Contamination du sol par les pesticides
La zone des Niayes est caractérisée par des sols poreux et perméables. Ainsi, avant l’étude de la contamination des eaux par les pesticides, il serait intéressant de regarder le comportement de ceux-ci par rapport au sol. Des études sur la contamination des sols par les pesticides organochlorés montrent sur 40 prélèvements dont 23 pour l’eau et 17 pour le sol, un niveau de contamination important avec des moyennes très supérieures aux normes (tableau 4) [8]. Ces substances sont les insecticides de la première génération avec comme tête de file le DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane) qui a été efficace dans la lutte contre les moustiques, vecteurs du parasite responsable du paludisme. Ces pesticides sont caractérisés par leur persistance dans l’environnement et peuvent donc s’accumuler dans le sol, les plantes et les graisses. Ainsi ils sont parfois décelés dans les denrées alimentaires (viande, lait, fromage, légumes…). Actuellement, hormis le lindane, ils sont interdits dans beaucoup de pays [W.10].
Les organochlorés peuvent entraîner une pollution de la nappe entretenue par le processus de lessivage et d’infiltration.
La contamination des sols par les pesticides organochlorés, entraîne impérativement une contamination des eaux de la nappe phréatique. Ceci est le résultat non seulement d’une mauvaise pratique agricole notée dans les chapitres précédents, d’un sol perméable mais aussi d’une faible profondeur de la nappe phréatique. Les résultats préliminaires de Cissé et al [8] sur la contamination des eaux par les organochlorés notamment le DDT et ses dérivés, l’heptachlore, la dieldrine, l’endrine, le HCH, etc, montrent des niveaux de contamination importante. Pourtant ces insecticides organochlorés sont inscrits sur la liste des polluants organiques persistants (POPs), devenus actuellement une préoccupation internationale [W.10]. En effet, selon toujours la convention de Stockholm, les POPs sont caractérisés par leurs persistances. Ainsi, ils peuvent rester intacts des années voire des décennies avant de se dégrader en des formes moins dangereuses. Elles s’évaporent et voyagent sur de longues distances dans l’air et dans l’eau, s’accumulent dans les tissus adipeux et elles sont hautement toxiques. Ainsi, dans le but de réduire la contamination des eaux, l’élimination des produits organochlorés persistants dans l’agriculture des zones vulnérables doit être une nécessité.
Toujours dans le même sillage, les analyses faites sur la nappe phréatique de six sites de la zone des Niayes de Dakar (figure 8), montrent des niveaux de contamination réelle. En effet en inspectant de prés les résultats, force est de reconnaitre que la presque totalité des eaux de puits sont polluées car elles dépassent de loin les normes de potabilité de l’eau. Elles sont fixées à 0.1µg/l pour une matière active distincte et de 0.5µg/l de matières actives au total [W.11].
En examinant ce tableau, on constate que hormis le lindane (0.22 µg/l), le chlorpyrifos éthyle (0.73µg/l), et la deltamethtrin (0.079 µg/l), toutes les autres substances dépassent largement les normes recommandées par l’OMS. Les concentrations moyennes de résidus les plus élevées présentes dans la nappe, sont observées avec les organophosphorés notamment le malathion, le chlopyrifosméthyle et le chlopyrifoséthyle avec respectivement des valeurs de 11.88µg/l, 1.45µg/l et, 0.73µg/l. Ces concentrations élevées, s’expliquent par leur utilisation abusive et fréquente pour le traitement des cultures. Si nous prenons par exemple le cas du malathion, sa forte concentration était prévisible car on avait vu que 43% des producteurs l’utilisaient et pourtant il n’était plus autorisé. Si ces organophosphorés sont persistants dans la nappe, c’est à cause de leur mauvaise utilisation (mauvais dosage, fréquence…) car les organophosphorés sont caractérisés par leur faible persistance. En fait sous l’effet du soleil, ils se dégradent facilement en des produits moins toxiques comme l’acide phosphorique. Il en est de même pour les pyréthrinoides tels que la cyperméthrin.
Prenant en compte les concentrations totales, on peut ainsi remarquer que les niveaux de contamination atteignent des seuils très élevés. C’est le cas du puits P08 où la concentration totale de matières actives de pesticides est de 162.62µg/l soit 325 fois la valeur guide (0.5µg/l). Le minimum de concentration observable au niveau du puits P16 est de 1.42 µg/l soit près de trois fois la valeur guide. Vu ces résultats, on remarque que la contamination ne laisse aucun des puits chimiquement purs.
Au niveau des sites, la pollution de la nappe est plus marquée dans le site de Guédiawaye avec une concentration moyenne totale de 51.21 µg/l soit 102 fois supérieure à la valeur guide, suivi de Malika où la moyenne de la concentration totale est de 37.68 µg/l soit 75 fois la norme. Loin derrière se trouvent Cambérène et Pikine où les concentrations moyennes totales sont respectivement de 4.35µg/l soit 8 fois la norme et 6.34µg/l soit 12 fois la norme. Ces sites demeurent ainsi les moins contaminés après Mbao et Niaga qui présentent des valeurs moyennes de concentrations totales respectives de 12.7µg/l soit 25 fois la norme et 17.28µg/l soit 35 fois la norme.
Selon Anne [2], des analyses d’eau de nappe ont été effectuées à plusieurs saisons dans les sites d’agriculture urbaine et dans les puits des quartiers à proximité. Le flux total de pesticides a été estimé à 60kg/ha/an, totalisant 15 matières actives. Seules deux de ces matières actives sont autorisées par le Comité Sahélien des Pesticides qui règlemente l’usage des pesticides dans neuf pays d’Afrique de l’Ouest. Les plus utilisés par les producteurs sont l’organochloré dicofol, les organophosphorés méthamidophos, diméthoate, fénithrotion ainsi que le carbamate méthomyl. Les résultats d’analyse d’eaux obtenus à Dakar ont donné des concentrations très élevées en méthylparathion, méthamidophos, dicofol, et diméthoate (de l’ordre de plusieurs centaines de µg/l). Les pesticides qui présentent un risque élevé de contamination des eaux souterraines et qui devraient être prioritaires pour un suivi analytique sont : le carbofuran, le diméthoate, l’éthoprophos et le méthomyl [2]. En outre, une étude de la pollution de la nappe phréatique par les pesticides par prélèvement de 45 puits (Thiaroye, Malika, Niaga) [4] a montré des résultats qui viennent confirmer le niveau de contamination élevé par rapport aux normes de potabilités édictées par l’Organisation Mondiale de la Santé. Les valeurs mesurées ont montré une pollution inquiétante de la nappe phréatique au niveau de tous les sites de prélèvement (tableau 7). Dans l’ensemble des sites, la pollution par le métamidophos est plus significative. Les teneurs obtenues par cet organophosphoré sont très élevées dans les puits de Niaga et de Thiaroye avec des pics respectifs de 45.8µg/l et 42.2 µg/l soit des valeurs 400 fois plus élevées que la norme de l’OMS. Le diméthoate et l’endosulfan sont fortement présents dans les puits du site de Thiaroye avec des concentrations respectives de 5,42µg/l et 3,70µg/l. Par contre le diméthoate, l’endosulfan et la deltaméthrine n’ont été détectés dans aucun puits de Niaga. Pour le dicofol, 8 puits sur 45 ont présenté des concentrations qui dépassent la norme avec des pics respectifs de 0.3µg/l, 0,58µg/l et 1.16µg/l à Niaga, Malika et Thiaroye.
Concernant la deltaméthrine, sa pollution est moins marquée pour l’ensemble des puits prospectés. Elle n’a été détectée que sous forme de traces à Thiaroye.
Environ 60% des légumes consommés à Dakar sont produits à l’intérieur même de la ville [10].On peut donc affirmer sans risque de se tromper que l’agriculture urbaine s’est bien implantée ; il convient alors de l’accepter et de ne pas marginaliser la population qui en tire son revenu ou minimiser sa contribution à l’approvisionnement des villes. Dans la zone des Niayes les dégâts causés par les parasites notamment les nématodes, vers et papillons ont montré que l’utilisation maîtrisée des pesticides est une pratique incontournable pour protéger les cultures [7]. Après examen des données de quelques études précédemment réalisées, force est de reconnaitre que le niveau de contamination de la nappe phréatique est alarmant avec des valeurs souvent égales à 100 fois voire 400 fois les normes édictées par l’OMS. Ces résultats sont en rapport avec l’absence de professionnalisme des agriculteurs qui ignorent totalement les bonnes pratiques agricoles surtout en ce qui concerne l’utilisation des pesticides (délai d’application, doses appliquées, fréquences de traitements, modes d’application, etc). Ce qui justifie que les agriculteurs se focalisent uniquement dans la logique productiviste avec l’utilisation abusive des pesticides même si cette région, de par la faible profondeur de la nappe phréatique et la nature poreuse du sol est écologiquement fragile. Et ce qui est le plus choquant ici est la présence de l’endosulfan qui est réservé strictement à la culture du coton. Il est très dangereux à cause de sa capacité de se concentrer dans les tissus adipeux et de sa dégradation lente dans l’environnement.
Le risque d’exposition indirecte aux résidus de pesticides à travers les produits est d’autant plus inquiétant qu’ils ont été détectés dans les prélèvements effectués directement au niveau des exploitations agricoles. Là encore, l’organophosphoré méthamidophos et l’organochloré endosulfan s’illustrent avec des teneurs supérieures aux limites maximales admises [4]. Les problèmes que posent les résidus de pesticides restent encore mal connus ou alors ne font pas l’objet de préoccupation des maraichers dans la zone des Niayes de Dakar.
Les problèmes causés par les pesticides n’incombent pas seulement aux agriculteurs. En effet la distribution des pesticides se fait généralement par les différentes firmes, distributeurs et formulateurs eux mêmes installés dans le pays. Il n’y a pas de structure institutionnelle chargée de distribuer les pesticides sur le territoire Sénégalais. Aussi les marchands ambulants de produits phytosanitaires exercent sur tout le territoire [W.2, W.3]. Ceci facilite l’accès aux pesticides parfois prohibés notamment certains organochlorés (DDT, heptachlore, Dieldrine, Hexachlorohexane, Endosulfan, alachlore, endrine, etc). IL s’y ajoute que l’utilisation abusive des pesticides trouve son origine à la croissance urbaine qui a entrainé le grignotage des espaces à vocation agricole [1, 3, 6]. Il est pourtant possible de maintenir un équilibre entre l’urbanisation et l’agriculture si l’on prend en considération l’importance de l’agriculture urbaine dans ses fonctions structurantes d’amélioration de la qualité de la vie et dans le processus d’approvisionnement des villes. Le déficit juridique tant évoqué est donc confirmé par l’usage abusif et incontrôlé des pesticides dans la filière maraichère avec surtout la présence de l’endosulfan.
Conséquences sanitaires de la contamination des eaux par les pesticides
Au delà des risques encourus via la consommation des produits agricoles, la problématique des pesticides est d’autant plus inquiétante dans nos pays que les eaux naturelles sont strictement utilisées comme eau de boisson et aussi à des fins de ménage dans certaines localités. En fait certains pesticides tels que les organochlorés POPs sont rémanents. Ils s’accumulent dans les chaînes alimentaires et dans l’environnement avec toutes les conséquences sanitaires qui peuvent en découler. Les manipulateurs des pesticides sont les premières victimes des cas d’intoxications aiguës. Selon un communiqué conjoint de presse FAO/OMS du 05/10/2004, le nombre des intoxications par les pesticides se situe annuellement entre 1 et 5 millions avec des milliers de cas mortels [W.12]. Les pays en développement où les mesures de protection personnelle sont souvent inadéquates ou absentes sont les plus touchés soit 99 % des décès dus aux intoxications. En guise d’illustration, les POPs sont toxiques pour les animaux et pour les hommes, même avec de faibles niveaux d’exposition, provoquant des cancers, une perturbation du système immunitaire, des dommages au système nerveux, des lésions hépatiques, des pertes de mémoire, des maladies cardiovasculaires, des troubles endocriniens, des malformations congénitales et d’autres problèmes de reproduction.
Les enquêtes menées dans la zone des Niayes démontrent des pourcentages importants (25 %) d’individus ayant été victimes d’une intoxication. La situation est plus alarmante car, la plupart des maraîchers se souviennent difficilement de leurs antécédents avec les pesticides. Ainsi, dans la zone des Niayes notamment celle de Dakar, on remarque que 26 % des victimes d’intoxication ne peuvent se souvenir du produit incriminé. L’une des intoxications la plus fréquente est l’intoxication avec des signes neurologiques dont 52 % des cas souffrant souvent de nausées, des vertiges, d’étourdissements, etc.