REPRÉSENTATIONS DES ACTEURS DE LA PÊCHE SUR LES EFFETS BIOÉCOLOGIQUES, SOCIO-ÉCONOMIQUES
Revue critique de la littérature sur les AMP
Généralités sur les AMP
D’après GARCIA et al. (2013), il existe dans la gestion des pêches et depuis des décennies, sinon des siècles, le concept de « réserve de pêche » ou « refuge », ou zones et habitats particulièrement protégés de la pêche en raison de leur importance pour la reproduction des espèces, la nourriture ou la protection des juvéniles. Malgré cela, toutes les études scientifiques démontrent que les activités de pêche constituent le principal facteur d’érosion de la biodiversité et de dégradation de l’environnement marin dans le monde (AMARA, 2011). Cette prise de conscience à propos de l’érosion de la biodiversité marine a conduit à l’instauration des AMP. La thématique d’AMP s’est développée dans le sillage de la biologie de la conservation du fait de l’importance prise par l’approche écosystémique des pêches pour préserver la biodiversité et assurer le renouvellement des ressources marines (CHAKOUR et DAHOU, 2009). Vers les années 1970, un élan s’est développé en faveur de la promotion des AMP du fait d’une prise de conscience, par la communauté internationale, des cas de destruction engendrée par les activités humaines et de leurs conséquences parfois irréversibles sur l’environnement (CAZALET, 2004). La création des AMP constitue un élément clef de la protection de l’environnement marin. Elle est liée aux concepts les plus novateurs de la politique environnementale tels que le développement durable, la gestion intégrée des zones côtières, la planification spatiale marine et l’approche écosystémique (PNUE, 2O11). Selon LEFEBVRE (2012), les principaux facteurs qui doivent être pris en compte pour l’instauration d’une AMP sont : les droits locaux, les coutumes et traditions, l’économie et l’environnement. Au demeurant, certains spécialistes analysent les AMP selon les différentes fonctions qu’elles jouent à savoir (i) la création de richesses par les services environnementaux marins et côtiers préservés, puis (ii) la fonction d’outil de gestion des pêches, (iii) la fonction de redistribution et d’équité, et enfin (iv) le rôle particulier dans le développement de formes de gouvernance des territoires protégés dans un contexte de recomposition territoriale (CHABOUD et GALLETTI, 2007). Outre ces quatre fonctions essentielles, CAZALET (2007), analyse l’instauration d’AMP sous un angle plutôt juridique. Les trois critères essentiels qui doivent être pris en compte dans l’instauration d’une AMP dit-il, sont : un périmètre clairement identifié, une structure institutionnelle responsable de son administration et un ensemble de mesures normatives propres, relatives à son fonctionnement et à sa gestion, incluant les usages.
Objectifs globaux de la création des AMP
D’après GARCIA et al. (2013), les objectifs spécifiques d’une AMP particulière dépendent de sa nature écologique, de son état de conservation, de son environnement socio-économique, de la démographie et de la volonté politique qui sous-tend sa mise en œuvre. ALBAN (2003) cités par WEIGEL et al., 2007) distingue trois principaux types d’objectifs dans la création des AMP que sont : (i) la préservation de la biodiversité, (ii) la viabilité de la pêche et (iii) la promotion des activités lucratives.
Objectifs bioécologiques
Au plan bioécologique, les effets de la mise en place des AMP sur les peuplements marins sont la préservation des espèces et de la biomasse, l’abondance des géniteurs, l’exportation de poissons vers l’extérieur de l’AMP (effet réserve), le retour à une structure démographique plus équilibrée des populations et la conservation des habitats essentiels aux effets attendus (AMAND, 2004). Néanmoins, pour PASQUAUD et LOBRY (2010), l’une des difficultés rencontrées pour évaluer l’efficacité des AMP tant en fonction d’objectifs écologiques que socio-économiques, réside dans la prise en compte pertinente des effets spatiaux. Ils précisent qu’un effet réserve positif est généralement caractérisé par la conjonction de trois effets distincts : l’effet refuge, l’effet tampon (par les fluctuations d’abondance saisonnières ou interannuelles qui sont moins marquées dans la réserve qu’en dehors) et l’effet de débordement. Ces trois objectifs disent-ils, doivent être identifiés pour bien évaluer l’efficacité de la mesure.
Objectifs socio-économiques
Selon la FAO (2012), les AMP peuvent avoir des effets socio-économiques aussi bien positifs que négatifs. Ces effets peuvent être directs et indirects, sur les revenus, les possibilités de revenus, les migrations, les habitudes culturelles, les services écosystémiques contribuant ainsi à l’amélioration des conditions de vie des communautés résidentes. Du point de vue économique, une AMP représente un investissement de la société dans la conservation de son capital naturel (GARCIA et al., 2013). En ce qui concerne les effets sociaux, les trois principaux objectifs sont : réduire les conflits entre différents groupes d’usagers, améliorer la satisfaction des visiteurs et augmenter la connaissance à propos des écosystèmes marins et de la biodiversité (AMAND, 2004).
Objectifs de Gouvernance
Le terme gouvernance est conçu pour refléter l’élargissement des processus de décision publique de l’Etat aux représentants des sociétés civiles et du privé. Il se réfère aux processus de prise de décision, de définition d’objectifs, de responsabilité, d’organisation, d’évaluation des résultats (GARCIA et al., 2013). Globalement, on peut dire que la gouvernance de la pêche vise à contrôler les activités du secteur pour conserver les ressources marines et maintenir les services écosystémiques possibles (GARCIA et al., 2013). Pour la gestion des aires protégées, les spécialistes distinguent trois grands types de gouvernance : – la cogestion définie comme un accord de partenariat dans lequel les acteurs (pêcheurs, institutions, autres acteurs de la filière ou du territoire, ONG, chercheurs) partagent la responsabilité et l’autorité de la gestion d’une pêcherie ; – la gestion privée est extrêmement rare dans le domaine maritime mais existe pour les AMP. Dans ce cas, des profits peuvent être tirés des activités qui s’y déroulent et des réductions d’impôts et de taxes peuvent encourager ce type de gouvernance ; – la gestion dite fantôme est malheureusement la plus fréquente dans la pêche artisanale comme dans les AMP. Elle est caractérisée par un désintérêt de l’Etat (peu enclin à diriger) et un manque de cohésion sociale des groupes d’utilisateurs peu capables de s’organiser (GARCIA et al., 2013).
Quelques difficultés et contraintes liées au fonctionnement des AMP
D’après WEIGEL et al. (2007), la gestion des AMP soulève plusieurs difficultés dans le monde, notamment dans les pays en développement. C’est d’abord un effort financier et administratif difficile à mobiliser car les espaces marins protégés coûtent chers en termes d’administration et de suivi, d’autant plus que les recommandations internationales mettent l’accent sur un « suivi scientifique » et une « gouvernance participative ». De ce fait, les projets de conservation des AMP sont souvent voués à l’échec ou bien restent peu opérationnels malgré les efforts déployés par les Etats et les ONG (CHAKOUR, 2012). A titre d’exemple, les AMP d’Afrique de l’Ouest, regroupées au sein d’un réseau régional (RAMPAO), peinent encore à s’adapter aux contextes socioéconomiques et écologiques locaux. Elles engendrent souvent des inégalités et des conflits sociaux entre acteurs pour le partage de la ressource (DAHOU, 2009). De plus, selon DAHOU et al. (2004), elles sont fragilisées par la complexité institutionnelle et sociale et la difficulté à concilier conservation de la biodiversité et développement socio-économique des populations fortement dépendantes des ressources 15 halieutiques. C’est pourquoi elles sont soumises à de fortes pressions telles que la pêche, la coupe de la mangrove, le braconnage (RAMPAO, 2010). Il est clair que la littérature scientifique existante sur les AMP offre diverses portes d’entrée quant à l’analyse de leurs effets et/ou impacts au plan bioécologique, socio-économique et de gouvernance dans le monde, en Afrique et particulièrement au Sénégal. Les angles d’approches sont divers et les analyses riches et variées. L’originalité de la pensée des auteurs résulte de leur capacité à mettre en exergue la complexité du fonctionnement des AMP et les difficultés d’évaluer leurs effets et/ou impacts, notamment sur la pêche. Le concept « AMP papiers » (GARCIA et al., 2013) est souvent utilisé par certains spécialistes pour qualifier les AMP peu opérationnelles que l’on retrouve surtout dans les pays en développement où les communautés dépendantes des ressources sont souvent économiquement et socialement vulnérables. Pour autant, les effets perçus des AMP par les utilisateurs des ressources ont souvent été abordés de manière très sommaire. Mieux, en analysant les effets ressentis des AMP par les communautés dépendantes des ressources halieutiques, certains spécialistes occultent les réalités de la pêche comme si l’AMP était un îlot ou un écosystème entièrement à part. Au Sénégal, ces études restent encore un maillon faible des publications scientifiques, notamment à Cayar, qui sans doute reste encore l’un des sites de pêche les plus convoités sur la grande côte Sénégalaise. C’est en réalité cet aspect, encore peu étudié, qui constitue l’objet principal de cette recherche.
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