Durant l’élaboration de ce projet de recherche-création, l’objet de recherche a émergé et évolué en donnant une place prépondérante au processus de création. De ce fait, la préoccupation quant au processus de création a été davantage considérée, constatant la situation complexe que suscitent la conception et la réalisation d’une séquence vidéo d’animation 3D présentant des personnages animés et crédibles. « La définition des objets de recherche est nécessaire parce qu’elle précise ce que le chercheur « regarde » et selon quel cadre il interprète les données » (Bruneau et Villeneuve, 2007, p.64). En ce sens, le resserrement du cadre théorique s’est effectué à la suite de l’observation du déplacement entre deux objets, passant de l’artéfact à celui de la pratique artistique.
Les auteurs Bruneau et Villeneuve (2007) présentent six objets de recherche principaux en art servant à guider le praticien-chercheur vers le choix de son sujet de recherche. Pour ce qui est de la pratique artistique, « on s’intéresse à une structure interne, à un vécu, à certaines composantes de cette pratique ou à son processus » (p.65). Au lieu de s’intéresser à une finalité comme l’artéfact, le regard est plutôt dirigé vers le vécu de l’artiste dans sa création en interaction avec ses outils; ce sont les processus conjugués au présent impliqués dans la conception et la création que l’on souhaite mieux comprendre. En ce sens, la pratique artistique devient d’emblée le sujet d’étude. Les auteurs identifient des enjeux pertinents pour la recherche en art. De ceuxci, deux touchent plus directement ce projet :
1) « Isoler des processus en cours d’action »
2) « Inventorier des méthodes de recherche et de création ».
Actuellement, on trouve peu de documentation concernant la pratique artistique de la création numérique pour le cinéma d’animation puisque la recherche dans ce domaine se consacre principalement aux diverses études des technologies, à la réception et à la création des artéfacts. De ce fait, rien n’explicite ce qui demeure implicite dans le processus de création de ce type de projet.
On peut voir le processus de création tel un dialogue entre le praticien-chercheur et une situation de création unique, ambigüe et incertaine : « A reflective conversation with a unique and uncertain situation » (Schön, 1983, p. 130). La situation de création renferme une problématique complexe, par le fait qu’il s’agit d’un phénomène singulier encore inconnu au départ par l’artiste, et qui demeure parfois longtemps incertaine. Tout au long de l’activité de création, il s’agit de chercher les caractéristiques particulières du cas unique à résoudre, à partir de découvertes graduelles et parfois fortuites, afin de proposer une solution dans l’idée de réduire l’ambigüité et l’incertitude et de donner sens à la situation. Selon la formule de Schön, le problème et la solution sont développés ensemble par l’artiste. À ce moment, il participe à une conversation réflexive qui cherche une potentialité d’une nouvelle cohérence de l’ensemble, d’après l’émergence de l’inattendu, ce qui l’incitera à reformuler la problématique initiale. Dès lors, il peut recadrer la situation et en avoir une nouvelle compréhension. Ce processus d’intelligibilité vers ce qui est jugé satisfaisant rejoint les essais et erreurs ainsi que le travail itératif qui en découle: « Ordinarily, we might call such a process « trial and error », which it certainly is » (Schön, 1985, The Design Studio, p.24).
Cette idée de dialogue entre artiste et situation de création dans le processus de création prend la forme d’une métaphore empruntée à l’herméneutique selon laquelle le texte dialogue avec le lecteur métaphoriquement. Cette situation équivaut à une transmission de sens au sein d’un dialogue entre deux personnes. Les auteurs Snodgrass et Coyne (1996, p. 65-97) font cet exercice d’emprunt pour mettre en lumière les concepts pertinents qui permettent de mieux comprendre les séquences logiques des étapes au cours du processus de design. Selon ces auteurs, l’activité de design procède par un cercle herméneutique, qui met en perspective les différents concepts d’interprétation, de conversation et de dialogue. Cette même métaphore pourrait s’appliquer à la pratique en art puisqu’on y retrouve ces mêmes trois concepts assurément. Le cercle herméneutique fait référence à la relation circulaire de la totalité et de ses parties à travers n’importe quel contexte d’interprétation, en faisant référence à la conversation de tous les jours, dans lequel on ne peut saisir pleinement le sens d’une partie que si nous saisissons simultanément l’entière proposition. À l’inverse, on ne peut saisir l’ensemble de la conversation que si on saisit le sens des parties. La totalité et les parties s’apportent mutuellement du sens et par conséquent, la compréhension est circulaire. Dans cette approche constructiviste, le cercle herméneutique est bel et bien un processus d’interprétation, dans lequel la compréhension s’articule en un perpétuel flux. Snodgrass et Coyne (1996) comparent la « réflexion-en-action » (Schön, 1983) et l’improvisation à la conversation de tous les jours : « Conversation is collective verbal improvisation » (Schön, p. 30). La réflexion-en-action prend alors la forme d’une conversation réflexive, au sens métaphorique, avec le matériel de la situation (ex. : un artéfact).
La représentation du processus de création en art peut s’avérer un défi considérable lorsqu’il s’agit de bien rendre compte du phénomène vécu par l’artiste dans sa pratique. Comment rendre compte de la complexité d’un tel phénomène exploré qui implique la conversation réflexive décrite ci-haut, les essais et erreurs et les nombreuses itérations, l’utilisation des logiciels applicatifs et l’anticipation de la réception satisfaisante du spectateur?
Les auteurs Gosselin et al. (1998) proposent une représentation de la dynamique de création afin d’expliciter le processus de création en art. Ils tentent de décomposer le processus de création en plusieurs phases par lesquelles l’artiste chemine et construit son œuvre. Leur contribution consiste en une modélisation de la dynamique de création, ainsi que l’explication de ses composants.
D’après ces auteurs, on constate que le processus de création est un phénomène complexe présentant des propriétés d’interactivité et de récursivité considérables dans le temps et dans lequel plusieurs phases et mouvements interagissent. Ces auteurs présentent alors des similarités avec le concept de la réflexion-en-action de Schön, notamment lorsqu’il est question de gestion et de considération de contenu émergent et fortuit dans le processus de création, mais aussi par différents types de dialogue mentionnés dans l’article : jeux entre réflexions subjective et objective, entre états conscient et inconscient, intérieur et extérieur, rationnel et irrationnel, etc.
On remarque que le modèle proposé par les auteurs consiste en une série de boucles dans le temps, ainsi qu’à un chevauchement entrecroisé de phases et de mouvements, ce qui révèle la non-linéarité du processus de création. Cette démarche cyclique rejoint alors l’approche « systémique » (Durand D. , 1979), qui considère la totalité et les parties du tout : « […] The principle is that you work simultaneously from the unit and from the total and then go in cycles » (Schön, p. 80). « Each move is a local experiment which contributes to the global experiment of reframing the problem » (p. 94). En ce sens, le recadrage (reframing) du problème en art s’opère notamment par le passage à travers les phases et mouvements représentés dans le schéma. Ce processus se révèle alors assez complexe.
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