Rôle de la mycorhizosphère dans les processus
régissant la tolérance des plantes au stress salin
Les mycorhizes
Dans la nature la majorité des végétaux terrestres vivent en association étroite avec les champignons du sol (Hodge, 2000). Cette association aboutit à la formation d’un organe mixte appelé mycorhize ; du grec mykes pour champignon et rhiza pour racine. La collaboration est en fait une symbiose où le champignon hétérotrophe aide la plante à améliorer sa nutrition hydrominérale et bénéficie en retour des métabolites photosynthétisés par cette dernière. La mycorhize est donc le siège d’un échange bidirectionnel de nutriments et d’énergie entre la plante et le champignon (Pfeiffer et al, 2001). Exception faite de quelques familles (Brassicaceae, Chénopodiaceae, Crucifères, Cypéracées) l’état de mycorhization est la règle générale au sein du règne végétal (Cardoso et Kuyper, 2006), environ 90% des familles de plantes possèdent des représentants capables de former cette association (Harley et Smith, 1983).
Classification
Les champignons mycorhiziens peuvent être groupés en trois grands types que sont, les endomycorhiziens, les ectomycorhiziens et les ectendomycorhiziens. • Les endomycorhizes D’après Norton et al (1995) la symbiose endomycorhizienne s’établit avec de très nombreuses espèces végétales dans des écosystèmes très divers. Environ 95% des plantes vasculaires forment ce type d’association. Les endomycorhizes à vésicules et à arbuscules sont rarement Synthèse bibliographique 6 visibles à l’œil nu. Ils forment des spores souterraines dont la germination produit un hyphe mycélien capable d’infecter les racines des végétaux. Les hyphes du champignon pénètrent dans les cellules racinaires (Strullu, 1991). Un traitement des racines (coloration) est nécessaire pour révéler les deux structures caractéristiques: les vésicules et les arbuscules. Les vésicules sont le lieu de stockage de lipides nécessaires au métabolisme du champignon et un moyen de dissémination ; les arbuscules intraracinaires augmentent la surface d’échange entre le champignon et la plante. Les endomycorhizes peuvent être divisés en deux sous groupes suivant le caractère anatomique des partenaires de la symbiose : – les mycorhizes arbusculaires (MA) formées par les Zygomycètes avec environs 95% des espèces végétales. Ce type d’endomycorhize est le plus dominant (Tacon et al, 1989). – les mycorhizes à peloton d’hyphes cloisonnés formées par les Ascomycètes ou les Basidiomycètes en association avec les orchidées ou les Euricales. • Les ectomycorhizes Les ectomycorhizes sont visibles à l’œil nu grâce au manteau fongique qui recouvre les racines. Ce manteau joue un rôle protecteur contre les organismes pathogènes ; il est le siège privilégié des échanges entre les deux partenaires (Dell et al, 1994). Les ectomycorhizes sont après les mycorhizes à arbuscules les plus répandu dans les écosystèmes forestiers. L’ectomycorhize concerne la majorité des arbres des régions tempérées et boréales, et très peu d’arbres tropicaux (Smith et Read, 1997). Les hyphes s’insinuent entre les cellules du cortex pour former le réseau de hartig, qui constitue également un lieu d’échange entre les deux partenaires. Les champignons responsables sont des Basidiomycètes (Russule, Lactaire, Amanite etc.) et plus rarement des Ascomycètes (Truffe, Matsutake) (Hibett et al, 2000). Certains champignons ectomycorhiziens sont spécifiques à une plante hôte et d’autres ont une spécificité plus large (Thoen et Ba, 1989).Ces derniers sont ubiquistes, on les retrouve dans tous les écosystèmes. • Les ectendomycorhizes Les ectendomycorhizes sont des formes d’associations intermédiaires. Elles découlent d’une combinaison des caractères propres aux ectomycorhizes et des caractères propres aux endomycorhizes. On a une coexistence d’un manteau fongique avec des hyphes qui pénètrent les cellules racinaires. Les mycorhizes arbutoïdes sont classés dans ce type (Massicotte et al, 1993). En effets les mycorhizes arbutoïdes forment un manteau d’environ 85µm d’épaisseur semblable à celui des ectomycorhizes et le réseau de hartig peut investir les cellules du cortex en formant des pelotons (Paul et Clark, 1996).
Les bénéfices de la symbiose mycorhizienne
La symbiose mycorhizienne est régie par les échanges réciproques d’éléments nutritifs et énergétiques entre les deux partenaires que sont la plante et le champignon. a) Les bénéfices pour la plante • La nutrition minérale L’amélioration de la productivité des plantes mycorhizées est attribuée particulièrement à l’amélioration de l’absorption de nutriments de faible mobilité comme le phosphore, le zinc, le cuivre, mais aussi une meilleure utilisation de l’eau. Cette amélioration est matérialisée par une augmentation de la quantité de phosphore absorbée au-delà de la zone d’épuisement des racines de la plante hôte (Plenchette et al, 1983). Quant à l’azote moléculaire, il n’est pas directement fixé par la mycorhize qui possède des enzymes leur permettant d’absorber les Figure1: Représentation schématique de la structure des mycorhizes (Mousain, 1989) A : racine non infectée et poils absorbants (pa) ; B : endomycorhizes à pelotons des Orchidacées (B1) et des Ericacées (B2) ; C : endomycorhizes à vésicules et arbuscules, avec des spores (s), des hyphes externes (he), des arbuscules (a), et des vésicules (v) ; D : ectomycorhize des Angiospermes (D1) et des Gymnospermes (D2) avec des cordons mycéliens (cm), un réseau de Hartig (rh), et un manteau fongique (m) ; E : ectendomycorhizes, E1 : mycorhizes « monotropoïdes » avec un manteau mycélien intercellulaire (ri), E2 : mycorhizes arbutoïdes avec des pelotons d’hyphes (p). Synthèse bibliographique 8 nitrates et les ions ammoniums (Strullu et al, 1991). Les mycorhizes interviennent dans la limitation du passage des sels de la solution du sol aux racines (Tian et al, 2004). Les mycorhizes auraient une fonction de filtre des ions toxiques. • La résistance au stress hydrique Des études ont montrés que les plantes mycorhizées résistent mieux au stress hydrique que celles non mycorhizées. La teneur en eau des tissus de plantes mycorhizées est supérieure à celle de plantes non mycorhizées (Ruiz-Lozano et Azcon, 1995). Auge et al (2001) ont montré que les feuilles de soja et de dolique mycorhizées se déshydratent moins vite que celles des plantes non mycorhizées en condition de stress hydrique. Certains auteurs (Hardie, 1985) suggèrent que l’amélioration de l’alimentation hydrique est simplement due à la possibilité d’exploration d’une vaste surface de sol et la disponibilité en phosphore conférées à la plante par les hyphes du champignon. D’autres auteurs suggèrent une amélioration de la conductance hydraulique des racines (Koides, 1985) et une modification de l’élasticité des parois des hyphes (Sanchez-Diaz et Honrubia, 1994) qui permettent à l’eau de circuler plus facilement vers la plante. • La protection contre les pathogènes Il existe également de nombreuses indications sur l’impact des champignons mycorhiziens dans la réduction ou la minimisation des dégâts causés sur les racines par les nématodes (Duponnois et Cadet, 1994 ; Fortin et al, 2002) et des champignons pathogènes (Slezak et al, 1999 ; Guenoune et al, 2000). Les mécanismes de cette bioprotection sont divers et variés. Ainsi le manchon d’hyphe des ectomycorhizes constitue, selon Brundrett (1991) une barrière mécanique efficace contre les pathogènes. b) les bénéfices pour le champignon En contre partie des nutriments reçus, la plante fournit au champignon des hydrates de carbone dérivant des produits de la photosynthèse (Lerat, 2003). Les champignons n’ont pas d’appareil photosynthétique et sont par conséquent hétérotrophes vis-à-vis du carbone. En général, le développement des champignons mycorhiziens de même que la forme des vésicules et des spores dépendent en exclusivité du carbone puisé chez l’hôte (Lerat, 2003). Il semble que le carbone soit fournit au champignon sous forme d’hexoses. On ignore encore si l’entrée des hexoses dans les structures fongiques se fait de manière passive ou active. Mais leur conversion rapide en glycolipides (Bago et al, 2003) entretiendrait en permanence un gradient de concentration d’hexose entre la racine et le mycélium, occasionnant ainsi une demande permanente en hexoses. Gavito et Olsson (2003) estiment que 4 à 20% des produits de la photosynthèse sont alloués au champignon. Outre les hexoses des vitamines aussi sont transférées vers le champignon (Smith et Read, 1997). Il a été démontré que les exsudats racinaires émis par la plante hôte agissent sur la germination des spores et la croissance des hyphes des champignons associés (GianinazziPearson et al, 1989). Synthèse bibliographique 9 1.3.1.4. Tolérance des champignons mycorhiziens à la salinité Dans les sols salins, les champignons mycorhiziens doivent faire face aux mêmes contraintes physiologiques que les plantes hôtes. Ils présentent une activité métabolique à des potentiels hydriques inferieurs à ceux du point de flétrissement des plantes. Ce phénomène implique des mécanismes d’osmorégulation cytoplasmique efficace chez les champignons (Mexal et Reid, 1973). Les mycorhizes interviennent dans la limitation du passage des sels de la solution du sol aux racines (Tian et al, 2004). Les mycorhizes se comportent donc comme un filtre vis-àvis des ions toxiques (Na+ , Cl- ), limitant ainsi le passage des sels dans les racines et les autres parties de la plante. De plus, comme le stress salin est toujours accompagné d’un stress hydrique, les hyphes extramatriciels qui ont un rôle d’explorateur et d’absorption sont également capables d’abaisser suffisamment leur potentiel osmotique pour créer un flux d’eau du sol vers les racines (Bogeat-Triboulot et al, 2004). Pour tester la tolérance des champignons ectomycorhiziens à la salinité, une première approche consiste à les cultiver in vitro sans la plante sur un milieu de culture contenant des sels à différentes concentrations (Chen et al, 2001; Kernaghan et al, 2002). La deuxième approche consiste à évaluer la tolérance des champignons en symbiose avec leur partenaire végétal (Tian et al, 2004).
Les Bactéries rhizosphériques : exemple des Pseudomonas fluorescents
Généralités
Notons que les mycorhizes interagissent avec diverses bactéries du sol dont les Pseudomonas. Les Pseudomonas forment un large groupe colonisant le sol, les plantes et les eaux. Ces bactéries Gram-, non sporulantes sont aérobies obligatoires à l’exception de certaines pouvant utiliser le NO3 – comme accepteur d’électrons (Bossis et al, 2000). Les Pseudomonas sont oxydases + et sont mobiles. Elles sont parmi les bactéries les plus abondantes de la rhizosphère, elles représentent plus de 60% de la microflore bactérienne totale du sol (Digat, 1994). Les colonies de Pseudomonas sont circulaires et produisent des pigments appelés sidérophores qui émettent une fluorescence jaune et bleu lorsqu’elles sont soumises au UV (Duponnois, 1992). Les Pseudomonas sont d’excellents compétiteurs vis-à-vis de la microflore fongique et bactérienne du sol par leur cours temps de génération in situ, leur capacité à chélater les ions ferriques et à produire des substances antibiotiques. De plus ces bactéries sont très faciles à isoler et à cultiver au laboratoire et se prêtent aisément à des manipulations génétiques (Chin-A-Woeng et al, 2001).
Rôles des Pseudomonas fluorescents
Certaines souches de Pseudomonas influencent positivement les interactions entre les microorganismes symbiotiques (Rhizobium, Bradyrhizobium et champignons mycorhiziens) et les plantes hôtes. Les mécanismes par lesquels les Pseudomonas peuvent exercer un effet positif sur la croissance des plantes sont de deux types : directs et indirects (Glick, 1995). 1-
Effets directs
• Effets PGPR Synthèse bibliographique 10 Les bactéries peuvent agir directement sur la plante en augmentant le volume racinaire avec pour conséquence une amélioration de la nutrition minérale. Les effets bénéfiques se manifestent dès le début de la vie de la plante au cours de la rhizogenèse (Digat, 1990). Certaines souches de Pseudomonas amélioreraient la germination des graines lorsque les conditions environnementales sont défavorables. En culture in vitro par exemple, l’initiation racinaire est stimulée notamment chez la tomate et le tabac si le milieu de culture est ensemencé par Pseudomonas fluorescens (Lemanceau, 1992). Kloepper et al (1986) ont montré que le taux de germination des graines de colza, semées dans un sol froid et battant, pouvait être significativement augmenté grâce à l’inoculation avec certaines souches de Pseudomonas. Parfois les rhizobactéries peuvent promouvoir la croissance des plantes grâce à la production de régulateurs de croissance identiques aux dérivées auxiniques des plantes (Leinhos et Vacek, 1994). Benizri et al (1997) ont montré que la souche M.3.1 de Pseudomonas fluorescens en présence d’exsudats racinaires du maïs produit de l’acide indole acétique (AIA) sans que le milieu ne soit enrichit en tryptophane. L’AIA joue un rôle important dans le développement et la croissance des plantes. • Stimulation des interactions entre la microflore symbiotique et la plante hôte Certaines souches de Pseudomonas fluorescents sont spécifiquement associées au champignon ectomycorhizien Laccaria laccata et facilitent ainsi l’établissement de la symbiose en agissant essentiellement sur la stimulation de la croissance du mycélium avant la phase symbiotique (Duponnois et Garbaye, 1991). Ces bactéries ont été nommées bactéries auxiliaires de la mycorhization (BAM) (Duponnois et Garbaye, 1991). L’effet bénéfique de l’inoculation endomycorhizienne sur la plante, pourrait être stimulé par certaines rhizobactéries productrices de substances de croissance (Linderman et Paulitz, 1990). En effet, la double inoculation de la souche R104 de Pseudomonas putida avec Glomus clarum NT4, un champignon endomycorhizien, augmente le rendement en biomasse aérienne du blé de printemps (Triticum aestivum), alors que les deux microorganismes apportés séparément n’ont aucun effet sur celui-ci (Walley et Germida, 1997). Il faut cependant se garder de généraliser car d’autres souches du groupe des Pseudomonas fluorescents se montrent au contraire antagonistes de champignons symbiotiques comme la truffe noire (Tuber melanosporum) causant l’arrêt de l’expansion mycorhizienne voire la régression de la symbiose (Manoun et Olivier, 1992).
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