Revue théorique de la pauvreté et des microfinances

La pauvreté est l’un des plus grands fléaux auxquels fait face le monde entier. La lutte pour la réduction de la pauvreté, voire son éradication, est aujourd’hui une des préoccupations des gouvernements des pays en développement. Pour Madagascar, une optique nouvelle s’est mise en place notamment pour la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) qui consiste à réduire de moitié la pauvreté en 2015 même si une forme de cette lutte contre la pauvreté a déjà été mise en place depuis les années 1990 par l’attribution de services financiers aux agents économiques à faible revenu. Cette partie sera divisée en deux sections : les généralités sur la pauvreté et l’approche théorique sur les microfinances.

Généralités sur la pauvreté 

La pauvreté est le maux principal dont souffre la majorité de la population des pays du tiers monde. Dans une première vue, elle est caractérisée par toute une série d’imperfections dans la qualité de vie : le manque de nourriture, l’analphabétisation, le non scolarisation des enfants, etc.

Définitions et mesure de la pauvreté 

Définitions
Le mot « pauvreté » vient du latin « pauper » (peu ou petit) qui est elle-même proche du grec « peina » (la faim). La traduction grecque du mot « pauvreté » est « aporia » qui signifie absence de chemin. Ces deux origines permettent de conclure que c’est une notion à la fois quantitative : peu, petit, le manque de nourriture et qualitative en ce sens qu’elle traduit la condition psychologique de celui ou celle qui ne peut pas trouver son chemin. De nombreux penseurs ont essayé d’offrir des définitions de la pauvreté. Selon l’approche utilitariste, est défini comme pauvre tout individu qui a un revenu ou dépense (mesurer par la consommation) insuffisant ne lui permettant pas de subvenir à ses besoins. Cette pauvreté monétaire est largement utilisée par les institutions internationales mais fait l’objet de lourdes critiques. Une approche non monétaire ou multidimensionnelle, développée et soutenue par les partisans des écoles des besoins de bases et ceux de l’école des capacités et de fonctionnement d’Amartya Sen, a permis un nouvel éclairage. En effet, bien que l’approche utilitariste met en valeur une dimension très importante du bien être, elle ne donne qu’une vision très incomplète des différents manques dont souffrent les pauvres. Les pauvres ne sont pas seulement ceux qui ont un revenu faible, mais aussi ceux qui ne peuvent pas satisfaire leurs besoins essentiels relatifs à l’alimentation (déséquilibre nutritionnel), au logement, à l’habillement, à la santé (non accès aux soins primaires), à l’éducation (non scolarisation)… Sen définie même la pauvreté comme étant un manque de libertés réelles et formelles, autrement dit, comme un manque de capacités d’être et de faire. La pauvreté est alors vue comme une privation multiple qui ne peut pas se réduire au simple manque de ressources. Cette approche avait été déjà amorcée par Rawls à l’aide de la notion de biens premiers (droits de base, liberté de choix, …) : est pauvre celui qui ne peut pas en disposer. Ainsi, on peut en faire en sortir trois définitions de la pauvreté : monétaire, biens premiers et capabilités. On peut saisir les problèmes rencontrés par ces trois définitions : la pauvreté monétaire avec son aspect statistique et parfois très éloigné de la réalité de la situation des populations pauvres, la pauvreté en terme de manque de biens premiers, dont l’idéal est fondé sur des arguments de philosophie politique ; enfin, la pauvreté en terme de capabilités manquantes qui se rapproche plutôt d’une définition dynamique liée aux ressources et aux caractéristiques de l’individu ainsi qu’à son environnement. Quoi qu’il en soit, le sommet mondial sur le microcrédit, voulant offrir une définition consensuelle de la pauvreté, a adopté simplement que : sont pauvres « la couche de population vivant en dessous du seuil de la pauvreté établi par chaque pays.» Le PNUD, pour sa part considère que « la pauvreté humaine n’est pas qu’une question de revenu : c’est une privation des possibilités de choix et d’opportunité qui permettrait aux individus de mener une vie décente». Si telles sont les définitions de la pauvreté, qu’en est-il de la mesure?

Mesure
La mesure de la pauvreté nécessite, en premier lieu, la distinction de trois catégories de pauvreté :

• L’extrême pauvreté : une personne vit dans l’extrême pauvreté si elle ne dispose pas de revenu nécessaire pour satisfaire ses besoins alimentaires essentiels, habituellement définis sur la base des besoins caloriques minimaux ;

• La pauvreté générale : une personne vit dans la pauvreté générale si elle ne dispose pas de revenu suffisant pour satisfaire ses besoins essentiels non alimentaires tels que l’habillement, l’énergie, le logement, … ;

• La pauvreté humaine : elle est présentée comme l’absence des capacités humaines de base. Ainsi, par exemple : l’analphabétisme, la mal nutrition, la longévité réduite, la mauvaise santé maternelle, l’atteinte par des maladies pouvant être évitées…

Ces trois définitions amènent à définir l’IPH (Indicateur de Pauvreté Humaine), qui est un indice permettant de caractériser le niveau de pauvreté d’un pays. Il a été créé par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). La pauvreté est essentiellement estimée par le nombre de personne vivant avec un revenu en dessous de 2 dollars USD par jour.

Le PNUD utilise également des indicateurs indirects qui mesurent l’impact de la pauvreté sur la population : l’IPH ou l’Indice de Pauvreté Humaine. Il se concentre sur les trois aspects de la vie : la longévité, l’instruction et la condition de vie descente. L’IPH les aborde sous forme de manque :
• Manque liée à la longévité notée P1: cet indice mesure l’espérance de vie ou, en d’autres termes, le pourcentage de personnes qui risquent de décéder avant l’âge de 40 ans ;
• Manque d’instruction notée P2 : il se mesure par le nombre de personnes analphabètes (adultes) ;
• Manque de condition de vie descente notée P3: il est représenté par le pourcentage de personnes privées d’accès à l’eau potable P31, le pourcentage d’individu privé de l’accès au service de santé P32, le pourcentage des enfants de moins de 5 ans souffrant la malnutrition P33.

Caractéristiques du milieu rural à Madagascar 

Dans son rapport de 2001 sur la pauvreté rurale, le Fonds International de Développement Agricole (FIDA) fait constater qu’environ « 60% des pauvres de la planète continueront à vivre et à travailler dans les campagnes en 2020, et 50% en 2035 ». Ces chiffres font constater que la pauvreté rurale continue à gagner de jour en jour du terrain et constitue un problème majeur sur lequel les autorités étatiques mondiales, surtout celles des pays en développement, ont à se pencher sérieusement. En effet, il convient de signaler que la recherche de tout développement passerait avant tout par la réduction, sinon à l’éradication, de la pauvreté rurale. D’après ce qui précède, Madagascar est un pays à population majoritairement agricole, environ 80% de la population. La pauvreté se concentre surtout dans des zones rurales. Cette situation est liée à un manque de revenu vue que les activités économiques y sont peu prometteuses alors que l’accès au crédit s’avère encore difficile.

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Une population rurale paupérisée
Les paysans malgaches cultivent en moyenne moins de deux hectares pour vivre 5 à 6 personnes. Ils travaillent majoritairement à la main, et parfois en culture attelée avec une simple paire de zébus, sur des parcelles extrêmement morcelées. De ce fait, non mécanisable, l’agriculture n’utilise que peu d’engrais et de semence améliorée. Son rendement est ainsi très bas. La production est d’abord destinée à l’autoconsommation, c’est-à-dire pour nourrir la famille. Les surplus, une part infime de la production, sont vendus pour subvenir aux besoins quotidiens. Par conséquent, les investissements pour les années à venir sont bloqués. En outre, faute de moyen pour nourrir leurs animaux, des paysans, en ce moment de crise, préfèrent brader leurs poules et porcelets plutôt que de les voir mourir de faim. Or l’avenir de Madagascar est étroitement lié à l’agriculture et l’agroalimentaire puisque c’est l’activité la plus dominante. Pourtant, les industries agroalimentaires ne constituent qu’une part infime des entreprises formelles du pays et représentent plus de la moitié des capitaux d’ensembles. Actuellement, le milieu rural demeure une situation délicate. La plupart des ménages vivent dans l’insécurité alimentaire. Le ratio alimentaire est essentiellement composé de deux denrées : le riz et le manioc. Pour augmenter la productivité rurale, l’amélioration de la sécurité alimentaire est un point focal. En effet, en absence de sécurité alimentaire, les paysans sont réticents pour dépenser de l’énergie et assumer les risques qui sont associés aux investissements induisant l’innovation. A côté de cet état primitif de l’agriculture dans les milieux ruraux malgaches, d’autres facteurs viennent aggraver la situation et bloquer le développement dans ces zones. Il en est ainsi du problème de propriété foncière, des enclavements de beaucoup de régions rurales, de l’insuffisance du niveau d’éducation et de la dégradation de l’environnement. De plus, les paysans sont victimes d’insécurité sociale. Dans la partie Sud du pays, par exemple, le vol de bœuf est un cas fréquent… Enfin, les paysans, faute de revenu nécessaire pour subvenir à leurs besoins autres qu’agricole, écoulent tous leurs produits en période de récolte à des prix bas. Pourtant, en période de soudure, ils les rachètent à un prix plus élevé auprès des commerçants qui les ont stockés entre les deux périodes. A titre d’illustration, prenons le cas du riz. Les commerçants qui stockent le riz se trouvent habituellement dans les villes. Ils y stockent le riz qu’ils ont acheté dans les zones productrices à la récolte et qu’ils y revendent en période de soudure. Le riz est ainsi transporté deux fois sur la même distance et les coûts ainsi encourus doivent être inclus dans le prix du riz au consommateur à part les bénéfices des collecteurs. Les prix sont plus élevés dans les villes en période de récolte quand les produits arrivent des zones rurales, mais sont plus bas en période de soudure, quand le flux est inversé. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ce phénomène, les agriculteurs n’ont ni les liquidités nécessaires ni les capacités infrastructurelles pour stocker les produits. Par conséquent, la paupérisation de la population rurale s’en suit. Il y a la mortalité maternelle et infantile élevée, la mortalité due aux maladies endémiques élevées. Ensuite, la diminution voire perdition des capitaux, des avoirs entrainant la baisse des revenus et du pouvoir d’achat. Et enfin, il y a l’absence marquée d’initiative locale et passivité face aux problèmes et contraintes de développement.

Table des matières

INTRODUCTION
I. Revue théorique de la pauvreté et des microfinances
I-1- Généralités sur la pauvreté
I-1-1 Définitions et mesure de la pauvreté
I-1-1-1 Définitions
I-1-1-2 Mesure
I-1-2 Caractéristiques du milieu rural à Madagascar
I-1-2-1 Une population rurale paupérisée
I-1-2-2 Contraintes liées à l’accès au crédit
I-1-3 Approche théorique sur la pauvreté
I-1-3-1 Economie normative fondée sur la liberté
a-Les principes de la justice comme équité
b-Les « biens premiers » dans la théorie de John Rawls
I-1-3-2 L’approche par les capacités : apport de Sen
I-2- Approche théorique sur les microfinances
I-2-1 Définitions et objectifs des microfinances
I-2-2 Historique des microfinances à Madagascar
I-2-3 Fondements théoriques des microfinances
I-2-3 -1 Théorie d’asymétrie d’information
a) Les prêts groupés à base de caution solidaire
b) Le contrat de dette standard
c) Les incitations dynamiques et autres facteurs
I-2-3 -2 Théorie des coûts de transaction
a)L’origine et les facteurs influençant les coûts de transaction
b) Mesure concrète des coûts de transaction
c) Les possibilités organisationnelles d’économiser les coûts de transaction
II. Analyse des microfinances a Madagascar
II-1 Microfinances, réduction de la pauvreté et ses limites
II-1 -1 Impacts socio-économiques
II-1 -1 -1 Les impacts économiques et financiers des microfinances
a)Réintégration des exclus du système bancaire classique
b)Lutte contre la pauvreté
c) Portée du microcrédit en terme de lutte contre la pauvreté
d) Microfinancements
e) Création d’emploi et insertion dans la vie professionnelle
II-1 -1 -2 Les impacts sociaux
a-Emancipation de la femme
b-Amélioration des conditions de vie des paysans
c-Renforcement du lien social
II-1 -2 Facteurs limitant l’accès des pauvres ruraux aux microfinances
II-1 -2 -1 Les Facteurs liés aux caractéristiques de la population cible
a-La situation géographique
b-Le niveau d’alphabétisation
L’âge
c-L’identité légale
d-Le niveau de revenu
e-Le caractère risqué de l’agriculture
f-La culture
II-1 -2 -2 Les facteurs liés aux IMF
a-La perte de confiance vis-à-vis de l’institution
b-Le niveau d’attractivité du produit
II -2 Recommandations
II-2-1 Modernisation et sécurisation du secteur agricole
II-2-2 Réduction du taux d’intérêt
II-2-3 Soutient de l’Etat aux IMF
II-2-4 Adaptation de l’offre de crédit aux caractéristiques du secteur agricole
II-2-5 Amélioration de la sécurisation du crédit à l’agriculture
II-2-6 Décloisonnement du secteur des microfinances
II-2-7 Renforcement des liens entre secteur agricole et secteur microfinances
CONCLUSION 

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