Représentations de l’acupuncture et de sa place dans l’itinéraire thérapeutique du patient

L’acupuncture ne traite pas les pathologies graves

Tous les acteurs de notre étude s’accordaient sur le fait que l’acupuncture ne devait pas être envisagée pour le traitement curatif des pathologies graves. Les patients disaient privilégier le recours à leur médecin généraliste en cas de doute sur les symptômes ou de gravité ressentie. Ils consultaient en acupuncture principalement pour des syndromes douloureux, dont des douleurs ostéoarticulaires et des céphalées puis le stress, la fatigue ou les troubles de sommeil. Ces motifs de recours concordent avec l’étude menée par Triadou et al. sur le recours en acupuncture en France sur plus de 850 patients en 2005 (87).
Eisenberg et al. mettaient aussi en avant le fait que la majorité des patients qui avaient recours aux thérapies complémentaires n’avaient pas de « pathologies qui menaçaient la vie »(84).
Quelques médecins acupuncteurs interrogés ont précisé que l’acupuncture, par son ancienneté, avait des « protocoles » pouvant traiter une multitude de troubles. Cependant, la décision de choisir le recours à l’allopathie ou à l’acupuncture dans leur consultation relevait du pragmatisme : ce qui est connu pour être efficace doit être utilisé.
Ces notions se retrouvent dans l’étude qualitative de Frenkel et al. en 2003 (88). Les médecins généralistes s’opposaient au recours aux thérapies complémentaires dans trois situations : les maladies menaçantes (pneumonie, méningite…), les symptômes pour lesquels une évaluation en plus était nécessaire (hémoptysie, altération de l’état général…) et les maladies pour lesquelles l’allopathie avait un traitement efficace (diabète, carence martiale…). Ils étaient ouverts au recours dans la mesure où la pratique répondait à des besoins et des attentes, si elle restait acceptable en regard des normes scientifiques.

Avoir confiance en l’acupuncture malgré l’absence de preuves

Une majorité de médecins dans notre étude avaient confiance en l’acupuncture. Ils la considéraient à part des autres thérapies complémentaires, et la considéraient notamment plus efficace que l’homéopathie. Perry et al. (89) retrouvaient, parmi des médecins généralistes à Liverpool, des représentations similaires. L’acupuncture était la thérapie complémentaire considérée comme la plus valide parmi les autres. Les chercheurs présumaient que cette confiance était induite par l’émergence de nouvelles théories sur le mode de fonctionnement et les effets de l’acupuncture sur le cerveau. Dans notre étude, aucun médecin généraliste ne connaissait les preuves d’efficacité de l’acupuncture. Leur acceptation de l’acupuncture se basait principalement sur le ressenti des patients. Dans notre échantillon, le rejet de l’homéopathie pouvait s’expliquer par une plus grande connaissance de l’état des recherches dans ce domaine.
Dans l’étude menée par Van Haselen en 2004 dans le Nord-Ouest de Londres (90), seulement 28% des médecins généralistes étaient convaincus que les thérapies complémentaires étaient efficaces, mais 90% pensaient que leur recours contribuait au bien-être des patients, ce qui les amenait à les considérer dans leur pratique.
Des médecins généralistes interrogés appréciaient l’acupuncture même s’ils considéraient que son efficacité relevait de l’effet placebo. L’Académie nationale de médecine conclut à un effet placebo sur l’efficacité de l’acupuncture mais souligne elle aussi que ce mécanisme ne disqualifie pas la pratique : « compte tenu des intermédiaires neurobiologiques aujourd’hui connus de l’effet placebo, les données scientifiques qui leur faisaient jusqu’à présent défaut, et laisse entrevoir un moyen objectif d’apprécier leur action. » (5).
Certains patients avaient des a priori négatifs, se montraient sceptiques sur les résultats et envers l’étrangeté de la pratique. Mais lorsqu’ils se retrouvaient contraints au recours dans le cas de limitations thérapeutiques en allopathie, ils considéraient qu’ils n’avaient rien à perdre à essayer et ils tentaient alors le recours malgré leurs doutes. D’autres se référaient en fonction des retours d’efficacité et conseils de leur entourage, sans présager des preuves d’efficacité scientifiques.
Dans une étude qualitative de 2007, Verhoef et al. se sont intéressés aux processus de décisions pour le recours aux thérapies complémentaires chez des patients atteints de cancer (91). Ils ont montré que par rapport aux médecins, les patients accordaient beaucoup moins d’intérêt aux preuves scientifiques pour décider de leur recours à une thérapie complémentaire. Des patients basaient leurs décisions de recours sur leur ressenti envers une pratique. Ils avaient acquis une conscience de leur corps qui leur faisait ressentir le besoin de recourir à une pratique plutôt qu’à une autre : le « gut feeling ».
Nous retrouvons dans notre étude ce concept de « gut feeling » où les patients s’orientaient soit en médecine générale soit en acupuncture en fonction des besoins que leur corps leur faisait ressentir, ils « percevaient » intérieurement la nécessité de recourir à une pratique ou à l’autre. Cependant, seulement les personnes les plus habituées à la pratique ou celles qui avaient intégré la pratique dans leur mode de vie avaient ce mode de fonctionnement. Les personnes les moins habituées trouvaient en l’acupuncture le moyen d’éviter de prendre des médicaments, dans le cas d’impasse thérapeutique, ou dans une optique de bien-être. Autant de contextes qui laissent présager du faible impact du niveau de preuve scientifique sur la décision du recours.
Plus que des preuves d’efficacité, ils cherchaient des thérapeutiques moins nocives que les traitements allopathiques. Du côté des acupuncteurs, leurs propres expériences, l’efficacité clinique constatée, et l’ancienneté de la pratique constituaient des preuves suffisantes de validité de l’acupuncture.
Des participants de notre étude se montraient sceptiques quant à la possibilité de réalisation d’essais cliniques, et peu d’entre eux se préoccupaient de la recherche de preuves d’efficacité par la science. En accord avec ces résultats, Hansen (92) confirmait le faible impact de l’EBM dans la pratique des acupuncteurs.

Des rapports à l’acupuncture différents selon les patients

Dans notre étude, nous avons montré que les patients avaient des motivations variées pour recourir à l’acupuncture plutôt qu’à la médecine générale. Certains recherchaient du bien-être, d’autres souhaitaient éviter ou diminuer leurs prises médicamenteuses, ou étaient en impasse thérapeutique en allopathie. D’autres cherchaient du soutien psychologique, ou intégraient les principes thérapeutiques dans leurs modes de vie.
Nous retrouvons ces différents rapports à l’acupuncture dans l’étude menée par Triadou et al. en 2006 (79). Les résultats de l’analyse des questionnaires remplis par 850 patients identifient cinq profils-types de patients selon leurs attentes et modes de fonctionnement par rapport à l’acupuncture :
– Les néophytes enthousiastes (29.8%), décrits comme « des patients dont la pratique est récente, fréquente et souvent exclusive. Ils sont particulièrement enthousiastes visà-vis de l’acupuncture dans laquelle ils ont une confiance totale. […] Leur pratique relève pour certains de la prévention ou d’une recherche de mieux être. »
– Les fidèles de la médecine classique utilisant l’acupuncture comme soin complémentaire (25.3%) : « Ils seraient rassurés si les principes d’action de l’acupuncture pouvaient être expliqués par la biomédecine. Ils utilisent l’acupuncture à titre de complément pour la douleur. L’action est comprise étant comme locale sur le corps. »
– Les patients ayant des souffrances psychologiques et utilisant l’acupuncture comme thérapie de soutien (13.8%) : « Elles (les personnes) ont eu auparavant recours des psychothérapies, et se font traitées, souvent en complément de la médecine conventionnelle, par acupuncture. […] Leur recours à l’acupuncture est récent et les séances fréquentes. Pour elles, l’acupuncture fournit un soutien psychologique, et c’est une thérapie qui agit sur le psychisme principalement. »
– Les déçus de la médecine classique (11.3%) : « Elles ont eu recours à de nombreux soins de médecine conventionnelle et les poursuivent parfois de façon parallèle, avec souvent une double prescription de médicaments. Néanmoins, elles sont nombreuses à affirmer prendre moins de médicaments depuis qu’elles pratiquent l’acupuncture.
Cette pratique est ancienne et leur fréquence de consultation est mensuelle. Elles ont une confiance totale dans l’acupuncture. »
– Les adeptes des médecins alternatives (19.8%) : « Elles associent volontiers acupuncture et homéopathie. […] Elles ont la plupart du temps l’acupuncteur comme seul prescripteur de médicaments, de médecine alternative principalement. Les médecines alternatives font partie de leur mode de vie. Celles-ci s’ajoutent à des pratiques de relaxation, à une alimentation biologique et à une hygiène de vie. Elles n’éprouvent pas le besoin d’expliquer l’acupuncture par la biomédecine. »
En comparaison avec notre étude, nous retrouvons des similitudes avec quatre des profils décrits dans l’enquête. Mais les néophytes enthousiastes sont peu représentés dans notre travail, pourtant majoritaires dans celui de Triadou et al. On aurait pu croire que leur engouement pour l’acupuncture les motiverait à participer à notre travail. Il peut s’agir d’un biais de recrutement car certains patients interrogés nous ont été adressés par un médecin acupuncteur. Les néophytes enthousiastes ayant la caractéristique d’avoir un recours récent à l’acupuncture, le médecin acupuncteur ne les a peut-être pas informés de notre étude, dans la mesure où il ne les connaissait que depuis peu de temps. Nous avons cependant procédé par bouche-à-oreille et par connaissance pour limiter ce biais. On peut aussi supposer qu’il y a eu une évolution des profils et de nouveaux fonctionnements sur le recours en acupuncture depuis la réalisation de l’étude en 2006.

Selon les patients

Une minorité de patients nous ont rapporté préférer recourir à des acupuncteurs médecins : pour se rassurer en cas de diagnostic différentiel et pour être remboursés. Cependant, de de plus larges études montraient que les patients préfèraient recourir à des acupuncteurs médecins plutôt qu’à des acupuncteurs non-médecins (96,97). La divergence de nos résultats peut s’expliquer par le fait que nous n’avons pas posé la question de manière systématique à tous nos participants. Nous n’avons donc pas recueilli les opinions de tous les patients. Les patients qui nous ont spontanément rapportés préférer recourir à des médecins acupuncteurs avaient recours d’eux-mêmes à l’acupuncture sans en avoir parlé à leur médecin généraliste.
On peut supposer que les patients qui mentionnent leur recours au médecin généraliste se sentent moins à risques lorsqu’ils consultent en acupuncture, le médecin généraliste pouvant lui-même réaliser des diagnostics et suivre le patient.
En Allemagne, Krug et al. montraient que les patients s’orientaient vers un médecin ou un nonmédecin (ou « Heilpraktiker ») pour des motifs différents (98) : les patients s’orientaient plus vers les médecins en cas de pathologie aigue, ou musculosquelettique, ou nécessitant un arrêt de travail, et vers les « Heilpraktiker » en cas de pathologie chronique ou psychologique. Cela conforte l’idée selon laquelle le patient a recours à un non-médecin lorsque le risque de diagnostic différentiel peut être considéré comme minime.
D’autres études montrent qu’un patient choisit un acupuncteur plus par pragmatisme qu’en fonction de son diplôme médical (proximité, accessibilité, conseil de proche) (95).

DES FACTEURS REELS OU CONSTRUITS A L’ORIGINE DE DIFFICULTES D’INTERACTION

Bien que l’acupuncture soit perçue de manière positive et complémentaire par l’ensemble des acteurs, elle n’est pas intégrée dans le parcours de soins du patient. Plusieurs facteurs en sont à l’origine et expliquent des modes de fonctionnement qui rendent son intégration complexe.

La méconnaissance de l’acupuncture

La méconnaissance des médecins généralistes sur la pratique était un frein à la communication mis en avant par tous les acteurs. Plusieurs travaux confirment cette méconnaissance des médecins généralistes sur l’efficacité, les indications, les contreindications et les risques de l’acupuncture (66,67,93).
L’étude de Ben Arye et al. a montré que les médecins généralistes pensaient que les patients attendaient d’eux d’avoir une connaissance actualisée sur la pratique (97).
D’un autre côté, d’autres études ont montré que les patients n’attendaient pas de leur médecin généraliste d’être expert sur le sujet (97,99,100).

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