ANNABA, ENTRE MORPHOLOGIES ET POLITIQUES URBAINES. VERS UN RENOUVELLEMENT?
Ville algérienne et prémices d’un renouvellement urbain
La ville algérienne connaît depuis deux décennies une mutation où se pose la question du passage d’un urbanisme normatif et essentiellement extensif à un « urbanisme de projets ». Par ce « nouvel » urbanisme, les pouvoirs publics ambitionneraient de se démarquer de l’approche normative d’une « planification traditionnelle et fonctionnaliste qui s’appuyait sur une vision statique du territoire » [Révision PDAU Alger, 2011, p.67] pour s’inscrire davantage dans une démarche stratégique remodelant les tissus de la ville algérienne et préfigurant un paysage urbain renouvelé. En dépit des incertitudes liées aux fluctuations économiques et politiques, mais aussi des insuffisances dans l’accompagnement de cette mutation, la ville algérienne aspire, à travers ces projets, à être au diapason des métropoles qui opèrent le renouvellement de leur structure urbaine et de leurs ressources économiques. Dans cette mutation relativement récente, il devient nécessaire de s’interroger sur la manière avec laquelle la ville algérienne se transforme augurant son devenir dans des démarches d’aménagement inédites et ce au gré des mutations sociales et économiques que connaît le pays depuis les années 1990. Sans déroger à une production en masse du logement en périphérie des villes6 , l’urbanisme en Algérie tend à s’organiser sous la forme d’actions de régénération urbaine concrétisées à travers des projets d’initiative publique ou privée. Ces actions agissent sur la forme urbaine en soulevant de nouvelles problématiques inhérentes à l’image de la ville, aux usages de l’espace, à l’économie locale, à la mobilité, à la sociabilité, à la mémoire et au patrimoine, à l’environnement. Les grandes villes que sont Alger, Oran et Constantine, constituent aujourd’hui le laboratoire d’une nouvelle réflexion sur le devenir de la ville algérienne à travers le renouvellement de sa structure urbaine et économique allant audelà des opérations préalables d’amélioration urbaine toutes vouées à l’échec n’ayant pas apporté de progrès notables. Cette nouvelle approche de l’urbanisme et de l’aménagement des villes, se démarquant de la planification traditionnelle, mettra néanmoins à nu de nouvelles difficultés d’accompagnement de la mutation souhaitée. Une des interrogations cruciales à soulever 6 Les besoins annuels étant d’environ 250.000 logements pour tout le territoire, ce qui est en soi un défi. 166 portera sur l’action de démolition comme outil de renouvellement de la ville algérienne notamment au niveau du vieux bâti datant du 19ème siècle et frappé de vétusté avancée. Le choix des décideurs sera précédé dans ce cas d’un dilemme oscillant entre gains et gâchis que pourrait entraîner la démolition, des questions qui font également entrer la société civile et l’habitant dans le jeu nouveau des acteurs tantôt soumis aux choix tantôt les contestant. Après avoir tenté d’aborder, dans la première partie de cette recherche, le renouvellement urbain comme paradigme des interventions sur les tissus constitués à travers des expériences étrangères, cette seconde partie aura pour principal objectif de dévoiler les prémices de ce mode opératoire dans la ville algérienne. Trois chapitres articulent cette seconde partie, le premier tente par une mise en contexte d’expliquer l’origine des mutations urbaines actuelles par le biais des mutations politiques et économiques amorcées dès la fin des années 1980. Le second chapitre étayera l’hypothèse de ces prémices à travers le Plan Stratégique élaboré pour Alger à l’horizon 2030, lequel annonce les jalons de ce nouvel urbanisme stratégique. Le troisième chapitre mettra l’accent sur l’une des questions déterminantes qui viendront accompagner le renouvellement de la ville algérienne et qui est celle de la démolition du vieux bâti, en interrogeant le dilemme entourant cet acte radical, les freins, obstacles et conséquences de sa mise en œuvre sur la ville et ses habitants.
La ville algérienne à l’épreuve des mutations économiques et sociales des années 1990 à 2000
La clé de lecture et de compréhension de l’espace urbain actuel en Algérie tient en sa mise en contexte par rapport à une période relativement récente correspondant à la transition politique et économique qu’a connue le pays dès la fin des années 1980. Les deux décennies successives des années 1990 et 2000 constitueront les épisodes clés à l’origine de la mutation en cours dans la ville algérienne. Ces épisodes de transition ont été des moments de rupture et de remise en cause des choix politiques et économiques qui ont profondément bouleversé la société algérienne ainsi que les modes d’aménagement et de gestion de l’espace urbain. La première décade tumultueuse sera à la fois teintée d’ambitions et mêlée d’illusions vite déchantées. La seconde héritant des conséquences de ce qui l’a précédée, et cumulant ses retards, se voudra prometteuse mais s’accompagnera de multiples confusions et incertitudes. Les incessantes ruptures que connait le pays, depuis la fin des années 1980, imprègnent ainsi inévitablement de leurs conséquences une ville algérienne à l’espace constamment « retourné » 7 . 7 Formule empruntée à M. COTE. 168 1.1 Tumulte des années 1990 et fin de la planification normative Les mutations que connait la ville algérienne depuis plus de trois décennies trouvent leur origine dans la rupture avec le système de planification centralisé d’une économie socialiste et le passage à la libéralisation du marché. Cette transition économique et politique, qui s’opère au début des années 1990, affectera sensiblement la société algérienne et s’inscrira de manière ostensible sur son espace. À l’origine, la chute vertigineuse des cours du pétrole, au milieu des années 1980, prive l’Algérie de la moitié de ses revenus, exerçant par là un choc sans précédent sur l’économie du pays, laquelle s’en trouve paralysée après une période abusive de consommation de la rente selon le » plan anti-pénurie » (PAP) des années 1980 [Talahite F., 2010]. Sous la menace d’une explosion sociale, le pays s’endette auprès d’instances internationales (FMI, Banque Mondiale) qui exigent des restrictions drastiques des dépenses publiques mais aussi la restructuration des entreprises relevant du secteur public, ce qui ne manquera pas de bouleverser les modes de production et de gestion de l’espace. Par ce basculement brutal à l’économie de marché consacrant la privatisation du secteur public, c’est le rôle de l’état maître du « tout planifié » qui sera remis en cause. L’état providence montrant ses limites en tant que « contrôleur, programmateur, investisseur, financier et réalisateur » [Djelal N., 2007], voit son rôle passer d’avantage à celui de » régulateur agissant en tant que facilitateur et médiateur des échanges économiques que comme acteur (économique) direct. » [Sidi Boumediene R., 2013, p.11]. L’ajustement structurel prôné par le FMI consacre le désengagement de l’état des secteurs stratégiques notamment celui de l’habitat où, jusqu’en 1986, le rôle de l’état a été crucial contrôlant à la fois le foncier, la demande, la réalisation, l’administration, la promotion et la distribution des logements. Ce tournant décisif coïncide avec la fin d’un monde bipolaire Est-Ouest (Chute du mur de Berlin en 1989 et effondrement du bloc soviétique) affirmant la prééminence du modèle libéral anglo-saxon sur l’économie mondiale et l’émergence d’une stratégie entrepreneuriale de gestion et de production de l’espace. Dans ce contexte international de mutation dans l’ordre mondial, lequel imposera ses règles économiques notamment aux pays du tiers-monde souffrant de déficits budgétaires et de conflits politiques, la transition en Algérie se fera en réalité suite aux évènements tragiques du 5 octobre 1988 dont les conséquences continuent de hanter le quotidien de la société algérienne ainsi que son espace de vie. C’est en effet de cette période mouvementée que naîtra la constitution de 1989. Mettant fin au monopole de l’état, cette constitution représentera « le socle des réorientations politiques 169 et donc instrumentales en matière d’urbanisme » [Sidi Boumediene R., 2013, p.35]. Trois lois essentielles régiront désormais la production, la gestion, l’appropriation et la consommation de l’espace par la reconnaissance du droit à la propriété privée et du nouveau rôle des communes, il s’agit de : la loi 90-25 portant orientation foncière8 , la loi 90-29 relative aux instruments d’urbanisme9 , et de la loi 90-08 relative à la commune10 . Cette assise juridique, mettant en application le processus de décentralisation des pouvoirs et des modes d’intervention, donnera aux collectivités locales communales un rôle essentiel dans l’aménagement et le développement local à travers les instruments d’urbanisme. Ce processus a également conduit à l’émergence de nouveaux acteurs à la fois publics et privés ce qui a boosté le secteur de la construction notamment dans la promotion immobilière et par l’intervention des propriétaires privés en matière d’autoconstruction [Souami T., 2001]. En effet, la promulgation de la loi 86-0711 relative à la promotion immobilière aura pour objectif de mobiliser le capital privé dans le financement de l’habitat. Les procédures sociales en matière de logement cèderont peu à peu la place à d’autres procédés privilégiant l’accès à la propriété selon diverses formules (logement promotionnel, logement social participatif, location-vente). A cela s’ajoutera la multiplication des organismes chargés de la gestion des opérations immobilières (caisse nationale du logement CNL12 , le fond de garantie et de caution mutuelle de la promotion immobilière FGCMPI). C’est ainsi que seront réunies les conditions en vue de l’implication active du promoteur privé dans la construction du logement en particulier. Adoptant une posture libérale, cette période charnière qui se voulait celle des réformes perdra toutefois son pari de sortie de crise et « les politiques d’inspiration néolibérale que préconisent les institutions internationales entraînent des transformations sociopolitiques complètement . Les difficultés financières et sécuritaires dont souffrira le pays se traduiront par une production anarchique du bâti, un retard cumulé dans la réalisation des infrastructures et des logements sociaux, la marginalisation des quartiers périphériques nouvellement construits et la dégradation des quartiers anciens et patrimoniaux. La réduction des moyens financiers, le désengagement de l’état ou l’ambiguïté de son rôle [Safar Zitoun M., 2012] auront un impact direct sur cette dégradation. L’exode rural dû à l’insécurité rendra la crise du logement plus difficile à résoudre dans les nouvelles couronnes périurbaines des grandes villes. La montée du chômage, la spéculation sur les loyers, les valeurs de l’immobilier et du foncier affranchis de toute régulation, viendront à leur tour accentuer ces difficultés faisant progressivement échapper la gestion de l’espace des mains des instruments de planification pour la laisser d’avantage se produire au gré des aléas du marché et des évolutions sociales. Du point de vue des outils, les instruments d’urbanisme dont se dotent les communes s’avèreront très vite inopérants de l’avis de nombreux spécialistes, les communes se révéleront impuissantes à répondre aux attributions qui leur incombent souffrant elles-mêmes de sousencadrement, de peu de qualifications et de moyens budgétaires réduits [Djelal N., 2007]. Du point de vue du rôle des acteurs, la ville algérienne connaîtra de façon corrélative une évolution à deux vitesses; d’une part une multiplication des acteurs, une décentralisation proclamée et loin d’être réellement effective, les organes du pouvoir exécutif que sont la Wilaya et ses différentes organes, agissant de façon sectorielle, étant les réels lieux de prise de décision, ce qui ne favorisera pas l’émergence d’un véritable pouvoir ni projet local. D’autre part, une autre ville s’esquissera échappant à la planification et ses instruments ou profitant de sa permissivité en toute légalité. Cette ville sera celle des promotions immobilières, des cliniques privées, banques ou autres centres commerciaux, autant signes de richesse qui s’implantent au gré des terrains disponibles ou convoités, parfois juxtaposés aux quartiers défavorisés les stigmatisant d’avantage.
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