REPARTITION DES ACTIVITES SCIENTIFIQUES ENTRE ACTEURS ET REMPLACEMENT DU SCIENTIFIQUE DANS LE PROCESSUS

REPARTITION DES ACTIVITES SCIENTIFIQUES ENTRE ACTEURS ET REMPLACEMENT DU SCIENTIFIQUE DANS LE PROCESSUS

ETUDIER L’HISTOIRE POUR DETERMINER LES LIMITES DE L’OUVERTURE DE LA SCIENCE

Des historiens des sciences ainsi que des sociologues ont apporté des éclairages fondamentaux sur l’évolution de la science (e.g. David, 2007; Kuhn & Ian, 1962; Licoppe, 1996; Schaffer, 1988; Shapin, 2008). Notre intention dans ce chapitre est de nous appuyer sur ces études pour souligner quelques moments clés dans l’histoire des sciences où le processus scientifique, initialement porté par un ensemble plus ou moins établi d’acteurs identifiés, a multiplié et organisé l’ouverture à d’autres acteurs non scientifiques. En nous intéressant aux transformations du rapport aux données, nous cherchons à comprendre les impacts qu’ils ont pu avoir sur l’organisation de la science et sur les relations entre les acteurs impliqués dans le processus. Nous nous appuierons sur les études menées par ces historiens ainsi que sur des documents d’époque, généralement des récits originaux de savants qui ont narré les différentes expériences qu’ils ont menées. On pourrait nous reprocher une représentation unidirectionnelle et transdisciplinaire de la science. Cela n’est pas notre propos. Chaque discipline et chaque communauté scientifique développent leurs propres courants de pensée et méthodologies. Nous supposons en revanche que certaines périodes de l’histoire ont été marquées par des phénomènes qui ont touché un grand nombre d’acteurs et de disciplines à un moment donné. Dans cette analyse, nous nous contentons 119 d’éclairer ces moments dans l’histoire des sciences au travers d’exemples pour comprendre quelles sont les tensions qui ont mené les scientifiques à ouvrir et déléguer certaines de leurs activités. L’évolution paradigmatique des sciences dans leur rapport aux données a déjà été le sujet d’intérêt de Jim Gray dans le livre The Fourth Paradigm publié en 2009 (Hey, Tansley, & Tolle, 2009). Selon lui, nous sommes arrivés à ce qu’il nomme le quatrième paradigme, symbolisé par l’émergence du big data et de la science dite data-driven, les trois autres paradigmes étant : la science expérimentale et empirique post-baconienne, la science théorique et la modélisation, et enfin la science computationnelle et la simulation de phénomènes complexes. Il montre dans son analyse comment les scientifiques ont construits les outils adaptés pour compiler et gérer des bases de données de plus en plus importantes. Son approche permet de mieux caractériser la transformation actuelle d’un point de vue épistémologique, cependant elle néglige les acteurs qui interviennent dans le processus scientifique et ne permet pas de rendre compte des leviers qui poussent à l’ouverture du processus. Nous proposons dans notre analyse d’étudier deux périodes liées à la transformation du rapport aux données. Une première période est caractérisée par l’introduction des instruments scientifiques de manière généralisée dans les pays occidentaux. Des instruments comme le microscope, le télescope ou le baromètre ont permis aux scientifiques d’observer et de mesurer des phénomènes naturels qui étaient inaccessibles jusqu’alors. Nous allons montrer comment ces appareils ont été introduits puis généralisés dans les communautés de savants entre le 17 et le 19è siècle. Nous nous intéresserons particulièrement à l’impact de cette transformation sur l’organisation du processus scientifique. La deuxième période que nous analysons est celle du passage à une approche stochastique dans l’analyse des données scientifiques. Comme nous le montrerons, le 19è et le 20è siècle ont été le témoin de l’introduction de la notion de hasard et d’incertitude dans l’étude des phénomènes naturels. Nous montrerons au travers d’exemples comment certains scientifiques ont intégré dans leurs modèles cette vision stochastique et comment cela a impacté l’organisation scientifique

DU 17E AU 19E SIECLE : REDEFINIR LE ROLE DU SCIENTIFIQUE FACE AUX FABRICANTS D’INSTRUMENTS SCIENTIFIQUES

Dans cette section, nous analysons comment l’introduction et la démocratisation des instruments scientifiques de mesure a poussé les scientifiques à changer d’organisation et à intégrer de nouveaux acteurs dans le processus scientifique. Cette période a été modélisée suivant trois régimes distincts par l’historien Christian Licoppe (1996). D’abord un régime de curiosité au 17è siècle avec la recherche de faits extraordinaires dans des représentations publiques. Les expérimentations n’avaient pas pour objectif de construire de nouvelles connaissances scientifiques mais plutôt de convaincre un public majoritairement adeptes du syllogisme. Ensuite un régime de l’utilité où les différentes disciplines se sont moins intéressées à émerveiller un public qu’à stabiliser les expérimentations et entrevoir la possibilité de reproduire les expériences. Enfin, un régime de l’exactitude caractérisé par une recherche de standardisation de l’activité scientifique. Notre analyse portera sur l’évolution des rôles des acteurs gravitant autour du processus scientifique et des relations entre ces acteurs.

L’INSTRUMENT SCIENTIFIQUE COMME OUTIL AU 17E SIECLE POUR PRODUIRE DES FAITS EXTRAORDINAIRES

Le 17è siècle est l’âge d’or des premiers appareils d’optique : « microscope», « télescope » ou encore « baroscope » permettent d’observer des phénomènes qui restaient inaccessibles aux sens humains. Ces instruments sont construits par les physiciens ou les astronomes eux-mêmes ou encore par des artisans mais sous l’étroite surveillance des premiers. L’instrument scientifique représente à cette époque1 le premier mouvement d’opposition fort des intellectuels de l’époque contre les savoirs secrets des alchimistes, mais également contre la rhétorique syllogistique provenant des écrits grecs anciens et considérés jusqu’alors comme source première de vérité. Il y a en effet une scission à l’époque entre partisans d’un raisonnement syllogistique où la production de connaissance est la conséquence unique et directe d’un pur exercice de pensée, et l’émergence d’une méthode empirique qui prône la connaissance basée sur l’expérience. Une petite partie de savants développent de coûteux instruments pour réaliser devant des témoins des expérimentations qui suscitent la curiosité de leur public. Par la construction de faits extraordinaires, ces démonstrations tendent à opposer la vision traditionnelle de l’experientia (la  recension des lieux communs) propre à l’épistémologie grecque et encense le régime de l’experimentum, la mise à l’épreuve artificielle. Après la gloire d’un mode de raisonnement essentiellement porté sur le syllogisme, ces philosophes portent dans leurs démonstrations la valeur d’une rigueur de l’expérience, où l’on fait attention à distinguer fortement les faits de leurs interprétations. Le but à ce moment n’est pas de démontrer mais de convaincre un maximum de personnes que l’expérience locale menée avec les instruments et dans les circonstances particulières peut être généralisée.

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