Rôle de la protéine EB2 du virus d’Epstein-Barr dans le métabolisme des ARN messagers
DE LA SYNTHÈSE À LA DÉGRADATION DES ARN MESSAGERS
Chez les eucaryotes, l’expression génique est constituée d’un ensemble de processus généralement présentés comme séquentiels : transcription de l’ADN en ARN pré-messager (pré-ARNm), maturation en ARN messager (ARNm), export nucléo-cytoplasmique et traduction de l’ARNm en protéine (Figure 1). Figure 1 : Étapes de l’expression génique chez les eucaryotes. Vision linéaire de l’expression d’un gène codant pour une protéine : transcription de l’ADN, maturation et export de l’ARNm puis traduction en protéine. Toutes ces étapes ont été extrêmement bien étudiées indépendamment les unes des autres, notamment à l’aide de systèmes in vitro. Cependant, il est maintenant clair que la régulation de l’expression génique est plus complexe car toutes les étapes forment un ensemble continu, chacune d’elles étant liée aux suivantes et pouvant les influencer. En effet, dès sa synthèse, le pré-ARNm s’associe à des protéines de liaison à l’ARN ou RBPs (RNA-Binding Proteins) pour former une particule ribonucléoprotéique ou mRNP 28 (messenger RiboNucleoprotein Particle) (Moore 2005; Singh et al. 2015). La composition protéique d’une mRNP est très dynamique et joue un rôle majeur à chaque étape de la vie d’un ARNm car elle va réguler sa maturation, sa localisation, sa traduction ou encore sa dégradation (Moore and Proudfoot 2009; Mitchell and Parker 2014) (Figure 2). Dès sa transcription dans le noyau par l’ARN polymérase II, le transcrit va être modifié et maturé, grâce au domaine C-terminal (CTD) de l’ARN polymérase II qui joue un rôle central dans ce couplage (McCracken et al. 1997; Hsin and Manley 2012; Zaborowska et al. 2016). La première modification du pré-ARNm est l’ajout d’une structure coiffe à l’extrémité 5’ dès que la longueur du pré-ARNm a atteint 22-25 nucléotides (Shatkin 1976). La coiffe (m7GpppN) est constituée d’un résidu guanosine méthylé en position N7 qui est relié au premier nucléotide retrouvé en 5’ de l’ARNm via une liaison 5’-5’ tri-phosphate. La formation de la structure coiffe est catalysée par une succession de trois réactions enzymatiques impliquant l’action d’une ARN tri-phosphatase (RTPase), d’une ARN guanylyl-transférase (GTase), puis d’une ARN-(guanine-7)-méthyltransférase (N7MTase) (Decroly et al. 2012). Cette structure est fondamentale chez les eucaryotes car elle est spécifiquement reconnue par le CBC (Cap-Binding Complex) dans le noyau, puis par le facteur d’initiation de la traduction eIF4E (eukaryotic Initiation Factor 4E) dans le cytoplasme (Izaurralde et al. 1994; Sonenberg et al. 1978). En plus de stabiliser l’ARNm en le protégeant de l’action des exoribonucléases, la coiffe joue un rôle important dans l’épissage, l’export et la traduction des ARNm (Topisirovic et al. 2011). Une autre modification co-transcriptionnelle est l’épissage du pré-ARNm, i.e. la réaction permettant d’exciser les introns par deux réactions successives de transestérification et de lier ensuite les exons pour former un ARNm. Chaque intron est défini par la présence d’éléments situés en cis au sein de la séquence ARN : les sites 5’ SS et 3’ SS d’épissage (Splice Site), le site de branchement BP (Branch Point) et la séquence riche polypyrimidique (Poly(Y) tract). Ces séquences sont reconnues par le spliceosome, un complexe macromoléculaire composé de 5 petites ribonucléoprotéines nucléaires snRNPs (U1, U2, U4/U6 et U5) (small nuclear RiboNucleoProteins) ainsi que de nombreuses autres protéines telles que les facteurs SF1 (Splicing Factor 1) et U2AF (U2 snRNP Auxiliary Factor) (Wahl et al. 2009; Will and Lührmann 2011; Chen and Moore 2014; Papasaikas and Valcárcel 2016). D’autres éléments cis-régulateurs exoniques ou introniques, activateurs ou répresseurs, jouent un rôle important dans l’épissage du préARNm. Ces séquences sont reconnues par des facteurs trans-régulateurs dont les principaux membres appartiennent à la famille des protéines SR (Serine/aRginine-rich 29 proteins) et celle des protéines hnRNP (heterogeneous nuclear RiboNucleoProteins) (Busch and Hertel 2012). De manière intéressante, de nombreux facteurs d’épissage sont recrutés co-transcriptionnellement par le CTD de l’ARN polymérase II (Das et al. 2006; Listerman et al. 2006). Réciproquement, le spliceosome influe sur la vitesse d’élongation de la transcription (Fong and Zhou 2001), et il permet le recrutement de deux complexes protéiques jouant un rôle majeur dans le devenir des ARNm épissés : le complexe EJC (Exon Junction Complex) (Le Hir et al. 2000a; 2000b; 2001) et le complexe TREX (TRanscription/EXport complex) (Masuda et al. 2005). La dernière modification co-transcriptionnelle de l’ARNm est l’ajout à l’extrémité 3’ d’une queue poly(A) de 200 à 250 nucléotides chez les métazoaires. Celle-ci se déroule en deux étapes successives : (i) le clivage endonucléotidique de l’ARNm par le complexe CPSF (Cleavage and Polyadenylation Specificity Factor), CstF (Cleavage stimulation Factor), CFI et CFII (Cleavage Factor I and II) ; (ii) la polyadénylation par la PAP (Poly(A) Polymerase) associée à la protéine PABPN1 (Poly(A)-Binding Protein Nuclear 1) qui interagit avec la queue poly(A) de l’ARNm dans le noyau (Elkon et al. 2013; Shi and Manley 2015). Une fois dans le cytoplasme, la protéine PABPN1 est remplacée par la protéine PABPC (PABP Cytoplasmic) (Blobel 1973). Comme précédemment, le CTD de l’ARN polymérase II joue un rôle important en facilitant le recrutement des facteurs de clivage et polyadénylation (Meinhart and Cramer 2004). L’ajout d’une queue poly(A) a de multiples fonctions : elle protège l’ARNm des exoribonucléases, et joue un rôle dans la circularisation de l’ARNm en cours de traduction (Goss and Kleiman 2013). À la suite de toutes ces étapes de maturation nucléaire, l’ARNm dit « mature » est compétent pour l’export dans le cytoplasme. En effet, les RBPs associées à l’ARNm permettent (i) la modification de la structure de la mRNP et son compactage grâce notamment aux interactions entre le complexe EJC et les protéines SR (Singh et al. 2012; Kato et al. 2012; Han et al. 2012), (ii) le recrutement du facteur d’export TAP/NXF1 grâce en particulier au complexe TREX (Cheng et al. 2006) et aux protéines SR (Huang and Steitz 2001; Huang et al. 2003; Müller-Mcnicoll et al. 2016). L’interaction de TAP/NXF1 avec à la fois l’ARNm et certaines nucléoporines du NPC (Nuclear Pore Complex) permet alors la translocation polarisée de l’ARNm dans le cytoplasme (Katahira 2015). Une fois dans le cytoplasme, la mRNP subit un profond remodelage de sa composition protéique, grâce entre autres à l’action d’ARN hélicases (Bourgeois et al. 2016). Certaines RBPs sont dissociées de l’ARNm comme le facteur d’export TAP/NXF1. D’autres RBPs, comme le complexe CBC et la protéine PABPN1, sont remplacées respectivement par les 30 protéines eIF4E et PABPC. Les RBPs liées à l’ARNm vont alors moduler sa traduction, sa dégradation ou encore sa localisation cytoplasmique (Mitchell and Parker 2014). L’ARNm oscille dans le cytoplasme entre l’état dit « polysomal », dans lequel il est activement traduit en protéines, et l’état non-polysomal, dans lequel l’ARNm est réprimé traductionnellement et peut former des granules (Anderson and Kedersha 2009; Buchan 2014). Ces granules d’ARN assurent plusieurs fonctions importantes : (i) le transport de l’ARNm à distance du noyau, comme c’est le cas par exemple dans l’axone ; (ii) le stockage transitoire de l’ARNm dans les granules de stress (SG, Stress Granules) ; (iii) le site de dégradation de l’ARNm dans les P-bodies (Processing-bodies). La formation de ces granules cytoplasmiques et non membranaires est très dynamique et permet une adaptation rapide de la répression ou de l’activation de la traduction de l’ARNm (Balagopal and Parker 2009; Decker and Parker 2012; Protter and Parker 2016). La dernière étape de la régulation de l’expression génique est la dégradation de l’ARNm (Houseley and Tollervey 2009; Schoenberg and Maquat 2012). Celle-ci permet à la fois d’éliminer les ARNm en fin de vie et/ou de dégrader les ARNm aberrants, comme ceux par exemple ayant un codon stop précoce (PTC, Premature Termination Codon) au cours de la NMD (Nonsense-Mediated mRNA Decay). Dans le cas de la NMD, la dégradation de l’ARNm est couplée à la terminaison de la traduction, et fait intervenir des protéines des familles UPF (UP-Frameshift) et SMG (Suppressor with Morphological effect on Genitalia) (Lykke-Andersen and Jensen 2015; Popp and Maquat 2016). De façon remarquable, le complexe EJC joue un rôle central dans la NMD chez les métazoaires (Kim et al. 2001; Lykke-Andersen et al. 2001), illustrant ainsi que les étapes nucléaire et cytoplasmique du métabolisme des ARNm sont étroitement liées
L’IMPORTANCE DES RBPS DANS LA BIOGENÈSE DES ARNM
Les protéines de liaison à l’ARN ou RBPs (RNA-Binding Proteins) contrôlent chaque étape de la vie des ARNm. Leur diversité de fonctions pourrait suggérer une grande variété de structures responsables de la reconnaissance de l’ARN. Cependant, la majorité des RBPs ne présentent que quelques domaines structuraux de reconnaissance de l’ARN : le domaine RRM (RNA-Recognition Motif), le domaine KH (hnRNP K-homology), le domaine RGG (aRginine-Glycine-Glycine-rich), le domaine dsRBD (dsRNA-Binding Domain), et les domaines en doigts de zinc de type ZCCHC ou ZCCCH (Lunde et al. 2007; Ankö and Neugebauer 2012). Afin d’assurer leur spécificité de liaison à l’ARN et leurs diverses fonctions, les RBPs ont généralement une structure modulaire, constituée d’un ou plusieurs motif(s) de reconnaissance de l’ARN associé à un ou plusieurs domaine(s) fonctionnel(s). Parmi les domaines fonctionnels des RBPs, on trouve par exemple le domaine RS (Serine/aRginine-rich), ou les domaines hélicases DExH/DEAD-box. Ainsi, la liaison de plusieurs motifs de reconnaissance de l’ARN et de domaines fonctionnels permet par une simple combinaison d’augmenter la spécificité d’interaction des RBPs avec à la fois l’ARN et leurs partenaires protéiques (Mackereth and Sattler 2012; Ray et al. 2013; Gerstberger et al. 2014; Jankowsky and Harris 2015). Les RBPs ont initialement été caractérisées par des études biochimiques. Ainsi, le cross-link aux UV (254 nm) des protéines interagissant directement avec les ARN dans les cellules, suivi de la purification et l’immunodétection des protéines associées aux ARN polyadénylés, a permis d’identifier dans les années 1980 les protéines hnRNP (heterogeneous nuclear RiboNucleoProtein) (Dreyfuss et al. 1984; Piñol-Roma et al. 1988). Les progrès récents des techniques de protéomique ont permis d’identifier le répertoire complet des RBPs dans les cellules humaines HEK293 et HeLa, les cellules souches embryonnaires murines (mESC), et chez la levure Saccharomyces cerevisiae (Baltz et al. 2012; Castello et al. 2012; Kwon et al. 2013; Mitchell et al. 2013). Dans ces études d’interactome des ARNm, les complexes ARN-protéines sont cross-linkés aux UV, puis les ARN polyadénylés sont immunoprécipités avec des oligo(dT), et les protéines associées sont analysées par spectrométrie de masse (Figure 3). De manière très intéressante, ces études ont identifié 797 RBPs dans les cellules HEK293 et 860 RBPs dans les cellules HeLa, dont 545 RBPs en commun dans les deux lignées cellulaires (Baltz et al. 34 2012; Castello et al. 2012). Parmi celles-ci, la majorité était déjà connue mais plus de 100 nouvelles RBPs (appelées « enigmRBPs ») ont été identifiées avec aucun domaine classique de liaison à l’ARN, dont 23 enzymes métaboliques (Beckmann et al. 2015; Castello et al. 2016). Un défi important pour le futur est de déterminer le domaine de liaison à l’ARN et la fonction biologique de ces nouvelles RBPs. Figure 3 : Représentation schématique de la capture de l’interactome des ARNm. Les cellules sont irradiées aux UV (254 nm) pour lier de manière covalente les interactions ARN-protéines, puis les ARN polyadénylés et leurs protéines associées sont isolés avec des oligo(dT) couplés à des billes magnétiques. Après traitement à la RNase, le répertoire des RBPs est déterminé par spectrométrie de masse (adapté de (Castello et al. 2015)).
– La dégradation et le contrôle-qualité des ARNm
La dégradation des ARNm a longtemps été considérée comme une simple étape d’élimination des ARNm en fin de vie. Au cours des deux dernières décennies, cette vision a été totalement remise en cause puisqu’il a été montré que les temps de demi-vie des ARNm, révélateurs de leur vitesse de dégradation, peuvent varier considérablement. Ainsi, une étude chez la levure Saccharomyces cerevisiae a montré que la demi-vie des ARNm les plus instables est approximativement de 2 à 3 minutes, et celle des ARNm les plus stables est supérieure à 90 minutes (Wang et al. 2002a). Plus récemment, l’analyse du turnover global des ARNm dans des fibroblastes murins NIH3T3 a révélé que la stabilité des ARNm codant pour des protéines appartenant à une même voie biologique est comparable (Schwanhäusser et al. 2011). La dégradation des ARNm n’est donc pas un processus par défaut mais une composante essentielle de la régulation de l’expression génique. En plus de réguler la quantité d’ARN, la dégradation des ARN assure au moins trois autres fonctions essentielles : (i) l’élimination des ARNm défectueux, qui conduiraient à la synthèse de protéines aberrantes et potentiellement délétères pour la cellule, grâce à un mécanisme de surveillance ou « contrôle-qualité » des ARN (Doma and Parker 2007; Isken and Maquat 2007) ; (ii) l’élimination des sous-produits (e.g. les introns) générés au cours de la maturation des transcrits primaires (Houseley and Tollervey 2009; Schoenberg and Maquat 2012) ; et (iii) l’élimination des transcrits intergéniques, intragéniques ou antisens, fonctionnels ou non et qui résultent parfois de la transcription pervasive du génome (Jensen et al. 2013; Porrua and Libri 2013). Nos connaissances actuelles des mécanismes de dégradation des ARNm reposent en grande partie sur des travaux réalisés chez la levure S. cerevisiae (Parker 2012). Chez cet organisme modèle, les mécanismes de dégradation des ARN semblent plus simples que chez d’autres organismes eucaryotes car le nombre de cofacteurs régulant l’activité des ribonucléases est moindre. Néanmoins, il est important de noter que les principales enzymes responsables de la dégradation des ARNm (i.e. les déadényléases, les enzymes de décoiffage et les ribonucléases) sont très conservées entre tous les eucaryotes. De plus, ces enzymes sont impliquées à la fois dans la dégradation nucléaire et cytoplasmique des ARNm, leur spécificité étant apportée par des cofacteurs. Dans cette partie, nous détaillerons les principaux acteurs impliqués dans la dégradation des ARNm, puis nous exposerons l’état des connaissances des mécanismes de surveillance des ARNm. 36 1. Les acteurs de la dégradation des ARNm Comme nous l’avons vu en introduction, les ARNm matures possèdent une coiffe à leur extrémité 5’ et une queue poly(A) à leur extrémité 3’. Dans le cytoplasme, ces structures sont liées par des protéines spécifiques, respectivement les protéines eIF4E et PABP, et protègent les ARNm de l’action des exoribonucléases. Les ARNm sont également associés à des RBPs qui les protègent de coupures endonucléolytiques non spécifiques. Figure 4 : Principales voies de dégradation des ARNm cytoplasmiques et nucléaires. (A) La dégradation cytoplasmique des ARNm est initiée par le complexe PAN2-PAN3 et poursuivie par les complexes CCR4-NOT et PARN. Après déadénylation, le corps de l’ARNm est dégradé par une des deux voies 5’-3’ ou 3’-5’. Dans la voie 5’-3’, la coiffe est clivée par l’enzyme Dcp2 puis l’ARNm est dégradé par Xrn1. Dans la voie 3’-5’, l’ARNm est dégradé par l’exosome ; la coiffe est finalement dégradée par l’enzyme DcpS. (B) La voie majoritaire de dégradation des ARNm nucléaires est la voie 3’-5’ et fait intervenir l’exosome. Une alternative est la voie de dégradation 5’-3’ qui implique l’exoribonucléase Xrn2. Lorsque les ARNm sont coiffés, Dcp2 hydrolyse la structure m7GpppN avant l’action de Xrn2. 37 La dégradation cytoplasmique des ARNm chez les eucaryotes débute le plus souvent par un raccourcissement de leur queue poly(A). Après cette étape de déadénylation, les ARNm peuvent être dégradés soit à partir de leur extrémité 5’ par l’exoribonucléase Xrn1 après le retrait de leur coiffe par l’enzyme Dcp2, soit à partir de leur extrémité 3’ par l’exosome (Garneau et al. 2007; Chen and Shyu 2011; Schoenberg and Maquat 2012) (Figure 4A). Dans le noyau, la dégradation des ARNm concerne généralement les ARNm qui ont des défauts de maturation. Celle-ci fait également intervenir l’enzyme Dcp2 avec l’exoribonucléase Xrn2 qui dégrade les ARNm dans le sens 5’-3’, ou l’exosome qui dégrade les ARNm dans le sens 3’-5’ (Saguez et al. 2005; Fasken and Corbett 2009; Schmid and Jensen 2010; Mühlemann and Jensen 2012) (Figure 4B). a – Les déadénylases La déadénylation est la première étape de la voie canonique de dégradation des ARNm cytoplasmiques. Cette étape est généralement limitante et joue un rôle clé dans la transition entre la traduction et la dégradation des ARNm. Plusieurs complexes protéiques possédant une activité de déadénylation ont été caractérisés. Les complexes PAN2-PAN3 et CCR4-NOT sont hautement conservés entre la levure, la drosophile et les mammifères. Les mammifères possèdent également une déadénylase supplémentaire : l’enzyme PARN (Goldstrohm and Wickens 2008; Wiederhold and Passmore 2010). Le complexe PAN2-PAN3, également appelé PAN (Poly(A) Nuclease) intervient dans la première phase de déadénylation des ARNm. La protéine PAN2 est la sous-unité catalytique (Boeck et al. 1996), alors que la protéine PAN3 est la sous-unité régulatrice du complexe (Brown et al. 1996). Le complexe PAN2-PAN3 est recruté et stimulé par la protéine PABP associée à la queue poly(A) des ARNm (Uchida et al. 2004; Siddiqui et al. 2007; Wolf et al. 2014). Chez la levure, PAN2-PAN3 est impliqué dans le raccourcissement de la queue poly(A) jusqu’à atteindre une taille d’environ 60 à 80 nucléotides (Brown and Sachs 1998). De même, chez les mammifères, l’étude de la dégradation de l’ARNm rapporteur b-globine a montré que ce complexe raccourcit la taille initiale de la queue poly(A) de 200 nucléotides à environ 80 nucléotides (Yamashita et al. 2005). La seconde phase de déadénylation est ensuite réalisée par le complexe CCR4-NOT (Yamashita et al. 2005). 38 Le complexe CCR4-NOT est composé chez la levure S. cerevisiae de neuf protéines dont deux d’entre elles, Ccr4 et Caf1/Pop2, ont une activité exonucléase (Daugeron et al. 2001; Tucker et al. 2002). Il est le principal complexe de déadénylation chez S. cerevisiae car des souches de levures mutantes ∆ccr4 ou ∆pop2 ont un phénotype avec des défauts de déadénylation des ARNm aboutissant à leur stabilisation (Tucker et al. 2001). Ce complexe est conservé chez la drosophile (Temme et al. 2004) et chez l’homme (Bianchin et al. 2005), mais il existe chez l’homme deux homologues de la protéine Ccr4 de levure : hCCR4a (CNOT6) et hCCR4b (CNOT6L), ainsi que deux homologues de la protéine Caf1 : hCAF1 (CNOT7) et hPOP2 (CNOT8) (Bartlam and Yamamoto 2010; Winkler and Balacco 2013). Récemment, la purification par affinité en tandem (TAP ; (Rigaut et al. 1999)) de la protéine CNOT7 exprimée dans des cellules HEK293, suivie de l’analyse par spectrométrie de masse des protéines associées a permis d’identifier deux nouvelles sous-unités du complexe CCR4-NOT humain : les protéines C2ORF29/CNOT11 et CNOT10 (Mauxion et al. 2013). La déadénylase PARN (Poly(A)-specific RiboNuclease) est retrouvée chez de nombreuses espèces eucaryotes comme Xenopus laevis (Korner et al. 1998), Arabidopsis thaliana (Chiba et al. 2004), et chez les mammifères (Korner and Wahle 1997). Toutefois, elle est absente chez Saccharomyces cerevisiae et Drosophila melanogaster. L’enzyme PARN agit sous la forme d’un homodimère et son activité est dépendante de la coiffe des ARNm (Dehlin et al. 2000; Gao et al. 2000), mais est inhibée par la protéine PABP et les protéines qui lient la coiffe (Balatsos et al. 2006; Wu et al. 2009). La protéine PARN ne semble pas participer au processus général de déadénylation, mais est impliquée dans la déadénylation de certains types d’ARNm (e.g. les ARNm maternels lors de la maturation des ovocytes de Xenopus laevis) (Alonso 2012; Godwin et al. 2013). Lorsqu’un nombre minimal d’adénosine restant sur l’ARNm est atteint, de l’ordre de 10 chez la levure et de 15 à 25 chez les mammifères, l’ARNm devient très instable et s’engage alors dans une voie de dégradation rapide et irréversible dans le sens 5’-3’ et/ou 3’-5’ (Parker and Song 2004; Garneau et al. 2007) (Figure 4). b – Les enzymes de clivage de la coiffe Chez la levure S. cerevisiae, des études complémentaires de génétique et de biochimie ont montré que la dissociation de la coiffe des ARNm est effectuée par l’hétérodimère Dcp2-Dcp1 (Decapping enzymes 2 and 1) (Beelman et al. 1996; LaGrandeur and Parker 1998) (Figure 5). La protéine Dcp2 est la sous-unité catalytique grâce à son domaine Nudix/MutT, et appartient à la famille des pyrophosphatases (Dunckley and Parker 1999). 39 Dcp2 clive la coiffe m7GpppN qui protège l’extrémité 5’ de l’ARNm et libère du m7GDP et un ARN 5’ monophosphate accessible aux exoribonucléases (Steiger et al. 2003; Coller and Parker 2004). Bien que cette enzyme soit principalement cytoplasmique, Dcp2 clive également la coiffe des pré-ARNm nucléaires chez S. cerevisiae (Kufel et al. 2004). La sous-unité Dcp1 est un membre de la famille des protéines EVH1/WH1 et interagit avec la protéine Dcp2 afin de stimuler son activité catalytique (She et al. 2004; 2008; Deshmukh et al. 2008; Valkov et al. 2016). Figure 5 : Organisation des domaines fonctionnels des protéines Dcp2 et Dcp1a. L’enzyme Dcp2 de Hs (Homo sapiens) contient un domaine NRD (N-terminal Regulatory Domain) suivi d’un domaine catalytique Nudix (Nucleotide diphosphate linked to an X moiety). La protéine Dcp1a de Hs est composée d’un domaine N-terminal EVH1/WH1 (Ena VASP Homology 1/WASP Homology 1), qui interagit avec le motif NRD de Dcp2, et un domaine C-terminal TD (Trimerization Domain). Ces domaines sont très conservés avec les protéines Dcp2 et Dcp1 de Saccharomyces cerevisiae et Drosophila melanogaster. Le complexe Dcp2-Dcp1 est conservé chez les mammifères (van Dijk et al. 2002; Wang et al. 2002b). Cependant, l’interaction Dcp2-Dcp1 n’est pas directe et nécessite des cofacteurs, comme la protéine Edc4 (Enhancer of decapping 4) (Tritschler et al. 2009). Par analogie avec la levure, il a été supposé pendant de nombreuses années que l’enzyme Dcp2 est la seule responsable du clivage de la coiffe chez les mammifères. Cette hypothèse a été récemment réfutée car une étude a identifié, dans les cellules murines et humaines, une seconde enzyme Nudt16 capable de dissocier la coiffe des ARNm (Song et al. 2010). De plus, l’analyse de tous les membres de la famille des protéines Nudix a montré que six protéines (Nudt2, Nudt3, Nudt12, Nudt15, Nudt17 et Nudt19) ont in vitro une activité de clivage de la coiffe (Song et al. 2013). Une question importante pour le futur est de déterminer si ces enzymes ont une fonction redondante ou bien spécifique de certains ARNm. De façon remarquable, le clivage de la coiffe des ARNm est régulé par de nombreuses RBPs chez la levure et chez l’homme. Par exemple, le complexe heptamérique Lsm1-7 (Smlike 1-7) se lie à l’extrémité 3’ de l’ARNm oligoadénylé et active l’enzyme Dcp2 via la 40 protéine Pat1 (Bouveret et al. 2000; Tharun et al. 2000; Chowdhury et al. 2007; 2014). La protéine Pat1 et l’ARN hélicase à DEAD-box Dhh1 (appelée RCK/DDX6 chez les mammifères) sont à la fois des stimulateurs de l’hétérodimère Dcp2-Dcp1 et des inhibiteurs de la traduction (Coller and Parker 2005; Nissan et al. 2010). Les protéines Edc1 et Edc2 (Enhancer of decapping 1 and 2) interagissent avec l’ARN et le complexe Dcp2-Dcp1, ce qui stimule l’activité catalytique de Dcp2 (Schwartz et al. 2003; He and Jacobson 2015a). Les cellules eucaryotes contiennent aussi un second type d’enzyme capable de dégrader la coiffe des ARNm : la protéine DcpS (Scavenger Decapping enzyme) (ou Dcs1 chez la levure) (Liu et al. 2002; 2004). L’enzyme DcpS appartient à la famille des pyrophosphatases à domaine HIT (Histidine triad) (Séraphin 1992; Liu et al. 2002). Contrairement à la protéine Dcp2 qui clive la coiffe des ARNm dont la longueur est supérieure à 25 nucléotides, DcpS dégrade spécifiquement la coiffe des oligoribonucléotides inférieure à 10 nucléotides. Ainsi, DcpS hydrolyse à la fois la coiffe m7GpppN générée au cours de la dégradation 3’-5’ de l’ARNm par l’exosome (Wang and Kiledjian 2001; Liu et al. 2002), et le m7GDP produit par l’enzyme Dcp2 lors de la dégradation 5’-3’ (van Dijk et al. 2003). De manière intéressante, une étude récente a caractérisé in vitro et in vivo de nouvelles enzymes impliquées dans l’élimination des structures coiffe : la protéine FHIT chez l’homme et son homologue Aph1 chez la levure (Taverniti and Séraphin 2015). Ces enzymes permettent en combinaison avec DcpS d’éliminer le m7GpppN et ses dérivés produits au cours de la dégradation de l’ARNm (Taverniti and Séraphin 2015). c – Les exoribonucléases Suite au clivage de la coiffe, l’ARNm est dégradé de façon processive par les enzymes Xrn1 dans le cytoplasme, ou Xrn2 dans le noyau. Ces protéines appartiennent à la famille des 5’-3’ exoribonucléases XRN, et ont de fortes homologies de séquence et de fonction dans leur partie N-terminale (Zuo and Deutscher 2001; Nagarajan et al. 2013) (Figure 6). Xrn1 est localisée dans le cytoplasme et est une protéine de 175 kDa. Cette enzyme contient dans sa région N-terminale deux domaines CR1 et CR2 (Conserved Regions 1 and 2) présents chez tous les membres de la famille XRN (Chang et al. 2011). La protéine Xrn1 a initialement été identifiée chez S. cerevisiae (Larimer and Stevens 1990). Des homologues ont ensuite été décrits chez D. melanogaster (appelé Pacman) (Till et al. 1998), A. thaliana (appelé AtXRN4) (Kastenmayer and Green 2000), et les mammifères (Bashkirov 1997). L’exoribonucléase Xrn1 est la principale enzyme responsable de la 41 dégradation 5’-3’ des ARNm cytoplasmiques car les ARNm déadénylés et non coiffés s’accumulent dans une souche de levure ∆xrn1 (Muhlrad et al. 1994). De manière intéressante, l’analyse des profils de sédimentation des ARNm non coiffés dans une souche de levure ∆xrn1 a montré que ces ARNm sont associés aux polysomes, ce qui indique que la dégradation des ARNm peut être co-traductionnelle (Hu et al. 2009). Par ailleurs, une étude récente a montré une interaction directe entre Xrn1 et les facteurs Dcp1 et Edc4, démontrant ainsi que le recrutement de Xrn1 est couplé au clivage de la coiffe des ARNm (Braun et al. 2012). Figure 6 : Structure et fonction des exoribonucléases Xrn1 et Xrn2. Les protéines Xrn1 et Xrn2 de Hs contiennent deux régions très conservées CR1 et CR2 (Conserved Regions 1 and 2), dont l’homologie de séquence est supérieure à 50 %. Le domaine catalytique de ces enzymes est localisé dans leur région N-terminale. L’enzyme Xrn2 (ou Rat1 chez la levure) est une protéine nucléaire de 115 kDa dont l’activité catalytique est similaire à celle de Xrn1 car elle dégrade spécifiquement les ARN 5’ monophosphate (Amberg et al. 1992; Xiang et al. 2009; Miki and Großhans 2013). Les protéines Xrn1 et Xrn2/Rat1 sont fonctionnellement interchangeables. En effet, la mutation du domaine NLS (Nuclear Localization Signal) de Rat1 restaure la dégradation des ARNm cytoplasmiques dans une souche de levure ∆xrn1 (Johnson 1997). Inversement, la fusion du NLS de l’antigène T du virus SV40 à la protéine Xrn1 permet sa localisation nucléaire, et complémente chez S. cerevisiae le défaut de viabilité du mutant thermosensible rat1-ts (Johnson 1997). Cependant, les protéines Xrn1 et Xrn2 ont des différences intrinsèques car Xrn1 ne complémente pas toutes les fonctions de Xrn2/Rat1, notamment celle dans la terminaison de la transcription (Luo et al. 2006). De nombreuses fonctions des exoribonucléases Rat1 et Xrn2 ont été rapportées : (i) Xrn2/Rat1 favorise la terminaison de la transcription en dégradant le brin d’ARN non coiffé associé à l’ARN polymérase II après le site de clivage/polyadénylation (Kim et al. 2004; West et al. 2004; Porrua and Libri 2015) ; (ii) Rat1 dégrade l’ARN TERRA (Telomeric repeat-containing 42 RNA), un long ARNnc qui régule l’activité de la télomérase (Luke et al. 2008) ; (iii) Xrn2/Rat1 joue un rôle majeur dans la maturation en 5’ des précurseurs des ARNr 5.8S et 28S (Henry et al. 1994; Geerlings et al. 2000; Wang and Pestov 2011). Par ailleurs, il a été montré que Xrn2/Rat1 interagit avec de nombreuses protéines comme Dcp2 et Dcp1 (Brannan et al. 2012), les facteurs d’épissage PSF (Polypyrimidine tract-binding protein (PTB)-associated factor) et p54nrb (Kaneko et al. 2007), ou la protéine Rtt103 chez S. cerevisiae qui interagit avec le domaine CTD de l’ARN polymérase II (Kim et al. 2004). Le rôle exact de ces interactions n’a pas été caractérisé, mais on peut supposer qu’elles permettent le recrutement de l’exoribonucléase Xrn2/Rat1 sur ses divers substrats.
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