 Analyses des données
III- Résultats
III-1 Les sars adultes de la côte catalane française
III-1.1 Densité de sars adultes
III-1.2 Taille des sars adultes
III-2 Les sars juvéniles de la côte catalane française
III-2.1 Abondances et densités
III-2.2 Le cas de la lagune de Salses-Leucate
III-2.3 Effet de la structure de l’habitat
IV- Discussion
IV-1 Les sars communs adultes de la côte catalane française
IV-2 Les juvéniles de sars communs de la côte catalane française
IV-2.1 La variabilité inter-annuelle des densités de juvéniles
IV-2.2 Comparaison côte sableuse aménagée / côte rocheuse
IV-2.3 La lagune de Salses-Leucate et la perte de sa fonction de nourricerie
Chapitre III : Conclusion générale

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