Rendre aux femmes leur place dans l’enseignement de l’Histoire à l’école primaire
Les stéréotypes de genre à l’école
Le comportement des enseignants varie en fonction du genre de l’élève
Il est établi que nous avons tous des représentations traditionnelles des filles et des garçons. Des codes genrés sont attribués à l’enfant dès sa naissance. L’école a du mal à en sortir et à parvenir à s’adresser et à considérer les élèves sans passer par leur genre. Par exemple, les filles sont vues comme respectueuses de l’institution scolaire et des règles en général. Les garçons sont vus comme plus turbulents et davantage en opposition avec l’institution scolaire. Le centre Hubertine Auclert a fait une analyse sur les manuels d’EMC. Les chapitres sur la morale, le bon comportement, les règles à suivre attribuent à 61% des filles une moralité jugée bonne et à 59% des garçons une moralité jugée mauvaise.2 D’après Prune Missoffe, les professeur.e.s acceptent davantage l’indiscipline des garçons que celle des filles à cause de ces stéréotypes. Le corps enseignant interroge plutôt les filles lorsqu’il s’agit d’une restitution de savoirs tandis que les garçons sont davantage sollicités lorsqu’il faut construire des savoirs nouveaux notamment lors des phases de recherche et de découverte.3 L’idée que les filles lisent plus est également un stéréotype largement répandu. Les stéréotypes font partie de notre culture. Ils nous façonnent et influencent nos attitudes et nos comportements. Ces stéréotypes sont le fruit d’une construction sociale. L’objectif de l’école doit être d’effectuer un travail de déconstruction, de ne plus voir les élèves à travers leur genre et les stéréotypes qui y sont liés.
Le conditionnement social et son impact sur les choix de vie des élèves
Ce travail de déconstruction est indispensable et doit avoir des répercussions sur l’enseignement que nous donnons aux élèves dès l’école primaire. Les conséquences sont lourdes dans l’impact de la vie des élèves. Notre société véhicule l’idée que les femmes sont plus douées pour la compréhension des autres, qu’elles sont plus à leur place dans les matières littéraires. Spontanément, les femmes se dirigent vers des métiers pouvant concilier vie professionnelle et vie privée. Les femmes se jugent elles-même moins efficaces dans les matières scientifiques. Ainsi, les élèves filles ont moins confiance dans leurs capacités scientifiques alors que souvent elles ont un intérêt similaire à celui des garçons. De même leur niveau en mathématiques est égal à celui des élèves garçons. Néanmoins, on observe, dans les lycées, que les élèves filles se dirigent plus vers les filières littéraires tandis que les élèves garçons vont davantage dans les filières scientifiques. Ainsi, les stéréotypes construits par notre société ont un fort impact dans les décisions des élèves. Le devoir de l’école est de proposer aux élèves l’ensemble des corps de métier quelque soit leur genre. Pour cela, un travail est attendu sur le comportement des enseignant.e.s vis-à-vis des élèves et sur les perspectives d’avenir présentées aux élèves.L’Histoire semble être une discipline intéressante pour ouvrir des perspectives aux élèves. Il s’agit de présenter davantage de femmes importantes : des femmes historiques célèbres, des femmes militantes qui se sont battues pour le droit des femmes, des femmes scientifiques qui ont permis des avancées vitales, des femmes politiques qui ont participé à l’élaboration de notre société. En plus de donner des modèles aux élèves filles, cette démarche permet de montrer à l’ensemble des élèves que les femmes jouent et ont joué un rôle important dans notre construction. L’Histoire est une discipline au centre de la pédagogie égalitaire car elle permet de montrer une évolution.
Analyse des programmes et des manuels scolaires : vers une représentation plus équilibrée
Les programmes aux cycles 2 et 3
Nous allons maintenant nous attarder sur les programmes d’Histoire aux cycles 2 et 3. Quelle place donnent-ils aux femmes ayant marqué l’Histoire ? Quelles femmes sont explicitement évoquées ? Quelle est la répartition entre les deux genres ? Au cycle 2, l’Histoire prend la forme de compétences à acquérir « Se situer dans le temps » et « Explorer des organisations du monde ». L’objectif est que les élèves parviennent à situer les différentes périodes de l’Histoire, les modes de vie qui y sont associés et des personnages clés. En effet, les programmes utilisent une expression neutre « les personnages clés ». Ainsi, aucune appréciation de genre est évoquée. Dans la partie « Explorer des organisations du monde », il est écrit que les élèves doivent « comparer quelques modes de vie des hommes et des femmes ». Les programmes ont ainsi mis en valeur les deux genres au lieu de se contenter d’un masculin neutre. Les deux genres sont rendus visibles à égalité. Cette volonté de représenter les deux genres se retrouve un peu plus bas lorsque les programmes donnent des exemples de personnes à découvrir : « une paysanne, un artisan, une ouvrière, un soldat, un écrivain, une servante, un musicien, une puissante ». On remarque une volonté d’alterner les genres et de ne pas coller à une représentation stéréotypée des métiers, des statuts. Au cycle 3, l’Histoire devient une discipline à part entière. En CM1, le thème 1 intitulé « Et avant la France ? » est une histoire de la guerre mettant en évidence les figures de Clovis et Charlemagne. Le thème 2 « Le temps des rois » présente quatre rois aux élèves.Néanmoins, une phrase tend à rééquilibrer les genres : « présenter aux élèves quelques figures féminines importantes : Aliénor d’Aquitaine, Anne de Bretagne, Catherine de Médicis ». Il est important de noter cette application : des femmes illustres ont été ajoutées dans les programmes. Le chapitre classique sur Jeanne d’Arc a été supprimé. Néanmoins, il est possible de contester les choix des programmes. Aliénor d’Aquitaine et Anne de Bretagne ont participé aux rapports de force en France en raison de leur statut. Leur fortune et leurs terres leur ont permis d’avoir un poids dans les conflits. Notre but est de donner des représentations féminines aux élèves filles. Ces femmes illustres sont connues pour leurs biens et leur statut de noble. Peut-être faut-il présenter aux élèves des femmes cultivées, scientifiques, artistes ayant eu un impact autre que dans l’histoire de guerre ? Dans l’œuvre de l’association Mnémosyne4 , des femmes comme Marguerite de Navarre, sa fille, Louise Labé et Catherine de Médicis (qui a une place importante dans les programmes) ont des chapitres dédiés dont nous pouvons tirer des parties pour les insérer dans ce thème des rois de France. En CM2, le premier thème, « Le temps de la République », évoque les droits acquis sur cette période : le droit de vote et les droits des femmes. Il s’agit de faire étudier l’évolution de l’acquisition des droits des femmes depuis la Révolution française. On peut tout de même déplorer la mention de femmes ayant joué un rôle important dans ce processus. Les deux autres thèmes abordés en CM2 sont soit neutres soit font de l’histoire de guerre. On peut conclure que les programmes tendent vers une inclusion des femmes dans certains thèmes, qu’ils visent à équilibrer les deux genres dans les formulations. Néanmoins, l’Histoire enseignée reste tournée vers l’histoire des rois et des guerres. La mention des femmes reste anecdotique.
Représentations genrées présentes dans les manuels
Les manuels « ont un rôle dans la formation des normes et des opinions des élèves » , d’après Sabrina Sinigaglia-Amadio, maîtresse de conférence en sociologie à l’Université de Lorraine. Les manuels sont des outils pédagogiques à disposition des enseignant.e.s. Le rôle des enseignant.e.s est de les consulter et de se poser les bonnes questions avant de les utiliser.Les manuels sont pleins de stéréotypes genrés intériorisés comportant une nette sousreprésentation des femmes. Le centre Hubertine Auclert a fait une étude des représentations genrées présentes dans les manuels. Sur 25 manuels analysés, 68,2 % des personnages sont des hommes et 31,8 % sont des femmes. Cette analyse remarque également que le genre féminin est d’autant plus représenté lorsque les personnages sont des enfants. L’article remarque « Il semble plus aisé de représenter des filles en situation scolaire, que de montrer des femmes dans la sphère publique en général et dans le monde professionnel en particulier. » 6 . De plus, cette étude estime que les manuels véhiculent des schémas sexistes. L’exemple utilisé est une infographie expliquant le financement des droits sociaux. Les salariés, chômeurs, retraités, directeurs sont masculins tandis qu’une femme (aux cheveux longs et avec un bébé dans les bras) représente les bénéficiaires des allocations. Cette infographie transmet l’idée que les hommes cotisent et que les femmes bénéficient. De plus, dans le domaine des tâches ménagères, 60 % des personnages sont des femmes et 40 % sont des hommes. Les manuels diffusent ce schéma sexiste de la vie quotidienne. Ensuite, toujours selon cette étude, dans ces manuels, les femmes représentent 15 % des personnages du champ politique. Elles sont davantage représentées en tant que citoyennes qu’ayant un engagement civique concret. Selon Valérie Lanier , les manuels reflètent une idéologie politique. Dans les manuels d’Histoire, la représentation des femmes est toujours empreinte de stéréotypes de genre. Elles sont représentées comme une masse homogène. Les femmes sont très peu individualisées. Elles sont souvent présentées dans leur rôle traditionnel (la mère, la sœur, l’épouse) et avec des enfants dans les bras même s’il n’y a aucun contexte de milieu familial. Il faut ajouter que très souvent l’image de la femme est utilisée comme allégorie. Marianne est la « femme » la plus représentée dans les manuels d’histoire et d’EMC.
1.2.3. … vers une amélioration
Les points très positifs soulevés par l’analyse du centre Hubertine Auclert sont le bon traitement des inégalités femmes-hommes dans les manuels d’EMC. En effet, le point de départ n’est pas de savoir si l’inégalité femmes-hommes existe mais comment y remédier. Les programmes d’EMC aux cyles 2 et 3 accordent une grande place à l’égalité entre les filles et les garçons notamment à travers un travail sur le respect des différences et le sexisme, sur l’égalité de droit entre les hommes et les femmes et sur les préjugés et les stéréotypes. De plus, il faut noter que ces questions sont abordées en filigrane dans les chapitres. Les femmes n’ont pas un chapitre à elles mais font partie d’un tout. Elles sont une part entière de la société mais il faut mettre en valeur les inégalités de traitement. De plus, souvent les manuels d’EMC respectent l’ordre alphabétique en ce qui concerne les règles d’orthographe égalitaire. Par exemple, les manuels écrivent : les inégalités femmeshommes. En 2013, l’ABCD de l’égalité est expérimenté dans des centaines de classes élémentaires et maternelles. Le but de ce programme d’enseignement est de créer une vraie culture de l’égalité chez les élèves dont de faire acquérir le respect de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il s’agit de valoriser la mixité et l’égalité pour prévenir les comportements sexistes. Sur le long terme, l’objectif est également de promouvoir la mixité et l’égalité professionnelle, ouvrir les possibilités, des milieux professionnels, aux élèves filles.
1.Recherches scientifiques : les sciences de l’éducation face aux inégalités entre les |