Repositionnement des bêtabloquants dans le cancer
Les Bétabloquants : focus sur des régulateurs du système cardiovasculaire repositionnés en cancérologie
Les bétabloquants sont des médicaments d’utilité majeure dans le traitement des maladies cardiovasculaires (56). Ils sont utilisés principalement dans le traitement de l’hypertension artérielle, mais aussi dans certains troubles du rythme et de l’insuffisance cardiaque chronique. Certains bétabloquants peuvent également être utilisés en cas d’hyperthyroïdie, de tremblements essentiels, de migraines ou dans les varices œsophagiennes. Les bétabloquants sont relativement bien tolérés. Leurs effets indésirables sont essentiellement : une exagération de l’effet thérapeutique avec engendrement d’une bradycardie, des capacités d’adaptation physique à l’effort maximal limitées et une récupération plus longue, une bronchoconstriction (crise d’asthme), une vasoconstriction (syndrome de Raynaud). On retrouve également des troubles du sommeil, des dépressions (pour les bétabloquants lipophiles qui traversent la barrière hémato-encéphalique), une exacerbation du psoriasis, une dysfonction érectile. Ils peuvent entraîner une aggravation des conséquences hémodynamiques d’un choc allergique car la stimulation cardiaque étant 32 bloquée, cela empêche le maintien de la pression artérielle. Ils nécessitent également une précaution d’emploi chez les patients diabétiques, car ils peuvent masquer les signes d’hypoglycémie. Les bétabloquants ont été initialement caractérisés par leur habilité à se fixer sur les récepteurs béta adrénergiques et ainsi à inhiber les effets entrainés par les catécholamines endogènes : ce sont des antagonistes compétitifs. Les récepteurs adrénergiques font le lien entre le système nerveux sympathique et le système cardiovasculaire. Il existe 3 isotypes de récepteurs béta identifiés : béta-1 (présent au niveau cardiaque), béta-2 (présent au niveau vasculaire) et béta-3 (situé dans les adipocytes). Ils possèdent chacun 7 domaines transmembranaires couplés à des protéines G (57). En stimulant les voies de signalisation en aval des récepteurs béta-1 et béta-2-adrénergiques activés, la protéine Gs est impliquée dans la contraction myocardique par phosphorylation de l’adényl cyclase pour produire l’ Adénosine mono-phosphate cyclique (AMPc). Cette dernière induira l’activité d’une protéine kinase A (PKA), qui entrainera une cascade de phosphorylation, comme nous pouvons le voir dans la Figure 9 d’après (58). Il y aura alors une augmentation du débit cardiaque, de la force de contraction (effet inotrope positif), une augmentation de la fréquence (effet chronotrope positif), mais également une accélération de la conduction de l’influx au niveau du tissu nodal (effet dromotrope positif). Enfin, l’excitabilité cardiaque au niveau des tissus myocardiques et nodaux sera augmentée : on parle d’effet bathmotrope positif (58)Certains bétabloquants sont sélectifs des récepteurs béta-1 : on parle de cardiosélectivité. Cet effet cardio-sélectif est dose-dépendant : plus on augmente la dose de bétabloquant, plus on risque d’avoir également un effet vasculaire via les récepteurs béta-2 adrénergiques. La vasodilatation est associée à la stimulation des récepteurs béta-2 adrénergiques. Certains bétabloquants ont des effets agonistes partiels qui s’exercent préférentiellement via ces récepteurs de manière paradoxale : on parle d’ASI (activité sympatho-mimétique intrinsèque). Cette catégorie de bétabloquants peut être utilisée (avec précaution) chez des sujets asthmatiques. À l’inverse, les bétabloquants antagonisant les récepteurs béta-2 adrénergiques sans ASI ont des propriétés vasoconstrictrices, bronchoconstrictrices, et seront donc contre-indiqués dans l’asthme, le syndrome de Raynaud. Il existe également un effet antagoniste alpha-adrénergique qui concerne deux molécules : le Labétalol et le Carvédilol. Cette propriété est intéressante pour traiter le syndrome de Raynaud grâce à la vasodilatation engendrée.
Le Propranolol, un médicament orphelin de choix dans l’arsenal anticancéreux
En plus d’être bien toléré, le Propranolol (PRO) constitue un intérêt économique considérable à l’heure où le prix des traitements anti-cancéreux ne cesse d’augmenter : « Même si le Propranolol ne peut pas remplacer ces traitements, nos résultats montrent qu’il peut améliorer leur efficacité au prix d’un simple médicament générique » précise le scientifique Brad Bryan du Texas Tech University Health Sciences Center El Paso (60). 35 Pour qu’une molécule soit sélectionnée dans telle ou telle indication pour le repositionnement, il faut étudier ses modes d’action : il existe un certain nombre de mécanismes d’action putatifs distincts qui ont été étudiés par rapport aux effets anticancéreux du PRO, dont beaucoup sont associés à la voie des adréno-récepteurs béta-2 et qui peuvent être particulièrement importants dans le contexte du processus métastatique (61). Un résumé dans le tableau 2 d’après (116) nous montre un certain nombre d’effets anticancéreux distincts du PRO pouvant être utilisés dans différents contextes cliniques. Il en va de même pour la réutilisation d’autres bétabloquants, tels que le Carvédilol et le Nébivolol (62), pouvant également représenter un grand potentiel dans d’autres contextes / tumeurs. Cependant, le PRO est représenté dans une plus large gamme de preuves et une utilisation clinique étendue : on retrouve notamment des preuves remarquables dans l’hémangiome infantile à travers l’essai clinique contrôlé randomisé que nous détaillerons par la suite (cf p. 46), avec une amélioration spectaculaire de cette tumeur vasculaire qui exprime des taux élevés de récepteurs béta-adrénergiques (63). Des effets anti-métastatiques ont également été montrés dans les cancers du sein pour ne prendre que cet exemple (64). Le PRO pourrait donc devenir une stratégie future pour réduire le taux de propagation métastatique en combinaison avec les traitements standards de cancers non métastatiques.Grâce à des études in vivo sur des modèles murins, il a été observé que les effets biologiques du stress qui accélèrent la progression du cancer, pourraient être efficacement bloqués par les antagonistes béta-adrénergiques. 39 Lanalyse mécanique de la progression de la tumeur a permis didentifier un grand nombre de processus cellulaires et moléculaires, incluant le Système Nerveux Sympathique (SNS), qui participent à la régulation des processus de réparation de l’ADN, d’activation d’oncogènes, de l’inflammation et de la réponse immunitaire, de l’hématopoïèse, de l’angiogenèse, de la survie et de l’apoptose (cf figure 10 d’après (61)).
I. INTRODUCTION : Cancers et thérapeutiques anti-cancéreuses |