Chronique d’un déménagement annoncé
Après le changem ent de Direction en 2000, la dynam ique de compilation au Filmmuseum-Amsterdam change d’intensité mais pas forcément de qualité. Même si pendant notre travail de terrain sur place entre 2002 et 2005, nous constatons que la préserv ation et la programmation restent indissociables, mais segmentées. D’abord le NFM ne compte plus avec un investissement spectaculaire dont il avait bé néficié par le passé pour faire de nouvelles préservations. Il sem ble que s’ installe une certaine ‘routine’ de collab oration européenne, après une période de découvertes et d’expéri mentations. Il nous semble voir naître une nouvelle dynamique qui est encore influencée par la connaissance m aîtrisée des collections et les innovations des années 1990, ma is qui est également à lier à la mise à jour du catalogage, à l’arrivée des nouvelles acquisitions et à des nouvelles découvert es aux archives. De critères historiographiques et théoriques qui n’avaient pas encore été m is en avant au NFM peuvent toujours se retrouver par exem ple dans un programm e en juillet 2005 comme ‘ Heldinnen :
Elegant en Gevaarlijk’ où de films muets sont associés par Fossati à une approche gender et féministe. Le programme est accompagné d’une exposition d’affiches et de photographie, qui inclut une com pilation de Claudi Op den Ka mp à partir de film s programmés, bandeannonces, propagande, exposée en moniteur.
Le Filmmuseum-Amsterdam préserve toujours des films muets, souv ent étrangers et en fragments, mais également des film s sonores et en particulier néerlandais. Il y a donc des éléments de continuité comme de nouveauté da ns la politique du Musée. Nous considérons ses activités internes ou ses événe ments hors murs à vocation in ternationale. Ces derniers mettent en relief de façon prioritaire leurs collections. Le Musée organise deux des espaces de rencontre entre le public, les prof essionnels et l’équipe. D’abord l’Amsterdam Workshop célèbre sa 4e édition ‘Re-Assembling The Programme’, entre le 21 et le 24 juillet 2004, lequel est organisé par Elif Rongen-Kaynakçi et Nico de Klerk. Suivant la trad ition des éditons passées, il s’agit d’une rencontre autour d’un sujet non traité de l’historiographie du cinéma : (…) This is an astounding lapse, given that the history of film exhibition is to a large extent the history of film programming and –showmanship. So, in order to study the programme format, it has to be reassembled, recreated, and re-imagined. (…) Everything you experience until you leave this ‘cinematic space’ constitutes the programme (…) ».”
De Klerk travaille su r ce concept ‘the program as a presentation format’ depuis l’édition de l’atelier 1994 dédié à la non-fiction. C’est une problém atique héritée de débats antérieurs. C ette fois, la programmation de l’atelier utilise de la documentation non-film (brochures, cahiers, affiches, publicité) à côté de bandes annonces, de com pilations des f ilms muets comme BIOGRAPH COMPILATIE (De Klerk, 2000), FILM IST 7-12 (Gustav Deutsch, 2002), BITS & PIECES, de programmes de télévision et sur Internet. Ces programmes questionnent les usages publics et privés du média avec une approche croisée, où le film est replacé dans la cultu re de l’image. L’Amsterdam Workshop propose de pl us des discussions autour du rôle des institutions dans l’écriture de l’histoire du ciném a, de la façon dont les études ci nématographiques et les cinémathèques y participent. Elsaesser opine que les chercheurs comme les cinéastes ont u n rôle à jouer dans la valorisa tion des archives du cinéma : (…) And the problem is ‘valorization’. In other words, the crucial point is that we in the film-historical and film-studies community have been relatively slow in developing discourses that could valorize this material. Fortunately, there are on both the theoretical and the practical side a whole lot of initiatives now. Just think what the whole found footage movement does with decontextualized fragments from very different provenances. (…) This is part of a new interest i the poetics of the fragment. I see this as one of the major bases on which film scholars can work with film archives, to produce discourses that can valorize aspects of a collection which otherwise falls through the grates. Indeed, it is not just an intellectual exercise, it is also an economic necessity, because the archives need to have those discourses in order to generate the money that allows them to restore and collect those items. »
Le programme devient un objet de réflexion en lui-même. La ‘poétique des fragments’ dans le travail de Delpeut résonne de façon indirecte pendant l’atelier qui est seulement citée alors par Gustav Deutsch : “The preservation and creation of the bits & pieces collection of the Nederlands Filmmuseum, by the former deputy-director Eric de Kuyper and his collaborator Peter Delpeut, was one of these very brave and challenging initiatives (…). It is an inexhaustible source for everybody who wants to find out morethan what received opinion tells about the medium film. It is rich, because it is not selective. It is instructive, because it is not didactic. It is related more to chaos theory than to archival ordering systems. It works with the law of probability rather than with logic. It is not an artwork or artistic composition, as the film A MOVIE by Bruce Conner is, because it is a random combination. But it can be seen as a programme that leaves it to the spectator to figure out its meaning.”
L’association entre prés ervation et programm ation aux archives est devenue un acquis, des discussions se déplacen t sur la faço n de valo riser les prog rammes eux-mêmes, puisque les copies de distribution s’avèren t d’une qualité exceptionn elle dans cette appr oche à l’histoire du cinéma. Le Filmmus eum a un r apport de médiateur pédagogique avec le grand public autant qu’avec les pu blics spécialisés, les chercheurs, surtout certaines communautés d’historiens qui travaillent sur le CPT et assi stent régulièrement à ces ateliers. Le multimédia (Internet, DVD, Cd-Rom) permmetent aux compilateurs du Musée d’avoir un rapport de plusen plus interactif avec les spectateurs intéressés.
Depuis une vingtaine d’années , la quantité comm e la quali té des restau rations du Filmmuseum surprennent sur la scène de programmation des cinémathèques. Par exemple, sur la totalité des projections au Giornate de Cinema Muto entre 1982 et 2001, environ 10% des films muets programmés proviennent du Musée. 1237 Si le Filmmuseum ne coproduit plus le festival Il Cinema Ritrovato, Meyer et De Klerk figurent en 2004 dans le cultural board (avec Farinelli, Mazzanti et Martinelli sous la direction artistique de Peter Vo n Bagh) pendant que le Musée p articipe toujours avec s es travaux de restauration et ses essais p ionniers de programmation. Nous avons l’im pression pendant nos visites à Bologne (2003-2005) que l’alliance de l’axe italo-néerlandais a changé d’intensité par rapport aux années 1990, et s’est déplacé vers l’Europe du nord. Ceci est un sig ne que les alliances se transform ent dans la communauté européenne des cinémathèques.1238 Pendant que des résea ux prennent naissance ou s’intensifient, certains réseaux peuvent s’affaiblir, d’autres disparaître ou voir leurs efforts réduits à néant, comme le festival CinéMémoire arrêté en 1997. Les expériences des années 1990 retentissent enco re. Dans le circuit des festivals néerlandais de forte tradition internationale (IDFA, IF FR) il s’ajoute depuis 2003 la Filmmuseu m Biennale à Amsterdam. C’est un espace riche notamment à travers la qualité des restaurations signées au génériqu e par certaines cinémathèques, symbole d’un prestige revendiqué. Le s professionnels de la scène archivistique et de la recherche s’y rendent peu à peu tous les deux ans avec un public local assidu. L’équipe de préservation du Musée se montre très active pour faire connaître leurs dernières restaurations qui sont souvent le résu ltat de l’éch ange avec d’autres institutions. Par exemple entre le 5 au 10 avril de 2005, nous assis tons à une rétrospective dédiée à la ciném athèque du Danish Film Institute, et pendant les projections avec concerts live nous reconn aissons les m usiciens collaborateurs du Musée depuis les années 1990. Une variété de com pilations à partir de la collection BITS & PIECES est présentée avec une composition d’Uitti (Double Vision) et HUMAN BITS (compilé par Ronny Temme) accompagné d’un D. J. live. De Klerk affi rme avec raison qu e cette collection est un : « myth some how Eric and Peter left as programmers ».
La Biennale est aussi un espace de discussions académiques comme archivistiques, depuis les expériences des laboratoires aux problém atiques que posent les nouvelles technologies numériques. La restauration BEYOND THE ROCKS (Sam Wood, E.U., 1922) est en prem ière. Ce drame qui réunit les stars Gloria S wanson et Rudolph Valentino est récemment découvert alors que jusqu’à là il était considéré perdu. Cette restaurati on numérique est une nouveauté initiée par Fossati, docum enté par Rongen, avec une nouvelle sonorisation crée par Henny Vrienten. Une autre belle redécouverte est la restauration de ce qui semble jusqu’à maintenant l’unique copie de LE MYSTERE DE LA TOUR EIFFEL (Duvivier, 1927) sonorisée par une composition de Fay Lovsky avec une interpréta tion du bruitage et de la mu sique par Gert-Jan Blom , Cok van Vuuren et Joost Belinfante. Le film est programmé également dans une section dédiée aux restaurations récemment instaurée au Festival International du Cinéma à Cannes. Tout ce qui témoigne de l’essor du m arché des film s restaurés dont le sym ptôme majeur est certainement le dév eloppement des éditions film en DVD. 1239 Il y en a de plus en plus de films muets, notamment du CPT et récemm ent de la société Gaumont mais malheureusement avec des copies sans couleur des films de Perret par exemple.1240 La qualité n’est pas toujours au rendez-vous comme quand Gaumont même provoquait une polémique précoce par sa belle restauration en couleur et en num érique de FANTOMAS (L. Fe uillade, 1913-1914). En plus de l’ouverture du circuit DVD, les restaurations sont objet de concours et de prix comme celui de Focal où BEYOND THE ROCKS est en co ncurrence avec la restauration GARDEN PRINCESS (Lobster), dont un extrait nous semble est d’ailleurs com pilé dans DANSES COSMOPOLITES,épisode 33ème de la série DE CINEMA PERDU (1995).