De l’identification des contraintes environnementales à l’évaluation des performances agronomiques dans un système irrigué collectif
Un cas d’étude des oasis du Nefzaoua
une longue et riche histoire vs. une situation actuelle préoccupante « Du grand Chott El Djérid la méharée fendait … Entre ce lac salé et ces vagues figées, l’ironie du destin a voulu l’abondance. Une source jaillit qui prodigue la vie ». Contrastes D . Malassis (2000) Le Nefzaoua constitue la zone d’étude. Les critères qui ont mené à ce choix sont : l’importance des surfaces des oasis et des productions de palmier dattier qu’il présente, sa représentativité de la problématique socioéconomique et environnementale du sud tunisien, et l’existence de données d’études en dehors de cette thèse. Dans ce chapitre, la première partie décrit le contexte régional du Nefzaoua, et la seconde décrit le site d’étude et le situe dans son contexte régional.
La région du Nefzaoua : historique, enjeux et défis
Un article scientifique (Mekki et al., 2009) dans lequel nous analysons l’agro-système oasien du Nefzaoua à partir des études et des statistiques sur la région en intégrant les aspects biophysiques et socioéconomiques dans un cadre conceptuel a été soumis à la revue « Regional environmental change ». Dans ce mémoire nous présentons une description sommaire de ce système.
Historique et importance socio-économique
Depuis les temps les plus reculés de l’histoire, des sources artésiennes ont permis le développement d’une agriculture oasienne pérenne sans aucune autre pareille en Tunisie. Les systèmes traditionnels de production oasienne étaient basés sur un aménagement hydraulique ingénieux, des règles de gestion des ressources foncières et hydriques basés sur des doits d’eau ancestraux, l’étagement des cultures et la diversification des variétés du palmier dattier (Battesti, 2005). La gestion collective de l’irrigation dans les oasis est une tradition ancestrale basée sur une organisation ingénieuse développée depuis le XIIIe siècle par Ibn Chabat. Les doits d’eau sont exprimés en nombre de clepsydre localement appelé ‘gadous’, et l’aiguadier, ‘Goddas’, avait acquit une autorité coutumière lui permettant de faire respecter les droits d’eau (Baduel & Baduel, 1980 ; Bédoucha, 1987). En matière de drainage, les oasiens le considéraient comme le complément indispensable de l’irrigation et les oasis étaient drainées par des canaux à ciel ouvert localement appelés ‘Khnadeq’. Ces canaux étaient creusés, à une profondeur moyenne de 1.5 à -22- 2.5 m, et entretenus par l’ensemble de la communauté oasienne. L’ingéniosité de ces réseaux réside dans le fait que leur écartement répondait correctement aux exigences de l’hydraulique souterraine (en milieu saturé dans les sols à perméabilité élevée et en régime transitoire) (Ennabli, 1993). Toutefois, la richesse des techniques hydrauliques et leur extrême ingéniosité masquaient la grande fragilité des systèmes oasiens et l’effet de l’extrême aridité du climat (Kassah, 1998). Dans ces systèmes oasien, la culture du palmier dattier jouait un rôle socio-économique important dans la subsidence et dans la fixation des nomades (Sghaier, 1995 ; Kassah, 1996). Au cours de la période de prospérité de la fin du XVIIe siècle, l’organisation du système de culture agricole en trois strates de couverture végétale et l’équilibre des rapports entre les oasis et l’extérieur ont permis le développement d’une économie hautement intégrée dans laquelle les activités extraagricoles (artisanat, commerce) jouaient un rôle considérable. Des calamités de toutes sortes (famine, choléra, exactions fiscales des pouvoirs publics…) ont ensuite frappé la population tunisienne au XIXe siècle. Elles ont été l’amorce d’un processus de désintégration de l’économie oasienne dont l’équilibre a été totalement rompu à l’époque coloniale. Il s’est traduit par le développement de mouvements migratoires dès la fin du XIXe siècle, s’accentuant à partir des années 1930 (Belhedi, 1998 ; Kassab, 1980). La situation s’est encore dégradée avec le tarissement progressif des sources et des forages artésiens. Le processus migratoire a été interrompu dans les années 1970 suite au démarrage des travaux du Plan directeur des eaux du sud (PDES) pour la sauvegarde et la rénovation des anciennes oasis, et la création de nouvelles oasis dans les zones du Djérid et Nefzaoua (Kassah, 1996). Ces oasis deviennent alors le théâtre de transformations économiques et sociales importantes en réponse à une demande croissante de l’exportation de dattes (Bou Ali, 1988). Le secteur du palmier dattier forme le pilier de l’économie actuelle de la région du Sud. La production nationale de dattes est passée de 80,000 tonnes en 1995 à 135,000 tonnes en 2006. La région du Nefzaoua contribue à la moitié de la production totale du pays. Le contexte économique actuel favorise la monovariété de dattes Deglet Nour qui représentait 45 % en 1977 pour atteindre 60% des effectifs de palmiers en 2002. Actuellement la production des dattes Deglet Nour représente près de 80% de la production totale du Nefzaoua (MARH & GIF, 2007 ; FAOSTAT, 2009). D’une superficie totale de 22,900 Km², actuellement, la région du Nefzaoua couvre 48% de la superficie totale des oasis tunisiennes avec près de 15,600 ha de palmeraies (100 oasis) juxtaposant des paysages d’anciennes et nouvelles (publiques et privées) oasis du sud de la Tunisie (ONAGRI, 2001) (Fig. 2.1). En termes effectif, la région du Nefzaoua représente -23- 47% des 4,155 millions de pieds dont 1,589 millions de pieds Deglet Nour (ONAGRI, 2001). Suite aux aléas climatiques, essentiellement les vents forts printaniers (pollinisation) et les pluies automnales (qualité de la récolte), la production des dattes Deglet Nour est très variable d’une année à l’autre. La production de dattes Deglet Nour a passé de 52,000 tonnes en 1998-99 à 40,000 tonnes en 2000-01 dans le Nefzaoua (MARH & GIF, 2007 ; FAOSTAT, 2009). Kébili. Le Nefzaoua est limité vers le nord, nord est et l’est par un relief montagneux formé par le Jebel Tébaga et les monts de Matmata. Le Chott El Djérid contourne le Nefzaoua au Nord et à l’Ouest. Le Sud et le Sud Est du Nefzaoua sont limités par Sahara septentrional (Erg oriental).
Climat
La région du Nefzaoua est soumise à l’influence du climat continental, froid en hiver et chaud en été. Elle appartient à l’étage méditerranéen saharien, sous-étage supérieur à hiver froid. La saison chaude s’étale de juin à septembre est la saison chaude. Le mois de juin est le mois le plus chaud, la température moyenne atteint 31.8 °C et la moyenne des températures maximales est de 41.7 °C. La saison froide s’étale de décembre à février où la température moyenne ne dépasse pas 12 °C. Les pluies sont plus fréquentes pendant cette période. Contrairement à la saison sèche, la saison froide est caractérisée par une pluviométrie relativement abondante (92.4 mm.an-1), un taux d’humidité assez élevé (52%), un faible pouvoir évaporatoire, et une température basse (Kadri & Ranst, 2002). L’évapotranspiration est importante et estimée à 1,680 mm dans les oasis de Kébili (Sarfatti, 1988) quant au besoin annuel en eau d’irrigation est estimé à 1,578 mm, avec un maximum de 272 mm en août (Sanyu Consultants Inc., 1996). La région de Nefzaoua subit l’influence des vents chauds (sirocco) du secteur ouest en été, des vents froids et sec du secteur Ouest et Nord-Ouest en hiver, et les vents de sable du secteur est et nord est au printemps. Ces derniers vents sont les plus fréquents (120 j.an-1). La vitesse moyenne du vent dans cette région est de 1.45 m.s-1 .
Extension des surfaces irriguées et contraintes environnementales
Les oasis étaient alimentées par des sources d’eau artésiennes provenant des nappes souterraines hérités des derniers épisodes pluvieux du quaternaire. Toutefois, le débit des ces sources a commencé à diminuer aux années 50 jusqu’au tarissement complet (années 70). La disponibilité en eau d’irrigation devient alors un facteur essentiel au maintien de l’équilibre aussi fragile des systèmes de production oasiens. Les eaux ont un caractère fossile et sont de plus en plus rare ; s’ajoute à cette contrainte de disponibilité la gestion de l’eau. En effet, les interventions successives dans les oasis anciennes ont fragilisé le droit d’eau instauré depuis plusieurs siècles. Les règles collectives et les comportements individuels ne paraissent plus en mesure de garantir une productivité élevée de l’eau et de la terre. -25- Depuis les années 70, l’Etat aura consacré d’importants investissements dans le cadre du Plan Directeur des Eaux du Sud (PDES) pour la réalisation de nombreux forages. Ce projet visait une large allocation en ressources en eau à partir des deux aquifères du Complexe Terminal (CT) et du Continental Intercalaire (CI) par le remplacement des forages vétustes et la création de nouveaux forages. Il s’agit essentiellement de la sauvegarde de 136 oasis traditionnelles d’une superficie de 23,200 ha souffrant d’un déficit hydrique important, et de la création de 32 nouvelles oasis sur 4,700 ha dans les régions du Jérid (Tozeur) et Nefzaoua (Kébili), Gafsa et Gabès. Dans le Nefzaoua, le projet a été implémenté entre 1984 et 1995 dans 50 oasis traditionnelles de superficie 4,300 ha et dans 4 nouvelles oasis de 300 ha (Gharbi, 2009). La nappe du CT, caractérisée par une profondeur de 80 à 400 m de, une eau froide et une salinité moyenne de 1.5 g.l-1, a été graduellement exploitée, initialement la plupart des forages étaient artésiens, ensuite le mode d’exploitation a vite évolué au pompage à cause des prélèvements importants et la chute du niveau piézométrique. Par rapport à un potentiel exploitable estimé à 4.50 m3 .s -1 (Sghaier, 2006), les prélèvements ont plus que septuplé de 1.4 à 10.5 m3 .s -1 entre 1950 et 2002 et les prélèvements des forages ‘illicites’ ont passé de seulement 0.025 m3 .s-1 en 1981 à 6 m 3 .s -1 en 2002. Cette exploitation accrue du CT a provoqué un abaissement du niveau piézométrique dans la région du Nefzaoua de 1 m.an-1 durant ces trois dernières décennies (Mamou & Hlaimi, 1999). Cette surexploitation a provoqué l’augmentation de la salinité de l’eau, le rabattement des nappes et la disparition de l’artésianisme, et donc le recours de plus en plus important au pompage occasionnant l’accroissement des coûts d’exhaure et d’exploitation des ressources en eau. L’exploitation du CI (800 à 2,500 m de profondeur, température de l’eau supérieure à 55 °C) a commencé au début des années 80. La salinité de l’eau varie de 2 à 4 g.l-1 (El Fahem et al., 2004). La majorité des forages CI sont encore artésiens. Récemment, l’Etat investit dans une stratégie nationale d’économie d’eau et d’amélioration de l’efficience du drainage dans le cadre du projet d’Amélioration des Périmètres Irrigués dans les Oasis du Sud (APIOS) afin de préserver les ressources en eau souterraine non renouvelables et de mieux valoriser les eaux utilisées mais aussi dans la lutte contre l’hydromorphie et la salinisation des sols (Al Atiri, 2005). Le projet a été implémenté depuis 1997 jusqu’à 2005 dans 88 oasis de superficie de 14,425 ha répartis sur 8 oasis de 3,467 ha à Gafsa, 20 oasis de 3,143 ha à Tozeur, 30 oasis de 4,115 ha à Gabès et 30 oasis de 3,700 ha à Kébili (Gharbi, 2009). Malgré ces investissements réalisés, le déficit en eau est particulièrement marqué à cause d’extensions continues de nouvelles plantations qui empêchent systématiquement de résorber le -26- déficit dès que de nouveaux forages sont créés, en particulier sur la presqu’île de Kébili (Kassab, 1980). Les extensions privées se sont principalement faites à la faveur de nouveaux forages considérés comme ‘illicites’ et sont particulièrement nombreuses dans le Nefzaoua (7,000 ha). Quant aux extensions à la périphérie des anciennes oasis, elles se sont faites progressivement et sont de l’ordre de 1,000 ha dans le Nefzaoua (Kassah, 1996). La réalisation par l’Etat des forages profonds pour réduire le déficit en eau des anciennes oasis va permettre de détourner une partie de l’eau vers de nouvelles terres et l’irrigation de nouvelles plantations. Le tour d’eau ancestral se voit ainsi largement perturbé par ce processus. La réhabilitation des anciennes oasis a aussi été à l’origine d’une nouvelle différenciation sociale. Ceux qui disposent de revenus non agricoles ont réussi à investir dans la réalisation de forages ‘illicites’ et à entreprendre des extensions. En revanche, ceux qui ont peu de ressources possèdent de petites exploitations ou sont situés au centre de l’ancienne oasis ont du mal à s’adapter. C’est désormais dans le cadre de stratégies familiales de diversification des ressources et de pluriactivité que la reconduction d’une agriculture familiale rentable peut être assurée. En plus du déficit persistant de l’irrigation, la surexploitation des eaux souterraines dans le sud tunisien représentent un des principaux enjeux du développement économique et social de ces régions dont la population reste encore essentiellement agricole (Kassah, 1998). De plus, ces oasis sont localement confrontées à une salinité élevée des eaux d’irrigation et à des manifestations d’engorgement et de salinité des oasis situées à proximité du Chott El Djérid, souvent accentuées par la faible efficacité des systèmes de drainage. D’autre part, le coût de la mobilisation de nouvelles ressources devient de plus en plus élevé. L’exploitation excessive, qui a induit l’abaissement des niveaux piézométriques et le recours au pompage, augmente ainsi le coût de l’exhaure. 2.2 L’oasis de Fatnassa, un système ancien largement anthropisé L’oasis de Fatnassa est une oasis historique ayant hérité de tous les précédents changements qui ont touché la région du Nefzaoua. Ce site cadre de ce travail de thèse a été choisi par l’Institut National de Recherches en Génie Rural, Eaux et Forêts depuis 2000 comme un terrain d’étude dans le cadre du programme de recherche PISA. Un réseau de piézomètres pour le suivi de la nappe superficielle et de la salinité des sols a été mis en place depuis cette date et l’évaluation du réseau de drainage et du bilan hydrique à l’échelle parcellaire et de l’aménagement a également été effectuée (Ben Aissa, 2006).
Localisation géographique
Administrativement, la région de Fatnassa appartient à la délégation de Souk Lahad, gouvernorat de Kébili (33.8° N ; 8.7° E). La population est estimée à 2,889 habitants formant 593 ménages (Gammoudi & Sghaier, 2007). Et comme presque toutes les oasis du sud, l’oasis et le village portent le même nom. L’oasis est limitée au nord-est par le village de Fatnassa, à l’ouest et au sud par Chott El Djérid (Fig. 2.1). L’oasis de Fatnassa est divisée en deux parties : Fatnassa Nord et Fatnassa Sud. Fatnassa Nord, notée Fatnassa, constitue le terrain d’étude pour ce travail de recherche.
Le milieu physique
Le sol de l’oasis de Fatnassa est de texture sableuse à sablo-limoneuse avec une capacité de rétention et une réserve utile en eau très faibles. Le taux de gypse excède généralement 40 % (STUDI & BRLi, 1999). La circulation de l’eau et la présence d’une nappe salée peuvent favoriser la genèse de formations gypseuses (croûtes gypseuses de nappe ou encroûtement gypseux de nappe) difficilement pénétrables par les racines du palmier (El Fekih & Pouget, 1966). La nappe superficielle est salée et très proche de la surface surtout en période hivernale. Sa profondeur moyenne varie de 0.80±0.24 m en hiver avec un maximum au mois de février, à 1.06±0.40 m en été (Ben Aissa, 2006). L’apport hivernal excédentaire des eaux d’irrigation (SAPI, 2005), mais aussi la nature du sol (capacité de transfert élevée et une capacité de rétention en eau faible), accentuent la réalimentation de la nappe. De ce fait, sa réponse à l’irrigation est immédiate par contre, son tarissement est plus lent (Ben Aissa, 2006). La topographie de l’oasis et sa situation géographique en bordure du Chott limitent l’efficacité du drainage, naturel ou artificiel.
Ressources en eau, réseau de distribution d’eau et gestion de l’irrigation
L’oasis de Fatnassa est actuellement alimentée par trois sources d’eau (Fig.2.2) : un forage artésien au niveau du Continental intercalaire (CI) : le CI14 et deux forages au niveau du Complexe terminal (CT) : le forage de Taouargha et le forage de Fatnassa II. Le forage de Taouargha (profondeur : 54 m), artésien au début, s’est substitué en 1942 à la source artésienne progressivement tarie ; en suite, le pompage installé en 1987 débite 90 l.s-1 avec une salinité de 3.9 g.l-1. Le débit de ce forage est divisé à moitié entre l’oasis de Bechri et l’oasis de Fatnassa. Le forage de Fatnassa II (profondeur : 91 m) débite 50 l.s-1 avec un RS=3.6 g.l-1. Initialement utilisé aux années 70 pour l’irrigation d’un groupe de parcelles situées au nord de l’oasis, il a été intégré -28- au réseau collectif en 1991 avant l’installation du pompage en 1994. Le CI14, mis en place en 1992, est à une profondeur de 2,500 m et la salinité de l’eau est de 2.36 g.l-1. Ce forage est artésien, l’eau atteint la surface à une pression de 20 bars et une température de 71 °C. Le forage débite un débit maximum de 100 l.s-1, 80% du débit est acheminé vers un refroidisseur permettant de baisser la température à 45°C. Les 20 % restants du débit sont valorisés au niveau des serres pour la production de cultures maraîchères en primeur, puis rejetée vers un bassin de stockage. La connexion de ces rejets au réseau collectif est programmée en 2007. L’oasis de Fatnassa est desservie par un réseau collectif d’irrigation permettant d’acheminer l’eau des trois points de captage jusqu’à l’entrée des parcelles. Le réseau d’irrigation est constitué d’un réseau primaire permettant d’acheminer gravitairement dans des conduites souterraines : l’eau du forage CI 14 refroidie à 45 °C et celle pompée au niveau des deux forages, vers le partiteur. Au niveau du partiteur, l’eau mélangée est également partagée entre Fatnassa Nord et Fatnassa Sud pour desservir les 214 ha officiellement aménagés. L’oasis de Fatnassa Nord est alimentée par un réseau secondaire constitué de trois conduites souterraines (les antennes A1, A2 et A3) partant du partiteur. Chaque antenne alimente un secteur et un ensemble de bornes d’irrigation (Fig.2.2).
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