Du départ, nous n’avons pas pu vite déterminer le cadre du travail du présent chapitre, parce que le sujet que nous y allons aborder concerne multiples termes utilisés dans les travaux de recherche précédemment accomplis par nos confrères qui ne couvrent pas toujours le français en Chine dans la perspective disciplinaire. Parmi les termes tels que le domaine de l’enseignement du français en Chine (XIE Yong, 2007 : 11), le français à l’université (DAI Dongmei, 2014 : 199), l’enseignement du FLE en Chine (XU Yan, 2014 : vi), c’est David Bel (2017 : 40) qui a été le premier à proposer «les programmes universitaires de français » dans sa recherche de l’E/A du français en tant que discipline à part entière.
Nous considérons que le dernier chercheur a réussi à indiquer que le français est enseigné à l’enseignement supérieur chinois comme spécialité(法语专业). Pourtant, ce terme ne précise pas le fondement et la légitimité de la spécialité dans l’enseignement supérieur. En effet, il n’est pas facile de le définir en quelques mots, nous souhaitons ainsi proposer notre propre terme pour définir le domaine de travail de la présente recherche.
D’abord, selon Bourdieu, le champ est «un microcosme dans le macrocosme que constitue l’espace social (national) global », et «un système ou un espace structuré de positions […] entre les différents agents occupant les diverses positions. »(Lahire, 2001 : 24-25) En plus, toujours selon Bourdieu, il y a champ «quand il y a des enjeux et des acteurs, c’est-à-dire des biens (matériels et symboliques) et des agents (individus, groupes, institutions) qui les poursuivent selon des stratégies réglées » (Porcher, 1987, cité par Cuq, 2005 : 22), et chaque champ «possède des règles du jeu et des enjeux spécifiques, irréductibles aux règles du jeu et enjeux des autres champs » (Lahire, 2001 : 24).
Dans cette logique bourdieusienne, le français à l’université en Chine pourrait être considéré comme un champ disciplinaire parce qu’il s’est structuré en vue de la diffusion de la langue-culture française et francophone en milieu supérieur (microcosme) dans la société chinoise en évolution (macrocosme) où les besoins sont variés et diversifiés selon l’époque. On distinguera pour commodité:
– Des acteurs personnalisables (individuellement ou collectivement) : apprenants, enseignants, chercheurs-formateurs, éditeurs, administrateurs ;
– Des institutions : établissements d’enseignement, de formation-recherche, institution de diffusion (revues), d’édition, institutions technico-politiques (ministères) ;
– Des objets et des produits ;
– Du propos (ce à propos de quoi) : la langue et la culture françaises. (Porcher, L, 1987, cité par Cuq. J.-P., 2005 : 23) .
Afin d’envisager de manière ordonnée l’état actuel du champ disciplinaire du FLE en contexte chinois, nous nous attachons surtout aux acteurs institutionnels, car ils constituent pour nous un lieu commun et privilégié où activent et s’affirment notamment les enseignants et apprenants en tant qu’acteurs individuels.
Ensuite, le qualificatif «disciplinaire » indique le statut de l’enseignement/apprentissage de français en Chine. Plus précisément, par cet adjectif, nous souhaitons mettre l’accent sur l’enseignement de français dans les établissements supérieurs ayant pour objet langue et culture française, à la différence des matières scolaires dans l’enseignement secondaire.
Enfin, nous souhaitons éclaircir le choix du terme «FLE » au lieu d’utiliser tout simplement «le français » comme les chercheurs cités ci-dessus. Le FLE est le sigle du «français langue étrangère » qui à l’origine désigne que « le français est une langue étrangère pour tous ceux qui, ne le reconnaissant pas comme langue maternelle, entrent dans un processus plus ou moins volontaire d’appropriation, et pour tous ceux qui, qu’ils le reconnaissent ou non comme langue maternelle, en font l’objet d’un enseignement à des parleurs non natifs. » (Cuq, Gruca, 2005 : 94) En milieu institutionnel supérieur chinois, le français est enseigné en tant que majeure dans le but d’initier les étudiants à la langue et de la culture française et de perfectionner leurs acquis. Dans ce cas-là, la spécialité de français, appellation courante en Chine par habitude, fait partie de l’enseignement de français langue étrangère, car les étudiants l’apprennent comme première ou deuxième langue étrangère en milieu exolingue. Nous souhaitons préciser que dans la présente recherche, «la discipline FLE » ne s’applique pas à la Didactique du FLE en France s’attachant à la formation des spécialistes de didactique du français langue étrangère ou seconde et à la recherche de ce domaine.
Il est à noter qu’il existe globalement en Chine trois catégories d’institutions d’enseignement du FLE : ce sont d’abord les établissements supérieurs (universités ou instituts) offrant un diplôme national de langue et littérature françaises, ensuite les établissements secondaires, et enfin les centres de formation de français préparant les étudiants non-spécialistes de français aux études en France (y compris l’Alliance française ou les cyber écoles). Compte tenu de la pertinence à nos questions de recherche dans le cadre du présent travail, nous nous focaliserons sur l’état des lieux de la discipline FLE dans les établissements supérieurs chinois.
Il convient de dire que les universités ont joué et jouent toujours un rôle extrêmement important dans la construction du champ disciplinaire du FLE en Chine, pour la simple raison que c’est dans les universités que le français est appris et enseigné au titre de la spécialité à part entière en vue d’une formation diplômante au bout de 4 voire même de 10 ans d’études , et que dans cette logique corollaire, les universités chinoises sont les institutions à la fois d’enseignement, de formation et de recherche du FLE disciplinaire en Chine. En conséquence, avant de connaître le FLE disciplinaire en milieu supérieur chinois, il nous semble utile et nécessaire de préciser notre terrain de base de recherche que sont les universités chinoises en question.
Les établissements d’enseignement supérieur chinois fondés avant 1949 étaient globalement alignés sur les systèmes éducatifs européens, c’est-à-dire qu’ils étaient divisés en trois catégories : universités non spécialisées, instituts monodisciplinaires et écoles supérieures spécialisées. Au début de l’avènement de la Chine nouvelle dans les années 1950, en référence au modèle russe, le système éducatif du supérieur chinois a vécu la période dite «Regroupement des établissements d’enseignement supérieurs et des disciplines (en chinois yuan xi tiao zheng 院系 整) (ci-après le Regroupement), qui a largement favorisé le développement des instituts monodisciplinaires et des écoles spécialisées au détriment des universités pluridisciplinaires et non spécialisées. Selon WU Shulian (2002 : 51), depuis lors, les universités chinoises sont catégorisées selon les disciplines enseignées, on en compte alors 12 catégories d’universités, à savoir les universités des sciences humaines et naturelles (dites pluridisciplinaires), les universités polytechniques, les universités agricoles, les universités de sylviculture, les universités de médecine, les universités des langues étrangères, les universités des finances, les universités des sciences politiques et du droit, les universités des beaux-arts, les universités de l’éducation physique, les écoles normales supérieures et enfin les universités des minorités ethniques. De ce fait, les établissements d’enseignement supérieurs étaient chargés uniquement de l’enseignement, alors que les institutions de recherche ne faisaient que de recherches scientifiques à l’époque.
Il a fallu attendre jusqu’aux années 1990-2000 pour que ce système éducatif supérieur de Chine ait énormément changé à la suite de la Fusion et la Reconstitution des établissements d’enseignement supérieurs (en chinois yuan xiao he bing 院校合并) (ci-après la Fusion et la Reconstitution) pour mieux répondre d’une part au besoin d’une Chine en pleine mutation tant du point de vue économique que du point de vue sociale et d’autre part au défi de l’internationalisation de l’éducation supérieure . Dans cette nouvelle perspective, les universités chinoises sont maintenant classées selon les recherches assumées. Il en résulte en gros les quatre types des universités que voici :
1) universités qui se distinguent par la recherche ;
2) universités qui a vocation à la fois pour la recherche et l’enseignement ;
3) universités qui se spécialisent dans l’enseignement ;
4) universités qui se caractérisent par la formation spécialisée et professionnelle (MA Luting, 1996 ; WU Shulian, 2002).
WU Shulian (2002), expert de la typologisation des universités, a réajusté le critère de typologie à double sens : catégories + types. Les universités sont classées non seulement selon leur importance en recherche (type recherche, type recherche-enseignement, type enseignement et type formation spécialisée), mais aussi en vertu des catégories disciplinaires. Quand on décrit une université, la catégorie passe devant le type. À titre d’exemple, l’Université de Pékin (ci-après PKU) se classe parmi les universités pluridisciplinaires selon la catégorie disciplinaire et parmi les universités distinguées par la recherche selon l’importance en recherches scientifiques, alors que l’Université Tsinghua se considère comme université polytechnique distinguée par la recherche.
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