Étude des décisions chronogénétiques des enseignants dans l’enseignement de la physique au collège
TRAITEMENT DES ENTRETIEN
Cette partie représente la suite de notre traitement de données ; nous y présenterons au fur et à mesure nos choix d’analyse.
LES ENTRETIENS AVANT ENSEIGNEMENT
Ce paragraphe concerne le traitement de l’entretien avec l’enseignante avant enseignement effectué afin de connaître son histoire et sa vision préalable du déroulement et de la progression de la séquence. Nous n’étudions pas l’entretien pour lui-même, mais nous allons chercher dans ces entretiens des éléments d’interprétation de ce qui se passe en classe. Néanmoins nous allons, ici, montrer quelques exemples du type de résultats que nous pourrions obtenir. Ce traitement est passé par trois étapes : la localisation des repères temporels sur les transcriptions, le regroupement des clips dans des collections et la dénomination des clips ; C’est ce que nous appelons le processus d’indexation. Nous avons suivi cette indexation des entretiens avant enseignement à partir des transcriptions. Nous rappelons que les questions ont été construites de façon à ce que nous localisions dans le discours de l’enseignante des facteurs pouvant affecter ses décisions d’une part, et d’autre part afin de tracer dans son discours la progression telle qu’elle est prévue et telle que l’enseignante l’imagine ; nous avons déjà présenté ces éléments dans la partie recueil des données. A partir de ce travail, nous visons deux buts : – Le premier est de pouvoir parcourir rapidement les données sans avoir à reprendre la lecture totale des différentes transcriptions. – le second est de pouvoir utiliser cette analyse pour une validation ou une mise en évidence des décisions en interaction ainsi que nos résultats d’analyse. 77 Les paragraphes qui suivent auront comme objet de développer les différentes étapes du traitement de son discours sur les facteurs et de celui sur le contenu à enseigner.
LES FACTEURS
Comme nous l’avons déjà évoqué, nous avons transcrit intégralement les entretiens avant et après enseignement. Ces transcriptions étaient implémentées dans Transana et indexées à partir des repères temporels. Les repères temporels ont été fixés sur la transcription de façon à ce que les extraits découpés soient homogènes ; par exemple « son histoire avec ses classes ». A partir de là, nous avons catégorisé et répertorié les clips extraits des transcriptions des entretiens dans des « collections » référant aux facteurs (figure 4). Nous rappelons que ces derniers ont été classés en des facteurs les plus accessibles, moyennement accessibles et moins accessibles, contenant respectivement : – les objectifs initiaux de l’enseignant sur la séquence ; sa conception de l’avancement nécessaire de la séquence d’enseignement ; les contraintes d’ordre institutionnel ou matériel… – l’histoire de ses relations avec les élèves qu’il a en face d’elle ; sa vision générale de l’éducation et de l’enseignement de sa discipline en particulier ; son expérience professionnelle… – sa compétence disciplinaire et la conscience qu’il en a ; divers facteurs d’ordre psychologique (son estime de soi par exemple)… Nous avons regroupé dans une même collection tous les clips portant sur le même facteur. Par exemple, les verbalisations (clips) concernant l’histoire de l’enseignante avec ses classes ont été mises dans une collection portant le nom « histoire avec ses classes» (figure 4, encadré) ; nous rappelons que la séquence se déroule à la fin de l’année scolaire et nous considérons que l’enseignante a évidemment développé un point de vue sur ses classes et ses élèves. Au cours de ces regroupements, nous avons été amenée à différencier les verbalisations de l’enseignante au sein d’un même facteur ; d’où la subdivision de cette collection en trois souscollections (figure 4, encadré) ; la première contenant le regroupement des clips de son discours sur le « comportement disciplinaire des deux classes A et B », la seconde sur « le comportement des autres classes » auxquelles l’enseignante enseigne, et la dernière comporte les clips de son discours sur le « niveau scolaire des deux classes ». 78 Figure 4 La structure du traitement de l’entretien dans Transana. La partie encadrée représente le facteur « histoire avec ses élèves » ; elle comporte trois sous-collections le « comportement de la classe A et B », le « comportement des autres classes » et le « niveau de la classe A et B ». Ces collections regroupent des clips de même nature extraits des transcriptions des entretiens avant enseignement. Ent_Av1, Ent_Av2 et Ent_Av3 représentent des abréviations des noms des fichiers audio à partir desquels les clips ont été extraits (cf. Recueil des données, tableau 4, page 61). 79 Dans cette collection, l’enseignante évoque le comportement disciplinaire des deux classes quatre fois sur des points différents au cours de son discours (les clips) ; nous présentons ici le contenu de ces clips : – Comportement des élèves face aux matériels de l’expérience Chercheur et les expériences mais les expériences ils les font par groupe Enseignante oui euh des fois des fois pas toujours pas toujours des fois moi je travaille et euh donc euh parce que tout simplement surtout en chimie/ quand il y a de la verrerie à utiliser c’est vrai que ceux sont des élèves très maladroits donc à qui je ne peux pas faire (rire) trop confiance donc des fois je les laisse travailler mais pas tout le temps quand par exemple ils ont à utiliser PL::usieurs tubes à essaie je ne les laisse pas faire même avec le support avec la pince je ne les laisse pas faire Chercheur Pourquoi? Enseignante Parce que je te donne un exemple tout simplement parfois ils entrent au labo il y a des euh des manips qui sont préparées pour d’autres classes donc ils n’hésitent pas à ouvrir les flacons à sentir à jouer avec donc c’est es élèves qui ne sont pas conscient du danger qui existe au labo Chercheur ah oui je comprends Enseignante pourtant je le répète plusieurs fois ya3ne (c’est-à-dire) pour le sulfate du cuivre ce qui est pour le sulfate de cuivre / donc j’ai beaucoup dit effectivement le sulfate de cuivre anhydre devient bleu parce que parce qu’il prend l’eau tout simplement donc si vous allez le mettre sur vos doigts si vous allez jouer avec etc vous aurez des brûlures/ ils ne me / ils ne m’ont pas cru (rire) Chercheur (inaud) Enseignante Donc tu vois des fois je ne peux pas les laisser comme ça il faut pas les laisser travailler n’importe quoi – Travail de groupe Pas de risque de matériel en électricité Enseignante Donc c’est ça/ main’ant en électricité je suppose qu’il y aura pas de problèmes à ce qu’ils travaillent euh tout seul […] de toute façon je n’ai pas l’intention je n’ai pas l’intention de les faire travailler avec des générateurs dés le début donc ils travailleront avec de petites piles rondes ou plates donc y a pas de risque – B moins disciplinée que A Chercheur Maintenant pour les cinquièmes comment tu trouves les deux classes que tu es en train en train d’enseigner Enseignante Ok / j’ai une classe (classe A) bon qui est bien meilleure que l’autre de tous les points de vue donc ils sont plus intéressés même plus disciplinés que les autres/ euh pfff l’autre classe c’est une classe très indisciplinée il faut les faire taire toutes les minutes (rire) – Relation avec les élèves timides Chercheur tu trouves qu’il y a des élèves qui sont timides en classe ? Enseignante Hum au début oui j’avais beaucoup d’élèves qui étaient timides mais là ça va beaucoup mieux avec les timides ça va beaucoup mieux Chercheur (Inaud) Enseignante Ben je les incite tout le temps à parler à poser leurs questions et quand je vois les parents et quand je LES vois en compagnie de leur parents tu vois je m’adresse tout le temps aux parents comme quoi c’était des élèves très intéressant très intéressés qui font/ qui ont fait beaucoup d’effort depuis le début de l’année etc. ça les motive et donc du coup ils commencent à poser des questions en classe à s’intéresser à participer oui […] c’est un truc que j’ai commencé à 80 faire avec surtout avec les cinquièmes et ça marche à merveille Nous avons effectué la même opération pour les autres facteurs. Cette opération a généré un tableau d’indexation sur Excel (tableau 6), après l’application de la fonction « clip data export30 » sur la collection « EntretienAvant_Ens » (figure 4). Ce tableau représente la structure telle qu’elle a été construite dans Transana et les références sur les clips. Nous soulignons que les index de la dernière colonne renvoient au sujet central de la verbalisation de l’enseignante. Pour avoir accès à la verbalisation complète, il faut se reporter aux clips. Par exemple, l’étiquette « Ent_Av1_Aucune inspection chez l’enseignante » correspond au clip extrait de la transcription du premier entretien avant enseignement et dont le sujet de ces clips correspond au système d’inspection.
DISCOURS SUR LE DEROULEMENT DE LA SEQUENCE
Cette partie concerne le traitement du second entretien avant enseignement portant sur la progression de la séquence telle qu’elle est conçue par l’enseignante. Comme nous l’avons déjà évoqué un peu plus haut, la séquence est formée a priori de trois chapitres : le circuit électrique, le sens du courant électrique et les circuits en séries et les circuits en dérivation. Nous nous sommes basée dans cette partie sur la verbalisation avant enseignement de l’enseignante sur la progression de la séquence. Nous avons couplé à ce traitement la trace écrite de l’enseignante (Annexe 2) ; l’enseignante lors de son entretien racontait la progression de la séquence en se basant sur sa préparation écrite. Nous visons à partir de cette opération à reconstruire la progression de la séance telle que l’enseignante l’imagine être. Ce 82 traitement nous sera utile afin de valider notre méthodologie de reconstruction des décisions et afin de mettre en évidence des observations pouvant relever des décisions en interaction. En outre, la verbalisation de la progression nous a permis de mettre en évidence certaines hésitation de l’enseignante sur sa préparation ; alors que la préparation écrite ne permettait pas de les voir. Nous pourrions ainsi nous demander comment se traduisent ces hésitations lors de la réalisation de la séquence en classe et quels effets elles ont pu produire d’une classe sur l’autre. Nous illustrerons nos propos par un exemple dans la suite de ce paragraphe. Nous avons suivi, donc, les mêmes étapes de traitement que la partie précédente (figure 5) pour un but différent d’analyse (la construction a priori de la séquence) : – La transcription et les repères temporels – La répartition des clips dans différentes collections ; dans ce cas, un clip fait référence à une partie de transcription de la verbalisation de l’enseignante sur un contenu à enseigner (figure 5). Les index des clips réfèrent aux contenus du savoir à enseigner dans le discours de l’enseignante. Nous donnons un exemple (figure 5, encadré) : Ch1_Ent_Av2_3_Courant électrique_Conductivité des fils de connexion : Cette index fait référence à la verbalisation de l’enseignante sur le chapitre 1 (Ch1), extraite de l’entretien avant enseignement numéro 2 (Ent_Av2) appartenant à la troisième sous collection (3) Courant électrique_conducteurs/Isolants. Cette première partie de l’indexation est indispensable afin de ne pas perdre l’ordre des clips lors de l’exportation à partir de Transana dans Excel pour la génération du tableau d’index. Le contenu de ce clip tourne autour du courant électrique et la conductivité des fils de connexion. – La génération du tableau d’index faisant référence aux différents clips (tableau 7) ; Nous avons parcouru, alors, les trois entretiens avant enseignement en repérant dans le discours de l’enseignante tout ce qui relève de la préparation et de la progression du savoir à enseigner. Nous les avons indexés chronologiquement dans les collections suivant les trois chapitres concernés ; d’où la structure arborescente de Transana de la figure (5) : 83 Figure 5 La structure du traitement de l’entretien dans Transana ; la partie encadrée représente le chapitre 15 : le sens du courant électrique. Elle comporte trois sous collections, représentant l’ordre de la progression de l’activité du sens du courant électrique : inversion du sens du branchement de la lampe, l’activité de la DEL, « diode » : inversion du sens du branchement de la DEL ; et finalement l’activité du moteur : l’inversion du sens du branchement du moteur. L’ordre des clips dans cette collection correspond à l’ordre prévu du passage lors de l’enseignement.
TRAITEMENT DES DONNEES PRISES PENDANT
LA SEQUENCE Il est nécessaire de noter que la visualisation et le découpage de certaines séances ont été repris plusieurs fois au début du traitement des données vidéo dans le but de comprendre et de se familiariser avec l’action de l’enseignante en classe et par conséquent de stabiliser le découpage en unité d’analyse. La séquence entière a été visualisée trois fois durant notre analyse.
LA CONSTRUCTION DES DECISIONS DE L’ENSEIGNANTE DANS L’ACTION
Nous développons dans cette partie notre modèle pour la localisation des décisions dans le flot du discours de l’enseignante. Nous partons de l’idée qu’une décision peut être 88 reconstruite à partir de l’action de l’enseignante. Par conséquent, notre méthodologie d’analyse vidéo se base sur un visionnement chronologique et répété des bandes dans l’ordre de passage réel des séances des classes afin de localiser les éléments de la situation qui nous permettent de dire qu’à un moment donné l’enseignante a pris telle décision en relation avec le savoir enseigné. Sur la base des enregistrements vidéo et des entretiens après enseignement effectués, nous avons localisé dans le discours de l’enseignante certaines décisions chronogénétiques qui ont été prises en interaction. L’étape suivante consiste à observer la dynamique du savoir enseigné ; nous avons observé la cohérence du comportement et des réactions de l’enseignante au cours de son interaction avec les éléments de l’environnement et les élèves pour la construction de son discours sur le savoir enseigné ; autrement dit, nous avons essayé de nous familiariser avec le comportement de l’enseignante (les arrêts et les interruptions dans son discours, ses déplacements, ses mimiques faciales et le ton de sa voix) associé à l’articulation de son discours sur le contenu (les débuts des thèmes, les fins des thèmes, les sous-thèmes, les retours en arrière, les liaisons, les entrelacements thématiques, les moments d’accélération et de déccélération, les insertions et les modifications d’un contenu d’une séance à une autre, et d’une classe à une autre …). Au fur et à mesure de ces observations et de nos visionnements répétés des bandes consécutives des deux classes, nous avons réussi à définir trois attributs pour une décision se basant sur les questions suivantes : quelles sont les raisons d’une telle décision à un moment donné de la séance, quelles sont les indicateurs qui nous ont permis de dire que c’est une décision et quelles sont les résultats de cette décision ? Un exemple détaillé de décision sera présenté à la suite de ce paragraphe.
L’EPISODE, UNE UNITE DISCURSIVE POUR L’ETUDE DES DECISIONS
En effet, nous avons dans un premier temps effectué une étude thématique sur une séance de chaque classe (Badreddine & Buty, 2007a) afin de pouvoir étudier l’aspect rétro-interactif des décisions chronogénétiques. Nous avons pu mettre en évidence le fait qu’une décision peut être prise sur plusieurs échelles : l’échelle macroscopique, l’échelle mésoscopique et l’échelle microscopique. Nous avons parlé à ce moment là d’une décision au niveau d’un thème, d’un sous-thème et d’une connaissance. Notre méthodologie se basait sur ce que nous 89 avons appelé « un diagramme de cheminement » ; ce diagramme permet de mettre en évidence l’articulation à un niveau mésoscopique (niveau thématique et sous thématique) du savoir enseigné dans chaque classe et souligne les différences thématiques à cette échelle entre les deux. Il permet ainsi de se poser des questions sur la nature de ces différences et sur l’articulation des décisions chronogénétique à l’intérieur des thèmes et des sous-thèmes. Cette observation nous a révélé une limite de cette méthodologie pour l’étude des décisions : dans un même sous-thème nous pouvons avoir plusieurs actions de l’enseignant qui manifestent des décisions en relation avec l’avancée du savoir en classe. Si nous voulons isoler des décisions il faut prendre des unités plus petites. Nous avons alors décidé de croiser deux unités d’analyse différentes (Badreddine & al, 2007) : le découpage en thèmes selon la définition de Tiberghien & al (2007) et le découpage en épisode suivant le sens de Mortimer & al (2007) ; dans les travaux de recherche ces deux unités sont utilisées d’habitude pour des objectifs de recherche différents. Notre questionnement voulait justifier le choix des épisodes comme unité d’analyse pour l’étude du contenu enseigné. Afin d’étudier le contenu enseigné, nous allons construire ce contenu dans le flot du discours de la classe (Mortimer et al, 2003). Nous avons montré à partir de ce travail que : la frontière d’une unité thématique est un épisode ; un sous-thème est formé d’un ensemble d’épisodes ; le découpage en épisodes permet de reconstruire la réalité du déroulement d’une séance, et l’environnement dans lequel une décision est prise. Autrement dit, une séance ne se base pas uniquement sur le contenu ; elle est l’articulation de plusieurs natures d’action nécessaires pour la construction de ce contenu et nous pensons que ne pouvons pas comprendre les décisions de l’enseignant si nous ne prenons pas en compte la réalité de cet environnement.
CRITERES DE DECOUPAGE EN EPISODE
Nous nous sommes basée pour le découpage en épisode sur des marqueurs définis par Mortimer & al (2007). Ces auteurs se sont basés dans la construction d’une « carte d’épisode » sur des indices contextuels verbaux et non verbaux (cf. tableau 9 ci-dessous) qui déterminaient le début et la fin d’un épisode. Les indices non-verbaux incluent des changements proxémiques (en relation avec l’orientation des participants : changement de position…) et kinésiques (en rapport avec les gestes et les mouvements du corps) ; les indices verbaux prennent en compte le changement d’intonation, le contenu ou le thème, les pauses, le genre du discours… Ces indices contextuels permettent de déterminer les frontières de 90 chaque épisode dans le discours. Mortimer précise que l’épisode lui même n’est pas déterminé par les indices contextuels qui définissent ses frontières, mais par un ensemble de caractéristiques qui incluent son thème, les actions des participants, les façons avec lesquelles ils interagissent entre eux, les façons avec lesquelles ils se positionnent sur l’espace physique d’interaction et les ressources qu’ils utilisent.
Introduction |