REPONSES DU FLET, PLATICHTHYS FLESUS, EN PRESENCE D’UN MELANGE COMPLEXE DE HAPS ET PCBS EN CONDITIONS EXPERIMENTALES 

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LES PERTURBATIONS EN MILIEUX COTIERS

Les perturbations anthropiques

Le milieu marin est aujourd’hui un milieu particulièrement impacté par l’homme à travers des perturbations biologiques, physiques ou encore chimiques.
Les modifications biologiques sont souvent la conséquence de la surpêche ou de l’arrivée d’une espèce invasive qui entraînent une modification du réseau trophique perturbant ainsi tout le fonctionnement d’un écosystème (Coleman et Williams, 2002). Les constructions humaines le long du littoral peuvent perturber de manière physique l’environnement en détruisant partiellement ou totalement les habitats des espèces, comme les zones de nourriceries côtières ou encore les frayères de certains poissons (Travis, 2003). Le bruit des bateaux est également considéré comme un changement physique qui pourrait avoir un impact notamment sur le comportement de certains mammifères marins (Nowacek et al., 2007). Enfin, le milieu marin est un environnement très sensible à la pollution chimique. Cette pollution est non seulement dangereuse pour le milieu marin mais également pour l’homme. Qu’il s’agisse d’une pollution accidentelle comme une marée noire, ou d’une pollution chronique, la présence de toxiques dans l’eau peut avoir un impact direct sur la santé humaine (Corsolini et al., 2005). Les zones potentiellement exposées aux stress chimiques doivent donc être particulièrement suivies par l’analyse systématique des teneurs en contaminants dans les eaux, les sédiments et les organismes. Quand les risques de contamination sont connus, des mesures peuvent alors être prises comme l’interdiction de la pêche de certains poissons du Rhône en 2007, liée à la forte teneur en polychlorobiphényles (PCBs) dans leurs tissus (Bodiguel, 2008).

Les principaux polluants

Aujourd’hui les xénobiotiques présents dans l’environnement marin sont très nombreux (métaux, pesticides, PCBs, hydrocarbures polycycliques, médicaments,…) et les sources de ces pollutions sont elles aussi diverses (rejets domestiques, rejets d’usine, déversements liés au transport maritime…). Dans le cadre de cette thèse, nous nous intéresserons aux polluants majeurs présents dans les sites que nous allons étudiés : les métaux, les pesticides, les hydrocarbures polycycliques (HAPs) et les PCBs.

Les métaux

Historiquement, les mines, exploitées ou non, conduisent souvent à des rejets de cuivre, d’étain, de plomb, d’argent ou encore de mercure qui aboutissent dans les eaux fluviales par le ruissellement. Les rejets métalliques des usines métallurgiques telles que les alumineries, sont également une source de contamination importante, de même que les eaux de ruissellement sur les toitures et les routes, ou tout simplement l’érosion des sols. Des suivis de teneurs en métaux réalisés sur plus de 10 ans montrent parfois une diminution des concentrations détectées dans les eaux de certaines rivières (Dobson, 2000; Harmens et al., 2007, 2008) et dans les tissus des poissons (Maes, Belpaire et Goemans, 2008; Polak-Juszczak, 2009). Néanmoins, Maes et al (2008) montrent également que si la teneur en plomb diminue dans la chair d’anguilles capturées en Belgique de 1994 à 2005, la concentration en mercure et en cadmium reste stable. Le problème majeur des métaux est qu’ils ne sont pas biodégradables et qu’ils peuvent donc se stabiliser dans les sédiments, en rivière comme en estuaire. Ils peuvent être ingérés par les organismes, plus ou moins éliminés ou concentrés dans certains tissus. Les métaux peuvent ainsi être bioaccumulés tout au long des réseaux trophiques et atteindre des niveaux toxiques pour les espèces situées au sommet de la chaîne alimentaire, tels que les poissons (Zhou et al., 2008).
La présence de métaux dans l’environnement peut donc, à certaines doses, devenir dangereuse pour les organismes vivant dans les milieux côtiers et pour l’homme situé en fin de chaîne alimentaire. Il a été montré, par exemple, que des niveaux élevés de métaux pouvaient perturber le mécanisme de phagocytose chez les cellules immunitaires de bivalves (Maes, Belpaire et Goemans, 2008; Sauvé et al., 2002). La catastrophe de Minamata est devenue un cas d’école, démontrant à quel point les métaux lourds peuvent être extrêmement toxiques (Ekino et al., 2007); les effluents du méthyl-mercure rejetés par une usine ayant conduit à une accumulation de mercure dans le réseau trophique provoquant la mort de plus de 800 personnes et handicapant des milliers d’autres (paralysie, déficience neuronale).

Les pesticides

Les pesticides sont de par leur fonction première des biocides, c’est-à-dire des molécules utilisées pour détruire différents types d’organismes (ravageurs, compétiteurs ou pathogènes) considérés comme nuisibles par les agriculteurs. Néanmoins, une partie de ces toxiques est dispersée dans l’atmosphère ou bien lessivée par les eaux de pluie et va alors se retrouver dans les eaux souterraines ou fluviales (Belfroid et al., 1998). Les insecticides, les fongicides et les herbicides sont les 3 catégories regroupant ces composés phytosanitaires.
Il a été montré que certains pesticides pouvaient perturber le système immunitaire de la truite arc-en-ciel (Shelley et al., 2009). Ces composés ont des effets immunosuppresseurs sur les poissons, diminuant ainsi leur capacité à se défendre face à une maladie (Dunier et Siwicki, 1993). Ils peuvent aussi être à l’origine de malformations chez les fœtus d’amphibiens (LeBlanc et Bain, 1997). Akcha et al. (2012) ont observé que le diuron (un herbicide) pouvait avoir un effet génotoxique sur les spermatozoïdes d’huîtres, perturber leur développement embryo-larvaire, et affecter le taux de recrutement des huîtres en milieu naturel. Les pesticides peuvent avoir un impact sur de nombreuses fonctions biologiques chez les poissons : modulation du système immunitaire, du métabolisme des méthionines et des lipides, du métabolisme énergétique (Dunier et Siwicki, 1993; Evrard et al., 2010b; Marchand et al., 2006). Par exemple, des truites arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) soumises à une contamination de 28 jours avec un herbicide (pendimethalin ou Prowl 400) présentent une diminution de l’activité de phagocytose et du système du complément, deux éléments essentiels du système immunitaire ; cette contamination conduit à une augmentation de la sensibilité des poissons aux infections virales (Danion et al., 2012b). Pour l’homme, certains pesticides tel que le dichlorodiphényl-trichloroéthane, couramment appelé DDT, sont considérés comme cancérigènes par l’Agence International de Recherche sur le Cancer (IARC).

Les Polychlorobiphényls

Les Polychlorobiphényls (PCBs), appelés au Québec Biphényls polychlorés (BPCs), sont des composés aromatiques organochlorés utilisés depuis des décennies pour leur stabilité technique et chimique ; ce qui en fait de bons isolants, notamment utilisés dans l’industrie par exemple pour la fabrication de transformateurs électriques. Ils sont aussi présents dans la composition de nombreux vernis et peintures. C’est une famille qui comprend 209 congénères regroupés en 2 classes selon leur mode d’action. Les PCBs de type dioxine, ou dioxine-like (PCB-DL), agissent de manière similaire aux dioxines en se fixant au récepteur Ah (Aryl-hydrocarbone) tandis que les PCBs non dioxine-like (PCB-NDL) n’ont pas d’affinité avec ce récepteur Ah (Giesy et Kannan, 1998). Sept des 209 congénères identifiés représentent près de 50% de l’ensemble des PCBs retrouvés dans les aliments d’origine animale. Ces 7 PCBs qui regroupent 6 PCB-NDL (PCB 28, 52, 101, 138, 153 et 180) et un PCB-DL (PCB 118) sont considérés comme des PCBs indicateurs (PCBi). Ce sont ces PCBi qui sont dosés pour s’assurer du niveau de contamination d’un produit. Les effets toxiques des PCBs ont conduit à leur interdiction dans de nombreux pays depuis une vingtaine d’années ; par conséquent leur concentration dans le milieu marin est en diminution. Néanmoins les PCBs ne sont pas pour la plupart biotransformables, ils vont donc en partie s’accumuler dans les tissus adipeux des organismes et sont alors bioamplifiés le long des réseaux trophiques (Ross, 2004).
Il a été montré qu’à fortes doses les PCBs pouvaient causer des tumeurs chez le rat.
Suite à ces résultat les PCBs ont été classés comme potentiellement cancérigènes pour l’homme par l’EPA (US Environnemental Protection Agency, 1988). Du fait de leur position au sommet de la chaîne trophique, les poissons accumulent de grandes quantités de PCBs ce qui peut avoir des impacts sur leur système immunitaire, entraîner des lésions hépatiques et perturber leur condition physiologique (Khan, 2003). Des études réalisées sur des personnes consommant du poisson contenant des PCBs ont montré que la quantité de PCBs dans leur sang était corrélée avec la quantité de PCBs dans les poissons ingérés, et apparemment dépourvue de liens avec l’état de santé des consommateurs (Flynn, 1997). Par ailleurs, il semblerait qu’une exposition prénatale répétée à des PCBs puisse avoir un effet neurologique sur les fœtus (Jacobson et Jacobson, 1996), entraînant par la suite chez les enfants des retards d’apprentissage et des problèmes de mémoire (Schantz et al., 2001)

Les Hydrocarbures aromatiques polycycliques

Les HAPs détectés dans l’environnement sont la conséquence de la combustion incomplète d’hydrocarbures ou de produits dérivés de ces hydrocarbures (issus d’incinérateurs, de moteurs d’automobiles, de feux de cheminée,…). Ils sont présents sous des centaines de formes différentes et largement répandus sur l’ensemble de la planète. Seize HAPs sont considérés comme polluants prioritaires par l’EPA (US Environnemental Protection Agency) et sont le plus souvent mesurés pour évaluer l’état d’un environnement. Comme la plupart des PCBs, les HAPs sont hydrophobes et ont donc tendance à s’associer à la matière particulaire présente dans les eaux. Associés à ces particules, les HAPs vont alors sédimenter ou rentrer dans les réseaux trophiques. Mais contrairement aux xénobiotiques précédents, les HAPs peuvent être métabolisés par de nombreux organismes. Les métabolites alors produits sont souvent plus toxiques en eux-mêmes que les HAPs mères dont ils sont issus (Salas et Burchiel, 1998).
L’un des HAPs les plus toxiques est le Benzo(a)pyrène (B(a)P) qui est reconnu comme cancérigène par l’IARC. La toxicité du B(a)P est en partie directement liée à l’un de ses métabolites, le Benzo(a)Pyrène-7,8-dihydrodiol-9,10-époxyde (BPDE), qui, une fois présent dans les cellules peut entraîner des mutations pouvant conduire à long terme au développement de cancers (Salas et Burchiel, 1998). De manière plus générale, il a été montré que la présence de HAPs dans l’environnement marin pouvait entraîner des lésions hépatiques, des problèmes de reproduction et de croissance chez le carlottin anglais, Parophrys vetulus, (Johnson et al., 2001; Johnson et al., 1998) ou encore diminuer la capacité de saumon quinnat, Oncorhynchus tshawytscha, à résister à un virus (Arkoosh et al., 2001a). La contamination par les HAPs entraine chez les poissons une perturbation de différentes fonctions immunitaires telle que l’activité du lysozyme, les capacités de phagocytoses, la régulation de l’apoptose ou encore la prolifération cellulaire (Reynaud et Deschaux, 2006). Par exemple, Danion et al (2011a) observe chez des bars commun (Dicentrarchus labrax L.) une diminution du nombre de lymphocytes, un augmentation de la mortalité des leucocytes et une diminution des capacités de phagocytose après 21 jours de contamination aux hydrocarbures.

Que sont les POPs ?

Aujourd’hui, quand on aborde la question des polluants en milieu marin, l’abréviation POPs revient assez régulièrement. Selon la convention de Stockholm les POPs, pour « Polluants Organiques Persistants », sont des polluants organiques qui se dégradent « lentement », sont bioaccumulés dans les organismes et le long des réseaux trophiques, sont toxiques et peuvent se répandre sur de grandes distances (www.pops.int). La convention de Stockolm ratifiée en 2004 vise à interdire et restreindre l’utilisation de ces composés dans le monde. A l’origine les POPs sont définis par la convention de Stockholm au nombre de 12 : neuf pesticides (DDT, aldrine, chlordane, dieldrine, endrine, heptachlore, mirex, toxaphène, et hexachlorobenzène), tous les PCBs et deux sous-produits indésirables de la combustion et des processus industriels (les dioxines et les furanes). En mai 2009, lors de la conférence des parties (COP4), neuf POPs sont ajoutés (United Nations Environment Program, 2009): deux pesticides (le chlordécone et les hexachlorocyclohexanes y compris le lindane) et sept produits chimiques industriels : hexabromobiphényle, pentachlorobenzène, tétrabromo-diphényléther, pentabromodiphényléther, hexabromodiphényléther, heptabromodiphényléther et les sulfonates de perfluorooctane et leurs dérivés. Enfin, en mai 2011 lors de la conférence des Parties, un nouvel amendement est adopté pour ajouter à la liste l’endosulfan et ses isoformes associées (United Nations Environment Program, 2011). Les POPs regroupent les substances considérées comme les plus préoccupantes pour l’environnement et la santé humaine du fait de leur forte toxicité et de leur persistance dans les milieux naturels. Notons que les HAPs n’en font pas partie, car ils ne sont pas bioaccumulés dans les organismes mais biotransformés et par conséquent non considérés comme persistants.

Autres polluants

De nombreux autres polluants, non abordés lors de ce travail de thèse, sont présents dans les eaux telles que les PBDEs (polybromodiphényléthers) ou EDPBs (éthers diphénliques polybromés). Il s’agit de composés utilisés dans la fabrication de nombreux produits de consommation (pièce automobile, mousse d’ameublement, plastique…) pour leur propriété ignifuge. Certains de ces produits étant particulièrement toxiques, leur production est interdite dans de nombreux pays dont la France et le Canada. Les PBDEs sont peu solubles dans les eaux et liposolubles, ils sont donc facilement bioaccumulables et bioamplifiés le long du réseau trophique. Du fait de leur forme chimique très proche d’une hormone thyroïdienne, ces xénobiotiques peuvent interférer avec le système endocrinien et entraîner des perturbations dans la reproduction, des malformations et des cancers (Hale et al., 2003; Kester et al., 2002).
De plus en plus de composés pharmaceutiques sont également retrouvés dans les eaux telles que des anti-inflammatoires, des antibiotiques ou encore des composés hormonaux (Christen et al., 2010). Ces composés sont fabriqués afin d’avoir un effet spécifique sur les humains ou les animaux; par conséquent, leur présence dans les milieux aquatiques, pourrait se traduire par des effets similaires sur les organismes marins, et donc perturber leurs fonctions immunitaires ou hormonales (Christen et al., 2010). Ainsi les œstrogènes peuvent conduire à des altérations sévères des fonctions endocrines et du système immunitaire des poissons (Cabas et al., 2012; Wenger et al., 2011).
Les nanoparticules forment un groupe de substances émergentes de plus en plus étudiées pour leur éventuel effet toxique (Moore, 2006). Ces xénobiotiques sont le plus souvent définis comme des particules de taille inférieure à 100 nanomètres de diamètre. Les nanoparticules peuvent être d’origine naturelle, voire produites de manière non intentionnelle lors de processus industriels (ingénierie pétrolière, processus métallurgiques) ou créées de manières spécifiques (Bruneau, 2011). Ces dernières particules, appelées points quantiques (quantum dots) sont synthétisées afin d’être utilisées en médecine pour des techniques d’imagerie médicale ou encore en ingénierie et informatique. Du fait de leur faible taille et de la grande diversité de type de nanoparticules existantes, elles sont difficilement quantifiables dans les milieux naturels. Des expériences réalisées in vitro montrent une diminution de la viabilité cellulaire en présence de points quantiques (Derfus, Chan et Bhatia, 2004). Bruneau (2011) a observé que des cellules immunitaires de Truite arc-en-ciel, Onchorynchus mykiss, exposées à des nanoparticules d’argents présentaient un diminution de viabilité, une augmentation de leur capacité de phagocytose et une diminution de la transformation lymphoblastique.
A tous ces composés d’origine majoritairement anthropique peuvent s’ajouter des toxiques produits par des cyanobactéries. Les cyanobactéries sont des procaryotes que l’on peut trouver dans les lacs et rivières qui sécrètent différents types de toxines (neurotoxines alcaloïdes, endotoxines lipopolysaccharide, cytotoxines et hépatotoxines). Ces toxines peuvent causer chez l’homme des problèmes gastriques, de l’asthme, des conjonctivites et des réactions allergiques cutanées (Hunter, 1998). Chez les poissons, les toxines de cyanobactéries peuvent avoir des effets allant d’une augmentation du stress oxydatif au niveau cellulaire (Jos et al., 2005), jusqu’à une perturbation du comportement natatoire (Baganz, Staaks et Steinberg, 1998).
Il apparaît donc que les milieux aquatiques sont soumis fréquemment à de multiples contaminations (métaux, HAP, PCB, pesticides…) ainsi qu’à divers pressions anthropiques comme la destruction de certains habitats et la surpêche. A ces perturbations s’ajoute de pressions qui ne sont pas directement liées aux actions anthropiques, mais indirectement comme le réchauffement climatique, l’acidification des eaux, l’hypoxie en tant que conséquence de l’eutrophisation…

MODELES ET SITES D’ETUDES

Les nourriceries côtières

Les estuaires sont parmi les systèmes les plus productifs du monde; ils sont également les réceptacles de multiples activités humaines (domestiques, industrielles, agricoles) et donc caractérisés par des cocktails polluants complexes. Les facteurs environnementaux (profondeur de la colonne d’eau, intensité des courants de marée, débit, salinité, température, concentration en oxygène dissout, charge en nutriments) et biologiques (traits de vie et activités métaboliques des organismes) caractérisant ces environnements estuariens, peuvent influencer la qualité chimique des eaux et des sédiments (Cotano et Villate, 2006).
Or les estuaires et les zones côtières sont généralement considérés comme des nourriceries essentielles pour de nombreuses espèces de poissons marin (Cabral et al., 2007; Lazzari et Stone, 2006); i.e. des sites où de fortes densités de juvéniles sont rencontrées et expliquées par la présence de conditions trophiques favorables à la croissance et l’existence de refuges vis à vis de la prédation (Pihl et al., 2002). Dans ce travail, nous nous sommes intéressés particulièrement au flet (P.flesus) et au poulamon (M. tomcod) qui sont des espèces inféodées à ces nourriceries côtières.
En considérant la complexité des cocktails polluants en milieux estuariens, il est délicat de vouloir estimer la qualité des eaux de ces systèmes par le seul dosage chimique de quelques molécules polluantes considérées comme toxiques, dans les eaux ou organismes. En effet, la multiplicité des polluants présents à des concentrations individuelles considérées comme non toxiques, peut se traduire par des effets toxiques synergiques et peut donc impacter sérieusement le fonctionnement de l’écosystème. De plus, les mesures chimiques dans l’eau donnent une image à un instant t de l’état de l’environnement, et ne tiennent donc pas compte d’éventuelles variations temporelles fortes dans les teneurs en polluants, ni de l’effet potentiel de la bioaccumulation sur les organismes (Amiard et Amiard-Triquet, 2008). Enfin, il faut noter que l’on ne peut détecter dans l’environnement que ce que l’on y recherche par chimie analytique et que les molécules effectivement détectées ne constituent généralement qu’une infime partie des multiples polluants présents dans les milieux naturels. Afin de développer une vision intégrée sur une période assez longue de l’impact du stress chimique sur les écosystèmes, l’utilisation d’espèces sentinelles et de biomarqueurs semble donc nécessaire, en complément des analyses chimiques.

Notion d’espèce sentinelle

Une espèce sentinelle est une espèce qui permet de déclencher une alerte quand une situation présente un risque pour l’environnement ou pour la santé humaine. Elle peut se définir comme « un organisme dont les changements de caractéristiques connues peuvent être mesurés afin d’évaluer l’ampleur d’une contamination environnementale et ses implications pour la santé humaine et ainsi prévenir tôt ses implications » (O’Brien, Kaneene et Poppenga, 1993).
Les critères sont nombreux pour définir une espèce sentinelle et font l’objet de nombreux débats. L’espèce doit pouvoir être facilement capturée, avoir une taille permettant de multiples analyses et doit présenter une aire de répartition connue et assez étendue (Bélanger, 2009). Elle ne doit pas être une espèce migratrice mais au contraire vivre dans une zone limitée, au moins durant une partie de son cycle biologique, ceci pour refléter l’état d’une zone naturelle précise. Afin de prendre en compte les effets de la bioaccumulation, l’espèce doit être située assez haut dans la chaîne alimentaire et être considérée comme aussi sensible que l’homme face à une contamination chimique (Bélanger, 2009; Fouqueray, 2008; Lower et Kendall, 1990; O’Brien, Kaneene et Poppenga, 1993). Les poissons de hauts niveaux trophiques sont ainsi souvent considérés comme de bonnes espèces candidates en écotoxicologie, particulièrement celles présentant des migrations limitées durant leur phase de vie juvénile ou tout au long de leur vie (Berthet, 2008).

Le flet, Platichthys flesus

Le flet, P. flesus (Figure 1 – droite), de la famille des pleuronectidés est un poisson plat euryhalin vivant préférentiellement sur les fonds sablo-vaseux et vaseux des zones estuariennes et côtières (Déniel, 1981). Il est largement réparti le long des côtes de l’Atlantique Occidental, de la Mer Blanche jusqu’au Sud du Portugal et dans quelques zones de la Méditerranée et de la Mer Noire (Figure 2 ; Borsa et al. (1997)).
Le flet est un poisson catadrome, vivant la majeure partie de l’année dans les zones estuariennes et les fleuves, il va rejoindre l’océan à l’âge adulte pour se reproduire (Figure 3 : Cycle de vie du flet, P. flesus (Evrard, 2009)). Le long des côtes françaises la reproduction a lieu au cours de l’hiver (janvier à mars). Les œufs pondus sont pélagiques; après 7 jours, les larves éclosent et présentent une symétrie bilatérale. Elles vont alors dériver passivement dans les masses d’eau dans un premier temps, puis se rapprocher ensuite plus activement vers les zones de dessalure. Les larves subissent ensuite une métamorphose en juvéniles ; ces derniers présentent les caractéristiques des poissons plats benthiques et vont alors se diriger très activement vers les estuaires qui sont pour eux des aires naturelles de nourricerie. Le recrutement des juvéniles dans ces nourriceries a lieu au mois de mai alors qu’ils mesurent entre 15 et 30mm. Les nourriceries, zones de grandes importances écologiques, sont des sites qui présentent de grandes abondances en juvéniles de poissons qui y trouvent des conditions favorables à leur croissance, une grande disponibilité de proies et un refuge vis à vis des prédateurs (Beck et al., 2001; Martinho et al., 2007). Les flets vont rester de 2 à 3 ans dans les estuaires jusqu’à atteindre une taille entre 110 et 250mm lors du second automne, présentant ainsi une grande variabilité inter-individuelle dans leur taux de croissance (Masson, 1987). Au cours de l’hiver, les flets devenus sexuellement matures iront rejoindre les adultes pour se reproduire à l’embouchure des fleuves ou en mer, et donner ainsi naissance à la génération suivante.

Le poulamon, Microgadus tomcod

Le poulamon (Figure 1Figure 2 – gauche) est un gadidé (famille des morues). C’est un poisson anadrome qui, à l’âge adulte, vit dans les eaux saumâtres ou plus salées des zones estuariennes à de faibles profondeurs. Il va migrer en eau douce en hiver (entre le mois de décembre et février) pour se reproduire. Cette migration est bien connue au Québec essentiellement près de Sainte-Anne de la Pérade, où le « petit poisson de chenaux » (nom local) fait l’objet d’une pêche sous la glace. Le poulamon est en réalité présent de la côte Sud du Labrador (Canada) jusqu’en Virginie (USA) (Figure 2 ; Dunbar (1970)), mais à ce jour, seule sa migration dans la rivière Sainte-Anne (Fortin et al., 1990) et dans le fleuve Hudson (Dew et Hecht, 1994) est bien documentée. Au Québec, les œufs éclosent au printemps et les larves vont dériver vers la partie estuarienne de l’hydrosystème (Figure 4). Les juvéniles colonisent alors les côtes du Saint Laurent et notamment les herbiers à zostères de mai à juillet, ils mesurent alors entre 50 et 100mm. Ces herbiers sont pour le poulamon des zones de nourriceries (Lazzari et Stone, 2006). Les poissons vont y rester pendant deux ans, se déplaçant peu. Lors du second automne qu’ils vont passer dans l’herbier la plupart des poulamons vont devenir sexuellement matures, mesurant alors entre 200mm et 270mm.
Le flet et le poulamon présentent donc les caractéristiques nécessaires pour être des espèces sentinelles. Ce sont des poissons qui sont, au stade juvénile, peu mobiles, liés à leur zone de nourricerie, ils reflètent donc l’état de cet écosystème. De plus, ce sont des espèces benthique (flet) ou démersale (poulamon) en contact ou à proximité immédiate avec des sédiments potentiellement contaminés. Ces deux espèces sont placées suffisamment haut dans les réseaux trophiques pour bioaccumuler potentiellement les contaminants. Le flet, tout comme le poulamon, a fait l’objet de nombreuses études centrées sur les réponses du poisson au stress chimique. Le poulamon, présent dans le fleuve Hudson, a été très étudié pour mieux comprendre l’impact potentiel de fortes teneurs en PCBs et HAPs présents dans ce fleuve sur le fonctionnement et l’état de santé d’un poisson estuarien. Des études ont ainsi montré que les populations de l’Hudson présentaient des modifications dans l’expression du gène du cytochrome P4501A, ainsi que des lésions hépatiques sévères (Courtenay et al. 1999; Wirgin and Waldman 1998; Yuan et al. 2001). Des modifications dans l’expression du gène du cytochrome P4501A ont aussi été démontrées chez le flet face à une exposition au HAPs et PCBs (Besselink et al. 1998; Beyer et al. 1996). Par ailleurs, de nombreux travaux menés sur le flet ont mis en évidence un effet de la contamination chimique sur les réponses moléculaires et génétiques de ce poisson, ainsi que des altérations de ses traits d’histoire de vie (Evrard et al. 2010; Laroche et al. 2002; Marchand et al. 2010; Marchand et al. 2006; Marchand et al. 2003).

Table des matières

CHAPITRE 1 : INTRODUCTION GENERALE 
1 INTRODUCTION
2 LES PERTURBATIONS EN MILIEUX COTIERS
2.1 LES PERTURBATIONS ANTHROPIQUES
2.2 LES PRINCIPAUX POLLUANTS
2.2.1 Les métaux
2.2.2 Les pesticides
2.2.3 Les Polychlorobiphényls
2.2.4 Les Hydrocarbures aromatiques polycycliques
2.2.5 Que sont les POPs ?
2.2.6 Autres polluants
3 MODELES ET SITES D’ETUDES
3.1 LES NOURRICERIES COTIERES
3.2 NOTION D’ESPECE SENTINELLE
3.3 LE FLET, PLATICHTHYS FLESUS
3.4 LE POULAMON, MICROGADUS TOMCOD
4 LES BIOMARQUEURS
4.1 BIOMARQUEURS, DEFINITION
4.2 DOMMAGES A L’ADN
4.3 REPONSES MOLECULAIRES, L’EXPRESSION DE GENES
4.4 SYSTEME IMMUNITAIRE
4.4.1 Le système immunitaire des poissons
4.4.2 Le C3 et le TNF-R
4.4.3 Dosages du lysozyme
4.4.4 Capacité de phagocytose
4.5 MECANISMES DE DETOXICATION
4.5.1 Ethoxyresorufin-O-deethylase, EROD
4.5.2 Métallothionéine
4.6 METABOLISME ENERGETIQUE 2
4.7 INDICES DE CONDITION
4.8 APPROCHE PROTEOMIQUE 2D
5 OBJECTIFS DE L’ETUDE
CHAPITRE 2 : REPONSES DU FLET, PLATICHTHYS FLESUS, EN PRESENCE D’UN MELANGE COMPLEXE DE HAPS ET PCBS EN CONDITIONS EXPERIMENTALES 
1 INTRODUCTION
2 RESULTATS ET DISCUSSION
ARTICLE
CHAPITRE 3 : APPROCHE MULTIMARQUEURS SUR LE FLET, PLATICHTHYS FLESUS, DANS LA MANCHE 
1 INTRODUCTION
2 RESULTATS ET DISCUSSION
ARTICLE
CHAPITRE 4 : APPROCHE MULTIMARQUEURS SUR LE POULAMON, MICROGADUS TOMCOD, DANS L’ESTUAIRE DU ST. LAURENT 
1 INTRODUCTION
2 RESULATS ET DISCUSSION
ARTICLE
CHAPITRE 5 : DISCUSSION GENERALE ET PERSPECTIVES 
1 QUELS LIENS EXISTENT ENTRE LES DIFFERENTS BIOMARQUEURS ET QUELS MECANISMES SONT MIS EN JEUX ?
1.1 LE CAS DES REPONSES DU SYSTEME IMMUNITAIRE
1.2 LE CAS DU COUPLAGE : BIOTRANSFORMATION – DOMMAGES A L’ADN
2 QUELS BIOMARQUEURS A PRIVILEGIER ?
2.1 LES MARQUEURS QUI N’ONT PAS MONTRE DE MODULATIONS DANS UNE OU PLUSIEURS ETUDES DOIVENT-ILS ETRE RECONSIDERES ?
2.2 LES MARQUEURS DU SYSTEME IMMUNITAIRE SONT-ILS PERTINENTS ?
2.3 IMPORTANCE ET COMPLEXITE DES MARQUEURS DE DETOXICATION ET DE GENOTOXICITE
2.4 BIOMARQUEURS DE LA VARIABILITE GENETIQUE
3 QUEL TYPE DE CONTAMINATION EXPERIMENTALE A PRIVILEGIER ?
4 QUELS SITES D’ETUDES, PERIODES ET MODELES CHOISIR EN MILIEU NATUREL ?
5 PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 
ANNEXE 1 : REPONSES DU FLET, PLATICHTHYS FLESUS, EN PRESENCE D’UN MELANGE COMPLEXE DE HAPS ET PCBS EN CONDITIONS EXPERIMENTALES – APPROCHE 2D
ANNEXE 2 : APPROCHE MULTIMARQUEURS SUR LE FLET, PLATICHTHYS FLESUS, DANS LA MANCHE

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