Physiopathologie de l’ischémie mésentérique
A l’état basal et en situation physiologique, le tractus digestif reçoit environ 20% du débit cardiaque pour assurer son fonctionnement. Le TC a un débit basal d’environ 800mL/min de sang et l’AMS un débit basal d’environ 500mL/min. En phase post-prandiale, ce débit va augmenter de 30% dans le tronc cœliaque pour atteindre 1100mL /min alors que le débit dans l’AMS va augmenter de près de 150% pour atteindre environ 1400mL/min. L’AMI a un rôle très limité avec un débit basal d’environ 50ml/min.
Cette augmentation de débit répond à l’augmentation du métabolisme en phase post-prandiale pour assurer la digestion, et est régulé par de nombreux facteurs intrinsèques et extrinsèques comme le système nerveux autonome, les métabolites locaux et certaines hormones.
Les sténoses des artères viscérales vont avoir un impact sur le débit sanguin qui ne pourra pas s’adapter à la phase post-prandiale.
L’ischémie mésentérique chronique est un phénomène qui s’installe progressivement et qui permet à l’organisme de s’adapter via les arcades de suppléance qui vont se développer. En phase post-prandiale, les douleurs correspondent à une souffrance intestinale du fait de l’inadéquation entre les besoins et dépenses en oxygène. Ce phénomène est limité dans le temps et ne va pas entraîner de conséquences locales et systémiques contrairement à l’ischémie mésentérique aiguë où la souffrance ischémique va perdurer dans le temps et entraîner des lésions irréversibles avec une réponse inflammatoire importante et une atteinte à distance, notamment pulmonaire . Au niveau microscopique, cela signifie que les microvillosités sont capables de supporter une courte ischémie-reperfusion sans entraîner une réponse inflammatoire systémique. Lors d’une courte période d’ischémie (par exemple un effort physique important ou une chirurgie avec un clampage mésentérique court) on va observer la création d’un espace sous-épithélial dans la microvésicule puis une contraction de la pointe en fermeture éclaire qui va se dégrader tandis que la muqueuse va se restaurer au niveau de l’espace sous-épithéliale sans entraîner de réponse inflammatoire. Au contraire, en cas d’ischémie prolongée (ischémie aiguë sur embole cardiaque dans l’AMS par exemple), on va observer une destruction épithéliale qui va entraîner une translocation bactérienne et une réponse inflammatoire.
Examens complémentaires
A ce stade il n’existe pas de marqueur biologique de routine pour le diagnostic d’ischémie mésentérique chronique malgré des résultats encourageants .
L’imagerie est utilisée pour confirmer le diagnostique clinique et permet d’évaluer l’état artériel afin de planifier un geste de revascularisation.
Echo Doppler : La première utilisation de l’échodoppler (ED) dans le diagnostic de sténoses d’artères digestives date de 1984 et a été rapportée par le Dr Jäger à Washington. C’est l’examen de première intention à réaliser en cas de suspicion de sténose d’artère digestive . Il est facile d’accès, strictement non invasif et peu coûteux. Dans une étude prospective qui comparait l’artériographie à l’ED, 83% des TC et 93% des AMS étaient visualisés vs 100% des TC et 99% des AMS à l’artériographie. Ses principales limites sont : la morphologie du patient notamment chez les obèses, l’interposition de gaz digestifs et les calcifications aortiques limitant la propagation ultrasonore. De plus, il nécessite un opérateur entraîné. Il apporte une information hémodynamique. Il est admis qu’un pic de vitesse systolique (PSV) supérieur à 2m/s pour le TC et 2,7m/s pour l’AMS est hautement significatif d’une sténose ostiale >70%, cependant ce critère peut varier selon les études, notamment si on prend compte de la respiration .
Son utilisation post-opératoire est importante pour définir une vitesse post-opératoire de référence. Il n’y a pas de consensus sur une vitesse de référence post-opératoire définissant une resténose, mais un suivi régulier montrant une augmentation du PSV est un marqueur de dégradation de la revascularisation (pontage ou endovasculaire).
Tomodensitométrie : L’angio-tomodensitométrie (angioTDM) est devenue un examen de choix chez les patients ayant une suspicion modérée à forte d’ischémie mésentérique chronique. Les reconstructions multi planaires (MPR) des coupes axiales permettent une analyse fine des vaisseaux avec une sensibilité de 96% et une spécificité de 94% dans le diagnostic de sténoses ou occlusions des artères digestives. Il apporte, en plus du doppler, une analyse morphologique et permet de planifier le geste opératoire. De plus il permet d’analyser le lit d’aval des vaisseaux cibles, la présence de pathologies associées (sténo-occlusion de l’aorte et ses branches) et d’évaluer le tube digestif, notamment dans le cadre de l’urgence (acutisation d’ischémie mésentérique chronique avec souffrance digestive).
Ses deux principaux inconvénients sont la nécessité d’injecter un produit de contraste iodé en quantité importante (environ 120mL) et son caractère irradiant.
Diagnostic clinique
Il repose sur une triade symptomatique alliant des douleurs post-prandiales, une perte de poids et une diarrhée chronique.
La douleur post-prandiale ou angor mésentérique est le signe le plus précoce et fréquent (82 à 93% des cas), elle est quasiment pathognomonique de l’ischémie mésentérique chronique. Cette douleur est épigastrique ou péri-ombilicale. Elle apparaît 10 à 15 minutes après le début de l’alimentation, puis augmente progressivement pour atteindre un plateau et disparaît lentement en 1 à 3 heures.
La perte de poids est fréquente (81 % des cas). Elle est importante (souvent 10kg au moment du diagnostic) et résulte plus d’une crainte de la douleur motivant les patients à diminuer volontairement leurs apports alimentaires que par la malabsorption, dont le rôle dans l’amaigrissement semble mineur. Une diarrhée n’est présente que dans 33 % des cas et peut être remplacée par une constipation ou des vomissements . La triade diagnostique n’est complète que dans 38% des cas et on observe un délai d’environ un an entre le début des symptômes et le moment où le diagnostic d’ischémie mésentérique chronique est posé.
Traitement chirurgical
La chirurgie ouverte implique plusieurs choix : le type d’incision : médiane (transpéritonéale) ou par voie gauche (rétropéritonéale), le matériel : veine ou prothèse, la configuration du pontage : antérograde ou rétrograde, l’axe donneur (aorte, iliaques, pontage), le nombre de vaisseaux à reconstruire (simple ou multiples).
Le choix de la technique est à adapter en fonction de la configuration des lésions et de l’état clinique du patient . Ceux avec un état clinique précaire (cachexie, âge avancé, cardiopathie sévère, insuffisance rénale ou respiratoire) semblent de moins bons candidats aux revascularisations supra cœliaques.
Il existe trois types de revascularisation chirurgicale : Les pontages qui sont réalisés majoritairement en prothèse ou en veine, si l’artère est de petit calibre ou s’il existe un risque infectieux. Ils peuvent être antérogrades (à partir de l’aorte cœliaque ou thoracique basse), rétrogrades (à partir de l’aorte sous rénale ou d’un iliaque) et plus rarement à partir de l’aorte thoracique ascendante (aorte ventrale).L’endartériectomie, technique historique, est moins réalisée aujourd’hui mais elle a l’avantage de ne pas laisser de matériel en place. Elle peut être pratiquée de manière isolée, sur une artère digestive par éversion ou par voie trans-aortique pour traiter plusieurs axes en même temps, notamment en cas de coral reef. Elle impose cependant que les lésions soient proximales ou limitées aux ostiums.
Cas des patients asymptomatiques
Du fait du développement important de l’imagerie, notamment du TDM et du doppler, un nombre important de lésions artérielles des artères digestives est découvert de manière fortuite. Ainsi ces patients constituent une forme à part entière de l’ischémie mésentérique chronique. On estime que 20 à 50% des patients ayant présenté une ischémie mésentérique aiguë n’avaient pas présenté de tableau d’angor mésentérique malgré des lésions artérielles préexistantes.
Une revascularisation de ces patients semble donc justifiée mais cette stratégie est encore sujet à débat et aucune recommandation à ce sujet n’existe dans la littérature récente .
Table des matières
I DEFINITIONS
II INTRODUCTION
A) RAPPEL HISTORIQUE
B) ANATOMIE FONCTIONNELLE
C) PHYSIOPATHOLOGIE DE L’ISCHEMIE MESENTERIQUE
D) EPIDEMIOLOGIE ET GENERALITES
E) DIAGNOSTIC
a. Diagnostic clinique
b. Cas des patients asymptomatiques
F) EXAMENS COMPLEMENTAIRES
a. Echo Doppler
b. Tomodensitométrie
c. Imagerie par Résonance Magnétique
d. Artériographie
e. Autres examens
G) TRAITEMENT
a. Traitement chirurgical
b. Traitement endovasculaire
c. Technique hybride
III JUSTIFICATION DU TYPE ET DU BUT DE L’ETUDE
IV MATERIELS ET METHODES
A) TYPE D’ETUDE
B) CRITERES D’INCLUSION ET D’EXCLUSION DES PATIENTS
C) RECUEIL DES DONNEES
a. Le diagnostic clinique
b. Lésions pré-opératoires
c. Données per et post-opératoires immédiates
d. Le suivi
D) ANALYSE ET METHODOLOGIE STATISTIQUE
V RESULTATS
A) POPULATION ETUDIEE
a. Groupe chirurgie ouverte
b. Groupe endovasculaire
B) COMPARABILITE DES GROUPES
a. Symptômes
b. Démographie et comorbidités
c. Nombre de vaisseaux traités
C) RESULTATS POST-OPERATOIRES PRECOCES
a. Succès technique
b. Durée moyenne d’hospitalisation et de séjour en réanimation
c. Morbi-mortalité post-opératoire
D) RESULTATS A LONG TERME
a. Suivi
b. Réintervention
c. Perméabilité
d. Survie
e. Survie sans reprise
VI DISCUSSION
A) POPULATION
a. Symptômes
b. Comorbidités
c. Nombre de vaisseaux traités
d. Technique et matériel utilisés
B) RESULTATS PERI-OPERATOIRES
a. Succès technique
b. Mortalité post-opératoire
c. Morbidité post-opératoire
d. Durée de séjour hospitalier
e. Evolution des pratiques
C) RESULTATS A LONG TERME
a. Perméabilité primaire et secondaire
b. Survie globale
c. Survie sans réintervention
d. Facteurs prédictifs de resténose et de réintervention
e. Etude de coût
D) LIMITES DE NOTRE ETUDE
VII CONCLUSION
VIII BIBLIOGRAPHIE