MATERIEL ET METHODES
Population étudiée
Étude descriptive rétrospective, monocentrique réalisée au CH d’Avignon sur tous les décès survenus aux urgences ou à l’UHCD (Unité d’Hospitalisation de Courte Durée) du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2018. Seuls les dossiers du SAU adulte ont été analysés.
Ont été inclus tous les patients transférés ou ayant consulté aux urgences et qui sont décédés au sein même des urgences ou à l’UHCD dans les suites. Ont été exclus les patients décédés durant le transport jusqu’au SAU, les patients mineurs et les femmes enceintes.
Méthode
Les données ont été recueillies dans le logiciel, Terminal Urgences, utilisé aux urgences d’Avignon et dans les dossiers patients informatiques du centre hospitalier.
Les informations extraites sont : le sexe, la tranche d’âge, les pathologies responsables du décès, le délai entre l’arrivée aux urgences et le décès, le lieu de vie, le moyen de transport, la notion de soins palliatifs connus, la qualité de la personne ayant adressé le patient, un antécédent de consultation aux urgences ou une hospitalisation dans le mois qui précède et enfin l’orientation du patient dans les différents secteurs à l’arrivée aux urgences.
Objectifs principal et secondaires
L’objectif principal est de déterminer l’incidence des décès sur cette période. Les objectifs secondaires comprennent : la comparaison de l’incidence des décès au SAU d’Avignon par rapport aux données de la littérature et l’analyse descriptive de la population décédée. Nous allons également faire une analyse descriptive centrée sur le sous-groupe des patients en soins palliatifs connus, en comparant ces données au reste de la population.
Analyse statistique
Concernant l’analyse statistique, la description de la population étudiée fait état de sommes (pourcentages) pour les variables catégorielles. La comparaison des variables indépendantes en analyse univariée a été obtenue en utilisant selon les modalités le test du Chi2 ou le test exact de Fisher. Le risque alpha a été fixé à 5% bilatéral, et pour toutes les analyses un coefficient p < 0.05 était considéré comme statistiquement significatif. Nous n’avons pas fait de correction pour tenir compte des comparaisons multiples et les résultats issus de ces comparaisons n’ont de valeur qu’exploratoire.
RESULTATS
Au total, 141 patients décédés aux urgences ou à l’UHCD sur l’année 2018 ont été inclus. Le nombre de passages dans ce service sur la même période est de 67331, l’incidence de la mortalité est donc de 0.21%.
Analyse descriptive de la population
Les caractéristiques de base de la population incluse sont résumées dans le Tableau 1.
La majorité des patients (68.1%) a plus de 75 ans et la répartition entre les sexes est équilibrée.
L’étude des causes de mortalité révèle en premier lieu les décès par pathologies cardio-respiratoires (45.4%), suivis par les décès liés à une acutisation de pathologies néoplasiques (citées comme pathologies oncologiques dans nos résultats) (19.1%).
Les décès surviennent très majoritairement dans les vingt-quatre premières heures (71.6%).
Les arrivées sont plus fréquentes en journée, 60.3% des cas contre 39.7% en soirée ou nuit. La notion de soirée s’applique dans notre étude après 18h30. Ce seuil temporel a été défini après prise en compte de l’heure à laquelle les médecins de ville ferment leurs cabinets ou n’acceptent plus de rajout sur leurs consultations.
Les patients proviennent en majorité de leur domicile (64.5%). Il est également nécessaire de souligner qu’un quart de la population provient elle de maisons de retraite (25.5%).
Nous avons également étudié par qui les patients étaient adressés aux urgences.
Nous avons ainsi distingué la population en quatre catégories : patients adressés par le médecin traitant, par du personnel paramédical (IDE (Infirmière Diplômée d’Etat) ou aide-soignante à domicile ou maison de retraite), par un autre médecin ne connaissant pas obligatoirement le patient, ou non adressés (venant suite à une demande familiale ou en raison de leurs motivations propres). Selon nos résultats, 48.9% des patients ne sont pas adressés. Parmi le reste de la population, la majorité est adressée par le médecin traitant ou un personnel paramédical.
Concernant le transport des patients les ambulances privées sont le moyen majoritaire d’arrivée aux urgences. Plus d’un tiers des patients (38.3%) a consulté au CH d’Avignon dans le mois précédent.
L’orientation du patient par l’IAO (Infirmière d’Accueil et d’Orientation) sur avis du MAO (Médecin d’Accueil et d’Orientation) est faite au déchocage dans plus de deux tiers des cas (68.8%).
Analyse des causes de décès par tranche d’âge
L’analyse des pathologies causales en fonction de l’âge révèle une répartition identique des étiologies de décès entre les catégories, excepté pour les 18-35 ans touchés en premier lieu par les causes traumatiques (Figure 1).
Analyse descriptive de la population soins palliatifs connus
Sur les 141 patients décédés aux urgences, 41 d’entre eux étaient en soins palliatifs connus soit 29.1% (presque un tiers de cette population). Ces patients souffrent de pathologies neurologiques avancées, de pathologies cardio-pulmonaires chroniques, de néoplasies au stade terminal. Il semble donc intéressant de faire une analyse sur cette population.
Les résultats de l’analyse épidémiologique et comparative de la population selon la notion de soins palliatifs connus est exposée dans le Tableau 2.
La principale cause de décès chez les patients en soins palliatifs connus est oncologique dans presque un cas sur deux (48.8%) puis cardio-respiratoires (29.3%). Plus des deux tiers de ces patients décèdent en moins de 24h (70.7%).
On ne retrouve pas de différence significative concernant l’heure d’arrivée, 22 patients arrivent de jour (53.7%) contre 19 de nuit (46.3%).
La majorité des patients arrive de leur domicile (73.2%). Il est important de noter qu’un pourcentage non négligeable de cette population provient de maisons de retraite (22.0%).
Les patients adressés par un professionnel de santé qui doit connaître le dossier médical s’élève à 39.0% chez les patients en soins palliatifs connus.
La majorité des patients arrive en ambulance privée (46.3%). Le reste de la cohorte se partageant entre un transport par un VSAV (Véhicule de Secours et d’Assistance aux Victimes) pompiers (34.1%) ou SAMU (19.5%).
Quasiment la moitié de cette population (43.9%) a consulté au CH d’Avignon dans le mois précédent, dont 12.2% aux urgences et 31.7% en hospitalisation.
Analyse comparative entre les deux populations
On note que les pathologies cardio-respiratoires sont plus représentées chez les patients qui ne sont pas en soins palliatifs connus de façon significative (p = 0.014). D’autre part les pathologies oncologiques sont plus souvent présentes chez les patients en soins palliatifs (p < 0.01).
Pour les autres analyses, aucune différence statistiquement significative sur la répartition n’a été retrouvée.
DISCUSSION
Les SAU se doivent d’accueillir toute personne sans sélection, se présentant en situation d’urgence. Une des principales missions s’inscrit dans l’accueil des patients présentant une détresse vitale, situation pouvant dans certains cas se conclure par un décès. Les données récentes de la littérature concernant la mortalité aux urgences sont faibles, et correspondent le plus souvent à un relevé d’incidence sans analyse épidémiologique détaillée. Nous avons ainsi voulu réaliser une caractérisation de ces décès, au sein d’un centre hospitalier périphérique de grande taille du Vaucluse où le service des urgences draine un nombre important de patients chaque année. Ainsi nous espérons, sans pouvoir réaliser de recueil national, obtenir des réponses potentiellement extrapolables à la majorité des centres. Notre étude montre qu’au CH d’Avignon l’incidence de la mortalité est de 0.2% sur l’année 2018. Cette incidence est comparable aux données de la littérature (5–8) et est stable depuis plusieurs années (7).
L’analyse descriptive des patients décédés au sein des urgences ou en UHCD nous donne en revanche de nouvelles informations. Concernant la cause du décès, nous retrouvons en seconde position l’acutisation de pathologies oncologiques, après lescauses cardio-respiratoires. Il est nécessaire de noter que parmi ces patients qui décèdent dans les suites d’une pathologie néoplasique, 76.9% sont classés en soins palliatifs connus. Ce constat représente un changement en comparaison des dernières données (9), mais semble suivre l’évolution globale des causes de mortalité en France.
Le vieillissement de la population, ainsi que l’augmentation du nombre de cancers (11– 13), induit logiquement un changement dans la répartition des causes de mortalité, ceci se reflétant dans le panel de patients accueillis aux urgences. Depuis les années 1990 les SAU accueillent de plus en plus de patients en fin de vie et ces patients décèdent au sein même des urgences (6,7). En revanche, et d’autant plus si la majorité de ces patients « oncologiques » est pris en charge de façon palliative, il est nécessaire d’envisager un changement de prise en charge pour ces patients-là, car dans ces cas, une hospitalisation sans passer par les urgences ou une prise en charge sur le lieu de vie semble plus adaptée. Globalement, parmi l’ensemble des patients décédés aux urgences du CH d’Avignon sur l’année 2018, 29.1% étaient en soins palliatifs connus. Dans cette sous-population, l’oncologie se retrouve être la principale cause de décès, ce qui est en accord avec la littérature (6,14,15).
Il est impératif devant ce constat de se poser la question de l’indication du passage aux urgences pour ces patients. Ces admissions révèlent un défaut d’anticipation bien en amont, compliquant davantage la démarche de soins aux urgences. « Il faut admettre l’existence d’une « chaîne éthique » qui met en avant l’idée que le caractère éthique de l’agir médical n’est pas le fruit d’une personne isolée […] mais d’une stratégie commune intégrant l’ensemble des acteurs, malade et proches compris » (16). Il est alors intéressant de faire la comparaison entre ces patients en soins palliatifs versus le reste de la population. Logiquement, la notion même de palliatif induit l’arrêt de toute thérapeutique active, et ainsi nous nous attendions à trouver des différences significatives dans l’analyse épidémiologique de ces patients. Au contraire, les résultats de notre étude ne montrent aucune différence statistiquement significative.
Parmi les personnes adressant les patients palliatifs au SAU, les professionnels de santé qui sont censés connaitre le dossier médical (médecin traitant, IDE ou aidesoignante) représentent 39.0% des cas, chiffre bien plus important que ce qu’il était raisonnable d’attendre. Ceci soulève le problème de la gestion des soins palliatifs en ville du côté des personnels de santé et par là-même des médecins traitants (17). Il serait intéressant de recueillir le point de vue sur les soins palliatifs en ville des médecins généralistes et IDE libérales afin de mieux comprendre les problématiques liées à cette gestion. Une formation ou un entretien avec la personne qui pose les soins palliatifs pourrait être proposé à ce personnel médical et paramédical de premier recours, afin de les guider dans leurs décisions de prise en charge le moment venu.
Celle-ci peut être le maintien à domicile lorsque le souhait de mourir à domicile a été exprimé, ou le déplacement dans une structure pour accompagner ceux qui ne désirent pas mourir à domicile. Les SAU ne sont pas le lieu adéquat pour la prise en charge des fins de vie. La charge de travail liée à l’afflux continu des urgences rend le personnel moins disponible pour ces patients, ce qui entraine un manque de dialogue (en particulier avec la famille). On comprend ces arguments, déjà cités dans plusieurs études (18,19), qui rendent de nombreuses situations délicates et conflictuelles, à la fois pour les patients, les accompagnants et le personnel travaillant aux urgences.
Par ailleurs, un peu plus de la moitié des patients n’est pas adressée par une personne en particulier, ce qui fait suspecter la participation de l’entourage familial du patient à l’envoi aux urgences. On ne retrouve que peu de littérature sur ce sujet, mais les accompagnants peuvent se retrouver démunis dans cette situation, avec l’espoir d’une amélioration, une mauvaise compréhension du diagnostic et donc des soins palliatifs, ou encore la peur de la survenue de la mort au domicile (4).