Généralités sur les figuiers
Diversité du genre Ficus
Le genre Ficus avec ses 800 espèces mondialement connues est de loin le genre le plus important numériquement de la famille des Moracées (Corner, 1962). C’est également un des quatre genres de dicotylédones les plus riches en espèces.
Le genre a une distribution pantropicale, mais certaines espèces telle que Ficus carica L., se développent sous des climats tempérés. Les Ficus sont classés en six sous genre : Ficus, Synoecia, Sycidium, Sycomorus, Pharmacosycea, Urostigma, (Berg, 2004a ; 2004b ; Dixon 2003), eux-mêmes séparés en sections et sous sections. Les figuiers sont très divers en ce qui concerne à la fois leurs formes biologiques, leurs habitats, leur densité, leur stratégie de reproduction. La majorité des espèces sont des arbustes ou des arbres de taille moyenne (15- 25m) mais pouvant atteindre 45 m de haut (Ficus polyantha; Corner, 1985). De nombreuses espèces d’Urostigma sont des étrangleurs : la plantule germe en épiphyte à la fourche d’un arbre, puis les racines se développent en enlaçant l’arbre support, jusqu’à étrangler celui-ci qui meurt. Dans la région Indo Malaise, on rencontre une centaine d’espèces qui sont épiphytes. Elles poussent sur les branches hautes de l’arbre hôte, et ne se rencontrent que dans la canopée (Corner, 1976). Quelques autres espèces sont subligneuses ou lianescentes. Les figuiers peuvent être des composants dominants de la forêt tropicale, aussi bien en savane (Troth, 1979) qu’en forêt (Gentry, 1988). Les densités des figuiers sont toujours faibles, mais varient selon les espèces de 0, 1 à 3 individus/hectare (Gauthier- Hion & Michaloud, 1989).
La moitié environ des espèces est monoïque, les autres étant dioïques. Chez les figuiers monoïques, tous les individus ne portent que des figues contenant une majorité de fleurs femelles uniovulées (de quelques dizaines chez F. mathewsii à plus de 7000 par exemple chez F. pumila ou F. vallis-choudae) et une minorité de fleurs mâles très simples.
L’autopollinisation au sein d’une même figue est interdite par une protogynie très marquée (les fleurs femelles sont matures plusieurs semaines avant les mâles), (Kerdelhue, 1997). Chez les figuiers monoïques, il y a donc production de graines et d’insectes. Par contre chez les figuiers dioïques, les arbres femelles ne produisent que des graines (pas d’insectes ni du pollen) et les autres appelés mâles ne produisent pratiquement que des pollinisateurs et pas de graines dans les fleurs femelles (Kjellberg, 1991).
Toutes les espèces de figuiers sont caractérisées par la production de figues qui ont des diamètres qui varient selon les espèces, de quelques millimètres à dix centimètres. La figue (ou sycone) est une inflorescence refermée en urne. La morphologie générale de l’inflorescence des Ficus suggère une évolution à partir d’une inflorescence dioïque, possédant de nombreuses bractées (Dorstenia et Brosemium actuels) qui, au cours du Crétacé (il y’a plus de cent millions d’années), s’est refermée (Corner, 1978). L’existence de formes intermédiaires corrobore cette hypothèse. L’intérieur d’une figue est tapissé de fleurs femelles uniovulées et contient également quelques fleurs mâles (figure 1). La communication avec l’extérieur est assurée par un orifice, l’ostiole, hermétiquement clos par des bractées. Lorsque les fleurs femelles d’une figue sont réceptives (aptes à être pollinisées), les fleurs mâles sont à l’état d’ébauche. La pollinisation ne peut avoir lieu qu’entre figues différentes et l’ostiole étant clos, ne peut être ni anémophile, ni le fait de pollinisateurs non spécialisés.
Communautés de chalcidiens associées aux figuiers
Le nom de guêpes de figues leur est appliqué du fait qu’ils se multiplient exclusivement dans les figues (van Noort & Rasplus, 2005). D’une perspective taxinomique le terme, guêpe de figue entoure des représentants de 5 familles de chalcidiens (Agaonidea, Pteromalidea, Ormyridea, Eurytomidea, et Torymidea) (van Noort & Rasplus, 2005). Les guêpes de figue étaient précédemment toutes unies sous l’Agaonidea incorporant 6 taxa au niveau des sous-familles : Epichrysomallinae, Otitesellinae, Sycoryctinae, Sycoecinae, et Sycophaginae, (Boucek, 1988). Récentes investigations moléculaires ont montré que l’Agaonidea est paraphylétique (van Noort, 2004).
Le Sycoecinae, l’Otitesellinae, et le Sycoryctinae ont été attribués à nouveau aux Pteromalidea, laissant seulement les guêpes de pollinisation des figues dans l’Agaonidea (Rasplus et al., 1998). Les rapports phylogénétiques des deux sous-familles restantes (Sycophaginae et Epichrysomallinae) sont encore non définis, mais n’appartenant pas à l’Agaonidea (van Noort, 2004).
Les guêpes de figues sont circumtropicales dans la distribution, avec environ 640 espèces décrites dans le monde. Ce qui représente environ 20-30% des espèces existantes ; en d’autres termes, il y a encore à décrire 1300 à 2600 espèces (van Noort & Rasplus, 2005). Il y a 230 espèces décrites des 700-1000 espèces environ dans la région afro tropicale (van Noort & Rasplus, 1997). Les pollinisateurs sont connus environ de 70% des espèces afro tropicales (Wiebes & Compton, 1990).
D’une perspective écologique, la plupart des chalcidiens associés aux figuiers sont phytophages et les espèces restantes sont des inquilines ou des parasitoïdes. Les phytophages écorchent l’ovule pour fournir une ressource de nourriture pour le développement de leurs larves (van Noort & Rasplus, 2005).
Les chalcidiens, comme tous les autres insectes sont composés de trois parties avec des particularités : la tête, le thorax, et l’abdomen (figure 2).
La tête porte les pièces buccales, les antennes, les yeux composés et dorsalement trois ocelles (yeux simples) disposés en triangle dont un médian et deux postérieurs. Les antennes sont formées d’un nombre variable d’articles selon les espèces et parfois selon les sexes. L’article le plus basal est appelé scape, le suivant le pédicelle, les autres constituant le flagelle. Le front est la zone comprise entre le haut de la tête et les insertions antennaires.
Chalcidiens pollinisateurs
Mutualisme obligatoire Ficus-agaonines
Les mutualismes (interactions réciproquement salutaires entre les espèces) sont finalement venus pour être identifiés en tant que composants critiques des processus écologiques et évolutionnaires se produisant entre individu et s’étendant de l’individu à l’écosystème (Bronstein, 2001). Chaque organisme sur terre est probablement impliqué dans au moins une et habituellement plusieurs mutualismes pendant sa vie (Janzen, 1985).
La figue (ou syconium) est un repli de la tige autour d’une multitude de fleurs. Quand on regarde une figue, on peut se demander comment des fleurs ainsi cachées dans le syconium vont pouvoir être pollinisées. Sur les figues mûres, on aperçoit un creux à l’extrémité opposée au pédoncule, ce creux correspond à la trace d’un minuscule trou (ostiole) présent dans la figue immature, creux dont il est évident qu’une abeille n’y passerait pas. La solution est dans l’existence de minuscules guêpes appartenant à la famille des Agaonidae (Hyménoptera : Chalcidoidae : Agaonidae : Agaoninae). Chez ces insectes, le dimorphisme sexuel est très marqué ; les femelles pourvues d’ailes sont plus grandes que les mâles qui sont tous aptères avec leurs derniers segments métasomaux allongés et tubulaires repliés sous le métasoma. Les mandibules des femelles sont caractéristiques avec un appendice mandibulaire plat, plus ou moins allongé et portant des dents ou des lamelles (Kerdelhue, 1997). Ces pollinisateurs sont caractérisés par une spécificité extrême, adaptation morphologique, et leurs cycles de vie dépendent entièrement de la reproduction de leur figue (Weiblen & Bush, 2002).
Le rapport entre les guêpes de figues pollinisateurs et leurs figuiers est un exemple classique de mutualisme obligatoire : tous les figuiers sont pollinisés par ces agaonines qui se reproduisent exclusivement dans les figues (Rønsted et al., 2005). Ni l’un, ni l’autre des associés ne peut se reproduire, sans l’autre, l’agaonine fournissant un service de pollinisation et le figuier alternativement fournissant un emplacement de multiplication pour la progéniture de la guêpe pollinisatrice (Janzen, 1979). La relation entre les figuiers et leurs pollinisateurs constitue peut être le plus important des relations mutualistes connues (Molbo et al., 2003).
Ce rapport est habituellement linéaire (Rasplus, 1996) ; à quelques exceptions près, chaque espèce de Ficus est pollinisée par une espèce d’agaonine qui lui est spécifique. Les chalcidiens pollinisateurs de figue présentent une tête aplatie leur permettant de passer dans l’ostiole. Le cycle commence quand l’insecte femelle localise une figue réceptive (Molbo et al., 2003). Cette réceptivité, la figue la manifeste par la production d’une odeur spécifique qui attire l’insecte pollinisateur (Grison-Pigé et al., 2002). Les pollinisateurs entrent dans la figue à travers l’ostiole et perdent leurs ailes et quelques segments de leurs antennes. Une fois dans la cavité, elles pondent à travers le style dans une partie des fleurs femelles (Cook & Rasplus, 2003), déposant un oeuf entre le nucelle et le tégument ovarien interne, alors que le pollen qu’elles ont amenées est déposé activement ou passivement sur les stigmates environnants (Kerdelhue, 1997). Les fleurs ayant reçu un œuf sont transformées en galles vraisemblablement grâce à l’injection par la femelle de venin provoquant la prolifération de tissus ovariens, et il est également possible que la galle soit formée par la larve qui s’en nourrit. Les fleurs femelles pollinisées mais ne contenant pas d’oeufs, donnent des graines.
Quelques semaines plutard, la nouvelle génération de pollinisateurs sort des galles. Les mâles émergent les premiers dans la cavité et recherchent les galles contenant des femelles ; ils percent un trou alors dans la paroi de ces galles, introduisant leur abdomen à l’intérieur et fécondent les femelles encore prisonnières avant de les aider à sortir (Kerdelhue, 1997), puis les femelles rassemblent alors le pollen des anthères nouvellement mûres (Bronstein, 2001). Les mâles creusent des trous près de l’ostiole pour la sortie des femelles et meurent. Ces femelles chargées de pollen émergent de leur figue de naissance et partent à la recherche d’une figue réceptive (Kjellberg et al., 2005). Après émergence des guêpes, la figue devient mûre et attire de nombreux vertébrés frugivores qui vont disperser les graines (Shanahan et al., 2001). L’ouverture du tunnel de sortie provoque brusquement des échanges gazeux avec l’extérieur qui induisent le mûrissement climactérique de la figue par oxydation. Ceci augmente l’activité des femelles, diminue celle des mâles et accélère le processus de maturation de la figue. Celle-ci grossit sensiblement en l’espace de 24 heures rougit souvent, devient souple et odorant (Kerdelhue, 1997).
Pollinisation passive
Dans le cas de la pollinisation passive, les fondatrices ne montrent aucun comportement évident de pollinisation. Les figues produisent de grandes quantités de pollen libérées par la déhiscence d’anthères de sorte que les guêpes deviennent couvertes de pollen dans leur figue natale (Galil & Meiri, 1981)
La pollinisation active est plus efficace que la pollinisation passive et les espèces de figuiers pollinisées activement produisent moins de pollen que ceux pollinisées passivement (Kjellberg, 1991).
Chalcidiens non pollinisateurs
Hormis le pollinisateur, chaque figuier a un assemblage divers de chalcidiens non pollinisateurs liés à lui (van Noort, 2004). Ces faunules peuvent être très diversifiées en Afrique ; un individu de F. thonningii peut abriter jusqu’à 30 espèces (Kerdelhue, 1997). De même que le pollinisateur, ces espèces dépendent spécifiquement et strictement de la figue pour leur développement. Elles se développent dans les fleurs des figues mais ne semblent pas les polliniser, par conséquent elles n’apportent aucun avantage (Jousselin et al., 2001). Exceptée Ceratosolen galili (Compton et al., 1991), elles n’appartiennent pas à la lignée des Agaonidae pollinisateurs (Rasplus et al., 1998). Les femelles de ces non pollinisateurs ont des daptations morphologiques semblables à celles des pollinisateurs des figuiers telles que les têtes aplaties, des corps doux… (van Noort & Compton, 1996). Cet ensemble divers de guêpes non pollinisateurs concurrence les pollinisateurs pour les ressources de la figue, par contre les parasites attaquent les larves des pollinisateurs dans la figue et affaiblissent ainsi le mutualisme. A la différence des pollinisateurs, quelques parasites de figues attaquent les fleurs en perçant l’extérieur du réceptacle avec leur long ovipositeur. Le genre Apocryptophagus par exemple induit le développement anormal des ovaires de figues affectant négativement le mutualisme par les fleurs préjudiciables et par la concurrence des pollinisateurs (Weiblen & Bush, 2002).