La dénitrification dans les aquifères
Il existe deux types de dénitrification dans les aquifères. La dénitrification organohétérotrophe est une oxydation de la matière organique du sol par des bactéries dénitrifiantes qui utilisent l’oxygène des nitrates dans des milieux pauvres en oxygène. Même si certaines études ont montré la présence d’une dénitrification hétérotrophe dans les eaux souterraines, notamment dans la nappe de la craie dans le Nord de la France (Mariotti et al., 1988), la dénitrification hétérotrophe est généralement limitée dans les aquifères par les faibles teneurs en carbone organique.
Le second type de dénitrification est la dénitrification chimiolitotrophe ou autotrophe. Elle se produit par oxydation de composés inorganique réducteurs. Les nitrates servent d’accepteurs d’électrons alors que les espèces inorganiques réduites servent de donneurs d’électrons. La dénitrification autotrophe utilise du fer réduit (Fe(II)) ou des sulfures, comme la pyrite (Korom, 1992; Spalding et Parott, 1994; Tesoriero et al., 2000; Chen et MacQuarrie, 2004; Wriedt, 2004).
Lorsque la diminution des concentrations en nitrate est accompagnée par une augmentation des concentrations en sulfate, on peut conclure qu’une dénitrification autotrophe a eu lieu (Stumm et Morgan, 1981; Mariotti, 1986; Rödelsperger, 1989; Pauwels et al., 2000). La présence de fortes concentrations en fer réduit est un facteur favorable à la dénitrification autotrophe.
Les taux de dénitrification dépendent des caractéristiques biologiques et chimiques des aquifères mais aussi des conditions d’écoulement (Mariotti, 1994). Dans les aquifères confinés, le taux de dénitrification peut augmenter jusqu’à 20 mgN/L (Korom, 1992). Au contraire, dans certains sites étudiés les taux de dénitrification sont très faibles et plusieurs dizaines d’années de temps de résidence de l’eau dans les aquifères seraientnécessaires pour éliminer la contamination présente dans l’aquifère au moment de l’étude (Green et al., 2008). Le temps de résidence de l’eau dans l’aquifère est en effet un paramètre déterminant sur la quantité de nitrate dénitrifié. Les roches consolidées ont en général des capacités dénitrifiantes faibles comme par exemple les roches calcaires (Kunkel et al., 2004; Sebilo, 2003; Flipo, 2005). Dans le bassin de la Seine, Sebilo (2003) montre que les nitrates des eaux d’infiltration et les nitrates des eaux souterraines ont les mêmes valeurs de δ 15N-NO3- S’il y avait une dénitrification souterraine alors les eaux souterraines seraient enrichies. D’après ces études, il est admis que les aquifères calcaires du bassin de la Seine ont une capacité de dénitrification très réduite.
Transformations de l’azote dans les zones ripariennes
Les zones ripariennes sont reconnues comme éléments importants dans le paysage pour leur capacité de rétention de l’azote apporté aux rivière par les eaux souterraines, de surface et de subsurface. Les zones ripariennes désignent sensu stricto les zones de berge végétalisées présentes le long du lit de la rivière. Ce terme est ici utilisé dans une acception plus large, représentant les zones d’interface entre les versants et les cours d’eau. Ce sont les zones de fond de vallée, caractérisées par des sols à caractère souvent hydromorphe à cause du contact fréquent de la nappe souterraine avec les horizons supérieurs, biogéochimiquement actifs, des sols. Elles sont considérées comme un des sites déterminants en ce qui concerne le transfert des matières (eau, soluté, matières en suspension)apportées aux rivières depuis les milieux terrestres. En particulier, l’azote minéral lessivé dans les parties amont du bassin (les plateaux et les versants) traverse cette zone riparienne avant d’atteindre le réseau hydrographique.
Les premières études sur les zones ripariennes ont été réalisées par des bilans de masse à l’échelle du bassin versant (Vitousek et Reiners, 1975; Likens et al., 1977) ou à l’échelle de la zone riparienne. Lowrance et al. (1984) ont mis en évidence un défaut de bilan en azote qui ne pouvait être expliqué que par des processus d’élimination de l’azote. Depuis, dans la plupart des études sur les écoulements à travers la zone riparienne, les gradients de concentrations sont mesurés grâce à des transects piézométriques perpendiculairement à la rivière pour quantifier une éventuelle rétention en nutriments (Peterjohn et Correll, 1984; Knauer et Mander, 1989; Haycock et al., 1993; Pinay et al., 1995; Vought et al., 1994, 1995; Haycock et Pinay, 1993; Hill, 1993)
Les études sur les zones ripariennes dans les bassins versants agricoles montrent leur réel potentiel épurateur, pouvant aller jusqu’à 90% des flux de nitrates qui lui parviennent (Lowrance et al., 1984, Peterjohn et Correll, 1984; Jacob et Gilliam, 1985; Haycock et Pinay, 1993; Hill, 1996; Burt et al., 1999; Cey et al., 1999; Hill et al., 2000; Clement et al., 2003).
Les processus mis en jeu dans la rétention riparienne
Pendant la période de croissance des végétaux, l’absorption racinaire peut être un processus non négligeable de rétention de l’azote, (Howard-Williams et al., 1982, Haycock et al., 1993), et peut même être le processus de rétention dominant (Groffman et al., 1992).
En hiver, le besoin des plantes en nutriment est plus faible et pourtant de la rétention en azote est observée. Enfin, concernant le type de végétation, les études sont contradictoires. Certaines montrent que les zones forestières sont plus efficaces car les arbres ont des racines plus profondes que l’herbe et donc que l’absorption racinaire est plus importante (Osborne et Kovacic, 1993; Lowrance et al., 1995). D’autres montrent qu’il y a plus de matière organique en profondeur dans les zones herbacées et donc que cela favorise la dénitrification (Haycock et al., 1993; Hefting et al., 2005).
La dénitrification est souvent considérée comme le principal mécanisme à l’origine du caractère « épurateur » des zones ripariennes (Haycock et Pinay, 1993; Gilliam, 1994; Hefting et al., 2006). Les conditions rencontrées dans ce milieu, c’est-à-dire l’anaérobiose, un taux élevé de matière organique et un faible potentiel d’oxydoréduction sont propices à la dénitrification. La présence de nitrate et de carbone assimilable sont souvent des facteurs contrôlant la dénitrification dans les zonesripariennes (Groffman et al., 1996; Hill et al., 2000).
Transformations de l’azote dans le réseau hydrographique de surface
Le dernier compartiment qui intervient dans la rétention et le transfert de l’azote à l’échelle du bassin versant est le réseau hydrographique de surface. Différents processus peuvent intervenir dans la rétention des nitrates dans les cours d’eau. Les trois principaux processus qui ont été identifiés sont l’absorption par les végétaux aquatiques, la denitrification et l’immobilisation dans les sédiments (Birgand et al., 2007).
De nombreuses études montrent le rôle des macrophytes dans l’élimination de l’azote des cours d’eaux agricoles. Ce processus peut être le processus principal de rétention de l’azote et peut représenter 40 à 70% de la rétention pendant les périodes d’étiage (Jansson et al., 1994). Le facteur limitant n’est pas en général la présence d’azote ou de phosphore mais plutôt la lumière ou les forts courants d’eau. L’absorption racinaire par les macrophytes a été beaucoup moins étudiée mais la capacité de rétention semble être établie (Ehrlich et Slack, 1969 ; Triska et al., 1989; Isenhart et Crumpton, 1989 ; Kim et al., 1992 ; House et al., 2001).
Le deuxième facteur d’importance est le stockage de l’azote dans les sédiments. La rétention d’azote par immobilisation peut être importante en été (Svendsen et Kronvang, 1993), mais la matière déposée durant cette période peut disparaître durant les premières crues automnales. De plus, les sédiments accumulés pendant la période de croissance des macrophytes peuvent disparaître lors de la sénescence et la décomposition de ces végétaux (Shultz et al., 2003).
Enfin, la dénitrification est un processus d’élimination par opposition à l’absorption racinaire ou l’immobilisation dans les sédiments qui sont des processus de stockage, souvent temporaire, de l’azote. La dénitrification dans la colonne d’eau est faible et négligeable dans les cours d’eau agricoles bien oxygénés (Garcia-Ruiz et al., 1998; Seitzinger, 1988). La dénitrification dans les biofilms dépend de l’épaisseur et de l’étendue du biofilm (Duff et al., 1984; Sorensen et al., 1988).
Les sédiments sont le principal site de dénitrification (Nielsen, 1992; Jensen et al., 1994). Les nitrates diffusent de la colonne d’eau vers les sédiments. D’après Birgand (2000), il existe une corrélation positive entre la concentration en nitrate dans la colonne d’eau et le taux de dénitrification.
La couche superficielle des sédiments est une zone souvent riche en matière organique et pauvre en oxygène (Grimaldi et Chaplot, 2000) ce qui est favorable à la dénitrification. Les valeurs des taux de dissipation trouvées dans la littérature sont très hétérogènes ; elles varient de 15 à 2900 mg N/m²/jour.
Cependant, la majorité des valeurs sont comprises entre 50 et 800 mg N/m²/jour dans les fossés agricoles.
L’importance de la dénitrification benthique et celle de la dénitrification riparienne varient en fonction du bassin versant. Dans le bassin de la Seine, Billen et Garnier (1999) ont estimé que la dénitrification riparienne explique les 2/3 de l’élimination d’azote tandis que la dénitrification benthique ne représente qu’un tiers de l’azote éliminé. Des études réalisées dans d’autres grands bassins versants montrent que la rétention « in-stream » peut représenter une part importante voire majoritaire de la rétention globale (Birgand et al., 2007). Dans tous les cas, à l’échelle du bassin versant, les deux processus de dénitrification, in-stream et riparien, jouent un rôle significatif dans lebilan d’azote.
Conclusion
Dans les bassins versants classiques, sans drainage artificiel, des zones amont que sont les parcelles agricoles jusqu’aux zones aval que sont les cours d’eau, la rétention de l’azote est largement mise en évidence dans les systèmes d’interface que sont les zones ripariennes et les sédiments des cours d’eau. Le processus biologique de dénitrification apparaît comme étant le processus majeur d’élimination de l’azote dans le paysage.
De nombreuses conditions sont requises pour que ce processus de dénitrification ait lieu au cours du transfert de l’azote dans le bassin versant dans les zones transversales d’interface. Les processus hydrologiques qui connectent les différents compartiments apparaissent comme des facteurs essentiels de la rétention de l’azote à l’échelle du bassin versant. En effet, le passage de l’azote dans les zones potentiellement « épuratrices » ainsi qu’un temps de résidence assez long de l’azote dans ces mêmes zones sont des conditions requises pour qu’il y ait denitrification. C’est donc l’équilibre entre les processus hydrologiques de transfert de l’azote et les processus de rétention de l’azote qui définit les exportations en azote à l’exutoire des bassins versants.