RESISTANCES POPULAIRES DES XVIIIXIXème siècle DANS L’ORALITE SAAFEEN

RESISTANCES POPULAIRES DES XVIIIXIXème siècle DANS L’ORALITE SAAFEEN

ANALYSE THEMATIQUE 

L’analyse thématique permet d’étudier les récits et les chants. Les thèmes abordés posent le problème des conflits entre les rois wolof du Kajoor et du Baol vers le XVIIIème siècle. Ils mettent l’accent sur l’esclavage. Ils abordent aussi les guerres de conquêtes au moment de la colonisation au XIXème siècle. Les thèmes étudiés dans le corpus sont : la violence, la résistance, la bravoure, les pratiques rituelles, la famille et la terre. 

LA VIOLENCE 

« La violence est le caractère violent de quelqu’un ou de quelque chose. Elle désigne le fait de contraindre par la force, qui se livre à des brutalités52 . » Dans le corpus, plusieurs types de violences sont à noter : la violence politique, la violence physique et psychologique, la violence verbale. A l’époque de la traite négrière, la population subissait toutes formes de violences. Au milieu de la nuit ou à l’aube au moment où les femmes pilaient le mil, certains groupes des pouvoirs ceddo wolof du Kajoor envahissaient les villages et brulaient les greniers de mil. Toute personne qui résistait, était immédiatement sabrée ou fusillée. Certaines réussissaient à s’échapper et à prendre la fuite dans la forêt. Les autres qui étaient capturés et vendus en esclaves au Kajoor, à Rufisque ou à Gorée. L’épisode de la bataille de Cupi, dans le récit « Les prouesses de Ñohor-caka Siis » a illustré ce fait au verset 130 : « Maysa Ley et ses serviteurs se mirent à se battre. Ñohor vit Maysa Ley sortir. Il le visa avec son fusil. Il tira sur lui. Maysa tomba à terre. Quand Maysa tomba, Sa femme sortit de sa chambre pour le secourir, Maalik-Geej tira sur elle. Elle tomba à terre. Pendant que Maalik-Geej tuait la femme de Maysa Ley,» Cette pratique est décrite par Vicente Aly Thiaw qui met l’accent sur les techniques de razzias de bétail qui constituait l’une des sources de vivre de la population et la capture de personnes : « En pleine nuit, les ceddo ceinturaient le village dont ils avaient décidé la destruction. 52 Dictionnaire Larousse page 448 52 C’était à l’heure où tous les hommes étaient plongés dans un lourd sommeil et que les femmes pilaient le mil. Dès que le chef de la bande donnait le signal de l’assaut, on mettait le feu aux cases. Pris de panique, les villageois tentaient de se sauver. Tous ceux qui opposaient une résistance aux ceddo étaient immédiatement sabrés ou fusillés, et les autres, hommes, femmes et enfants, étaient enchainés puis conduits auprès du Damel. Ils raflaient également les vivres et les troupeaux trouvés sur place. Le butin ainsi amassé devait être partagé entre les souverains et le chef de la bande. Les personnes capturées étaient ensuite acheminés vers Rufisque, principal point de vente de traite du Kajoor53 . » La psychose créée par les assauts répétés de la cour du Bawol et du Kajoor n’épargne pas aussi les Saafi de la contrée de Pout, dans la région de Thiès, plus particulièrement les Saafi None. Cette angoisse témoigne de l’ampleur qu’avait prise la capture d’esclaves au moment de la traite négrière. Tous les enfants, femmes et vieillards de la contrée de Jaguin (Thiès) prenaient systématiquement la fuite à l’approche des caravaniers. Le chant intitulé « Ndieer le guerrier martyr » l’illustre : « Njeer ! Njeer l’enfant Njeer ! Njeer sene ! Brave enfant Njeer sene ! L’homme brave Ah ! Njeer l’enfant a disparu. » L’enfant serait originaire du village de Sange dans le Joobass. Ses parents sont venus s’installer dans la contrée de Pout à l’époque que les Wolof nomment « Dawul Japp », c’est-àdire qui « ne s’enfuit pas sera capturé ». Cette violence est aussi fréquente à l’époque de la colonisation. La fréquence de la violence verbale et physique est bien relatée dans les récits. Dans la mémoire collective, un marabout était installé à Cupi à Sebikhotane sous les ordres des colons. Il razziait les biens de la population (bœufs, chèvres, moutons, poules) au profit de ses besoins et ceux de ses serviteurs. Le récit « Les prouesses de Ñohor-caka siis » verset 50 l’illustre: « Ils prenaient le plus gros taureau et le donnaient au marabout. Il dictait sa force à la population. Il razziait leurs vaches et leurs chèvres. Il dictait sa force à la population. La population décida de l’éliminer. » Les acteurs de cette violence étaient les administrateurs coloniaux et les rois en place. A l’époque de la traite négrière. Ils misaient surtout sur la capture d’esclaves et le pillage des ressources. Après la période des récoltes, les attaques étaient beaucoup plus fréquentes et les assaillants emportés des vivres : mil, chèvres, bœufs, personnes. Mais à l’époque de la colonisation, cette violence est marquée par les colons ainsi que leurs représentants. La confrontation était souvent marquée par des conflits et des batailles sanglantes. La population refutait toutes formes d’institutions nouvelles imposées comme le paiement d’impôts, les nouvelles formes d’organisation. Dans le récit intitulé la bataille de Joobaas verset 65, le personnage de Sanoor incarne cette figure : « Et se mit en position de combat. Elle resta là jusqu’à l’heure où le bétail vient s’abreuver, Et Sanoor sortit de la muraille avec son cheval Qui galopa jusqu’au puits ŋas jam (Baabaak). Dès son arrivée, il choisit le plus gros taureau (fes o yeg) et l’abattit d’une balle. Les bergers s’exclamèrent: «Que fait Sanoor !» Sanoor répondit: «C’est ma volonté». Il regarda encore un autre taureau et l’abattit d’une balle. » La traite des esclaves fut l’un des facteurs qui a engendré la violence chez les seereer avec toutes les conséquences que cela comporte. C’est ce que décrit Ismaila Ciss dans ces pages : La traite des esclaves fut jusqu’en 1818 la base des rapports entre français et sereer, même si ces rapports étaient indirects. Les ports de Gorée, de Rufisque, de Portudal et de Joal que ceinture le pays furent les principaux points d’acheminement des esclaves capturés par les négriers. Les rois et les guerriers ceddo ont dû jouer un rôle important dans ce trafic, car ils étaient souvent astreints à fournir des hommes à vendre. Les sereer du nord-ouest durent subir pendant des siècles les incursions fréquentes des négriers. Ces incursions que les populations sereer considéraient comme une violation de leurs territoires avaient provoqué une hostilité réelle à l’égard des Wolof. Elles expliquent en grande partie l’animosité séculaire qui a marqué les relations entre les communautés sereer et Wolof54 . Le second chant relate le cas d’un homme nommé Sombel Juma Fay doté de connaissances surnaturelles que son entourage ignorait. Il était souvent accusé d’être un sorcier. Quand quelqu’un de sa famille lignagère mourait, les voyants en esprit informaient le chef de la famille que Sombel en était mêlé. Le chef de la famille fit attraper sombel Juma et le vendit en esclavage. Embarqué, et une fois arrivée à Gorée, il s’échappa aux négriers grâce à ses connaissances mystiques puis se jeta dans la mer en se transformant en un panier. Conduit par les vagues de la mer, il atterrissait au littoral des plages de Poƥngin55 et regagnait calmement la maison où habitait son oncle. Après chaque vente de Sombel Juma, le chef recevait des produits (fusils, alcool, denrées). Et le chef de famille, son oncle, invitait les chefs lignagères à venir fêter la disparition de Sombel avec les vins reçus en échange. C’est ce que nous illustre le chant intitule Sombel Juma, l’homme sorcier crée par Demba Juma Fay qui a immortalisé ce fait historique : « : Sombel Juma, l’homme sorcier « Ah ! Sombel Juma digne fils d’une mère, Etait monté sur une maison à étage à Gorée, Pourtant Gorée n’est pas loin » Ce chant donne des informations sur l’une des causes de ces attaques qui est du même à la volonté de la population de vendre en esclavage des personnes qui commettent des erreurs graves. Dans son rapport sur les Seereer, Pinet Laprade confirme bien ces pratiques : « Les rois indigènes excités par les compagnies qui avaient des obligations à remplir pour approvisionner en esclaves les colonies françaises d’Amérique enlevaient leurs propres sujets. A cette occasion le père Labat raconte que dans une circonstance, Me Brue trouvant que le recrutement fait par les bandes du Damel ne marchaient plus à son gré, proposa à ce monarque de joindre les forces de la compagnie pour l’activer. Le dépeuplement de ces belles contrées au profit de quelques files de l’océan a été pendant longtemps l’unique but des entreprises françaises 56 . » L’étude du thème de la violence informe sur la récurrence des attaques des rois ceddo sur la population et de l’administration coloniale. Apres l’analyse du thème de la violence, il est important d’aborder celui de la résistance. 

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 LA RESISTANCE 

 « La résistance est l’action de s’opposer à quelqu’un à une autorité. Propriétés d’un corps à résister aux effets d’un agent extérieur57 . » Dans le pays seereer saafeen, la résistance est incarnée par des hommes issus du milieu et prêts à mourir pour la cause sociale. La mémoire populaire raconte qu’un homme du nom de Kaañ agressait et prenait les biens de tout étranger qui traversait la forêt de Thiès. Il tuait quiconque amenait des esclaves et tous les pilleurs de bétail. Le terme « kaañ » est un terme nominal verbal qui signifie courage. Du coté nominal, kaañ signifie « courageux » et du coté verbal, il désigne « être courageux ». Mais la libération des esclaves et l’agression en pleine forêt des négriers étaient son principal objectif. Ces propos semblent être confirmés par Pinet Laprade : « Le comptoir de Rufisque est le point d’arrivage du cote de Gorée des produits du Cayor et du Baol. Jusqu’en 1860, les routes qui y conduisaient étaient troublées par les actions des sereres… Les Diobas se permirent même quelques incursions dans le Diander58.» Ces propos de Pinet Laprade trouvent leurs explications dans certains chants populaires où est gardée la mémoire collective. Le guerrier Demba Gal avait dirigé un groupe de jeunes saafi chargés d’intercepter une bande transportant des esclaves venus de l’intérieur du pays pour se rendre à Rufisque. La troupe de Demba se mit en disposition de combat en file indienne le long de la route. Ils étendirent une longue liane dont chaque bout était tenu par un homme. Le dernier de la file était chargé de tirer pour annoncer le passage du dernier caravanier. Ce qui donnait l’ordre aux autres de lancer l’assaut. Cette attaque surprise permettait de tuer le maximum de caravaniers en un temps record. C’est ce que raconte ce chant intitulé Ngoor, le guerrier de Sange : « Accepte Ngoor le Brave ! Héros de Sange Demba a battu le groupe des soldats Il exhorta Ngakaan o ngakaan » Dans les chants populaires, se trouvent quelques éléments de la résistance de Mboy Siis. Un groupe de pillards surprit les habitants du village de Ceewo dans la contrée du Joobas. Mboy Siis donna l’ordre à ses hommes d’anéantir la troupe des envahisseurs, ce qu’ils firent. C’est ce que témoigne cette chanson les chevaux Wolof: « Valeureux frere de Thioro Valeureux frere de Thioro Les chevaux Wolof ne vont pas monter sur la colline ! Aujourd’hui j’en tuerai » Ce ne pouvait être que le guerrier Mboy Siis et ses hommes, répondit l’informateur. Ce récit n’est qu’un détail de l’engagement de la population de Mboy Siis à affronter l’envahisseur et détruire son armée. Ainsi la chanson met l’accent sur la victoire du héros mais aussi elle informe sur le lieu des faits: le village de Ceewo où habitait Mboy Siis et précisément aux alentours des collines de Joobbass. Le cadre spatial est significatif car il donne des informations sur la stratégie des populations. Les villages étaient justes sous ces montagnes pour mieux échapper à ces pillages. Cette forme de résistance est confirmée par Ismaila ciss dans ces lignes : « Mais si l’occupation militaire était effective au nord, dans le sud-ouest, la population serer jusque-là vivant dans une complète indépendance. Composée des Safen-Sili et palor elles inquiétaient sérieusement les Français à cause de leurs attaques répétitives des postes de pout de Thiès et même de Mbidjem. Ainsi l’attaque du poste de Pout en 1863 provoqua un accrochage sanglant entre serer et français. Elle avait aussi permis aux français de mesurer la force et la capacité de résistance des serer dont l’atout principal était non pas les flèches mais surtout les épaisses forêts qui cernent et recouvrent un relief accidenté qui protège leurs villages. Ces troubles allaient persister jusqu’en 1891 date à laquelle les français avec la complicité de Sanor NDIAYE, portèrent coup de grâce à la résistance serer59 . » Les propos d’Ismaila Ciss concordent avec les récits populaires saafi. Les Joobaas continuèrent leurs brigandages en attaquant le poste de Pout en 1863. Cette victoire éclatante incita les résistants à attaquer de nouveau le poste de Pout mais cette fois-ci ils subirent de lourdes pertes60 . Il est rapporté qu’une personne nommé Roog-yuul fait partie de ceux qui avaient organisé l’attaque du poste de Pout. Le Joobaas n’avait jamais subi de défaites Pinet Laprade, « Annuaire du Sénégal », P166 57 semblables depuis le début des affrontements. Roog tomba lors des combats ainsi que beaucoup de ces compagnons. C’est ce raconte le chant intitulé Roog-yuul : « Ah ! Quel héroïsme Ngoor-ndeɓ Gaysiir Ah ! Roog-yuul est tombé à Pout Ah! Cilow o Ngoor- Ndeɓ Gaysir Roog-yuul est mort à Pout» Pour confirmer les attaques successives des pouvoirs Ceddo Wolof à l’assaut des populations Saafi, surtout de Joobas, marquées par la résistance, le récit décrit les échecs que subirent ces agresseurs dans ce chant populaire qui montre la fréquentation des vautours dans ces lieux pour se nourrir des cadavres de l’ennemi tombé sur les champs de batailles. Cette résistance est illustrée dans ce chant intitulé Les habitants de ceewo : « Ah ! Habitants de ceewo, Ah ! Habitants de ceewo, Les vautours régalent des chevaux Wolof.61 Habitant de Ceewo. » Certains épisodes de ces batailles semblent être décrits dans certaines sources écrites en ces termes : « La crise militaire qui éclata entre le Joobaas et le Kajoor-Baol dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, renseigne sur l’efficacité des bunkers naturels qui ont joué le rôle de bouclier pour compenser l’absence d’une armée régulière capable de résister à la puissante force militaire ceddo. Issa laye Thiaw fournit des détails intéressants sur la stratégie adopté par les seereer du joobaas durant les deux jours de combat que dura le conflit. Dès le début des hostilités, toute la population se retrancha derrière la butte de ceewo d’où elle réussissait à contenir les assauts de la cavalerie ceddo incapable de franchir cette barrière naturelle. De guerre lasse, les soldats se résolurent à rebrousser chemin  . »

Table des matières

 DEDICACE
REMERCIEMENTS
SOMMAIRE
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : Corpus
I- LES RECITS
II- LES CHANTS
DEUXIEME PARTIE : Analyse
I°ANALYSE THEMATIQUE
II- ANALYSE STYLISTIQUE
CONCLUSION
ANNEXE
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
TABLE DES MATIERES

 

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