Rôle des cytokines dans la ciguatéra
Tableau clinique de la ciguatéra
Symptômes classiques
D’après une étude conséquente menée à la fin des « années 80 » sur les observations cliniques de 3009 personnes touchées par la ciguatéra dans le Pacifique Sud, la mortalité de la maladie ne dépasse pas les 0,1 % (Bagnis et al, 1979). Cependant, cette intoxication constitue un syndrome polymorphe complexe caractérisé par une cohorte d’environ 30 symptômes (Gillespie et al, 1986) – dont les plus communs sont répertoriés dans le tableau I.1.3.1.I – classiquement répartis en 4 groupes : gastro-intestinaux, neurosensoriels, cardio-vasculaires et d’ordre général (Bagnis, 1968 ; Glaziou et Legrand, 1994). Les premières manifestations surviennent dans les quelques heures qui suivent l’ingestion du repas contaminé, avec l’apparition de troubles digestifs notamment de crampes et de douleurs abdominales, de Partie I. Introduction 25 nausées, de vomissements et de diarrhées qui peuvent résulter en une déshydratation des personnes touchées et plus particulièrement des enfants (Gollop et Pon, 1992 ; Ruff et Lewis, 1994). Les manifestations neurosensorielles surviennent parallèlement avec des paresthésies et des dysesthésies superficielles telles que l’inversion de sensation du chaud et du froid, caractéristique de la maladie, du prurit, ainsi que de l’ataxie, des vertiges et des convulsions (Randall, 1958 ; Gollop et Pon, 1992). Les symptômes cardio-vasculaires et respiratoires apparaissent le plus souvent dans les formes d’intoxications graves avec une bradycardie, une hypotension artérielle, de la tachycardie et une arythmie visualisées par un électrocardiogramme perturbé (Bagnis, 1968 ; Glaziou et Legrand, 1994 ; Ruff et Lewis, 1994). La survenue de détresse respiratoire est une des principales causes des cas de décès nécessitant souvent une hospitalisation et une prise en charge des patients (Randall, 1958 ; Habermhel et al, 1994). Un état de fatigue généralisé est également observé, accompagné d’atteintes musculaires et articulaires ainsi qu’une asthénie importante et persistante (Miyahara et al, 1979 ; Laurent, 1993). Les diarrhées sévères, la salivation, la paralysie et la dyspnée sont parmi les signes également reportés lors des tests aigües in vivo sur souris injectées avec de la CTX en i.p. (Lehane et Lewis, 2000 ; Pottier et Vernoux 2003). La complexité de la ciguatéra réside également dans le fait qu’une variabilité du tableau clinique est observée selon la zone de pêche du poisson incriminé : par exemple, l’ingestion de poissons ciguatérigènes de l’Océan Pacifique et de l’Océan Indien tend à conduire à une pathologie présentant une plus grande fréquence de symptômes neurologiques que de troubles digestifs alors que l’inverse semble être plus souvent observé dans les Caraïbes (Bagnis e al, 1979 ; Narayan, 1980 ; Gillespie et al, 1986 ; Pottier et al, 2001). Un syndrome supplémentaire caractérisé par un état d’incoordination, de dépressions et d’hallucinations associé à des cauchemars, a également été décrit suite à la consommation de poissons de l’Océan Indien (Quod et Turquet, 1996). La distinction entre poissons herbivores et carnivores semble de même être importante, ces derniers étant le plus souvent incriminés dans des cas d’intoxications ciguatériques sévères (Glaziou et Martin, 1993). A l’inverse, une étude du sexe ratio réalisée en 1979 tendant à exposer une différence entre les signes cliniques observés (Bagnis et al, 1979) semblent être réfutée par d’autres observations épidémiologiques montrant qu’il n’y a pas de corrélation entre le sexe et la gravité de la maladie (Glaziou et Legrand, 1994 ; Château-Degat et al, 2007a).
Association de syndromes particuliers
Si l’évolution de la pathologie est en général rapidement favorable avec l’amendement des signes digestifs et cardio-vasculaires en quelques jours, il n’est pas rare cependant que les paresthésies et le prurit perdurent pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois (Randall, 1958 ; Gillespie et al, 1986 ; Chateau-Degat et al, 2007a). Deux études statistiques réalisées en 2004 par une équipe canadienne en Polynésie Française ont mis l’accent sur la persistance de la ciguatéra, montrant notamment que plus de 50 % des personnes atteintes par cette intoxication présentaient encore des troubles de la perception neurosensorielle 60 jours après déclaration de la maladie (Chateau-Degat et al, 2007a ; Chateau-Degat et al, 2007b). L’état de fatigue généralisée, l’arthralgie, la myasthénie et les maux de tête sont des symptômes tout aussi lents à disparaître (Gillespie et al, 1986) parallèlement à l’apparition possible de signes neuropsychologiques avec notamment une anxiété renforcée (Arena et al, 2004 ; Friedman et al, 2007), constituant alors une association de troubles généraux qui rappellent le Syndrome de Fatigue Chronique (SFC). Le SFC, dont l’étiologie est encore mal connue, est en effet caractérisé par une fatigue prolongée accentuée par l’exercice physique, et John Pearn (Australian Defense Force, Canberra, Australie) fut parmi les premiers à émettre l’hypothèse que cette forme de pathologie chronique puisse être associée à l’intoxication de type ciguatérique (Pearn, 1979 ; 2001). Il faut savoir par ailleurs qu’une première intoxication ciguatérique ne confère pas l’immunité mais au contraire, un phénomène de sensibilisation ou d’accroissement de la susceptibilité à développer des symptômes plus intenses a été décrit suite à une deuxième atteinte ciguatérique (Glaziou et Martin, 1993). Il a également été noté que les manifestations d’ordres neurologiques s’exprimaient majoritairement lors des récidives d’empoisonnements ayant lieu dans le Pacifique (Bagnis et al, 1979). Les individus ayant déjà été touchés par la ciguatéra présentent parfois une résurgence des signes cliniques consécutivement à la consommation de poissons considérés comme sains car n’entraînant pas d’intoxication chez d’autres personnes (Randall, 1958 ; Gillespie et al, 1986) ou par d’autres nourritures n’entrant pas dans les aliments déclenchant classiquement la ciguatéra. En effet, de petites quantités de fruits de mer peuvent suffire à causer des manifestations de type allergique chez des personnes sensibilisées (Bagnis, 1968). Il est également recommandé à ces patients de ne pas consommer de noix, d’huiles de noix ou d’alcool pouvant de même entrainer une réapparition du phénomène (Gollop et Pon, 1992). L’ingestion de poulet peut parfois être impliquée dans la résurgence des symptômes de la ciguatéra (Gillespie et al, 1986) et la consommation de substances nicotiniques semblent tout autant participer à la persistance de la maladie (Chateau-Degat et al, 2007a).Les fibres musculaires nécrosées présentent des infiltrations de cellules inflammatoires mononuclées dont des lymphocytes, retrouvés autour des fibres musculaires et dans les tissus péri-vasculaires des vaisseaux sanguins (coloration à l’hématoxyline et à l’éosine ; grossissement X 150). D’après Stommel et al, 1991. Certains symptômes atypiques ont aussi été répertoriés chez des personnes intoxiquées par la ciguatéra notamment des cas de myopathies et plus précisément des polymyosites (Stommel et al, 1991 ; 1993 ; Chan et Kwok, 2001). Il semblerait qu’il y ait alors un rapprochement entre cette forme d’empoisonnement et l’apparition de ces myopathies (Figure I.1.3.2.a). Deux cas de syndrome de Guillain-Barré (GBS) ont aussi été suspectés suite à une intoxication ciguatérique chez des personnes présentant des troubles d’alcoolisme sévère ou d’hypertension artérielle (Gatti et al, 2008). Cette forme d’atteinte neuropathique inflammatoire avait auparavant été associée à la ciguatéra lors d’une étude rétrospective de 56 cas d’empoisonnements ciguatériques (Angibaud et Rambaud, 1998).
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