L’équilibre mesuré apporté par la lex rei sitae
A la différence des Conventions de Bruxelles et de Lugano et le règlement communautaire 44/2001, relatif à la compétence judiciaire, la Convention de Rome de 1980414, relative aux obligations contractuelles, dispose d’une interprétation plus souple du lieu de situation de l’immeuble. Ainsi, l’article 4-3415 de la Convention de Rome précise que « le contrat (ayant) pour objet un droit réel immobilier » est régi par la loi du lieu de situation de l’immeuble. A la différence des dispositions de la Convention de Bruxelles, il ne s’agit pas d’une mesure d’ordre public et cette présomption est susceptible d’être renversée si les parties ont convenu d’une autre loi que celle du lieu de situation de l’immeuble. Il n’y a pas de rattachement impératif au lieu de situation de l’immeuble en matière de conflits de lois, si les parties ont choisi une autre loi, comme la loi du consommateur éventuellement envisageable. Toutefois, il est vrai que l’acquéreur de droits de jouissance à temps partagé aura des difficultés à négocier la loi du contrat, étant donné que la plupart du temps, il s’agit d’un contrat d’adhésion. Certains auteurs ont pu relever un inconvénient à l’application de la lex rei sitae : « le rattachement impératif des questions de droits réels immobiliers à la loi du lieu de situation de l’immeuble fait obstacle à la possibilité de conférer à l’acquéreur d’un droit de jouissance à temps partagé un droit réel prévu par la loi d’un autre pays que celui du lieu de situation de l’immeuble »416. En effet, « si les droits réels au sens où nous l’entendons offrent de sérieuses garanties pour leur titulaire, encore faut-il que l’acquisition soit réalisée dans nos pays, ce qui sera rarement le cas du timesharing, à vocation plutôt internationale »
Il convient de nuancer cette affirmation lorsqu’on sait que l’Espagne, le Portugal et l’Italie représentent les Etats dont le taux de développement de résidences exploitées sous la forme de droits de jouissance à temps partagé est considérable.
La préférence accordée à la loi du consommateur
Outre le droit international privé conventionnel, le droit français prévoit des lois de police en matière de conflits de lois. Ainsi, l’article L. 121-74 du Code de la consommation porte précisément sur la protection du consommateur, il s’applique lorsque le bien est situé dans un Etat membre de la Communauté européenne et que la loi désignée pour régir le contrat ne correspondrait pas aux dispositions de la directive 94/47/CE. Par ailleurs, si le bien ne se situe pas sur le territoire d’un Etat membre de la Communauté européenne, mais que le consommateur concerné a établi sa résidence habituelle dans un Etat membre de la Communauté européenne, il ne pourra pas être privé des dispositions de la directive 94/47/CE, ceci dans trois situations déterminées par l’article L. 121-75 du Code de la consommation français. Il en sera ainsi lorsque : « 1°/ le contrat a été conclu dans l’Etat du lieu de résidence habituelle du consommateur ; 2°/ le contrat a été précédé dans cet Etat d’une offre spécialement faite ou d’une publicité et des actes accomplis par le consommateur nécessaires à la conclusion dudit contrat ; 3°/ le contrat a été conclu dans un Etat où le consommateur s’est rendu à la suite d’une proposition de voyage ou de séjour faite, directement ou indirectement, par le professionnel pour l’inciter à contracter »421. Toutefois, la directive 94/47/CE n’apporte pas de solution en droit international privé.
La « propriété temporaire », essai d’analyse des droits de jouissance à temps partagé l’article 5 sont très restrictives : la conclusion du contrat doit avoir été précédée, dans le pays de résidence du consommateur, d’une proposition spécialement faite ou une publicité ; il est également nécessaire que le consommateur ait accompli les actes nécessaires à la conclusion du contrat dans le pays dans lequel se situe sa résidence habituelle. L’article 5 de la Convention s’applique également « si le cocontractant du consommateur ou son représentant a reçu la commande du consommateur dans ce pays ». Ces hypothèses sont transposables à la matière des droits de jouissance à temps partagé, certes, mais la convention n’apporte pas de véritable protection dans ce domaine ; tout au moins, cela ne résout pas la majorité des litiges issus des droits de jouissance à temps partagé. En effet, il est peu probable que le consommateur ait fait l’objet d’une proposition ou d’une publicité dans son Etat de résidence ; les touristes consommateurs sont démarchés, traditionnellement, au cours d’un voyage à l’étranger.
Néanmoins, l’article L. 121-75 du Code français de la consommation le prévoit expressément. Toutefois, il convient d’apporter une nuance sur ce point. En effet, il est des situations où le futur acquéreur est sollicité en tant que consommateur : Il reçoit une proposition d’une société lui attribuant le gain d’un voyage et c’est au cours de ce voyage qu’il sera sollicité. Mais, en règle générale, le document mentionnant ce lot ne fait pas état de droits de jouissance à temps partagé. Par conséquent, doit-on considérer la proposition de voyage comme une publicité ou une proposition ? Il semble que si le document ne mentionne aucunement les droits de jouissance à temps partagé, les
Il est toutefois nécessaire de relever que la protection du consommateur, fondée sur la directive 94/47/CE, sera modulée suivant l’Etat membre dans lequel il réside. Ainsi, les lois italienne et espagnole n’accordent pas le même degré de protection. Les articles 11 et 12 du décret-loi italien n. 427 du 9 novembre 1998, traitent de la compétence territoriale relative à des conflits en la matière. L’article 10 prévoit que les litiges issus de l’application de ce décret seront impérativement de la compétence du juge du lieu de résidence ou du domicile de l’acquéreur, à condition que ces éléments se situent sur le territoire de l’Etat italien. L’article 11, quant à lui, concerne plus précisément les droits de l’acquéreur, dans l’hypothèse de l’application d’une loi étrangère. Ainsi, si la loi à laquelle est soumis le contrat est étrangère à la loi italienne, les parties devront néanmoins respecter les dispositions protectrices de l’acquéreur mentionnées dans ce décret. Toutefois, les dispositions de l’article 11 ne sont applicables que lorsque « l’immeuble, objet du contrat se situe sur le territoire » de l’Etat italien.
La transposition italienne est réductrice par rapport aux dispositions adoptées par le droit français, si bien que le consommateur qui résiderait en Italie, disposerait de la faculté de saisir le juge italien. En revanche, cela ne détermine en rien la loi applicable, puisque les dispositions protectrices du décret ne sont valables que dans l’hypothèse où l’immeuble se situe sur le territoire italien. Or, si l’immeuble sur lequel portent les droits litigieux se situe en dehors de la
Communauté européenne, la loi étrangère sera applicable, de droit. Toutefois, le choix de la loi doit obéir à certaines exigences : elle ne doit pas être contraire à l’ordre public.
Deuxième partie : la réalité unitaire des droits de jouissance à temps partagé qualifications proposées ne peuvent être appliquées à cette situation. A défaut de reconnaître de telles circonstances, l’article ne peut être appliqué dans ce cas, ceci est également valable en ce qui concerne l’application de l’article L.121-75 du Code français de la consommation.
Par ailleurs, une remarque supplémentaire s’impose. L’article 5 de la Convention de Rome s’applique « aux contrats ayant pour objet la fourniture d’objets mobiliers corporels ou de service à une personne ». Or, les droits de jouissance à temps partagé ne supposent pas la fourniture d’objets mobiliers corporels.
Par ailleurs, l’article 4. b/ impose l’application de la loi du pays de résidence du consommateur « au contrat de fourniture de services lorsque les services dus au consommateur doivent être fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle ». Cette exclusion touche les contrats de droits de jouissance à temps partagé, lorsqu’on sait qu’ils ont une vocation essentiellement touristique. En effet, la résidence dans laquelle se situe le bien exploité sous la forme de droits de jouissance à temps partagé est établie à l’étranger, dans un pays autre que celui de la résidence habituelle du consommateur.
Par conséquent, l’appréciation de l’applicabilité de l’article 5 de la Convention pose de sérieuses difficultés aux différentes juridictions, de même qu’à une certaine partie de la doctrine. A titre d’exemple, les contrats portant sur les contrats de jouissance à temps partagé sont illustrés, en Allemagne, par les arrêts « Grande Canarie », et plus précisément par l’affaire « Grande Canarie II »422. L’Allemagne a transposé la directive 94/47/CE dans sa législation interne, par la loi du 20 décembre 1996 sur les droits d’habitation à temps partiel423. Lorsqu’on est en présence d’un contrat portant sur un bien à temps partagé, le conflit de lois porte nécessairement sur les deux alternatives suivantes : soit on applique l’article 5 de la Convention de Rome, établissant des règles protectrices à l’égard du consommateur, soit on applique la lex rei sitae424. Il résulte de l’article 4 alinéa 3 de la Convention que la lex rei sitae serait applicable, tant pour les droits réels immobiliers que pour les droits de jouissance425. La démarche complexe des juridictions allemandes avait pour objectif de protéger le consommateur. Les juges du fond se sont exposés à la sanction du Bundesgerichthof. Ainsi, afin de justifier l’application de l’article 5 de la Convention, les tribunaux allemands ont considéré que les contrats de jouissance à temps partagé constituent des contrats de fourniture de services. Ils relèvent qu’il existe un « ensemble de services » complet, qui « associe les possibilités de vacances et la gestion du placement du capital, par rapport auquel le bien immobilier lui-même vient au second plan ». L’application de l’article 5 est subordonnée à l’existence de conditions strictement énumérées dont celle-ci : « Le présent article s’applique aux contrats ayant pour objet la fourniture d’objets mobiliers corporels ou de services à une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, ainsi qu’aux contrats destinés au financement d’une telle fourniture »plutôt que vers la démarche qualificative amorcée. En effet, il serait très sérieusement bénéfique, pour ce titulaire, sous l’angle de la sécurité juridique, de voir reconnaître la loi de consommateur comme loi de police. La détermination de la juridiction compétente a permis de reconnaître de manière expresse les droits de jouissance à temps partagé sous la forme de droit réel. Les droits de jouissance à temps partagé sont, avant tout, des droits portant sur un immeuble et non de simples droits personnels. L’examen théorique de ces droits démontre qu’en la matière, la société ne constitue qu’un écran derrière lequel le caractère réel de ces droits est manifeste. Le Professeur MALINVAUD relevait, à propos du régime fiscal de la société d’attribution, très approchant de celui de la société d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé, que si « les parts ou actions d’attribution sont des meubles par détermination de la loi […] elles devraient donc suivre en tous points le régime des meubles »433 , a contrario, si comme tel est le cas dans la pratique, la fiscalité des droits de jouissance à temps partagé fait référence au régime applicable aux immeubles, il convient de conclure que les droits de jouissance à temps partagé sont des droits réels immobiliers. La détermination de la qualification juridique des droits de jouissance à temps partagé a permis d’analyser les caractéristiques du droit de créance et du droit réel, non seulement par une approche théorique de ces droits, mais également par d’autres branches du droit auxquelles se rattachent les droits de jouissance à temps partagé, telles que le droit des assurances, la fiscalité applicable et le financement de ces droits. Ces différentes approches ont permis de conclure à une insuffisance des critères du droit de créance susceptibles de couvrir les caractéristiques des droits de jouissance à temps partagé. Le droit réel est mieux adapté. Toutefois, le droit personnel n’est pas annihilé, mais il est accessoire à la nature juridique de la prestation principale.