Rôle de l’acide nitreux sur la dissolution des oxydes à base d’uranium (IV)
Méthodes de synthèse des oxydes mixtes à base d’actinides
La synthèse et le traitement thermique constituent deux étapes clés qu’il convient de maitriser lors de la fabrication de matériaux. Deux méthodes principales de synthèse sont disponibles pour préparer des matériaux céramiques de type oxyde. La première, dite « voie sèche » est basée sur la métallurgie des poudres. La seconde, qualifiée de « voie humide », repose sur la précipitation de précurseurs en solution. L’objectif est ici de mettre en place une méthode de préparation compatible aux trois matériaux de référence afin d’accéder in fine à des solides présentant des propriétés physico-chimiques similaires des différents matériaux préalablement à l’étude de leur durabilité chimique. II.1.1. Méthodes développées par réactions en phase solide (voie sèche) La synthèse d’oxydes mixtes par voie sèche consiste à mélanger des solides pulvérulents. Cette voie est actuellement celle retenue par la France pour la préparation du combustible nucléaire de type MOX à l’échelle industrielle. Le procédé industrialisé est le procédé MELOX, qui est basé sur le procédé MIMAS (MIcronization of a MASter blend) [3]. Dans le cas du combustible MOX, les solides mélangés sont des poudres d’oxydes d’uranium UO2 et de plutonium PuO2. Le plutonium provient des opérations de retraitement du combustible nucléaire usé réalisées à l’usine ORANO de la Hague. Ce procédé comporte deux étapes successives. La première consiste à préparer un mélange « mère » par cobroyage à sec, au sein d’un mélangeur à boulets, d’un mélange constitué d’oxydes UO2 et PuO2 à une teneur comprise entre 20 et 30% en masse de PuO2. Une fois ce mélange obtenu, la teneur en PuO2 est ajustée pour atteindre 8,65% en moyenne par ajout de UO2 puis un brassage est réalisé au sein d’un mélangeur à sec. En raison de l’étape ultime de brassage, la poudre finale présente toujours une hétérogénéité cationique, ce qui se traduit par l’existence de zones enrichies en plutonium au sein des pastilles de combustible MOX. Outre les contraintes pouvant survenir lors du passage en réacteur du fait de l’existence de ces points chauds, cette hétérogénéité cationique peut également engendrer des difficultés lors de l’étape de dissolution en vue du recyclage des actinides majeurs (U, Pu). En effet, en raison du caractère très réfractaire de PuO2, la dissolution dans l’acide nitrique de phases riches en plutonium peut s’avérer très délicate. Cette problématique peut devenir importante, notamment dans l’optique du développement de la génération IV de réacteurs, au sein desquels la teneur en plutonium pourrait atteindre 25 à 30 % au sein des combustibles. A l’échelle du laboratoire, d’autres méthodes de préparation d’oxydes mixtes par mélange de poudre ont été développées. Elles ont porté sur la préparation d’oxydes mixtes UxTh1-xO2,[4,5] ThxCe1-xO2 [6] ou CexNd1-xO2 par réaction en phase solide [7,8]. Ainsi Altas et. al ont également envisagé le mélange de poudres d’oxalates Th(C2O4)2, nH2O et U(C2O4)2, nH2O afin d’obtenir une solution solide UxTh1-xO2 [9,10]. Ces techniques, assez simples à développer à petite échelle, conduisent à l’obtention d’oxydes de micro structure différentes, particulièrement en termes de distributions cationiques mais aussi granulométriques. Toutefois, de telles méthodes de préparation n’ont pas encore été éprouvées à l’échelle industrielle.
Méthodes de préparation par voie humide
Plusieurs méthodes de préparation par voie humide ont été proposées. Elles sont le plus souvent basées sur une étape de précipitation ou de coprécipitation des actinides et/ou des lanthanides à partir d’ions en solution. Les solides sont alors préparés par ajout d’anions complexants tels les ions carbonates [11], hydroxydes [11–13] ou oxalates [11,14–18] à une solution contenant les cations métalliques à la composition voulue. Certaines conditions doivent être satisfaites pour obtenir la précipitation quantitative des cations [19]. Le produit de solubilité du sel selon le cation précipité doit être toujours comparable lors de l’ajout de l’anion complexant. Enfin les cinétiques de précipitation doivent être sensiblement identiques afin d’assurer une précipitation quantitative et homogène du précipité. Chapitre I. Synthèse et caractérisations des composés modèles 14 La précipitation oxalique présente un avantage certain en termes d’homogénéité cationique et de distribution granulométrique comme le montre l’étude de Hubert et. al [20]. Par ailleurs, les oxydes préparés à l’issue de la calcination d’oxalates conduisent à des poudres de morphologie et de granulométrie homogènes, conduisant à l’élaboration d’échantillons monolithiques denses, à l’issue de l’étape de frittage [11,17]. Par ailleurs, la morphologie du précipité oxalique peut être modifiée par la température, la méthode et la vitesse d’agitation, la durée de la synthèse ainsi que la vitesse de précipitation. A titre d’exemple, plusieurs auteurs ont observé qu’une augmentation de la température du milieu réactionnel avait pour conséquence l’augmentation de la taille moyenne des grains et l’amélioration de la distribution cationique [11,18,21]. Deux cas de figures peuvent se présenter lors de la coprécipitation d’éléments actinide et/ou lanthanide. Les éléments à précipiter peuvent être soit présents au même degré d’oxydation, soit à des degrés d’oxydations différents. Dans le premier cas, la méthode consiste à coprécipiter les éléments d’intérêt directement au degré d’oxydation souhaité afin de les incorporer simultanément au sein du même réseau cristallin. La difficulté de cette méthode réside essentiellement dans la stabilisation des éléments en solution au même degré d’oxydation. Dans le cas des systèmes uranium/thorium cette stabilisation est facilitée par l’absence de comportement redox du thorium, laquelle est bien plus simple que celle des autres éléments envisagés. Ainsi, la préparation des solutions solides à base d’uranium (IV) et de thorium (IV), de formulation Th1-xUxO2, a été largement reportée dans la littérature [17,22–25]. La complexité des propriétés rédox de certains éléments du bloc f ne permet pas toujours une transposition simple de cette approche. C’est notamment le cas pour les couples U/Ce, U/Pu et U/Np. Toutefois, il est également envisageable de précipiter des éléments présents à différents degrés d’oxydation. Cette technique peut paraître plus complexe puisqu’elle nécessite l’incorporation des actinides et/ou des lanthanides présents à différents degrés d’oxydation au sein d’une même structure cristalline. Ce point est crucial dans le cas du couple U(IV)/Pu(IV) dont la coexistence en solution est impossible en l’absence de ligands forts, ce qui contraint à considérer le couple U(IV)/Pu(III) en tant que système initial et donc de maintenir des conditions réductrices en solution [26]. A ce titre, plusieurs auteurs ont reporté la synthèse d’oxalates mixtes d’actinides IV-III où l’élément présent au degré d’oxydation III est le plutonium, l’américium ou le curium [26]. De la même façon, la voie oxalique permet la préparation de précurseurs pour obtenir des oxydes UxCe1-xO2 [27,28]. Néanmoins, la synthèse oxalique de ce précurseur aboutit à la formation d’un oxalate double IV/III avec l’uranium (IV) Chapitre I. Synthèse et caractérisations des composés modèles 15 et le cérium (III) qui précipite en deux structures différentes. Un proton est alors intégré à la structure afin de compenser la charge et lors de la conversion thermique, le cérium s’oxyde pour former un oxyde mixte UxCe1-xO2.
Précurseurs oxaliques : structure et caractéristiques
La précipitation oxalique a été régulièrement considérée pour préparer des oxydes d’actinides comme ThO2, UO2, Th1-xUxO2 ou UxPu1-xO2 [20], de lanthanides tels que CeO2, Nd2O3 ou CexNd1-xO2-x/2 [29–31] ou des oxydes mixtes actinides-lanthanides tels que UxNd1-xO2-x/2 [27]. La surface spécifique des poudres contenants majoritairement de l’uranium ou du thorium obtenues par la voie de synthèse oxalique est généralement élevée (de l’ordre de 10 m2 .g-1) après calcination (sous atmosphère réductrice pour les composés uranifères), permettant ainsi d’améliorer la réactivité de ces poudres au frittage. Les poudres d’oxydes de lanthanides préparées par la voie oxalique présentent des surfaces spécifiques bien supérieures, converties sous air, d’environ un ordre de grandeur [33]. Les études menées dans les années 60 ont établi le caractère isostructural des oxalates d’actinides tétravalents de formule AnIV(C2O4)2, 6H2O (avec AnIV = ThIV, UIV, NpIV et PuIV) [34,35]. Les oxalates d’actinides peuvent présenter deux taux d’hydratation différents selon les conditions opératoires retenues [36]. On peut ainsi noter l’existence de l’oxalate hexahydraté U(C2O4)2, 6H2O [37] de structure monoclinique (C2/m) et l’oxalate dihydraté U(C2O4)2, 2H2O [37] de même structure monoclinique C2/c (structures représentées sur la Figure 1). Pour les composés à base d’uranium et de thorium, Clavier et al. [14] ont démontré l’existence d’une transition structurale réversible aux alentours de 40°C pour la forme dihydratée de l’oxalate d’uranium et 120°C pour l’oxalate de thorium, les oxalates mixtes présentant une température de transition proportionnelle à leur composition chimique entre les températures des deux pôles purs. Cette transition aboutit à la formation d’une structure orthorhombique de groupe d’espace Ccca. Dans U(C2O4)2, 6H2O, la coordinence des atomes d’uranium est de huit. Les huit atomes d’oxygène proviennent de quatre ligands oxalates bis-bidentates reliant chaque atome d’uranium à quatre atomes d’uranium voisins, formant ainsi des cycles de forme quasi carrée. Les molécules d’eau intercalées entre les feuillets assurent la cohésion d’ensemble de la structure. En revanche, dans celle de U(C2O4)2, 2H2O, les atomes d’uranium sont décacoordinés suite à la rotation des groupements oxalates et à l’insertion de deux molécules d’eau au sein de la sphère de coordination de l’uranium [37]. Chapitre I. Synthèse et caractérisations des composés modèles 16 (A) (B) Figure 1. Représentation des structures cristallines monocliniques des oxalates d’uranium U(C2O4)2 , 6H2O (C2/m) (A) et U(C2O4)2, 2H2O (C2/c) (B) [33] La coprécipitation oxalique permet la préparation de précurseurs oxaliques contenant les couples An(IV)-An(III) ou An(IV)-Ln(III) [37–39]. La compensation de charge au sein de la structure est alors assurée par des cations monochargés tels que H3O + et N2H5 + . Horlait et. al [39] ont obtenu deux structures sur des composés H3O + 1+xTh1-xNdx(C2O4)2,5 , yH2O. Ces composés présentent soit une structure hexagonale P63/mmc ou bien une structure monoclinique de groupe d’espace P21/c. Les deux structures sont présentées sur la Figure 2. (A) (B) Figure 2. Représentation de la structure hexagonale de groupe d’espace P63/mmc (MI 1+xAnIV 1-xLnIII x(C2O4)2,5, yH2O) (A) et de la structure monoclinique de groupe d’espace P21/c caractéristique des oxalates LnIII 2(C2O4)3, yH2O (B).
Traitement thermique des précurseurs
Les oxydes d’actinides ou les oxydes mixtes sont obtenus par conversion thermique des précurseurs « oxalate » à haute température. Les conditions du traitement thermique influencent fortement les propriétés des oxydes ultimes, notamment en termes de réactivité et d’aptitude au frittage. Après une ou plusieurs étapes de déshydratation et/ou de décomposition, le traitement thermique des précurseurs oxalate conduit à l’obtention d’oxydes, indépendamment des conditions opératoires retenues. Toutefois, plusieurs propriétés physico-chimiques sont affectées par les conditions de conversion. Ainsi, les méthodes d’analyses thermiques différentielles et gravimétriques (ATD/ATG) ont été largement utilisées pour étudier la conversion des oxalates hexahydratés en oxydes. La première étape de déshydratation intervient dès 70°C. Elle correspond au départ de quatre molécules d’eau faiblement liées, conduisant à la forme dihydratée de l’oxalate d’actinide [40–43]. La perte des deux molécules d’eau restantes intervient entre 100°C et 300°C en une ou deux étapes selon le cation étudié. Cela dépend de l’actinide considéré ainsi que de la rampe de température appliquée lors du traitement thermique. Il est donc possible d’obtenir un intermédiaire monohydraté dans le cas d’une montée en température lente [17,38–41], ou directement à l’oxalate anhydre si la rampe de montée est suffisamment rapide [40,41]. Plusieurs étapes de décomposition du groupement oxalate ont été mises en évidence. Celles-ci dépendent de l’atmosphère utilisée lors de la calcination [34,44]. D’une manière générale, il est admis que deux molécules de CO et de CO2 sont décomposées simultanément pour conduire à la formation de l’oxyde final MO2 [18,42,43]. Toutefois, plusieurs études ont récemment confirmé l’existence d’intermédiaires réactionnels, principalement des carbonates M(CO3)2 et des oxocarbonates M(OCO3), formés au cours de la conversion et caractérisés par EGA-MS (Evolved Gas Analysis by Mass Spectrometry) [15,40,41,45]. De plus, Dash et al. ont démontré que la décomposition thermique du carbonate de thorium Th(CO3)2 intervenait en deux étapes avec le départ d’une molécule de CO2 entre 330°C et 430°C puis de la seconde entre 480°C et 580°C [40]. Vigier et al. ont obtenu des résultats concordants en mettant en évidence la présence d’oxocarbonates de plutonium (III) lors de la décomposition de Pu(C2O4)2, 6H2O sous argon ou sous air [46]. Les travaux de Heisbourg et al. [47] sur les solutions solides de formule Th1-xUx(C2O4)2, nH2O ont permis de démontrer que la température de décomposition du groupement oxalate diminuait avec l’augmentation de la teneur en uranium au sein de la structure (Tableau 1). Ce résultat est venu appuyer ceux de Subramanian et al. [48] traitant de la décomposition d’oxalates d’actinides tétravalents. Leur conclusion est que la température de décomposition des groupements oxalate augmente lorsque le rayon ionique moyen de l’actinide augmente au Chapitre I. Synthèse et caractérisations des composés modèles 18 sein de la structure (Tableau 2) ce qui est le cas lors de la substitution de l’uranium (1,00 Å) par le thorium (1,05 Å).
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