Réseaux de villes et recompositions interterritoriales dans l’espace baltique
Le réseau BaltMet
Le réseau « BaltMet » a été créé par la « Résolution de Copenhague » signée en octobre 2002 sous l’impulsion de la ville de Copenhague qui s’est finalement désengagée en 2010. Depuis, le réseau rassemble les dix autres municipalités fondatrices : Berlin, Helsinki, Malmö, Oslo, Riga, Stockholm, Saint-Pétersbourg, Tallinn, Vilnius et Varsovie. En 2011, celles-ci représentent 17 millions d’habitants et 310 milliards d’euros de PIB annuel. BaltMet 152 n’accueille donc que des capitales d’États ou des régions métropolitaines d’importance majeure au sein d’un espace baltique volontiers élargi avec des villes non riveraines comme Berlin ou Varsovie. Le réseau BaltMet ne dispose pas de statuts comme l’UBC ou la « nouvelle Hanse » mais d’un seul texte fondateur nommé « la résolution de Copenhague ». Le fonctionnement du réseau est assuré par une rencontre régulière entre les maires (Mayor’s Meeting) et par un plan d’action bi-annuel (Action Plan 2006-2008 ; 2008-2010 ; 2011-2012). Une ville est désignée tous les deux ans comme tête du réseau (Chair City) aux côtés d’une ou deux villes assurant la viceprésidence (Vice Chair City). La résolution de Copenhague légitime l’existence du réseau par deux grands défis qui se posent aux espaces métropolitains baltiques : la métropolisation avec une concentration croissante des intérêts économiques et politiques et de l’innovation au sein des plus grandes villes et l’élargissement européen qui recompose entièrement la région baltique. Dans ce double contexte, le réseau se fixe l’objectif d’accroître la compétitivité, l’innovation, la prospérité, l’accessibilité et la durabilité des régions métropolitaines baltiques et de promouvoir la dimension urbaine au sein d’une baltique intégrée, prospère et durable. Le projet BaltMet Inno (2005-2007) a été l’un des projets fondateurs du réseau : il consistait à développer une plate-forme commune consacrée à l’innovation afin de favoriser l’émergence de clusters d’innovation transnationaux entre les acteurs des métropoles baltiques. Le rapport final intitulé « L’archipel baltique de l’innovation » 154, développe l’intérêt d’une coopération mettant en œuvre le principe de la triple hélice, selon lequel la croissance naît principalement d’une synergie entre entreprises, universités, et administrations. 154 Baltic Sea Archipelago of Innovation, publié à Helsinki en 2008, disponible en ligne : http://www.baltmet.org/baltmet-inno (consulté le 14/08/2014). 153 Carte n° 16 : Le réseau BaltMet en 2013 d) Les « réseaux mixtes » La construction de la base de données BD0 intègre également un certain nombre de « réseaux mixtes » 155, comprenant plusieurs types d’acteurs (universités, théâtres, chambres de commerces, acteurs privés), dont des municipalités. Ils sont souvent spécialisés sur un thème à l’image du réseau EuRoB, qui contribue à valoriser une route européenne de l’architecture gothique en brique. 155 Ars Baltica, Baltic Local Agenda Forum 21 (BLA21F), Baltic Palette, Baltic Sail, Baltic Sea Action Group, Baltic Development Forum, Baltic Sea States Subregional Co-operation, Baltic Tourism Commission, EuRoB, Hanseatic Parliament, Healthy Cities, ScanBalt, Social-Hansa. 154 L’association EuRoB e.V. a été créée en 2007 après deux projets européens INTERREG IIIB 156. Juridiquement, le réseau est une association de droit allemand à but non lucratif. Il associe des types d’acteurs relativement variés comme des offices de tourisme (office de tourisme de Wismar ou de Rügen), des centres de congrès ou des agences marketing (Schwerin, Neubrandebourg), des musées (Ribnitz), des autorités ecclésiastiques (Lunebourg, Wismar) ou encore des acteurs individuels et privés. La région du Mecklembourg-PoméranieOccidentale, le groupe des basiliques nord-allemandes, l’Association allemande du logement, de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire et le corps de garde du monastère de Bad Doberan sont également membres du projet. Le réseau rassemble des acteurs de 34 villes ou régions. Les villes de Lunebourg et de Wismar sont particulièrement engagées. La ville d’Horsens, qui faisait auparavant partie du réseau a été écartée en raison de sa faible participation aux activités de l’association. Il existe deux critères d’accueil pour des nouveaux membres au sein de l’association : une quantité suffisante de monuments répondant à une architecture de gothique en brique et une importance du tourisme dans les activités de la ville avec un seuil de fréquentation touristique minimum et la présence d’infrastructures (cafés, restaurants, hôtels, office de tourisme). Le volet héritage et le volet marketing sont d’ailleurs représentés au sein du réseau EuRoB à travers deux comités techniques de travail distincts qui animent les échanges entre les membres. Selon le directeur de l’association, Christoph Pienkoß, le but d’EuRoB est de contribuer à la construction d’un tourisme culturel durable, de long terme, et de qualité au sein de la région baltique autour du gothique en brique. Les défis de l’association sont nombreux mais peuvent être résumés en trois axes principaux : Il s’agit tout d’abord de rapprocher des acteurs baltiques autour de l’élaboration d’une route européenne du gothique en brique rouge afin de créer un produit touristique commun. Un effet de synergie est attendu de ces échanges. Une position commune constitue une opportunité de croissance dans un contexte de mondialisation plaçant en concurrence les offres touristiques. Plus largement, le projet vise à mieux faire connaître l’architecture du gothique en brique rouge à un large public d’habitants, de visiteurs et de passionnés en développant 156 Les informations fournies sur le réseau EuRoB proviennent des entretiens avec Jolanta Murawska (Entretien n°12) et Christoph Pienkoss (Entretien n°15). 155 une communication à l’échelle européenne sur ce sujet. Ce travail d’information passe par la réalisation de prospectus, d’ouvrages, de guides touristiques, de posters, de produits marketing, ainsi que la participation à des évènements comme des salons du tourisme ou des festivals. Un échange est espéré entre les habitants et les visiteurs sur ces questions. Enfin, une attention particulière est portée à la valorisation de l’héritage, dans le respect de son authenticité, avec une exigence de qualité. L’établissement de normes de conservation du patrimoine sur le modèle de la charte UNESCO, et la multiplication des panneaux d’interprétation et brochures sensibilisant les visiteurs à l’histoire, aux caractéristiques et aux restaurations des bâtiments concernés sont quelques-uns des moyens utilisés. Les arguments avancés par le directeur pour convaincre de nouveaux acteurs de rejoindre le réseau EuRoB sont nombreux : Le réseau associe des acteurs situés à proximité les uns des autres, ce qui permet d’intégrer les offres touristiques. L’objectif à terme est de pouvoir compter sur des touristes qui visiteront, au cours du même séjour, plusieurs sites de la route européenne. Cette unification permet à des villes autrefois oubliées des circuits touristiques, comme Anklam ou Neubrandebourg de bénéficier de la renommée d’autres villes également membres du projet comme Stralsund ou Wismar classées au patrimoine mondial de l’UNESCO. L’offre EuRoB permet également la valorisation d’un patrimoine bâti sur le littoral, à proximité du littoral ou dans l’arrière-pays, ce qui complète parfaitement l’offre de tourisme balnéaire au niveau local. L’architecture du gothique en brique rouge permet aux villes membres d’ajouter un axe supplémentaire dans l’offre touristique tout en étendant l’activité économique en dehors de la saison estivale. L’attention portée par le réseau au design des produits dérivés permet également la construction d’un marketing autour d’un tourisme culturel et haut de gamme. Enfin, le réseau annonce des perspectives de développement autour de projets de coopération avec les principaux tour-opérateurs. Des accords avec des voyagistes pourraient apporter un gain financier aux villes concernées par le projet. 156 Carte n° 17 : Le réseau EuRoB en 2010 Carte n° 18 : L’architecture gothique en brique rouge dans les villes baltiques en 2010 Source : Site institutionnel du réseau EuRoB (consulté le 12/02/2011)
Pour une comparaison des réseaux institutionnels baltiques
Les réseaux institutionnels de municipalités et les réseaux mixtes forment un système réticulaire que la plupart des villes baltiques ont intégré. Ils apparaissent en effet relativement complémentaires, s’adressant à des types de municipalités assez différentes et poursuivant des objectifs distincts. La situation relative des réseaux les uns par rapport aux autres permet de révéler la dimension transnationale de la réticularité baltique : l’ensemble des réseaux s’établissant sur les territoires riverains compose bien un ensemble cohérent. Une comparaison entre les réseaux est donc possible autour de trois thématiques : la géographie des réseaux, le profil des membres et l’organisation ainsi que le financement des activités poursuivies.
La géographie des réseaux institutionnels baltiques
L’Union des villes de la Baltique rassemble des villes réparties sur l’ensemble des rives baltiques malgré une meilleure représentation des municipalités du quart nord-est de la région, notamment autour du golfe de Finlande. À l’inverse, la « Hanse des temps nouveaux » est caractérisée par une concentration des membres en Allemagne et en Pologne soit dans le quart sud-ouest de la Baltique tout comme le réseau EuRoB dont les participants proviennent quasiexclusivement du Land du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale. La géographie du réseau Hanse des temps nouveaux, et notamment sa forte connotation allemande, a des causes historiques. Devenir membre suppose en effet d’apparaître dans les archives de la Hanse dont la plupart sont situées à Stade ou à Lübeck. L’origine géographique de la poussée vers l’est, qui a engendré la création de nombreuses villes sur les rives de la Baltique se situe en Allemagne. La forte représentation de villes allemandes, en majorité rhénanes et westphaliennes, s’explique également par la création très précoce du réseau en 1980. À cette époque, le Rideau de fer divise encore l’Europe, ce qui explique une entrée plus tardive des villes de l’Est. L’absence de villes suédoises et danoises dans le réseau s’explique, quant à elle, par la rivalité entre l’Union de Kalmar qui réunit les royaumes de Suède, du Danemark et de Norvège de 1397 à 1523 et la Ligue hanséatique. La localisation des membres du réseau EuRoB s’explique davantage par des raisons juridiques que par un contexte historique. En effet, la carte des monuments de gothique en brique rouge est bien plus large que celle des membres. Des villes comme Tartu en Estonie ou Riga en Lettonie possèdent également des traces de l’héritage du gothique en brique. Cependant, l’association créée en 2007 Europäische Route der Backsteingotik e.V. est une association à 158 but non lucratif de droit allemand. Le directeur du réseau est alors confronté à une impasse juridique : afin par exemple qu’une ville polonaise participe et cotise à une association allemande, elle doit obtenir une dérogation nationale à Varsovie, ce qui est long et administrativement complexe. Le montage juridique du réseau a généré sa géographie. Aujourd’hui, l’antécédent des premières villes polonaises membres facilite leur insertion : le réseau s’étend donc par système de « fronts pionniers ». Une deuxième explication est à trouver dans les critères d’adhésion au réseau. La présence de monuments répondant à une architecture de gothique en brique rouge au sein de la ville ne suffit pas. Les municipalités doivent posséder des infrastructures touristiques suffisantes, une masse critique de touristes et leurs employés doivent pratiquer les langues étrangères. La plupart des villes de l’Est ne disposent pas encore de normes touristiques suffisantes pour répondre à ces exigences. L’extension géographique de l’ensemble des réseaux institutionnels baltiques au cours des vingt dernières années s’est effectuée de manière relativement classique avec une constitution originelle centrée sur l’Allemagne et sur la Triville polonaise, puis un élargissement progressif vers l’est, laissant penser à une « nouvelle poussée vers l’est ». Le cas de l’Union des villes de la Baltique n’est pas inintéressant avec un cœur germano-danois et des extensions contemporaines vers le nord et vers l’est de la Baltique. La fondation de l’UBC a rassemblé en 1991 des maires ou employés volontaristes157 parmi lesquels les plus actifs ont été le maire de Kalmar, le maire de Lübeck et le maire de Gdańsk. Ces pionniers ont mobilisé leurs réseaux personnels à l’échelle nationale. De fait, parmi les membres fondateurs de 1991, les villes allemandes, polonaises et suédoises apparaissent majoritaires. Les adhésions ont ensuite suivi une logique de cycles avec des vagues d’adhésion de villes situées à proximité les unes des autres. En Lituanie, les adhésions de Kaunas, Vilnius et Panevėžys ont par exemple toutes eu lieu en 1994. Contrairement à d’autres réseaux comme la « Hanse des temps nouveaux » qui poursuivent leur extension vers la Russie (encadré n° 8) ou s’ouvrent à des municipalités éloignées du littoral baltique158, l’Union des villes de la Baltique a dernièrement durci les conditions d’adhésion. En 2013, l’assemblée générale de Mariehamn a modifié l’article 3 des statuts de l’association concernant les conditions d’entrée de nouveaux membres au sein du réseau. Depuis la création du réseau en 1991, les statuts indiquaient que toute ville riveraine de la mer Baltique et de ses golfes comme toute ville intéressée par le développement de la région baltique pouvait présenter sa candidature. Les nouveaux statuts limitent l’intégration de 157 Beaucoup d’entre eux appartenaient au mouvement politique social-démocrate : Anders Engström à Kalmar, Michael Bouteiller à Lübeck, Erik Carlsson à Visby ou encore Thomas Beyer à Wismar. 158 Depuis 2004, le réseau Hanse de temps nouveaux s’ouvre à des villes anglaises, françaises et russes. 159 nouvelles villes à un ensemble borné de pays159 excluant la Biélorussie. Les municipalités d’autres pays peuvent toutefois devenir des membres associés. Encadré n° 8 : La participation des villes russes en question, l’exemple de l’assemblée des délégués de Herford en 2013 La question de la place des villes russes dans le réseau Hanse des temps nouveaux se pose lors de l’assemblée générale organisée à Herford en 2013. La ville de Lünen (Allemagne) devait organiser les journées internationales de la Hanse en 2019 mais elle se retire en 2012 en raison de difficultés financières. Deux villes se portent alors candidates : Pskov (Russie) et Halle an der Saale (Allemagne). L’engagement de Halle est ancien avec la perspective d’une candidature dès les journées de Novgorod en 2009. Après le retrait officiel de Lünen, la décision de Halle de proposer un projet pour 2019 fait l’objet d’un vote au conseil municipal, rassemblant les 2/3 des voix dont des soutiens des fractions SPD, CDU et FDP de la commune. Cependant, le nouveau maire de la ville, relativement jeune, ne souhaite pas accueillir les journées internationales de la Hanse en raison du coût de l’évènement (500 000 euros), ce qui favorise la candidature de Pskov. La municipalité russe, afin de rallier le plus de délégués possible, organise un concert à l’entrée du théâtre où se tient la réunion et projette un film promotionnel. Au moment du vote, la division de l’assemblée en deux camps distincts s’établit autour de trois types d’arguments : des arguments géographiques, une défense des intérêts nationaux et des proximités plus ou moins formelles entre les villes. Les villes qui ne sont pas situées sur les rives de la Baltique, notamment françaises ou néerlandaises, ont tendance à défendre Pskov afin d’atténuer, par un élargissement géographique, la domination quasiment exclusive des villes allemandes. Parallèlement, une logique nationale explique les alliances. La ville de Novgorod prend ainsi la parole afin de défendre Pskov, rappelant que des journées de la Hanse ne sont pas prévues en Russie avant 2033. La plupart des villes allemandes, à l’image de Salzwedel, Osnabrück ou Rostock évoquent un manque de transparence des finances de la ville de Pskov et un soutien nécessaire au conseil municipal au nom des valeurs de la Hanse. L’existence de coopérations informelles peut expliquer des positions plus originales. Les délégués de la ville de Neuss (Allemagne) jumelée avec Pskov défendent la candidature russe. La Hanse pourrait, selon eux, apporter un vent de démocratie et constituer un contrepoids à la politique de Vladimir Poutine. Les citoyens russes ne doivent pas être punis à cause de leur gouvernement et il serait conforme à l’esprit hanséatique de leur permettre d’échanger avec d’autres villes européennes. À l’issue du vote, la ville de Pskov est finalement définitivement choisie.
Le profil des membres
Une particularité de la Baltique est d’abriter des réseaux de villes agissant a priori sur des villes de tailles différentes. Schématiquement, il serait possible de dire que BaltMet est un réseau de métropoles associant principalement les capitales baltiques, l’UBC un réseau de villes moyennes et la nouvelle Hanse, un réseau ouvert aux plus petites villes. Contrairement à BaltMet qui associe des villes relativement homogènes en termes de taille, les réseaux UBC et nouvelle Hanse possèdent cependant des membres actifs de taille variable (tableau n° 12, graphique n° 3).
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